Nations Unies

CCPR/C/122/D/2201/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 avril 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2201/2012 * , **

Communication présentée par :

Aleksandr Tyvanchuk et consorts (représentés par un conseil, Roman Kisliak)

Au nom de :

Aleksandr Tyvanchuk et 28 autres

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

23 février 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 octobre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

26 mars 2018

Objet :

Absence de procès équitable

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Tribunal compétent, indépendant et impartial ; procès équitable ; faits et éléments de preuve ; droit de recours

Article(s) du Pacte  :

14 (par. 1, 2, 3 b) et e), 5 et 6)

Article(s) du Protocole facultatif  :

1, 2 et 5 (par. 2)

1.Les auteurs de la communication sont Aleksandr Tyvanchuk, Yuliya Tartsan, Aleksandr Uskhopchik, Valery Kondratenko, Oleg Pobozhny, Viktor Goldyuk, Vyacheslav Pavlov, Viktor Sheshuk, Vitaly Rybakov, Valery Gruzinsky, Vladimir Zhuravel, Sergei Bliznyuk, Igor Pasyuk, Aleksei Bannikov, Anatoly Golubkin, Vladimir Buyak, Dmitry Timchenko, Stanislav Kuchits, Yury Nikolaev, Yury Okhrimuk, Viktor Andreichikov, Aleksandr Maryakov, Viktor Demidyuk, Yury Overchuk, Anatoly Osipuk, Nikolay Lyashkevich, Vladimir Selivonets, Aleksandr Azhaev et Aleksei Chumichev, de nationalité bélarussienne. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des paragraphes 1, 2, 3 b) et e), 5 et 6 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 1992. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1En 2002, des agents du poste de douane bélarussien « Zapadny Boug », près de Brest (Bélarus), ont procédé, avec le Service des douanes polonais, à un contrôle comparatif des bases de données électroniques relatives aux entrées et sorties de camions. Il est ressorti de ce contrôle que 82 camions qui avaient été enregistrés au terminal douanier Vestavto du poste de douane de Zapadny Boug n’étaient jamais entrés en Pologne après avoir quitté le Bélarus, contrairement à ce qu’indiquait l’itinéraire consigné dans le registre de la douane. Au début de 2003, une enquête pénale a été ouverte contre les agents des douanes et les mécaniciens du terminal douanier où les camions avaient été enregistrés. Les auteurs faisaient partie des personnes visées. En avril 2004, les auteurs, auxquels il était reproché d’avoir aidé à importer des marchandises sur le territoire du Bélarus sans paiement des droits de douane, ont été déférés devant le tribunal de district de Brest. Ils étaient accusés d’avoir contrevenu au paragraphe 6 de l’article 16 (complicité), au paragraphe 2 de l’article 231 (complicité de contournement de droits de douane) et au paragraphe 3 de l’article 424 (abus de pouvoir) du Code pénal du Bélarus.

2.2Le 14 avril 2004, à la demande du Président de la Cour suprême, l’affaire a été scindée en deux (affaires no 02018000177 et no 04018000020) et renvoyée devant le tribunal militaire de Minsk. Les auteurs font observer qu’ils ont contesté cette décision au motif qu’aucun d’entre eux n’était militaire, mais sans succès. Le 26 octobre 2004 et le 5 août 2005, respectivement, le tribunal militaire a reconnu les auteurs coupables au titre du paragraphe 6 de l’article 16, du paragraphe 2 de l’article 231 et du paragraphe 3 de l’article 424 du Code pénal, les a condamnés à différentes peines d’emprisonnement et a ordonné que leurs biens soient confisqués. Les auteurs affirment que pendant le procès, le tribunal militaire a rejeté à maintes reprises et sans donner de raison les demandes de leur conseil, qui souhaitait faire comparaître des témoins à décharge. Les auteurs ont formé un recours en cassation contre ces deux décisions auprès de la chambre militaire de la Cour suprême, qui a confirmé les décisions du tribunal militaire de Minsk le 4 mars et le 21 octobre 2005, respectivement.

2.3Les auteurs affirment qu’en 2005 et 2006, ils ont déposé de nombreuses plaintes concernant l’absence d’enquête efficace et de procès équitable auprès du Président du Bélarus, du Bureau du Procureur général, de la Cour suprême, du Ministère de la justice et d’autres organismes de l’État, en conséquence de quoi le Bureau du Procureur général a constitué une nouvelle équipe d’enquêteurs chargée d’examiner les circonstances de l’affaire. En 2007, l’équipe chargée de l’enquête a conclu que les auteurs n’avaient pas connaissance des activités criminelles menées au poste de douane et qu’ils avaient été utilisés à leur insu par les organisateurs de l’infraction. Le 4 septembre 2008, le Procureur général a demandé à la Cour suprême d’engager une autre procédure pénale sur la base de ces nouveaux éléments et d’annuler les décisions du tribunal militaire de Minsk. Le 26 septembre 2008, la Cour suprême a rejeté cette demande sans motiver sa décision.

2.4Les auteurs ont de nouveau saisi à plusieurs reprises le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision rendue par la Cour suprême et ont adressé une plainte au Président du Bélarus et au Conseil de sécurité du pays. Toutefois, aucune de ces autorités n’a examiné leurs recours sur le fond.

2.5Le 27 février 2006, le Procureur militaire a engagé des poursuites au civil contre les auteurs pour dommage matériel important résultant d’une violation de la réglementation douanière. Le 27 mars et le 25 avril 2006, le tribunal du district Moskovsky à Brest a ordonné aux auteurs de verser différentes sommes à titre de dommages et intérêts (allant de 80 millions à 2 milliards de roubles bélarussiens). Les auteurs affirment que le tribunal du district Moskovsky a fondé sa décision uniquement sur les jugements rendus par le tribunal pénal dans leurs affaires et n’a tenu compte ni de leurs arguments ni de leurs objections. Ils ajoutent qu’ils ont tenté d’interjeter appel devant le tribunal régional de Brest (le 5 mai 2006) et devant la Cour suprême (le 28 juillet 2006), mais ont été déboutés le 6 mai et le 25 août 2006, respectivement, pour non-paiement des frais de justice. D’après les auteurs, il leur faudrait travailler pendant dix ans sans payer de loyer ni acheter de nourriture pour pouvoir s’acquitter de ces frais. Le tribunal du district Moskovsky et le tribunal régional de Brest ont rejeté les requêtes des auteurs tendant à ce que les frais de justice, excessivement élevés, soient annulés.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font observer que, bien qu’aucun d’eux ne soit militaire, leurs affaires ont été examinées par le tribunal militaire de Minsk. Ils ajoutent que le tribunal militaire a fait preuve de partialité et que, dans leurs affaires, l’appréciation des faits et des éléments de preuve et l’interprétation de la législation nationale étaient arbitraires. Ils affirment que les faits exposés ci–dessus font apparaître une violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.2Les auteurs se disent victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en ce qui concerne l’action au civil en dommages et intérêts, soutenant que le tribunal du district Moskovsky a été partial, parce que son président y avait été affecté récemment et venait d’un autre tribunal de district et parce que le tribunal avait fondé sa décision uniquement sur les jugements rendus par la juridiction pénale dans leurs affaires, sans prendre en compte ni leurs arguments ni leurs objections. Selon eux, le refus par le tribunal régional de Brest et par la Cour suprême d’annuler les frais de justice élevés liés à la présentation de leur recours en cassation constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

3.3Les auteurs affirment en outre que le droit à la défense qu’ils tiennent du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte a été violé en ce qu’ils n’ont pas eu suffisamment de temps pour préparer leur défense. Ils expliquent que lorsque les affaires pénales ont été renvoyées de Brest à Minsk, ils ont dû partir à 350 kilomètres de leur domicile et désigner de nouveaux conseils pour les représenter. Par conséquent, leurs avocats ont dû préparer leur défense dans un délai très court, ce qui a eu des répercussions sur la qualité de leur prestation.

3.4Les auteurs se disent également victimes d’une violation des paragraphes1 et 3 e) de l’article14 du Pacte en ce que le tribunal militaire de Minsk a rejeté la requête de trois des auteurs demandant la convocation de quatre témoins qui auraient pu confirmer les arguments de la défense.

3.5Les auteurs affirment en outre que le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte a été violé, sans plus de précision.

3.6Les auteurs soutiennent que, conformément à la procédure pénale, les juridictions de cassation ne peuvent examiner les décisions des tribunaux de première instance que sur des questions de droit. Lorsqu’elle a examiné les recours en cassation, la chambre militaire de la Cour suprême n’a pas procédé à un examen complet de leurs affaires, et a seulement examiné la manière dont la loi avait été appliquée par les juridictions inférieures, en violation des droits que les auteurs tiennent du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

3.7Les auteurs affirment être victimes d’une violation du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte. Bien que l’enquête ouverte en 2007 ait permis de recueillir de nouveaux éléments de preuve à décharge et que, par conséquent, le Bureau du Procureur général ait demandé à la Cour suprême de rouvrir la procédure pénale, la Cour n’a ni annulé les décisions antérieures ni demandé un nouvel examen de l’affaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note verbale du 12 novembre 2012, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Il fait observer que la communication a été soumise au nom des auteurs par des tiers, en particulier par S. V., d’Ukraine, et par A. K., de Pologne, qui ne relèvent pas de la juridiction de l’État partie. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que la présente communication a été enregistrée en violation du Protocole facultatif. Par conséquent, il a mis fin aux procédures concernant la présente communication et se dissocie des constatations qui pourraient être adoptées par le Comité dans cette affaire.

Défaut de coopération de l’État partie

5.1Le Comité prend note de l’objection de l’État partie, qui affirme qu’il n’existe pas de motif de droit d’examiner la communication présentée par l’auteur puisqu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif, et qu’il ne coopérera avec le Comité pour aucune question concernant les constatations adoptées dans la présente communication.

5.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte l’autorise à établir lui–même son règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). Le Comité rappelle sa pratique, conforme à l’article 96 b) de son règlement intérieur, reconnaissant aux particuliers le droit de se faire représenter par une personne de leur choix dès lors que celle-ci est dûment autorisée. Ce faisant, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concerné (par. 1 et 4 de l’article 5). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec lesdites obligations. Il appartient au Comité de décider si une communication doit être enregistrée. Le Comité fait observer qu’en refusant le droit d’une personne d’être représentée, en n’acceptant pas la compétence du Comité s’agissant de déterminer si une communication doit être enregistrée et en déclarant d’emblée qu’il n’acceptera pas la décision du Comité sur la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie a violé les obligations que l’article premier du Protocole facultatif met à sa charge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. En l’absence d’objection de la part de l’État partie concernant l’épuisement des recours internes par les auteurs, le Comité estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.3Le Comité note que les auteurs n’ont pas précisé en quoi le droit à la présomption d’innocence garanti par le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte avait été violé et déclare cette partie de la plainte irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note des griefs des auteurs qui soutiennent que les droits qu’ils tiennent du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte ont été violés en ce que, le tribunal militaire de Minsk étant situé à 350 kilomètres de leur lieu de résidence, ils ont dû désigner de nouveaux avocats, ce qui ne leur a pas laissé suffisamment de temps pour préparer leur défense. Au vu des éléments dont il est saisi, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ce grief et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’allégation des auteurs qui affirment que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé en ce que la chambre militaire de la Cour suprême, statuant en tant que juridiction de cassation, aurait examiné leurs recours sur des points de droit uniquement, et n’aurait pas procédé à un examen au fond des faits et éléments de preuve relatifs à l’affaire. Il prend également note de l’allégation des auteurs selon laquelle la législation nationale dispose que la juridiction de cassation ne peut examiner les décisions des tribunaux de première instance que sur des points de droit. À cet égard, le Comité rappelle que le paragraphe 5 de l’article 14 fait obligation à l’État partie de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. En l’espèce, le Comité relève que les auteurs ne précisent pas quels griefs sur le fond ils n’ont pas pu soulever devant la chambre militaire de la Cour suprême ni quels griefs présentés dans le recours n’ont pas été examinés par la Cour suprême. Le Comité fait observer en outre que la Cour suprême a bien procédé à une évaluation des faits et des éléments de preuve et n’a pas limité l’examen aux points de droit. En l’absence de griefs précis formulés par les auteurs, le Comité estime que les allégations soulevées au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte sont de nature générale et insuffisamment étayées. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle le refus par la Cour suprême de rouvrir la procédure sur la base d’éléments nouveaux constitue une violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte. Les auteurs affirment que la Cour n’a pas motivé sa décision. Le Comité note toutefois, au vu de la décision en question, que celle-ci repose sur les motifs ci-après. La Cour suprême a considéré que la conclusion du Procureur général au sujet des nouveaux éléments était fondée sur les déclarations de sept personnes condamnées dans l’affaire no 02018000177, qui avaient modifié leurs déclarations pendant l’enquête concernant une nouvelle affaire pénale (affaire no 05018000044). Elle a conclu que la culpabilité des auteurs avait été établie sur la base des éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’affaire no 02018000177 et examinés par le tribunal de première instance. La Cour a jugé que le fait que des personnes reconnues coupables en vertu d’une décision de justice (devenue définitive ultérieurement) aient modifié leurs déclarations ne permettait pas en soi de conclure à l’établissement de faits nouveaux justifiant la réouverture d’une affaire. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions de l’État partie d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application faite de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’examen a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que la juridiction concernée a par ailleurs manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’absence d’autres allégations précises des auteurs indiquant que la décision de la Cour suprême était de toute évidence arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou qu’elle a représenté un déni de justice, ou que la Cour a par ailleurs manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité, le Comité considère que le grief tiré du paragraphe 6 de l’article 14 du Pacte n’est pas suffisamment étayé aux fins de sa recevabilité au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité prend note du grief des auteurs selon lequel le procès mené par le tribunal militaire de Minsk soulève des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte étant donné qu’aucun d’entre eux n’était militaire. Il note également que les autres griefs que les auteurs tirent du paragraphe 1 de l’article 14, concernant la procédure devant le tribunal militaire de Minsk et la procédure civile devant le tribunal du district Moskovsky à Brest pour dommages et intérêts, ainsi que le grief qu’ils tirent du paragraphe 3 e) de l’article 14 sont étroitement liés à la procédure devant le tribunal militaire. En l’absence d’arguments de l’État partie concernant la recevabilité de ces griefs, le Comité les juge recevables et procède à leur examen quant au fond.

6.8Le Comité prend également note du grief des auteurs selon lequel les frais de justice excessifs liés à la procédure civile et le refus des instances de cassation d’annuler ces frais les ont empêchés d’accéder auxdites instances et ont constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité relève que les documents pertinents versés au dossier concernent les recours formés par un seul des auteurs, M. Tyvanchuk, contre la décision du tribunal civil en date du 25 avril 2006. Il n’y a pas dans le dossier d’information indiquant que les autres auteurs ont fait appel du jugement prononcé par le tribunal civil à leur encontre. Le Comité conclut donc que le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte est recevable à l’égard de M. Tyvanchuk et procède à son examen quant au fond. Il considère que ce grief n’est pas suffisamment étayé et qu’il est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif en ce qui concerne les autres auteurs.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle le 26 octobre 2004 et le 5 août 2005, le tribunal militaire de Minsk les a jugés et reconnus coupables en vertu duCode pénal à la suite de la décision du Président de la Cour suprême de renvoyer leur affaire devant un tribunal militaire, alors qu’aucun d’entre eux n’était militaire. Si le Pacte n’interdit pas explicitement le jugement de civils par des tribunaux militaires, il ne l’autorise pas non plus. Le Comité note que le jugement de civils par des tribunaux militaires ou d’exception soulève de graves problèmes s’agissant du caractère équitable, impartial et indépendant de l’administration de la justice. Il en résulte qu’en vue de garantir le droit à un procès équitable, les États sont généralement tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire le jugement de civils par des tribunaux militaires. En l’espèce, l’État partie ne conteste pas le fait que les auteurs sont des civils.Le Comité conclut que le procès et la condamnation des auteurs par un tribunal militaire constituent une violation du paragraphe1 de l’article14 du Pacte.

7.3Compte tenu de cette constatation et parce qu’ils sont indissociablement liés au procès devant le tribunal militaire de Minsk, le Comité décide de ne pas examiner séparément les autres griefs que les auteurs tirent du paragraphe1 et du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte s’agissant de la procédure devant la Cour. De même, il décide de ne pas examiner le grief que les auteurs tirent du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte concernant l’action civile devant le tribunal du district Moskovsky à Brest.

7.4Le Comité prend note en outre de l’allégation de M. Tyvanchuk selon laquelle le montant excessif des frais de justice a rendu impossible l’examen par le tribunal régional de Brest du recours en cassation qu’il avait formé le 5 mai 2006 contre la décision du tribunal civil, le privant par conséquent d’accès à la justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité note également que l’auteur était censé payer les frais de justice, qui étaient fixés dans la condamnation pénale à 5 % des dommages qu’il devait verser. Le montant des dommages était de 904 773 450 roubles bélarussiens et les frais de justice s’élevaient par conséquent à 45 238 675 roubles. Le Comité relève en outre que l’auteur a présenté au tribunal un justificatif de ses revenus, qui étaient de 297 600 roubles par mois. L’auteur a également souligné que ses biens lui avaient été confisqués conformément au jugement rendu par le tribunal militaire de Minsk. Le Comité note que le tribunal du district Moskovsky à Brest, en tant que juridiction de cassation, et la Cour suprême, en tant que juridiction de contrôle, ont rejeté la requête de l’auteur demandant l’annulation des frais de justice et l’ont débouté de son recours parce qu’il n’avait pas assumé ces frais, sans prendre en considération les arguments de l’auteur selon lesquels les frais étaient excessifs et impossibles à honorer. Le Comité fait observer que les tribunaux ont, en vertu de la loi, le pouvoir d’annuler les frais de justice. En rejetant de façon expéditive et sans examiner les circonstances particulières de l’affaire la demande d’annulation des frais de justice présentée par l’auteur, ils ont privé celui-ci d’accès à la justice et, partant, de la possibilité de faire réexaminer son affaire dans le cadre de la procédure judiciaire prévue par la législation nationale. Le Comité conclut que cette partie de la communication fait aussi apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’État partie a violé le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte à l’égard de tous les auteurs en ce qui concerne le procès devant le tribunal militaire de Minsk et à l’égard de M. Tyvanchuk du fait du refus des tribunaux civils d’annuler les frais de justice. Le Comité réaffirme que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile, sous la forme d’une réparation intégrale, aux individus dont les droits consacrés par le Pacte ont été violés. Il doit donc, entre autres, accorder aux auteurs une indemnisation adéquate. En l’espèce, l’État partie est tenu, notamment, d’annuler les décisions du tribunal militaire de Minsk en date du 26 octobre 2004 et du 5 août 2005, et les décisions de justice qui en découlent, et d’accorder aux auteurs un nouveau procès assorti de toutes les garanties énoncées à l’article 14 du Pacte. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles de l’État partie.