Nations Unies

CCPR/C/126/D/2454/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2454/2014 * , **

Communication présentée par :

S. G. (représenté initialement par un conseil, Renu Mandhane)

Au nom de :

S. G.

État partie :

Canada

Date de la communication :

28 avril 2014(date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (à présent article92), communiquée à l’État partie le 27 août 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

26 juillet 2019

Objet :

Délai dans le traitement de la demande de résidence permanente au Canada ; absence d’accès à un recours utile

Questions de procédure :

Irrecevabilité pour défaut manifeste de fondement ; irrecevabilité ratione materiae ; défaut d’objet ; non-épuisement des recours internes ; niveau de justification des griefs ; incompatibilité

Questions de fond :

Droit de recours ; droit à un procès équitable ; droit à la vie privée ; liberté d’expression ; liberté d’association ; non-discrimination

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 14 (par. 1), 17 (par. 2), 19 (par. 2), 22 et 26

Articles du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est S. G., Kurde alevi né en Turquie le 14 septembre 1956, résidant actuellement au Canada. L’auteur affirme qu’en l’associant à tort à une organisation terroriste (le Parti des travailleurs du Kurdistan − PKK) et en tardant de façon excessive à examiner et à accepter sa demande de résidence permanente, le Canada a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 14 (par. 1), 17 (par. 2), 19 (par. 2), 22 et 26 du Pacte. L’auteur était initialement représenté par un conseil, Renu Mandhane. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a quitté la Turquie en décembre 1990, fuyant les persécutions, la détention arbitraire et la torture auxquelles le soumettaient les autorités turques parce qu’il était membre d’un syndicat et était d’origine ethnique kurde. En 1981, l’auteur a été détenu pendant cinq mois, au cours desquels il a été torturé. Il a été arrêté une seconde fois en 1990 avant d’être relâché quelques jours plus tard. Il est entré au Canada comme visiteur le 8 avril 1991 et a demandé une protection en tant que réfugié. En mars 1993, il a obtenu le statut de réfugié et a immédiatement déposé une demande de statut de résident permanent (appelé à l’époque « statut d’immigrant reçu ») auprès du département Citoyenneté et Immigration Canada. Bien que sa demande ait été approuvée en juillet 1993 sous réserve des contrôles de sécurité, il n’a obtenu le statut de résident permanent que le 7 septembre 2006.

2.2Peu après son arrivée au Canada, en août 1992, l’auteur a cofondé le Centre communautaire et d’information kurde de Toronto, organisation culturelle venant en aide aux Kurdes turcs qui s’installent à Toronto. L’auteur a joué un rôle actif dans la création de ce centre parce qu’il voulait contribuer à favoriser un esprit de communauté parmi les Kurdes arrivant à Toronto et souhaitait dénoncer les violations des droits de l’homme que les autorités turques commettaient à l’égard des Kurdes.

2.3Pour qu’il puisse être donné suite à sa demande, le Service canadien du renseignement de sécurité a procédé à des contrôles de sécurité et interrogé l’auteur le 13 octobre 1994 en vue de déterminer s’il présentait un risque pour la sécurité publique de l’État partie. On lui a demandé s’il était membre du PKK et on l’a informé qu’il avait été placé sur écoute téléphonique. On lui a dit aussi que le Service canadien du renseignement de sécurité recommanderait l’approbation de sa demande s’il acceptait de donner les noms de membres de la communauté kurde de Toronto appartenant au PKK.

2.4En mai 1997, l’auteur a décidé de quitter la direction du Centre communautaire et d’information kurde de Toronto et de couper tout lien avec lui, pensant que le Service canadien du renseignement de sécurité soupçonnait le centre d’être une tête de pont du PKK. L’auteur souhaitait montrer clairement au Service canadien du renseignement de sécurité qu’il n’avait aucun lien avec le PKK. Entre 1998 et 2006, l’auteur, avec Mary Jo Leddy, fondatrice d’une organisation d’aide à l’installation des réfugiés à Toronto, a effectué de nombreuses démarches pour obtenir qu’il soit statué sur sa demande de résidence permanente, adressant des lettres aux membres du parlement provincial, aux sénateurs et aux agents provinciaux de l’immigration.

2.5En août 1997 et mars 1998, l’auteur a engagé officiellement une procédure auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité afin de dénoncer la longueur excessive des contrôles de sécurité nécessaires pour finaliser sa demande de résidence permanente. Le 3 avril 2000, le Comité de surveillance a publié un rapport indiquant que les faits dont il était saisi ne lui permettaient pas de conclure que l’auteur était membre du PKK et que le Service canadien du renseignement de sécurité devrait donc recommander au département Citoyenneté et Immigration Canada de lui accorder le statut de résident permanent.

2.6Le 20 mars 2001, l’agent d’immigration du département Citoyenneté et Immigration Canada a décidé de rejeter la demande de résidence permanente de l’auteur, considérant qu’il y avait des motifs raisonnables pour penser que le Centre communautaire et d’information kurde de Toronto soutenait le PKK et que, l’auteur ayant fait partie de la direction de ce Centre, il y avait aussi des motifs raisonnables pour penser qu’il était membre du PKK, organisation impliquée dans des activités terroristes. L’auteur a demandé un contrôle judiciaire de cette décision. Le 12 novembre 2002, la Cour fédérale a accédé à cette demande et estimé que l’agent d’immigration avait omis de prendre en considération des éléments pertinents en ignorant le rapport du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Elle a donc renvoyé l’affaire à un autre agent d’immigration pour réexamen. Mais ce second agent d’immigration, bien qu’ayant sollicité des conseils et des orientations auprès de plusieurs responsables de différents organismes, n’a adopté aucune décision entre 2002 et 2005.

2.7Le 8 novembre 2005, l’auteur a intenté devant la Cour fédérale une action civile en réparation contre le Procureur général, faisant valoir que sa demande n’avait pas été traitée dans les délais et qu’il faisait toujours l’objet d’une enquête de sécurité que rien ne justifiait plus. L’auteur affirmait que ce retard portait atteinte à ses droits constitutionnels et réclamait donc réparation conformément à la Charte, pour violation de ses droits au titre de l’article 7 (sécurité de sa personne) et de l’article 15 (égalité). Il réclamait également des dommages pour séparation prolongée d’avec sa famille, restrictions de déplacement, limitations dans la progression de ses études supérieures et l’obtention d’un emploi, et restrictions de sa liberté d’expression. Il demandait en outre à être dédommagé de sa détresse psychologique, de sa séparation d’avec la communauté kurde et du sentiment d’humiliation éprouvé pour n’avoir pu s’insérer pleinement dans la société canadienne. Le 28 février 2007, l’examen de son affaire a été suspendu dans l’attente de l’adoption d’une décision dans une affaire similaire, Haj Khalil c. Canada, impliquant un autre réfugié dont la demande de résidence permanente avait été traitée avec un retard excessif soi-disant pour des raisons de sécurité. Le 6 mars 2009, la Cour fédérale d’appel a rejeté la plainte de Mme Haj Khalil. La Cour suprême du Canada a ensuite rejeté, le 14 avril 2011, la demande d’autorisation d’appel de Mme Haj Khalil. L’auteur a donc décidé de déposer un avis de désistement. L’auteur considère, à cause de ces décisions de justice, qu’il ne peut pas poursuivre la procédure et qu’il est de fait empêché d’accéder à un recours utile pour contester la violation de ses droits.

2.8Alors qu’il attendait l’issue de son action civile auprès de la Cour fédérale, l’auteur a obtenu le statut de résident permanent le 7 septembre 2006, soit treize ans après le dépôt de sa demande initiale. Il prétend que c’est seulement après l’ouverture d’une action civile que l’agent d’immigration a fini par prendre une décision.

2.9L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles au Canada et qu’il n’a pas présenté de requête similaire devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les autorités de l’État partie ont délibérément manqué de diligence dans le traitement de sa demande de résidence permanente. Il dit avoir été privé de la jouissance de nombreux droits au Canada parce que les responsables du traitement de sa demande, déposée en mars 1993, ont mis treize ans avant de se prononcer. Il affirme qu’en occasionnant un tel délai, le Canada a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 14 (par. 1), 17 (par. 2), 19 (par. 2), 22 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur invoque une violation de l’article 26 car il a été empêché d’accéder à l’enseignement supérieur et de retrouver sa famille dans des conditions d’égalité à cause d’un régime discriminatoire qui opère une distinction injustifiée, en matière d’éducation et de regroupement familial, entre les personnes ayant le statut de réfugié et les résidents permanents. Bien qu’admis à l’Université McGill et à l’Université de Toronto, il a été empêché de suivre des études supérieures qui lui auraient permis de trouver un emploi dans sa profession comme ingénieur car il n’avait pas droit aux prêts étudiants, réservés aux résidents permanents. Et jusqu’en 2002, il n’a pas pu obtenir les documents de voyage qui lui auraient permis de rendre visite à sa famille dans des pays tiers.

3.3L’auteur affirme d’autre part que le délai excessif avec lequel le Canada a traité sa demande de résidence permanente et les pratiques d’enquête hostiles de ce pays ont créé un climat d’intimidation faisant qu’il lui était devenu difficile d’exprimer des opinions et de mener des activités politiques, d’où une violation de sa liberté d’expression garantie au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. L’auteur explique qu’il est arrivé au Canada pour échapper aux persécutions qu’il subissait à cause de son origine ethnique et qu’il a vu dans ce pays une occasion de faire connaître le sort des Kurdes alevi, notamment en créant le Centre communautaire et d’information kurde de Toronto. Mais étant considéré comme membre du PKK, il craignait, s’il exprimait des critiques à l’égard du Gouvernement turc ou restait associé au Centre, de compromettre ses chances de voir sa demande aboutir. Il considère donc que les actes du Canada l’ont isolé de sa communauté, ont constitué une immixtion dans ses relations personnelles et politiques et l’ont obligé à démissionner de son poste à la direction du Centre, ce qui constitue une violation du droit à la liberté d’association qui lui est garanti à l’article 22.

3.4L’auteur fait valoir qu’il n’a pas pu demander réparation pour les violations et les pertes qu’il a subies du fait du traitement négligent de sa demande par l’État partie, qui a traîné de manière excessive pendant treize ans, en violation de ses droits à un procès équitable garantis aux articles 2 (par. 3) et 14 (par. 1) du Pacte.

3.5L’auteur affirme que, bien qu’ayant obtenu le statut de résident permanent, le fait qu’il ait été associé à tort avec le PKK et ses activités terroristes a entamé son honneur et sa réputation, en violation de l’article 17 du Pacte.

3.6Enfin, l’auteur demande à être personnellement indemnisé pour le manque à gagner occasionné par le fait qu’il a été empêché d’accéder à l’enseignement supérieur et à l’emploi, et réclame des changements dans le système d’immigration canadien à cet égard.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 mai 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, informant le Comité que l’auteur avait obtenu la résidence permanente au Canada en 2006 puis avait acquis la citoyenneté canadienne, et observant que sa plainte portait principalement sur la durée du traitement de sa demande de résidence permanente. Il affirme que la communication est irrecevable car les griefs de l’auteur ne sont pas étayés et qu’elle est dénuée de fondement.

4.2La demande de résidence permanente soumise par l’auteur posait des problèmes de sécurité nationale qui devaient être soigneusement examinés par les autorités canadiennes avant qu’une décision d’attribution du statut de résident permanent puisse être dûment prise. L’État partie admet que la procédure a duré un certain temps mais souligne que l’auteur a toujours eu la possibilité de travailler au Canada et a eu accès à l’éducation, aux soins de santé et à nombre d’autres prestations et services. L’auteur a également eu accès au système judiciaire canadien pour soulever des griefs concernant le traitement de sa demande de résidence permanente.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable pour quatre raisons. Premièrement, elle est totalement sans objet. L’auteur ayant obtenu le statut de résidence permanente il y a plus de huit ans de cela et étant désormais citoyen canadien, les conditions des violations de ses droits qu’il dénonce ont cessé d’exister. On ne peut pas dire qu’un litige subsiste sur le droit de l’auteur à être dédommagé d’un délai excessif dès lors que l’auteur n’a pas exercé le moyen de recours interne approprié pour contester ce délai, qui consistait à déposer une demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus. Les allégations de l’auteur affirmant que les réfugiés sont exclus de façon discriminatoire du programme canadien de prêts étudiants n’ont pas d’objet non plus puisque ce programme a été modifié il y a environ douze ans pour remédier à l’incompatibilité avec le Pacte qui était dénoncée.

4.4Deuxièmement, la communication est entièrement ou partiellement irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Les allégations de l’auteur dénonçant des violations du Pacte en général et de l’article 14 (par. 1) en particulier concernent la durée excessive du traitement de sa demande de résidence permanente. Or, l’auteur n’a pas exercé le recours interne qui lui aurait offert des chances raisonnables de réparation pour le délai incriminé. L’auteur n’a pas non plus soulevé devant les autorités internes le fond des griefs qu’il tire des articles 17 et 26 du Pacte.

4.5Troisièmement, la communication est totalement irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte. En substance, l’auteur revendique un droit de résidence qui n’est pas prévu dans le Pacte. Par conséquent, sa communication est incompatible ratione materiae et de ce fait irrecevable. À titre subsidiaire, les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3) ne relèvent pas du champ d’application du Pacte. L’article 14 (par. 1) ne prévoit pas un droit substantiel de plainte. Les allégations de l’auteur disant que le Canada a violé l’article 14 (par. 1) en l’empêchant d’intenter une action en dommages et intérêts pour le délai subi ne relèvent pas du champ d’application du Pacte et sont donc irrecevables. L’article 14 (par. 1) n’est d’ailleurs pas applicable car le traitement de la demande de résidence permanente de l’auteur ne revenait pas à décider de contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. L’obligation d’offrir un recours utile qui incombe au Canada au titre de l’article 2 (par. 3) n’est pas en cause étant donné l’absence de toute violation défendable de l’article 14 (par. 1) ou de tout autre article du Pacte.

4.6Quatrièmement, l’auteur n’a pas étayé ses allégations, ne serait-ce que par un commencement de preuve. S’agissant des articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3), même s’ils étaient applicables, la décision adoptée dans l’affaire Haj Khalil c. Canada ne visait pas à empêcher l’auteur de saisir la justice pour réclamer réparation de la durée excessive du traitement de sa demande de résidence permanente. De plus, comme l’auteur n’a pas suivi la procédure interne appropriée pour accélérer le traitement de sa demande, la durée de ce traitement ne peut pas être considérée excessive au point de constituer une violation de l’article 14 (par. 1). L’auteur n’a absolument pas montré en quoi il avait été empêché, du fait de la décision adoptée dans l’affaire Haj Khalil c. Canada ou d’autres circonstances, de demander réparation pour les violations de droits qu’il dénonce.

4.7En ce qui concerne l’article 17, l’auteur n’a pas établi que les autorités canadiennes avaient porté illicitement atteinte à son honneur et à sa réputation. Le droit canadien habilite clairement les autorités à mener des enquêtes dans le cadre de l’examen d’une demande de résidence permanente. Même si l’auteur avait établi que les autorités canadiennes avaient interrogé ses connaissances au sujet de ses activités, ce qui n’est pas le cas, rien n’indique que cela aurait eu un autre objet que de déterminer s’il pouvait prétendre au statut de résident permanent.

4.8S’agissant des articles 19 (par. 2) et 22, le Canada n’a jamais imposé la moindre restriction illicite aux droits de l’auteur à la liberté d’expression ou d’association et rien n’indique qu’il ait agi dans l’intention de le faire. L’auteur n’a pas produit le moindre élément prouvant que le Canada ait retardé le traitement de sa demande de résidence permanente dans l’intention de l’empêcher d’exprimer des opinions politiques ou de le conduire à se désengager du Centre communautaire et d’information kurde de Toronto. Il est possible que l’auteur ait eu l’impression subjective que sa capacité d’exprimer ses opinions politiques était limitée. Mais l’État ne lui a jamais interdit d’exprimer ses opinions politiques, que ce soit personnellement ou à travers le Centre, et ne l’a jamais menacé de quelques conséquences illégitimes que ce soit pour l’exercice de sa liberté d’expression ou d’association.

4.9En ce qui concerne l’article 26, l’auteur n’a pas établi qu’il avait subi une discrimination au sens du Pacte parce que les réfugiés étaient exclus du programme canadien de prêts étudiants avant 2003. Il n’a pas établi que le fait qu’il n’ait pu prétendre à ce programme avant 2003 a eu pour effet d’empêcher ou de compromettre son accès à l’enseignement supérieur ou à l’emploi. En outre, l’auteur n’a absolument pas prouvé le grief selon lequel il aurait été privé d’accéder dans des conditions d’égalité à des documents de voyage quand il était réfugié, en violation des droits qu’il tient de l’article 26, lu conjointement avec l’article 17 du Pacte. Le Canada procure des documents de voyage aux réfugiés depuis le 16 mars 1970.

4.10Si le Comité considérait que la communication était en tout ou partie recevable, le Canada affirme, en se fondant sur les mêmes considérations ainsi que d’autres éléments, qu’elle est totalement dénuée de fondement. Les griefs de l’auteur se plaignant d’un manque d’accès aux tribunaux, de la durée excessive du traitement de sa demande et de violations de son droit à un recours utile ne sont pas fondés. La décision adoptée dans l’affaire Haj Khalil c. Canada ne visait pas à empêcher l’auteur de saisir la justice et l’auteur n’a pas été privé par l’État du droit de réclamer une réparation pour les violations présumées de ses droits au titre du Pacte.

4.11En ce qui concerne en particulier la dénonciation d’un délai excessif, l’État partie dit que le délai en l’espèce ne peut pas être jugé excessif au point de constituer une violation de l’article 14 (par. 1), compte tenu de toutes les circonstances, notamment de la complexité des questions liées à sa demande. Dans l’affaire Deisl c. Autriche, pour déterminer si la durée était ou non excessive, le Comité s’est fondé sur les considérations suivantes : la durée de chacune des phases de la procédure ; le fait que l’effet suspensif de la procédure a été favorable à la position juridique des auteurs ; le fait que les auteurs n’ont pas exploité les possibilités qui s’offraient à eux d’accélérer les procédures administratives ; la complexité considérable de l’affaire ; et le fait qu’à l’époque, les autorités administratives et judiciaires ont annulé des décisions qui leur étaient contraires. Dans ses constatations, le Comité a considéré que ces éléments « compensent tout effet préjudiciable que l’incertitude juridique d’une longue procédure pourrait avoir eu pour les auteurs ». Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, le Comité a conclu que les quelque douze ans qu’avait duré la procédure dans cette affaire ne constituaient pas une violation de l’article 14 (par. 1). De l’avis du Canada, la prise en considération de ces facteurs conduit à la conclusion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (par. 1) dans les circonstances de l’espèce.

4.12L’État partie fait observer, premièrement, que l’auteur n’a pas recouru à la procédure appropriée pour accélérer le traitement de sa demande de résidence permanente : s’il s’inquiétait de la lenteur de la procédure, il aurait dû déposer une demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire pour obtenir une ordonnance de mandamus imposant l’adoption d’une décision. Deuxièmement, le dossier de l’auteur était jugé complexe, en particulier au moment où il a soumis sa demande de résidence permanente il y a environ vingt-deux ans, lorsque la lutte contre le terrorisme était quelque chose de relativement nouveau pour le département Citoyenneté et Immigration Canada ; les années 1990 ont marqué un tournant, avec un accent plus marqué sur la lutte contre le terrorisme. L’État partie fait également observer que, dans les mois et les années qui ont suivi le 11 septembre 2001, les questions de sécurité nationale ont fait l’objet d’une attention accrue, induisant de nouveaux processus et principes directeurs au niveau du service. Au cours de la période en question, le rejet initial de la demande de résidence permanente de l’auteur a été annulé par la Cour fédérale et l’affaire a été renvoyée au département Citoyenneté et Immigration Canada pour réexamen. L’État partie affirme que, à la lumière de toutes les circonstances, même si l’article 14 (par. 1) était applicable en l’espèce, ce qui n’est selon lui pas le cas, le traitement de la demande de résidence permanente de l’auteur n’a pas été retardé au point d’entraîner une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

4.13L’État partie dit également que l’auteur n’a pas établi de violation de l’article 17 du Pacte puisqu’il n’a produit aucun élément, sous forme de déclarations assermentées ou autrement, à l’appui de l’affirmation selon laquelle des membres de sa communauté avaient été interrogés sur ses activités. Il n’a en outre dénoncé aucun acte de la part des autorités canadiennes qui aurait constitué une atteinte illicite à son honneur ou à sa réputation. Même si des agents du Service canadien du renseignement de sécurité avaient interrogé des membres de la communauté kurde au Canada au sujet des activités de l’auteur, ce qui selon l’État partie n’est pas le cas, ils auraient agi dans le plein respect de la législation nationale. Comme indiqué plus haut, les autorités canadiennes sont autorisées, conformément à la loi, à mener des enquêtes, notamment des entretiens, en vue de statuer sur le droit des personnes à la résidence permanente. En outre, la loi autorise le Service canadien du renseignement de sécurité à enquêter sur « les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces à la sécurité du Canada ».

4.14Comme indiqué plus haut au sujet des articles 19 et 22, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas étayé les allégations selon lesquelles les actes des autorités canadiennes ont limité ses droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association. L’auteur n’a jamais été empêché d’exprimer ses opinions politiques, ni menacé de conséquences illégitimes s’il exerçait sa liberté d’expression ou d’association. Si, néanmoins, le Comité considérait que les actes des autorités canadiennes constituaient une restriction de la liberté d’expression ou de la liberté d’association de l’auteur, l’État partie affirme que toute limitation des libertés fondamentales de l’auteur ayant pu découler du processus de détermination de son droit au statut de résident permanent est conforme aux articles 19 (par. 3) et 22 (par. 1) du Pacte, c’est-à-dire prévue par la loi et nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale et/ou de la sûreté publique. Comme il a été indiqué plus haut, les autorités canadiennes d’immigration étaient tenues par la loi de déterminer si l’auteur était ou non indésirable au Canada. Le Service canadien du renseignement de sécurité était autorisé par la loi à mener des enquêtes pour conseiller le Gouvernement sur des questions de sécurité concernant l’exercice du pouvoir dans le cadre de la loi sur l’immigration, ainsi qu’à enquêter sur les activités dont il est possible de soupçonner qu’elles constituent des menaces à la sécurité du Canada. En avril 2000, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a publié son rapport d’enquête, concluant que l’auteur avait « certainement mené assez d’activités de soutien pour retenir l’attention initiale du Service ». En septembre 2000, l’agent d’immigration a reçu de nouvelles informations indiquant qu’en 1997, des activités de collecte de fonds pour le PKK destinés à des missiles sol-air avaient eu lieu au Centre communautaire et d’information kurde de Toronto. L’auteur présidait le Centre en 1993 et 1994 et était membre du bureau en 1996 et 1997. Il convient aussi de noter que le PKK a été inscrit sur la liste des organisations terroristes au Canada en 2002 et figure toujours sur cette liste. Le Canada soutient que la sécurité nationale et/ou la sûreté publique l’obligent à soumettre les demandeurs aux contrôles de sécurité voulus avant de leur accorder la résidence permanente.

4.15Enfin, l’État partie argue du fait que les allégations de l’auteur au titre de l’article 26 ne sont pas étayées pour affirmer que ses griefs dénonçant son accès inégal au programme canadien de prêts étudiants et aux documents de voyage sont dénués de fondement. Ce n’est pas parce qu’il ne pouvait pas prétendre à un prêt au titre du programme canadien de prêts étudiants quand il était réfugié et avant 2003 que l’auteur a été privé ou empêché d’accéder à l’enseignement supérieur ou à l’emploi au Canada. L’auteur a obtenu plusieurs permis de travail avant d’acquérir la résidence permanente. Le Canada répète aussi que les allégations concernant le programme canadien de prêts étudiants sont sans objet puisque ce programme a été modifié il y a environ douze ans pour inclure les réfugiés. L’auteur n’a pas non plus été empêché d’accéder à des documents de voyage quand il était réfugié. Le Canada procure des documents de voyage aux réfugiés depuis le 16 mars 1970.

4.16En conclusion, même si l’auteur avait établi une violation de ses droits au titre du Pacte, ce qui n’est pas le cas, l’État partie affirme que la réparation demandée est largement inadéquate puisqu’elle revient à contester en grande partie le système d’immigration canadien, ce qui ne relève pas de la compétence du Comité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 2 octobre 2015, l’auteur a réitéré les arguments qu’il avait présentés dans sa communication initiale du 31 mars 2014 et dans ses observations complémentaires du 9 juin 2014.

5.2À propos des faits, l’auteur souligne qu’il n’a pas été identifié comme membre d’une organisation terroriste. Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, en avril 2000, et l’agent du département Citoyenneté et Immigration Canada qui a fini par lui accorder le statut de résident permanent en septembre 2006, ont tous deux considéré qu’il n’était pas affilié à une organisation terroriste. La définition fonctionnelle d’« affiliation » utilisée par le Service canadien du renseignement de sécurité et celle du département Citoyenneté et Immigration Canada ne sauraient différer au point de justifier six ans d’enquête supplémentaires.

5.3L’auteur répète que sa communication est recevable car elle porte sur des questions d’actualité dès lors qu’il n’a jamais été remédié à la violation de ses droits découlant de la négligence avec laquelle sa demande de résidence permanente a été traitée treize années durant. La communication porte non pas sur un droit à la résidence permanente ou à la citoyenneté, mais sur les obligations qui incombent aux agents de l’État lorsqu’ils prennent des décisions fondamentales pour la citoyenneté et la situation personnelle des individus, et sur les recours dont disposent les personnes qui dénoncent des négligences des autorités dans la prise de ces décisions fondamentales. Le fait que l’auteur a obtenu le statut de résident permanent en 2006, treize ans après avoir déposé sa demande initiale et plus de quinze ans après être entré pour la première fois au Canada comme réfugié, n’efface pas les violations qu’il a subies et le fait que ces griefs n’ont jamais été réparés. Le Comité a considéré qu’un auteur pouvait prétendre à être dédommagé d’une violation de ses droits même lorsque la violation en question n’existait plus.

5.4Selon l’auteur, on ne peut pas dire que sa communication soit sans objet : dans chacune des affaires invoquées par l’État partie, la communication avait été jugée irrecevable non pas parce que la violation dénoncée était passée mais parce qu’elle avait déjà été réparée ou que la possibilité qu’elle se répète éventuellement avait été éliminée. La situation de l’auteur est différente car s’il a obtenu le statut de résident permanent et finalement la citoyenneté, la violation de ses droits dans le cadre du traitement de sa demande n’a jamais été réparée. Malgré ce qu’a vécu l’auteur et le préjudice qu’il a subi, l’État partie n’a pris aucune mesure pour empêcher que d’autres personnes soient soumises aux mêmes délais de traitement excessifs que ceux qu’a connus l’auteur. L’auteur ajoute que le Service canadien du renseignement de sécurité a toujours le pouvoir de procéder en matière d’immigration à des contrôles de sécurité indépendants dont le département Citoyenneté et Immigration Canada n’est pas tenu de suivre les conclusions, et que la possibilité que des violations analogues se répètent existe réellement. Les griefs qu’il soulève au titre de l’article 26 du Pacte ne sont pas, eux non plus, sans effets pratiques puisque, même si des modifications positives ont été apportées à la loi en 2003, il n’a pas pu accéder aux prêts étudiants et n’a pas eu droit, entre 1996 et 2003, aux frais de scolarité réservés aux étudiants canadiens.

5.5L’auteur soutient ensuite qu’il a épuisé tous les recours utiles disponibles pour contester la durée de la procédure, y compris dans le cadre du droit administratif, de la législation sur les délits civils et de la Charte des droits et libertés de la Constitution canadienne. La substance de sa communication au Comité a été soulevée dans le cadre des actions en dommages et intérêts qu’il a intentées devant les tribunaux canadiens pour traitement négligent de sa demande de résidence permanente. L’auteur n’a pas déposé de requête en ordonnance de mandamus entre 2002 et 2005 pour quatre raisons, l’une d’elles étant qu’il pensait légitimement qu’après la décision de contrôle judiciaire positive de 2002, le département Citoyenneté et Immigration Canada agirait rapidement pour faire aboutir sa demande. L’auteur soutient donc que ce n’est pas parce qu’il n’a pas formé de requête en ordonnance de mandamus que sa communication doit être déclarée sans objet ou irrecevable.

5.6À cet égard, l’auteur dit que le principe d’épuisement des recours ne saurait être interprété comme préjugeant de la capacité d’un auteur de prendre des décisions stratégiques et tactiques concernant l’exercice d’un recours interne utile contre des violations présumées de ses droits, surtout lorsque le client est indigent et que ses conseils le représentent à titre gracieux. Si le Comité considérait que l’auteur aurait dû demander une ordonnance de mandamus entre 2002 et 2005, le fait qu’il n’ait pas formé une telle requête n’a pas de rapport avec la question de savoir s’il a épuisé ou non les recours internes puisque son grief porte essentiellement sur la durée du traitement de sa demande. Même si une ordonnance de mandamus avait été accordée pour obliger un agent à rendre une décision entre 2002 et 2005, la durée excessive de la procédure à ce stade aurait encore justifié qu’il cherche recours auprès du Comité. De plus, l’auteur dit avoir soulevé devant les juridictions internes le fond des griefs qu’il tire des articles 17 et 26 du Pacte autant que le permet le droit canadien. Conformément à la jurisprudence du Comité, l’auteur était simplement tenu, dans le cadre des procédures internes, de soulever la substance des droits inscrits dans le Pacte et non d’invoquer des articles particuliers du Pacte.

5.7L’auteur soutient que la communication relève du champ d’application du Pacte, répétant qu’il ne réclame pas un droit de résidence et ne prétend pas que le Pacte prévoit un tel droit. Si l’État partie avait traité sa demande de résidence permanente avec diligence, même si la décision avait été négative, les violations dénoncées dans la communication n’auraient pas eu lieu. L’auteur dit que le paragraphe 1 de l’article 14 ne traite pas seulement de procédure mais confère des droits substantiels, soulignant que « dans certaines circonstances, le fait qu’un État partie n’ait pas créé un tribunal compétent pour statuer sur des droits et des obligations peut constituer une violation du paragraphe 1 de l’article 14 ». L’obtention d’un statut de résident permanent au Canada étant essentielle pour la pleine réalisation des droits à l’éducation, au travail et à la libre circulation, les droits substantiels conférés par le paragraphe 1 de l’article 14 sont donc en jeu. Contrairement à ce qu’affirme le Canada, l’auteur maintient que la décision dans l’affaire Haj Khalil c. Canada l’a réellement empêché de porter plainte tant pour négligence que pour violation de la Charte, ce qui met en jeu les articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3) du Pacte. Le tribunal qui aurait examiné sa plainte pour violation de la Charte lui aurait sans doute imposé des dépens importants s’il avait été débouté de cette nouvelle requête. Cela l’a dissuadé de saisir la justice en invoquant la Charte, notamment l’article 2 (liberté d’expression et d’association) et l’article 15 (égalité). L’auteur fait observer que le Comité a considéré que le « caractère civil » dépend de la nature du droit en question et non pas du statut de l’une des parties ou de l’organe qui est appelé, dans le système juridique interne concerné, à statuer sur les droits en question. Chaque communication doit être examinée comme un cas d’espèce. Si le traitement des demandes de résidence permanente relève d’une procédure administrative, il s’agit néanmoins d’une procédure de « caractère civil » puisque la résidence permanente est une condition préalable à la pleine réalisation de toute une série de droits civils et politiques au Canada. Étant donné le caractère fondamental des droits en question et le fait que la demande de résidence permanente de l’auteur a fait l’objet d’un examen et d’une vérification judiciaires sous la forme d’un contrôle judiciaire, la communication est analogue à la communication Czernin c. République tchèque et n’est pas incompatible avec les dispositions du Pacte. D’autre part, les communications citées par l’État partie n’ont pas directement de rapport avec la question de savoir si une demande de résidence permanente entre ou non dans le champ de la détermination de « droits et obligations de caractère civil » car elles concernent l’article 13, les procédures portant sur le droit à être protégé sur le territoire de l’État partie.

5.8D’autre part, sans contester le caractère subsidiaire de l’article 2 (par. 3), l’auteur s’oppose résolument à l’argument de l’État partie selon lequel le droit à un recours utile n’est pas en jeu parce qu’aucun droit substantiel inscrit dans le Pacte n’a été violé. L’auteur renvoie à sa lettre initiale et à ses observations ultérieures dénonçant une violation des articles 14, 17, 19, 22 et 26 et demandant réparation.

5.9Sur le fond, l’auteur dit que la durée de treize ans qu’a demandée le traitement de sa demande de résidence permanente était manifestement excessive en l’espèce et a constitué une violation de l’article 14 (par. 1). Le Comité a considéré clairement dans sa jurisprudence qu’« un élément important du procès équitable est la rapidité de la procédure » et que « dans un procès civil les retards que ne justifient ni la complexité de l’affaire ni la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de l’article 14 ». Dans ses constatations concernant l’affaire Lederbauer c. Autriche, le Comité a déclaré qu’« afin de déterminer si une durée est excessive, il convient de l’évaluer à la lumière des circonstances propres à chaque affaire, en tenant compte notamment de la complexité de l’affaire, du comportement des parties, de la manière dont l’affaire a été traitée par les autorités administratives et judiciaires, et éventuellement des effets préjudiciables que les lenteurs de la procédure auraient pu avoir sur la situation juridique du plaignant ». À cet égard, l’auteur dit que, ni le fait que la lutte contre le terrorisme était un domaine relativement nouveau pour le département Citoyenneté et Immigration Canada au moment où il a déposé sa demande de résidence permanente, ni l’attention accrue portée à la sécurité nationale après le 11 septembre 2001, ne justifient la durée disproportionnée du traitement de sa demande. En outre, les complexités qui pouvaient découler dans son cas de risques pour la sécurité ont été réglées lorsque le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a conclu définitivement qu’il n’avait pas fait partie d’une organisation terroriste. Le traitement de sa demande de résidence permanente a néanmoins traîné encore six ans et l’auteur a été obligé, après une décision ultérieure qui lui était contraire, de demander un contrôle judiciaire.

5.10En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas formé de requête en ordonnance, ce qui fait que le délai est raisonnable, l’auteur renvoie aux observations du Comité qui, dans l’affaire Perterer c. Autriche, a considéré que le fait que l’État ne se soit pas acquitté de ses obligations au titre de l’article 14 (par. 1) n’est pas excusé par le fait que l’auteur n’a pas engagé d’action pour retard excessif de la procédure dans la mesure où cette situation était attribuable à l’État partie qui a commis des erreurs de procédure. Le délai qu’a entraîné la demande de contrôle judiciaire soumise par l’auteur après la décision initiale qui lui était contraire ne peut pas non plus lui être attribué, d’autant qu’il n’était pas raisonnable de conclure, comme l’a fait l’agent d’immigration, que l’auteur était membre d’un groupe terroriste sans considérer la décision du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.

5.11En ce qui concerne l’article 17, l’État partie n’a produit aucun élément pour réfuter la déclaration assermentée de l’auteur indiquant que le Service canadien du renseignement de sécurité avait interrogé à plusieurs reprises d’autres membres de la communauté kurde à son sujet et que l’enquête menée par ce Service avait eu pour effet de porter atteinte à son honneur et à sa réputation au sein de la communauté kurde du Canada et avait été psychologiquement éprouvante pour lui. Même si toutes ses données personnelles n’avaient pas été rendues publiques, l’enquête du Service canadien du renseignement de sécurité avait eu pour effet de le stigmatiser comme porteur d’un risque pour la sécurité et avait causé un préjudice irréparable à son honneur et à sa réputation au sein de la communauté kurde du Canada, en violation de l’article 17 du Pacte.

5.12L’auteur soutient aussi que les restrictions des droits qu’il tient des articles 19 et 22 du Pacte n’étaient pas justifiées. L’enquête conduite à son sujet avait sans doute un but public légitime, mais les treize années qu’il a fallu pour la mener à bien, notamment après les conclusions du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, étaient disproportionnées à ce but. Il s’en est suivi un climat de crainte, l’auteur redoutant que toute expression critique à l’égard du Gouvernement turc ou toute coopération de sa part avec la communauté kurde ne soient interprétées comme un soutien au PKK. L’État partie n’a produit aucun élément concret pour montrer en quoi ces restrictions de la liberté d’expression ou d’association de l’auteur étaient nécessaires pour écarter un danger pour la sécurité nationale, ou comment les actes des autorités d’immigration étaient proportionnés à ce danger. En l’absence de telles informations, l’État partie ne peut pas laisser entendre que ces restrictions étaient conformes aux articles 19 (par. 3) ou 22 (par. 1).

5.13Enfin, l’auteur répète qu’il a subi une discrimination dans l’accès à l’enseignement supérieur à cause de son statut d’immigration. En tant que réfugié au sens de la Convention (Convention de 1951 relative au statut des réfugiés) sans le statut de résident permanent, il n’aurait pas pu obtenir de documents de voyage pour rendre visite à sa famille. Au Canada, la délivrance de documents de voyage aux réfugiés est la prérogative de la Couronne et, en tant que telle, est discrétionnaire. On savait bien à l’époque au sein de la communauté des réfugiés que les réfugiés qui n’avaient pas le statut de résident permanent ne pouvaient pas obtenir de documents de voyage et qu’il était inutile d’en faire la demande.

5.14En conclusion, l’auteur réitère sa réclamation d’une réparation appropriée, faisant valoir qu’« il serait contraire aux fins visées par le Pacte de ne pas reconnaître qu’il existe une obligation inhérente à l’article 2 de prendre des mesures pour prévenir la répétition d’une violation du Pacte », de telles mesures pouvant nécessiter une modification de la législation ou des pratiques de l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 29 mars 2016, l’État partie a répondu à la seconde série de commentaires de l’auteur, précisant les dispositions de la législation nationale et clarifiant certains faits, et répétant ses observations initiales du 28 mai 2015 concernant la recevabilité et le fond de la communication.

6.2L’État partie maintient que la communication est irrecevable pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’elle est sans objet. En substance, la communication porte sur le traitement de la demande de résidence permanente de l’auteur. L’auteur a obtenu le statut de résident permanent il y a plus de huit ans et est désormais citoyen canadien. Il aurait pu saisir les juridictions nationales pour dénoncer la durée du traitement de sa demande mais il a choisi de ne pas le faire. Deuxièmement, la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’auteur a décidé de ne pas exercer le recours interne qui lui aurait permis d’invoquer la question des délais et n’a pas non plus soulevé devant une instance nationale le fond des griefs qu’il tire des articles 17 et 26. Troisièmement, la communication est irrecevable parce qu’elle est incompatible avec le champ d’application du Pacte, l’auteur invoquant en substance un droit de résidence qui n’est pas prévu par le Pacte. En outre, les articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3) ne sont pas en jeu. Enfin, la communication est irrecevable parce que les griefs soulevés ne sont pas étayés. L’auteur n’a étayé aucune de ses allégations, ne serait-ce que par un commencement de preuve. Au cas où la communication serait jugée recevable, le Canada affirme qu’elle est sans fondement. L’auteur n’a établi aucune violation du Pacte.

6.3Par ailleurs, l’auteur n’a pas exercé le moindre recours interne pour contester la durée administrative du traitement de sa demande de résidence permanente. L’auteur affirme avoir exercé trois recours internes : a) en déposant auprès de la Cour fédérale, en avril 2001, une demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire de la décision de ne pas lui accorder le statut de résident permanent ; b) en saisissant, en octobre 1997, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité concernant la conduite du Service canadien de renseignement de sécurité ; et c) en intentant devant la Cour fédérale, en novembre 2005, une action civile en dommages et intérêts.

6.4L’État partie fait observer que les procédures internes engagées par l’auteur n’étaient pas des voies de recours appropriées pour contester la durée du traitement de sa demande de résidence permanente, puisqu’aucune d’entre elles n’aurait permis d’exiger des autorités qu’elles statuent sur cette demande. La demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire déposée par l’auteur ne portait nullement sur le délai mais visait à ce que la Cour fédérale examine la validité de la décision de mars 2001 rejetant la demande de résidence permanente. Comme le Canada l’a indiqué dans ses premières observations, la Cour fédérale, par une décision du 12 novembre 2002, a annulé la décision administrative et renvoyé l’affaire à un autre décideur pour réexamen.

6.5L’auteur a certes contesté auprès du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité la durée des contrôles de sécurité effectués par le Service canadien du renseignement de sécurité et intenté une action civile en dommages et intérêts pour ce délai, mais aucune de ces procédures n’aurait pu donner lieu à une décision obligeant à remédier au délai concernant le traitement de sa demande de résidence permanente. Comme l’a expliqué le Canada dans ses observations initiales, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est un organe d’examen indépendant qui est compétent pour enquêter sur les plaintes visant le Service canadien du renseignement de sécurité. Ses recommandations n’ont qu’un caractère consultatif ; elles ne sont pas contraignantes pour le Service canadien du renseignement de sécurité ou d’autres départements concernés. Le Comité de surveillance n’avait pas le pouvoir d’imposer que les contrôles de sécurité visant l’auteur soient menés à terme ou qu’il soit statué sur sa demande de résidence permanente. La Cour fédérale, dans le cadre de l’action civile intentée par l’auteur, n’aurait pu, elle non plus, exiger des autorités canadiennes qu’elles parachèvent le traitement de la demande de résidence permanente. En droit canadien, une action civile en dommages et intérêts est fondamentalement différente d’une demande de contrôle judiciaire, et les moyens diffèrent. La déclaration de l’auteur disant avoir « reçu l’aval du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité » devrait être ignorée par le Comité.

6.6L’État partie ajoute qu’une action civile en dommages et intérêts est un recours privé, principalement destiné à réparer des torts privés par une indemnisation financière ou d’autres moyens. Il s’agit généralement d’une procédure plus longue, qui permet aux plaignants de contribuer à la communication de pièces pour permettre de déterminer la nature et l’étendue des pertes subies. Le tribunal qui statue sur une action civile peut ordonner à l’État de payer des dommages mais n’est pas compétent pour annuler des décisions administratives ou pour ordonner aux autorités de rendre une décision en vertu de la législation fédérale.

6.7Le contrôle judiciaire, en revanche, vise, dans l’intérêt public, à garantir une bonne gouvernance. Il permet de s’assurer de la légalité, de la rationalité et de l’équité des procédures suivies et des actions menées par les décideurs publics. Le contrôle judiciaire offre une procédure rapide et brève pour annuler des décisions publiques illicites ou pour demander à une autorité publique d’exécuter ou de ne pas exécuter un acte spécifique. L’un des moyens de recours disponibles dans le cadre du contrôle judiciaire est l’ordonnance de mandamus, qui peut imposer le règlement d’un retard administratif en ordonnant aux autorités de prendre une décision dans un certain délai. La Cour suprême du Canada a expliqué que « le contrôle judiciaire convient au plaignant qui souhaite contester rapidement et directement l’action (ou l’inaction) qu’il dénonce ».

6.8L’État partie conclut que l’auteur n’a pas exercé le recours qui aurait pu déboucher sur une décision obligeant les autorités à statuer sur sa demande de résidence permanente, à savoir déposer une demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus. Il n’a pas exercé le seul recours qui lui permettait de contester directement le délai administratif, alors qu’il était représenté par un conseil. L’objet de sa communication au Comité étant la durée excessive du traitement de sa demande de résidence permanente, le fait qu’il n’ait pas exercé le recours interne qui permettait de contester ce délai administratif ne saurait être ignoré ou mis sur le compte d’une « décision stratégique et tactique ». Enfin, l’État partie maintient que la communication de l’auteur est irrecevable car elle est sans objet. On ne peut pas dire qu’un litige portant sur le droit de l’auteur à réparation pour un délai subsiste dès lors que l’auteur aurait pu saisir les juridictions internes pour contester ce délai mais ne l’a pas fait. L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable, ou subsidiairement, dénuée de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note des objections que l’État partie oppose à la recevabilité de la communication, à savoir que les griefs de l’auteur sont sans objet étant donné qu’il a obtenu le statut de résident permanent en 2006 et est désormais citoyen canadien, et étant donné que les conditions de la violation de ses droits qu’il dénonce ont cessé d’exister, notamment du fait que tous les réfugiés ont accès depuis 2003 au programme canadien de prêts étudiants. Le Comité prend note d’autre part de l’affirmation de l’auteur disant que ses griefs concernent des questions d’actualité dès lors que l’obtention du statut de résident permanent n’efface pas les violations qu’il a subies, et que les violations de ses droits dues au traitement négligent de sa demande de résidence permanente pendant treize ans n’ont jamais été réparées. Le Comité note ensuite que ni les modifications apportées en ce qui concerne l’accès à l’éducation, ni la régularisation du statut de l’auteur, ne pouvaient réparer rétroactivement le préjudice qu’il pourrait avoir subi entre 1993 et 2003 et entre 1993 et 2006 du fait de son accès limité à une série de droits, prestations et services. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un auteur peut prétendre à réparation d’une violation de ses droits même quand la violation des droits n’existe plus. Par conséquent, le Comité considère que les allégations de l’auteur ne sont pas sans objet et ne contreviennent pas à l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4D’autre part, le Comité observe que l’État partie conteste la recevabilité de la communication en général et en lien avec les articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3) du Pacte, au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, car l’auteur aurait pu saisir une juridiction interne mais n’a pas utilisé la voie de recours interne qui lui permettait de contester la durée du traitement de sa demande de résidence permanente, à savoir le dépôt d’une demande d’autorisation d’appel et de contrôle judiciaire pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus. Le Comité note que l’auteur, tout en contestant l’irrecevabilité, admet qu’il n’a pas déposé de requête en ordonnance de mandamus entre 2002 et 2005, et ce, pour quatre raisons, l’une d’elles étant qu’il pensait légitimement, après la décision de contrôle judiciaire favorable de 2002, que le département Citoyenneté et Immigration Canada agirait rapidement pour faire aboutir sa demande (voir par. 5.5 ci-dessus). L’auteur a en outre mis fin à son action civile en dommages et intérêts devant la Cour fédérale à la suite de la décision adoptée dans l’affaire Haj Khalil c. Canada. Le Comité rappelle sa jurisprudence, d’où il ressort que l’auteur doit faire usage de tous les recours judiciaires ou administratifs pour satisfaire à la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur. L’auteur, qui était pourtant représenté par un conseil, n’explique pas pourquoi une telle voie de recours n’aurait pas été utile en l’espèce pour contester le délai administratif. Par conséquent, le Comité considère que la prescription énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif n’a pas été satisfaite pour ce qui est des violations alléguées des articles 14 (par. 1) et 2 (par. 3) du Pacte. À la lumière de ce qui précède, le Comité n’examinera pas la question de savoir si les allégations de l’auteur à cet égard sont insuffisamment étayées ou incompatibles avec le Pacte.

7.5En ce qui concerne l’article 17, le Comité prend note des observations de l’État partie indiquant que l’auteur n’a pas établi que les autorités canadiennes ont porté illicitement atteinte à son honneur et à sa réputation, étant donné qu’elles ont légitimement enquêté sur les activités de l’auteur qui était perçu comme affilié au PKK et coopérait avec le Centre communautaire et d’information kurde de Toronto. L’État partie a fait valoir que les activités de l’auteur posaient des problèmes de sécurité nationale, soulignant que le PKK figurait toujours, même après 2002, sur la liste des organisations terroristes, et que le seul objet de l’enquête était de déterminer si l’auteur pouvait prétendre au statut de résident permanent. Le Comité prend note d’autre part de l’argument de l’auteur disant que les autorités avaient conclu qu’il n’était pas membre d’une organisation terroriste et que cette conclusion avait été adoptée après plusieurs phases de décisions contradictoires et donc avec un délai excessif. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment montré en quoi les enquêtes menées ont porté atteinte de façon irréparable à son honneur et à sa réputation au sein de la communauté kurde du Canada. Par conséquent, cette partie de la communication est déclarée irrecevable pour défaut de fondement, au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne les articles 19 (par. 2) et 22, le Comité relève que l’auteur s’est abstenu de s’exprimer librement sur la situation politique dans son pays d’origine et a quitté le Centre communautaire et d’information kurde de Toronto parce qu’il était perçu comme affilié au PKK et craignait, s’il exprimait des critiques à l’égard du Gouvernement turc ou poursuivait sa coopération avec le Centre, de compromettre l’issue de sa demande. Le Comité prend note d’autre part de l’argument de l’État partie faisant observer qu’aucune restriction illicite n’a frappé les droits de l’auteur à la liberté d’expression et d’association et que rien n’indiquait qu’il ait eu l’intention d’imposer de telles restrictions. L’auteur ayant décidé de lui-même de limiter ses activités et l’expression de ses opinions, le Comité considère qu’il n’a pas produit suffisamment d’éléments montrant qu’il aurait été empêché par l’État partie d’exprimer ses opinions politiques ou que l’exercice de sa liberté d’expression ou d’association aurait eu pour lui des conséquences abusives. En conséquence, cette partie de la communication est déclarée irrecevable, au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7S’agissant de l’article 26, le Comité prend note des allégations de l’auteur disant que, bien qu’admis à l’Université McGill et à l’Université de Toronto, il a été empêché de poursuivre des études supérieures qui lui auraient permis de trouver un emploi d’ingénieur correspondant à ses qualifications, puisqu’il n’a pas pu prétendre aux prêts étudiants réservés aux seuls résidents permanents, et qu’il n’a pas pu obtenir de documents de voyage jusqu’en 2002, date à laquelle les autorités ont considéré qu’il ne présentait pas de risque pour la sécurité. Le Comité prend note d’autre part des arguments de l’État partie disant que les allégations de l’auteur ne sont pas étayées puisque le fait qu’il n’ait pu prétendre à bénéficier du programme canadien de prêts étudiants pendant qu’il était réfugié, avant la modification de la loi en 2003, n’avait pas eu pour effet d’empêcher ou d’entraver son accès à l’enseignement supérieur ou à l’emploi au Canada car il avait obtenu plusieurs permis de travail avant de devenir résident permanent et qu’il n’avait pas été privé d’accès à des documents de voyage quand il était réfugié. Rappelant son observation générale no 18 (1989) sur la non-discrimination, ainsi que sa jurisprudence selon laquelle toute différence de traitement fondée sur des motifs énumérés à l’article 26 du Pacte ne constitue pas une discrimination, le Comité considère qu’il n’a pas été suffisamment établi que la différence de traitement dont l’auteur a fait l’objet, fondée sur le statut de résidence, n’était pas justifiée par des motifs objectifs et raisonnables, dans la poursuite d’un but légitime. Par conséquent, ces griefs sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.