Nations Unies

CCPR/C/128/D/2368/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 juin 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2368/2014 * , **

Communication présentée par :

Viktor Taran (représenté par un conseil, Oleg Golovchak)

Victime(s) présumée(s) :

Viktor Taran

État partie :

Ukraine

Date de la communication :

28 juillet 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État le 27 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 mars 2020

Objet

Détention illégale, torture et mauvais traitements

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Torture ; arrestationarbitraire − détention ; conditions de détention ; procès équitable ; procès équitable– recours ; procès équitable− assistance d’un défenseur

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 7, 9, 14 (par. 3 b) et g) et 5), 15, 16 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

Néant

1.L’auteur de la communication est Viktor Filippovich Taran, de nationalité ukrainienne, né en 1970. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2, des articles 7 et 9, des paragraphes 3 b), 3 g) et 5) de l’article 14 et des articles 15, 16 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits communiqués par l’auteur

2.1Le 1er mars 2002, à 7 heures, plusieurs policiers ont fouillé l’appartement de l’auteur dans la ville d’Odessa, où l’auteur résidait avec son épouse. Ils ont ensuite arrêté l’auteur et l’ont conduit au poste de police du district d’Ilitchevsk pour l’interroger. Au moment de son arrestation, l’auteur était en parfaite santé et n’avait aucun sujet de plainte d’ordre médical.

2.2L’auteur affirme avoir été détenu au poste de police d’Ilitchevsk du 1er au 3 mars 2002. Au poste, il a été torturé et soumis à des mauvais traitements par plusieurs policiers. En particulier, il a été battu à plusieurs reprises avec une matraque en caoutchouc et une batte de base-ball en bois, asphyxié avec un sac en plastique, électrocuté et brûlé à l’épaule. Il a également été suspendu à une barre en métal. Il a perdu plusieurs fois connaissance. L’enquêteur a noté dans le procès-verbalque l’auteur avait été arrêté et placé en détention le 4 mars 2002. Or, l’auteur a été détenu du 1er au 3 mars 2002 et a été forcé de signer des aveux. Immédiatement après avoir vu son avocat, le 4 mars 2002, il s’est rétracté en expliquant qu’il avait fait ces aveux sous la contrainte.

2.3Lors de son arrestation, l’auteur a demandé plusieurs fois à ce que son avocat soit présent, mais il a été battu après chacune de ces demandes. Un examen médical effectué le 4 mars 2002 a permis de constater qu’il avait un certain nombre de lésions corporelles graves, ce qui a été consigné dans un certificat médical. Le 20 mars 2002, il a été hospitalisé et on a diagnostiqué une hémorragie interne due à descoups violents, ce qui a également été consigné dans un certificat médical. Pendant son hospitalisation, l’auteur a adressé une plainte pour les actes de torture et les mauvais traitements subis au chef adjoint du Département régional d’Odessa du Ministère de l’intérieur, mais n’a jamais reçu de réponse. Le 12 avril 2002, l’auteur a déposé une nouvelle plainte auprès du Département régional d’Odessa du Ministère de l’intérieur, dans laquelle il décrit les actes de torture que les policiers lui ont infligés, mais aucune suite n’y a été donnée.

2.4Le 15 avril 2002, l’avocat de l’auteur a saisi le Ministère de l’intérieur d’une autre plainte pour torture, également en vain. Pendant que l’auteur était en détention provisoire, les policiers l’ont privé des soins médicaux nécessaires, l’ont empêché de communiquer avec son avocat et n’ont fait aucun cas de ses multiples plaintes concernant les actes de torture et les mauvais traitements subis. Ils lui ont laissé entendre qu’il serait mieux traité s’il avouait avoir commis un meurtre. L’avocat de l’auteur a en outre déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur de la région d’Odessa le 19 juillet 2002, qui l’a transmise au Bureau du Procureur de la ville d’Odessa. Le 17 septembre 2002, celui-ci a rejeté la plainte.

2.5L’auteur affirme que l’enquête préliminaire a pris finle 29 octobre 2002 et qu’il a demandé à avoir un accès illimité à son dossier, mais n’a été autorisé à le consulter que deux heures par semaine pour préparer sa défense. Plusieurs des plaintes déposées par l’auteur et par son avocat, M. B. A. B., sont restées sans suite et n’ont pas été versées au dossier. Après avoir examiné son dossier, l’auteur a indiqué une nouvelle fois qu’il avait fait certaines déclarations sous la torture, et que ses aveux ne devraient pas être retenus.

2.6L’article 156 du Code de procédure pénale ukrainien limite la durée de la détention provisoire à deux mois. Cette durée peut être prolongée de quatre mois par un juge. Une prolongation supplémentaire, de neuf mois au maximum, doit être décidée par un juge d’appel, et toute autre prolongation doit être autorisée par un juge de la Cour suprême. L’auteur affirme en outre qu’il a été détenu illégalement du 4 juillet 2002 au 1er septembre 2003, avant de passer en jugement. Conformément au Code de procédure pénale ukrainien, une détention provisoire de dix-huit mois doit être autorisée par un juge de la Cour suprême, ce qui, selon l’auteur, ne s’est pas produit dans son cas.

2.7L’auteur affirme également que ni ses allégations de torture et de mauvais traitements, ni les violations des droits procéduraux qu’il tient du Code de procédure pénal ukrainien n’ont été prises en considération pendant son procès. En outre, le tribunal n’a pas non plus tenu compte du fait qu’il avait été détenu illégalement du 1er au 4 mars 2002.

2.8Le 10 octobre 2005, l’auteur a été condamné à la réclusion à perpétuité pour participation à 30 infractions allant du vol au meurtre. Depuis lors, l’auteur et son avocat ont introduit de nombreux recours, notamment devant la Cour suprême, le Parlement ukrainien (Verkhovna Rada) et le Bureau du Procureur général. Le 4 septembre 2007, la Cour suprême a rejeté le recours de l’auteur. Elle a également rejeté deux autres plaintes, les 13 et 28 septembre 2010. L’auteur affirme en conséquence qu’il a épuisé les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il a subi des actes de torture et des mauvais traitements, en violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte, et que les plaintes qu’il a déposées à ce sujet n’ont pas fait l’objet d’enquêtes en bonne et due forme, ce qui constitue une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Comme on l’a soumis à la torture pour qu’il s’avoue coupable, les droits qu’il tient du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte ont également été violés.

3.2L’auteur affirme que, bien qu’il ait été arrêté le 1er mars 2002, sa détention n’a été officiellement enregistrée que le 4 mars 2002. En violation de ses droits procéduraux, il a été placé illégalement en détention provisoire sans ordonnance judiciaire. Au moment de son arrestation, il n’a pas été informé des faits qui lui étaient reprochés et n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge, en violation des droits consacrés par l’article 9 du Pacte.

3.3En outre, l’auteur affirme qu’il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et n’a pas pu communiquer avec son conseil, en violation du paragraphe3b) de l’article14 du Pacte.

3.4L’auteur affirme également que la Cour suprême a examiné son recours en son absence, alors qu’il avait demandé à être présent à l’audience, conformément aux dispositions de l’article 391 du Code de procédure pénale. De surcroît, il n’a pas été représenté à cette audience et la Cour a fondé sa décision sur un mémoire d’appel qu’il avait demandé d’écarter. L’auteur soutient que cela constitue une violation des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur affirme en outre que la commutation de sa condamnation à la peine de mort en réclusion à perpétuité viole les droits qu’il tient de l’article 15 du Pacte. La peine de mort a été abolie par la Cour constitutionnelle le 29 décembre 1999. La loi du 22 février 2000, qui a instauré la réclusion à perpétuité, ne dispose pas que la peine de mort doit nécessairement être remplacée par la réclusion à perpétuité.

3.6Sans apporter plus de précisions, l’auteur invoque une violation des articles 16 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 22 décembre 2014, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. L’ État partie prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, du 1er au 4 mars 2002, on l’a torturé pour lui extorquer des aveux, ce qui lui a causé de grandes souffrances physiques et morales. L’État partie note que, le 4 mars 2002, l’auteur a été arrêté par la police parce qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction visée au paragraphe 4 de l’article 187 − vol qualifié − du Code pénal. Le même jour, il a été interrogé par un enquêteur principal, O. L., mais a refusé de lui fournir la moindre information.

4.2Le 6 mars 2002, l’auteur a été inculpé de vol qualifié. Le tribunal du district Jovtnevy à Odessa a ordonné son placement en détention provisoire. Le 12 avril 2002, l’auteur a saisi le Bureau du Procureur d’une plainte concernant des coups qu’il avait reçus. Celui-ci a refusé d’engager des poursuites à ce sujet. Il a pourtant ouvert une procédure pénale concernant des allégations d’abus d’autorité commis par des policiers « à l’égard d’autres personnes », dans le cadre de laquelle l’auteur a été appelé à témoigner.

4.3L’auteur a été placé dans un centre de détention provisoire (SIZO) le 18 mars 2002. Une lettre émanant d’un hôpital local, datée du 4 mars 2002, a été versée au dossier. Cette lettre fait état d’« hématomes multiples » sur les fesses et les cuisses. Une seconde lettre émanant d’un hôpital et datée du 5 mars fait état d’une contusion dans la région de l’œil gauche, pour laquelle aucun traitement n’est toutefois préconisé. Le même jour, l’auteur a subi une échographie, dont il est ressorti que son état de santé était « normal ».

4.4À l’arrivée de l’auteur au SIZO, « des épanchements de sang des deux côtés de la région lombaire, datant de cinq jours, ainsi qu’une brûlure de 4 cm2,ont été découverts ». Du 20 au 21 mars 2002, l’auteur a été hospitalisé à Odessa en raison d’une suspicion de « traumatisme abdominal fermé »,de « lésion du foie » et de « lésion dans la région lombaire ».Il a été autorisé à quitter l’hôpital avec une « recommandation de suivi devant être assuré par l’unité médical du SIZO ».

4.5Le 31 mars 2004, la juridiction d’appel d’Odessa a demandé au Bureau du Procureur d’ouvrir une enquête au sujet des plaintes de l’auteur qui affirmait avoir été soumis à « méthodes d’enquête illégales ». Le 12 avril 2005, les poursuites pénales engagées contre les agents de police ont été abandonnées. Le 9 juin 2005, la juridiction d’appel a de nouveau demandé l’ouverture d’une enquête concernant les plaintes de l’auteur.

4.6L’auteur avait aussi soutenu qu’il a été détenu illégalement et qu’il ne pouvait pas contester son placement en détention, en violation des droits qu’il tient de l’article 9 de la Convention. L’État partie affirme que l’auteur a été arrêté le 4 mars 2002 et que le tribunal a ordonné une mesure préventive le 6 mars 2002. Le 26 avril 2002, sa détention provisoire a été prolongée de quatre mois, soit jusqu’au 4 juillet 2002. Le tribunal a tenu compte du fait que l’auteur était accusé de « crimes intentionnels graves et particulièrement graves en bande organisée » et a estimé qu’il y avait des raisons suffisantes de croire que, s’il était libéré, il « poursuivrait son activité criminelle », « se soustrairait à la justice » et ferait obstacle à « l’établissement de la vérité ». L’auteur a également été accusé d’infractions passibles de peines d’une durée supérieure à cinq ans. La détention de l’auteur a été prolongée à deux autres reprises, le 19 juin 2002, jusqu’au 4 septembre 2002, et le 23 août 2002, pour neuf mois supplémentaires.

4.7Le 10 octobre 2005, l’auteur a été reconnu coupable et condamné à la réclusion à perpétuité et à la confiscation de tous ses biens.

4.8L’État partie prend note de la déclaration de l’auteur qui affirme que son droit à l’assistance d’un conseil a été violé et qu’il n’a pas pu contester le verdict devant une juridiction supérieure. Il fait observer que, le 12 avril 2002, un enquêteur principal, M. B., a informé l’auteur de son droit à l’assistance d’un conseil, et que celui-ci a répondu que ses intérêts seraient représentés par un avocat, M. T. S., qui « a été désigné plus tard ». Le 28 janvier 2004, M. K. a été autorisé à représenter l’auteur, à la suite d’une requête présentée à l’Ordre des avocats d’Odessa. Le 4 mars 2004 et le 14 avril 2004, respectivement, l’auteur a refusé les services des avocats M. K. et M. D. Le 22 avril, un autre avocat, M. B., a été désigné pour le défendre. L’auteur était donc assisté par des conseils pendant son procès.

4.9Pour ce qui est des plaintes formulées par l’auteur pour la violation de son droit de recours, l’État partie fait valoir que l’auteur a pu saisir la Cour suprême, qui, le 21 décembre 2006, a demandé au Bureau du Procureur de mener une « enquête complémentaire ». Le 4 septembre 2007, la Cour suprême a confirmé le verdict rendu.

4.10L’État partie prend note en outre du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 15 du Pacte, étayé par le motif que l’application de la peine de réclusion à perpétuité est illégale pour les crimes commis avant le 4 avril 2000, date à laquelle cette peine a été introduite. Le 29 décembre 1999, la Cour constitutionnelle a déclaré la peine de mort inconstitutionnelle. Depuis lors, la peine de mort ne peut plus être prononcée. Le 22 février 2000, la Verkhovna Rada(Parlement) a commué les peines de mort en peines de réclusion à perpétuité. Depuis le 29 mars 2000, les autorités de l’État partie appliquent les nouvelles sanctions prévues à l’article 93 du Code pénal, qui vont de huit à quinze ans d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité. La réclusion à perpétuité est une peine moins sévère que la peine de mort. Compte tenu de ces éléments, la juridiction d’appel a décidé le 10 juillet 2009 que la condamnation de l’auteur à la réclusion à perpétuité ne violait pas son droit de ne pas se voir imposer une peine plus lourde.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 24 février 2015, l’auteur a réaffirmé dans ses commentaires sur les observations de l’État partie qu’il a été arrêté le 1er mars 2002 et qu’il a été détenu illégalement jusqu’au 3 mars 2002, torturé et contraint de s’avouer coupable d’infractions qu’il n’avait pas commises. L’auteur fait valoir que l’État partie cherche délibérément à occulter ces faits. Cependant, lorsque l’auteur s’est entretenu avec un avocat, il s’est plaint d’avoir été torturé par les agents de l’unité d’enquête pénale, S. O. R. et T. A. R. De plus, l’auteur a clairement indiqué le 4 mars 2002 à l’enquêteur que ses déclarations antérieures avaient été obtenues par la contrainte.

5.2Comme cela a été confirmé par L’État partie, l’auteur a déposé une plainte auprès du Bureau du Procureur de la ville d’Odessa, mais n’a pas reçu de « réponse adéquate ». Le fait que l’État partie affirme que l’auteur n’est que le témoin d’actes de torture subis par d’autres personnes, alors que l’auteur a lui-même porté plainte pour torture, est absurde. Par ailleurs, l’État partie n’informe pas le Comité du fait que d’autres personnes ont elles aussi été torturées, même si la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé qu’il avait été établi que M. Grygoryev, requérant dans l’affaire no 51671/07 et coaccusé de l’auteur, avait été torturé. Cela montre que la probabilité que l’auteur ait été torturé est élevée, puisque ces faits se sont produits au même moment.

5.3L’auteur a été inculpé le 6 mars 2002 et, à compter de cette date, il aurait dû être placé dans un centre de détention provisoire (SIZO). Or, il n’a été conduit dans un tel centre que le 18 mars 2002 et, dans l’intervalle, il a été détenu dans des locaux de détention temporaire (IVS). Cela a été fait à dessein, car il avait été violemment battu et les agents des forces de l’ordre voulaient dissimuler ses blessures. Le 18 mars 2002, l’auteur a été conduit dans un SIZO, mais, au vu de ses blessures, l’administration du centre a refusé de l’accueillir. Son état de santé était si mauvais que, le 20 mars 2002, il a perdu connaissance et a été transporté en ambulance à l’hôpital municipal d’Odessa, où on lui a diagnostiqué un traumatisme abdominal causé par un objet contondant, des lésions traumatiques du rein droit et du foie et des blessures au dos. Ces constatations ont été consignées dans le certificat médical no 2314/376.

5.4Même si l’État partie mentionne certaines des blessures de l’auteur, telles que les marques de brûlure, il n’explique pas qui les a causées, alors qu’au moment de son arrestation, l’auteur était en bonne santé mais qu’il a ensuite failli mourir en détention. La juridiction d’appel de la région d’Odessa a bien examiné la plainte de l’auteur, mais n’y a jamais donné suite. L’État partie a donc violé les droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte.

5.5L’État partie ne mentionne pas le fait que l’auteur n’a jamais été traduit devant un juge, alors que sa détention provisoire a été prolongée à plusieurs reprises. L’auteur aurait dû être en mesure de contester sa détention, de soumettre des requêtes et des demandes, et de fournir des preuves à l’audience.

5.6L’auteur prend note en outre de l’objection de l’État partie qui soutient que, le 12 avril 2002, l’auteur a été informé de son droit à la défense. Il note que l’État partie n’a pas fait de commentaires quant à l’affirmation selon laquelle il a été placé en détention le 1er mars 2002 et torturé, et n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Il affirme n’avoir jamais refusé les services de son avocat, B. A. B., ni jamais demandé un autre avocat. En outre, les autorités de l’État partie ont empêché activement son avocat de s’entretenir avec lui du 25 décembre 2003 au 3 février 2004. Elles l’ont fait pour s’assurer que l’auteur ne dépose pas de plainte concernant le déroulement de l’enquête.

5.7Pour ce qui est de l’objection de l’État partie selon laquelle les droits de l’auteur en matière de recours ont été respectés, l’auteur fait observer qu’il a demandé à ce qu’un nouvel avocat, S. P. E., le représente en cassation devant la Cour suprême. Il a également demandé à être présent aux audiences. Le 28 avril 2007, le juge Korotkikh a rendu une décision par laquelle il refusait que l’auteur assiste aux audiences. Le 4 août 2007, la Cour suprême a confirmé le jugement rendu contre l’auteur et la peine imposée, en l’absence de l’auteur.

5.8La Cour suprême n’a pas tenu compte du fait que l’auteur avait été déclaré coupable sur la base des témoignages d’autres accusés qui ont rétracté leur témoignage par la suite et affirmé que leurs déclarations avaient été obtenues par la contrainte. Par exemple, l’accusé Grygoryev a déclaré qu’il avait été torturé et contraint de témoigner contre l’auteur, mais la Cour n’a pas tenu compte de sa déclaration. L’État partie aurait dû à ce moment-là mettre fin à la procédure et renvoyer l’affaire pour complément d’enquête.

5.9L’auteur déclare qu’en Ukraine la peine de mort a effectivement été abolie par la Cour constitutionnelle le 29 décembre 1999. Une loi datée du 22 février 2000 a introduit la réclusion à perpétuité, sans toutefois disposer que la peine de mort devait être nécessairement remplacée par la réclusion à perpétuité. Dans l’intervalle, la peine maximale applicable était de quinze ans d’emprisonnement. Cela signifie que, pour les infractions commises avant le 29 décembre 1999, la peine maximale encourue aurait dû être quinze ans d’emprisonnement. Même avec l’adoption de la nouvelle peine de réclusion à perpétuité, la peine maximale pour les infractions commises avant cette date ne devrait pas être supérieure à quinze ans.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe2a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note des griefs assez généraux que l’auteur tire des articles 16 et 26 du Pacte. En l’absence d’autres renseignements pertinents sur ce point dans le dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité tient compte aussi de l’argument de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient de l’article 15 du Pacte ont également été violés lorsque les autorités de l’État partie ont aboli la peine de mort et l’ont condamné en lieu et place à une peine d’emprisonnement à vie. En l’absence d’autres éléments ressortant des pièces du dossier, et compte tenu de la jurisprudence antérieure du Comité sur la question, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ces allégations aux fins de la recevabilité et, en conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs de violation des droits qu’il tient de l’article 7, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 9, des paragraphes 3 b), 3 g) et 5) de l’article 14 du Pacte. Il déclare ces griefs recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note en premier lieu que l’auteur affirme que, le 1er mars 2002, après avoir été conduit au poste de police d’Ilitchevsk, il a été frappé, notamment à coups de matraque en caoutchouc et de batte de base-ball, asphyxié avec un sac en plastique et électrocuté, que des parties de son corps ont été brûlées et qu’il a été suspendu à une barre en métal. En conséquence, il a souffert de multiples blessures, perdu connaissance et dû être hospitalisé, comme le confirment les certificats médicaux qu’il a fournis. Dans sa réponse, l’État partie semble reconnaître que des blessures ont été infligées à l’auteur, mais ne donne aucune explication particulière au sujet des circonstances précises des blessures signalées. Le Comité note également que l’auteur soutient qu’il a été détenu illégalement, qu’on l’a torturé pour l’obliger à s’avouer coupable d’infractions qu’il n’avait pas commises et que ses aveux ont été utilisés comme preuve à charge contre lui, malgré ses nombreuses rétractations et plaintes pour torture, y compris devant le tribunal pendant le procès et dans le cadre de la procédure de cassation. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, et en particulier compte tenu du fait que l’État partie n’a pas fourni d’explications détaillées concernant le traitement auquel l’auteur a été soumis au début de sa détention et pendant son interrogatoire, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

7.3Quant à l’obligation qu’a l’État partie de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte. Le Comité note que les documents versés au dossier ne permettent pas de conclure que l’enquête sur les allégations de torture a été menée avec la diligence et l’efficacité voulues ni que des suspects ont été identifiés, malgré les informations détaillées fournies par l’auteur, les dépositions des témoins et le dossier médical complet faisant état des blessures infligées. Le Comité note également que le tribunal a utilisé les aveux de l’auteur, entre autres preuves, pour le déclarer coupable, bien qu’il ait affirmé lors des audiences du procès avoir été torturé. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

7.4Le Comité prend note ensuite du grief de l’auteur selon lequel, du 1er au 4 mars 2002, il a été détenu illégalement et des agents de police l’ont torturé et ont obtenu ses aveux par la contrainte. Le Comité note également que l’auteur affirme qu’au moment de son arrestation illégale, il n’a pas été informé des raisons de cette arrestation et n’a pas été traduit dans les plus courts délais devant un juge. Il relève à cet égard que l’État partie ne donne aucune explication sur les faits survenus durant cette période et affirme simplement que l’auteur a été arrêté le 4 mars 2002 et accusé de vol qualifié au titre du Code pénal.

7.5Le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, qui porte sur l’interdiction de toute privation arbitraire ou illégale de liberté, c’est-à-dire la privation de liberté qui n’est pas imposée pour les motifs et selon la procédure prévus par la loi. Les deux interdictions se chevauchent en ce qu’une arrestation ou une détention peut être en violation de la loi applicable, mais ne pas être arbitraire, ou être autorisée par la loi, mais être arbitraire, ou encore à la fois arbitraire et illégale. Une arrestation ou une détention qui est effectuée sans fondement juridique est également arbitraire. L’article 9 oblige aussi à respecter les règles qui déterminent quand l’autorisation d’un juge ou d’une autre autorité doit être obtenue pour maintenir une personne en détention, où une personne peut être placée en détention, quand elle doit être déférée devant un tribunal, et les limites imposées par la loi à la durée de la détention. Les personnes privées de liberté doivent être aidées pour obtenir l’accès à un recours utile leur permettant de faire respecter leurs droits, y compris un réexamen judiciaire de la décision initiale de placement puis périodiquement de la légalité du maintien en détention, afin d’éviter des conditions de détention incompatibles avec le Pacte.

7.6En l’espèce, l’auteur soutient que sa détention initiale était à la fois arbitraire et illégale, car il n’a pas été informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation ou de toute accusation portée contre lui, et n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge. Dans ces circonstances et en l’absence d’autres informations ou explications pertinentes émanant de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 9 du Pacte ont été violés.

7.7Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteur, qui avance qu’il n’a pas été en mesure de préparer sa défense car il a demandé à pouvoir s’entretenir avec son avocat sans restriction de temps, mais n’a été autorisé à le rencontrer que deux heures par semaine (voir par. 2.5 ci-dessus), et qu’on l’a empêché de communiquer avec son avocat du 25 décembre 2003 au 3 février 2004 (voir par. 5.6 ci-dessus). Dans ses observations, l’État partie ne fait pas de commentaire particulier concernant le fait que l’auteur n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’obligation d’accorder le temps nécessaire est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le Comité prend note de l’affirmation non contestée de l’auteur, qui soutient qu’on ne lui a accordé que deux heures par semaine pour préparer un procès dans le cadre duquel il était accusé de multiples infractions et au terme duquel il a été condamné à la réclusion à perpétuité. Compte tenu des circonstances décrites par l’auteur et faute d’explications pertinentes de l’État partie, le Comité considère que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

7.8Enfin, le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que, malgré des demandes expresses à cet effet, il n’était pas présent lorsque son recours a été examiné par la Cour suprême et qu’il n’était pas représenté par un conseil. L’État partie n’a fourni aucune explication sur cette partie de la communication de l’auteur. Le Comité note que, même si, conformément au Code de procédure pénale, il appartient à la juridiction concernée de décider de la participation de l’accusé à l’audience d’appel, l’État partie n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles l’auteur et ses avocats n’avaient pas été autorisés à participer à la procédure devant la Cour suprême. Dans ces circonstances et en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité considère qu’il y a eu violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 9 et des paragraphes 3 b), 3 g) et 5 de l’article 14 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. L’État partie est donc tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour : a) annuler la condamnation de l’auteur et, si nécessaire, mener un nouveau procès, conformément aux principes d’un procès équitable et aux autres garanties procédurales ; b) procéder sans délai à une enquête approfondie et impartiale sur les allégations de torture formulées par l’auteur ; c) accorder pleine réparation à l’auteur pour les violations qui ont été commises, y compris sous la forme d’une indemnisation appropriée et d’autres mesures pouvant donner satisfaction. L’État partie est également tenu de faire tout le nécessaire pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.