Nations Unies

CCPR/C/126/D/2269/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2269/2013*, **, ***

Communication présentée par :

Vitaly Lopasov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

28 décembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 26 juillet 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 juillet 2019

Objet :

Infliction d’une amende pour participation à une réunion pacifique ; liberté d’expression ; absence de procès équitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2), 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Vitaly Lopasov, de nationalité bélarussienne, né en 1973. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 2), 19 et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 27 octobre 2012, l’auteur a participé avec d’autres personnes à la commémoration de l’insurrection bélarussienne dont la ville de Grodno avait été le théâtre en 1863. Dans ce cadre, avec d’autres participants, il s’est déplacé entre divers endroits. Ensemble, ils sont allés de la tombe de Romuald Traugutt au mémorial de Kastus Kalinovski, ont déposé des fleurs devant le monument à Karl Marx de Svislatch et se sont rassemblés pour écouter des discours prononcés par plusieurs d’entre eux. De nombreux participants, dont l’auteur, tenaient un drapeau rouge et blanc. L’auteur affirme avoir pris part ces vingt dernières années à des manifestations similaires au cours desquelles il a porté des gerbes de fleurs, des couronnes funéraires, des cercueils et divers autres symboles, notamment l’ancien drapeau national, sans que quiconque ne s’y oppose. Il ajoute que les rassemblements avaient un caractère pacifique et n’ont pas troublé l’ordre public.

2.2Pendant la commémoration, l’auteur a été arrêté par des policiers du service des affaires intérieures de Grodno et conduit au poste, sans que le motif de son arrestation ne lui soit communiqué. Il a été déféré au tribunal du district de Svislatch pour non-respect de la procédure régissant l’organisation et la tenue de réunions publiques.

2.3Le 30 octobre 2012, le tribunal du district de Svislatch a établi que l’auteur avait enfreint les dispositions de la loi sur les manifestations de masse régissant l’organisation de rassemblements, ce qui constituait une infraction administrative punie par l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives. Le tribunal l’a, en conséquence, condamné à une amende d’un montant de 3 millions d’anciens roubles bélarussiens. L’auteur a fait appel de ce jugement devant le tribunal régional de Grodno, qui a confirmé la décision de la juridiction de première instance. Le 29 novembre 2012, cette décision a ainsi acquis force de chose jugée.

2.4L’auteur fait valoir qu’en l’absence de tout argument fondé motivant la conclusion du tribunal, la sanction qui lui a été infligée ne saurait être considérée comme justifiée aux fins de la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou la moralité publiques, ou du respect des droits ou de la réputation d’autrui.

2.5L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes. Il indique qu’il n’a pas fait appel de la décision du tribunal du district de Svislatch devant le Président de la Cour suprême ou le Bureau du Procureur au titre de la procédure de contrôle car cette procédure ne constitue pas un recours interne utile. Il renvoie à cet égard à la jurisprudence du Comité, selon laquelle les procédures de contrôle visant des décisions de justice passées en force de chose jugée ne sont pas considérées comme des recours utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte, car les autorités ne l’ont pas laissé prendre part à une manifestation commémorative pacifique.

3.2L’auteur fait valoir que les restrictions imposées à la tenue d’une manifestation publique n’étaient pas justifiées par des motifs liés à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou au respect des droits et libertés d’autrui. Selon lui, l’exigence d’une autorisation préalable pour l’organisation de toute réunion, prescrite par la loi sur les manifestations de masse, et le confinement de ces manifestations à un lieu désigné, ordonné par le Comité exécutif du district de Svislatch dans sa décision no 717 du 10 novembre 2011, relative à la « Désignation d’une zone pour les rassemblements publics dans la ville de Svislatch », ne constituent pas des limitations autorisées aux fins des articles 19 et 21 du Pacte.

3.3L’auteur avance qu’en ratifiant le Pacte, l’État partie s’est engagé, aux termes de l’article 2 de celui-ci, à respecter les droits qui y sont reconnus et à en garantir la jouissance à chacun, ainsi qu’à adopter des mesures d’ordre législatif ou autres propres à leur donner effet. Or, l’État partie ne respecte pas les obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, car la loi sur les manifestations publiques contient des dispositions vagues et ambiguës. Par exemple, l’article 9 de ladite loi donne aux autorités exécutives locales toute discrétion pour confiner les réunions pacifiques dans un lieu donné sans avoir à se justifier.

3.4Dans ces circonstances, l’auteur prie le Comité de recommander à l’État partie de mettre sa législation, en particulier la loi sur les manifestations publiques et la décision no 717 du Comité exécutif du district de Svislatch, en conformité avec les normes internationales énoncées aux articles 19 et 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 22 janvier 2013, l’État partie a fait observer qu’en devenant partie au Protocole facultatif, il avait accepté, aux termes de son article premier, de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui se déclarent victimes d’une violation, de son fait, de l’un quelconque des droits protégés par le Pacte. Il conteste l’interprétation large que le Comité fait du Protocole facultatif, se dit préoccupé par le fait que le Comité enregistre des communications soumises par des particuliers qui n’ont pas épuisé les recours internes et des communications soumises par des tierces parties. Il soutient que le Comité n’a pas toute latitude pour interpréter largement le Pacte. En conséquence, l’État partie prie le Comité de cesser d’enregistrer des communications émanant de particuliers qui ne remplissent pas les conditions fixées dans le Protocole facultatif.

4.2L’État partie a également informé le Comité qu’il ne répondrait à aucune correspondance concernant la recevabilité ou le fond de communications enregistrées en violation du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 27 octobre 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Renvoyant à la jurisprudence du Comité, il fait valoir que la saisine du Procureur général au titre de la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile. Il ajoute que cette procédure est à la discrétion du procureur et qu’elle n’implique pas d’examen de l’affaire au fond. Il conclut que tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés.

5.2Se référant aux observations de l’État partie au sujet de l’interprétation large du Pacte, l’auteur note que l’État partie est tenu de se conformer non seulement aux règles et procédures du Comité, mais également à son interprétation complète des dispositions de fond du Pacte, telle qu’elle ressort des observations générales qu’il formule.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de la déclaration de l’État partie selon laquelle l’examen de la communication de l’auteur ne se justifie pas en droit, puisque ladite communication a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif et, si le Comité prend une décision en l’espèce, l’État partie n’acceptera pas ses constatations.

6.2Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’a habilité à établir son propre règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Il fait également observer que tout État partie au Pacte qui devient partie au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). Le Comité rappelle sa pratique, conforme à l’article 99 b) de son règlement intérieur, reconnaissant aux particuliers le droit de se faire représenter par une personne de leur choix dès lors que celle‑ci est dûment autorisée. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (art. 5 (par. 1 et 4)). Le règlement intérieur garantit aux États parties au Protocole facultatif la possibilité d’exprimer pleinement leur position sur la recevabilité et le fond d’une affaire portée devant le Comité.

6.3Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ses obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. Le Comité relève que, en n’acceptant pas sa compétence concernant l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant d’emblée qu’il n’acceptera pas sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication, l’État partie manque aux obligations mises à sa charge conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes. Il constate que les seuls recours possibles ouverts à l’auteur après qu’il a été débouté en appel par le tribunal régional de Grodno étaient la saisine du Procureur général ou de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort que saisir le Procureur général d’une demande de contrôle d’une décision de justice ayant force de chose jugée ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En outre, l’État partie n’a pas fourni d’exemples montrant que la procédure de contrôle devant la Cour suprême pouvait permettre d’obtenir une réparation effective dans les affaires concernant la liberté d’expression et de réunion semblables à l’espèce. Le Comité estime donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

7.4Le Comité prend également note du grief de l’auteur, qui affirme que les droits qu’il tient des articles 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte, ont été violés. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Il considère également que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité note toutefois que l’auteur a déjà dénoncé une violation des droits qu’il tient des articles 19 et 21, due à l’interprétation et à l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et considère que l’examen de la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, ne serait pas différent de l’examen d’une éventuelle violation des droits que l’auteur tient des articles 19 et 21. Le Comité considère donc que les griefs de l’auteur sur ce point sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs tirés des articles 19 et 21 du Pacte. Partant, il déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son arrestation et sa condamnation pour avoir participé à une manifestation pacifique tenue sans autorisation préalable constituent une restriction injustifiée de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, protégés par les articles19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Comité doit donc déterminer si les restrictions imposées à ces droits en l’espèce sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article19 (par. 3) et dans la deuxième phrase de l’article21 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle que l’article19 (par. 3) du Pacte autorise certaines restrictions pour autant qu’elles soient prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il dit que ces libertés sont indispensables au développement complet de l’individu et essentielles pour toute société et qu’elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions imposées à l’exercice de ces libertés doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

8.4Ainsi, faute d’information pertinente fournie par l’État partie pour justifier les restrictions qu’il a imposées en violation des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) ont été violés.

8.5Le Comité rappelle également que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions des citoyens et dont le respect est indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris statique (comme un piquet), dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont imposées par la loi et sont nécessaires dans une société démocratique pour préserver la sécurité nationale et la sûreté et l’ordre publics ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation imposée au droit garanti à l’article 21 du Pacte.

8.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui dit avoir été arrêté et conduit à un poste de police pour avoir participé à une manifestation pacifique mais non autorisée, et pour avoir brandi à Svislatch un drapeau rouge et blanc interdit. L’auteur a ensuite été condamné à une amende administrative pour avoir enfreint les dispositions de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives.

8.7Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui dit n’avoir pas demandé l’autorisation de participer à la manifestation parce que le régime sévère établi par la loi sur les manifestations de masse restreint de manière excessive le droit garanti par l’article 21 du Pacte. Le Comité rappelle que l’État partie qui limite le droit à la liberté de réunion pacifique doit néanmoins être mu par la volonté de faciliter l’exercice de ce droit, et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. À cet égard, le Comité observe que, si les restrictions imposées en l’espèce étaient conformes à la législation, l’État partie n’a néanmoins pas tenté d’expliquer pourquoi elles étaient nécessaires et en quoi elles étaient proportionnées à l’un des objectifs légitimes énoncés dans la seconde phrase de l’article 21 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus expliqué comment, en l’espèce, la participation de l’auteur à une manifestation pacifique qui n’a réuni que quelques personnes pourrait concrètement avoir porté atteinte aux droits et libertés d’autrui ou constitué une menace pour la sécurité publique ou l’ordre public, ou la santé ou la moralité publiques. Le Comité fait observer que l’État partie est tenu de justifier en quoi l’arrestation de l’auteur et l’amende administrative qui lui a été infligée étaient nécessaires et proportionnées. En conséquence, faute d’explication pertinente de l’État partie, le Comité considère qu’il convient d’accorder du crédit aux allégations de l’auteur.

8.8Le Comité note que l’auteur a été arrêté et condamné à une amende administrative sur le fondement de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, en raison de sa participation à une manifestation non autorisée. Il constate que le tribunal du district de Svislatch a établi que l’auteur avait enfreint les articles 5 et 11 de la loi sur les manifestations de masse, qui dispose que les réunions, rassemblements, marches, manifestations et piquets sont soumis à l’obtention d’une autorisation préalable des autorités et que l’utilisation de drapeaux ou de fanions doit être signalée suivant la procédure établie. Le Comité note que l’État partie n’a pas démontré que l’arrestation de l’auteur et l’amende qui lui a été infligée, qui étaient fondées en droit, étaient également nécessaires et proportionnées pour atteindre l’un des objectifs légitimes énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il dispose révèlent une violation, par l’État partie, des droits que l’auteur tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Comité rappelle avoir conclu que l’État partie a également manqué aux obligations mises à sa charge conformément à l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres : a) de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate ; b) de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité souligne de nouveau que l’État partie devrait modifier sa législation de manière à respecter l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2), et en particulier réviser la loi sur les manifestations de masse et la décision no 717 du Comité exécutif du district de Svislatch, telles qu’appliquées en l’espèce, en vue de garantir le plein exercice, sur son territoire, des droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Gentian Zyberi

1.Je partage l’avis du Comité, qui constate une violation des articles 19 et 21. Mon dissentiment porte sur la décision du Comité de ne pas examiner le grief de violation des articles 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte (par. 3.1).

La position du Comité sur le grief tiré de l’article 2 (par. 2)

2.Pour commencer, au paragraphe 7.4, le Comité indique que les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent une obligation générale à l’intention des États parties et ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Ensuite, le Comité précise qu’il « considère que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime ». Enfin, étant donné que le requérant avait dénoncé une violation des droits qu’il tient des articles 19 et 21, le Comité a écarté l’examen de la question de savoir si l’État partie avait également violé l’article 2 (par. 2), jugée incompatible avec l’article 2 du Pacte et irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

Ma position sur le grief tiré de l’article 2 (par. 2)

3.Contrairement au Comité, je considère que lorsqu’elle est soulevée en lien avec des droits fondamentaux, une violation de l’article 2 (par. 2) doit être examinée, au regard des critères et orientations juridiques que le Comité a élaborés, principalement dans le cadre de sa jurisprudence, mais aussi dans ses commentaires généraux et ses observations finales. D’autres collègues qui ont siégé au Comité ont adopté et expliqué ce point de vue dans divers affaires et contextes.

4.L’article 2 (par. 2) énonce l’obligation fondamentale des États parties qui s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur. Chaque État partie devrait mettre en place un cadre juridique interne et des pratiques juridiques et administratives propres à garantir le respect des dispositions du Pacte. Faute de tels cadre et pratiques juridiques internes, l’État partie manquerait aux obligations que lui impose le Pacte, et le problème rencontré par les individus concernés qui relèvent de la juridiction de cet État partie, et du Comité en tant qu’organe de contrôle, serait de nature structurelle.

Liberté d’expression et droit de réunion pacifique au Bélarus

5.Au fil des ans, le Comité a reçu plus de 30 affaires mettant en cause le Bélarus au sujet de violations des articles 19 et 21 et a constaté une violation dans la plupart d’entre elles sinon dans toutes. Cela révèle un problème structurel important, lié au non‑respect par l’État des obligations découlant du Pacte. Une situation aussi extrême aurait dû inciter le Comité à se pencher sur la violation de l’article2 (par. 2), lu conjointement avec les articles19 et 21, comme l’a demandé l’auteur de la communication.

6.L’argument en faveur d’un tel examen est d’autant plus convaincant en l’espèce que le critère juridique du Comité lui-même est rempli. Selon ce triple critère, les dispositions de l’article2 ne peuvent pas être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article2 est la cause immédiate de la violation, qu’il y a violation distincte et que l’individu est directement affecté. En l’espèce, premièrement, le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article2 peut être considéré comme la cause immédiate de la violation. La loi sur les manifestations de masse et les pratiques connexes des autorités du Bélarus ont créé les conditions préalables à la violation des droits de l’auteur. Deuxièmement, il y a eu une violation distincte des droits que l’auteur tient des articles19 et 21 du Pacte (par.8.4 et 8.8). Troisièmement, et dernièrement, l’auteur a été directement affecté. La violation des droits qu’il tient des articles19 et 21 n’a pas été théorique ou abstraite, mais directe et personnelle.

7.Dans la partie consacrée aux réparations, le Comité rappelle à juste titre que l’État partie devrait modifier sa législation de manière à respecter l’obligation qui lui incombe au titre de l’article2 (par. 2), et en particulier réviser la loi sur les manifestations de masse et la décision no 717 du Comité exécutif du district de Svislatch, telles qu’appliquées en l’espèce, en vue de garantir le plein exercice, sur son territoire, des droits consacrés aux articles19 et 21 du Pacte (par. 10). Néanmoins, à mon avis, cette conclusion générale dans la partie consacrée aux réparations aurait dû être précédée, dans la partie des constatations du Comité consacrée à l’examen au fond, d’une évaluation de la question de savoir s’il y avait eu violation de l’article2 (par.2) en lien avec les droits fondamentaux.

Conclusion

8.En général, le critère élaboré par le Comité convient pour rejeter des griefs qui ne relèvent pas de problèmes structurels évidents, ou lorsque les violations alléguées sont abstraites ou non directes ou que le dossier n’est pas suffisamment clair. Toutefois, le Comité devrait examiner avec soin les cas qui s’inscrivent dans un schéma précis de violations, qui reflète l’existence de problèmes structurels dans le cadre juridique interne et les pratiques connexes. À l’avenir, le Comité devrait envisager d’examiner les plaintes pour violation des droits fondamentaux en lien avec l’article2 (par. 2), en particulier lorsque l’auteur d’une communication le lui demande expressément et lorsque sa jurisprudence antérieure montre qu’il existe des problèmes structurels dans le cadre juridique interne et les pratiques connexes.