Nations Unies

CCPR/C/125/D/2684/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2684/2015 * , **

Communication présentée par :

T. (représenté par un conseil, Tony Ellis)

Au nom de :

T.

État partie :

Nouvelle-Zélande

Date de la communication :

2 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

29 mars 2019

Objet :

Procès d’un défendeur souffrant d’une déficience intellectuelle

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication ; recevabilité ratione temporis

Question ( s ) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; arrestation/détention arbitraires ; procès équitable

Article ( s ) du Pacte :

7, 9 (par. 1), 10 (par. 1) et 14 (par. 1 et 3 a), d), f) et g))

Article ( s ) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est T., de nationalité néo-zélandaise, né en 1976. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 et/ou du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et des paragraphes 1 et 3 a), d), f) et g) de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 26 août 1989. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 14 mars 2016, à la suite d’une demande faite en ce sens par l’État partie en date du 19 janvier 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Exposé des faits

2.1Au moment de la soumission de la communication, l’auteur souffrait d’une déficience intellectuelle et avait un quotient intellectuel (QI) de 62, ce qui le plaçait dans la catégorie du 1 % inférieur de son groupe d’âge.

2.2.Le 27 mai 2004, l’auteur a été arrêté par la police pour trouble à l’ordre public dans une gare. Il a été conduit au centre de police de proximité de Johnsonville, où il a reconnu avoir commis un vol dans un magasin de vins et spiritueux. Puis il a été conduit au commissariat de Porirua, où il a de nouveau été interrogé et a signé le procès-verbal d’interrogatoire, déclaré « exact et authentique ». Plus tard dans la matinée, il a été présenté devant le tribunal de district de Porirua pour vol aggravé. En présence d’un solicitor de permanence, le tribunal a placé l’auteur en détention provisoire jusqu’au 1er juin 2004.

2.3Le 31 mai 2004, le docteur B.-W. − un psychologue-conseil − s’est entretenu avec l’auteur dans la prison de Rimutaka. Le même jour, il a écrit au tribunal de district que l’auteur souffrait d’une déficience intellectuelle modérée et de toxicomanie et qu’il présentait un comportement antisocial et une personnalité borderline. Le docteur B.-W. recommandait au tribunal de district de demander qu’un rapport soit rédigé au titre de l’article 121 2 b) i) de la loi sur la justice pénale (qui porte sur le pouvoir du tribunal de demander un rapport psychiatrique). Le 1er juin 2004, le tribunal de district a prolongé la détention provisoire de l’auteur jusqu’au 15 juin 2004, le temps qu’un examen psychiatrique soit effectué. Le 2 juin 2004, le directeur de la prison a demandé que l’auteur soit soumis à un examen psychiatrique parce qu’il s’automutilait et s’était notamment arraché un morceau de chair de son bras et l’avait ensuite mangé. L’auteur a été admis à l’hôpital de Porirua le même jour. Le 11 juin 2004, un rapport psychiatrique a été établi par le docteur B.-W. au titre de l’article 121 de la loi sur la justice pénale. Le rapport concluait que l’auteur était en état de plaider mais souffrait d’une déficience intellectuelle, dont le degré n’était pas déterminé, le psychiatre n’ayant pas examiné les tests neuropsychologiques.

2.4Le 29 juin 2004, sur le conseil d’un avocat commis d’office, l’auteur a plaidé coupable de vol aggravé.Le 13 août 2004, le tribunal de district de Wellington l’a condamné à une peine de trois ans et six mois d’emprisonnement.

2.5Le 29 juillet 2005, l’auteur pouvait prétendre à une libération conditionnelle. Le 23 février 2006, alors que l’auteur était toujours en prison, le tribunal des affaires familiales (une subdivision du tribunal de district) a ordonné son placement dans une unité d’obligation de soins pour déficients intellectuels au titre de l’article 45 (Compétence pour délivrer une ordonnance d’obligation de soins) de la loi de 2003 sur le handicap intellectuel. La décision du tribunal des affaires familiales se fondait sur la conclusion selon laquelle l’auteur souffrait d’une déficience intellectuelle. La date fixée pour la fin de cette détention correspondait à celle du terme de sa peine de prison, à savoir le 29 novembre 2007. Malgré cet ordre de placement, l’auteur est resté en prison. Le 6 avril 2006, la commission des libérations conditionnelles a autorisé le placement de l’auteur en libération conditionnelle à compter du 19 avril 2006. L’auteur devait résider à Timata Hou − un centre de soins − où devait s’appliquer l’obligation de soins ordonnée par le tribunal des affaires familiales. Le 12 octobre 2006, le tribunal des affaires familiales a renforcé le niveau de surveillance de l’auteur à Timata Hou. Le 15 mai 2007, il a ordonné l’annulation de l’obligation de soins avec effet à compter du 29 mai 2007. Sa décision se fondait sur un rapport en date du 26 janvier 2007 dans lequel le docteur W., expert en déficience intellectuelle, indiquait que l’auteur n’avait plus besoin de soins spécialisés.

2.6À Timata Hou, l’auteur a noué une relation avec une employée du centre et a même emménagé avec elle. Cette relation s’est terminée à la fin de janvier 2007, quand l’auteur a été dénoncé pour propos menaçants. Il a plaidé coupable et, le 31 janvier 2007, la commission des libérations conditionnelles l’a renvoyé en prison. À une date non précisée en 2007, la Haute Cour a adopté à son égard une ordonnance d’habeas corpus intérimaire, à la demande de l’actuel conseil de l’auteur, renvoyant l’auteur devant les autorités de santé mentale.

2.7L’auteur a soumis deux autres requêtes en habeas corpus. Dans l’une, il faisait valoir que la décision initiale imposée par le tribunal de district de Porirua et la décision ordonnant sa détention, notamment sa détention aux fins d’examen psychiatrique en juin 2004, étaient arbitraires. Dans l’autre, il affirmait que la procédure réglementaire n’avait pas été observée lorsque l’obligation de soins initiale pour déficience intellectuelle avait été ordonnée, le 23 février 2006, et que sa détention ultérieure était illégale. Ces deux requêtes ont été rejetées par la Haute Cour, décisions de rejet contre lesquelles l’auteur a interjeté appel devant la Cour d’appel. Dans un jugement rendu le 28 mai 2007, la Cour d’appel a débouté l’auteur de ses deux recours. Elle a considéré que la peine initiale et l’ordre du tribunal des affaires familiales auraient dû être contestés dans le cadre d’une procédure d’appel ordinaire, ce que l’auteur n’avait pas fait. L’engagement d’une procédure d’habeas corpus n’était pas le moyen indiqué pour contester les décisions judiciaires en question.

2.8Le 23 avril 2007, l’auteur a saisi la Haute Cour d’une demande d’autorisation de faire appel de sa condamnation et de sa peine après le délai imparti. Il a fait valoir, entre autres choses, qu’à cause de sa déficience intellectuelle, il n’avait pas été en état de plaider devant le tribunal de district de Wellington et que le tribunal n’avait pas correctement apprécié le degré de son handicap, faute de tenir une audience séparée sur son aptitude à plaider. Il a fait aussi valoir qu’il aurait dû bénéficier de l’assistance d’un spécialiste de la santé mentale indépendant qui serait intervenu pour son compte quand le tribunal de district a ordonné l’établissement d’un rapport au titre de l’article 121 de la loi sur la justice pénale.

2.9Après avoir examiné les éléments dont elle était saisie, la Haute Cour a rejeté, le 17 mars 2009, la demande d’autorisation d’appel tardif. Elle a conclu que l’auteur était en état de plaideret qu’il n’était pas nécessaire de consacrer à ce sujet une audience séparée en vertu de la loi sur la justice pénale. Le rapport psychiatrique ordonné par le tribunal de district au titre de l’article 121 de la loi sur la justice pénale ayant conclu que l’auteur n’était pas déficient et était en état de plaider, le tribunal de district de Wellington s’était conformé à cette conclusion et n’était pas obligé de tenir une audience séparée sur la question. Les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’aurait pas été en mesure de donner des instructions à ses conseils et aurait été mal représenté ont de même été jugées non fondées par la Haute Cour. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui dénonçait le caractère arbitraire d’une détention de quatorze jours pour un examen psychiatrique qui avait duré deux heures, la Haute Cour a répondu que la durée de la détention n’avait pas dépassé la limite légale et était adéquate au regard du but poursuivi. La Haute Cour a conclu que l’auteur n’avait pas établi l’existence d’une erreur judiciaire de nature à mettre en question sa condamnation ou sa peine et elle a rejeté sa demande d’autorisation de faire appel. À une date non précisée, l’auteur a contesté cette décision de rejet devant la Cour d’appel. Il est cependant revenu sur ce recours, se rendant à l’avis de la partie intimée sur la question de la compétence. Il a par la suite demandé à la Haute Cour d’annuler sa décision du 17 mars 2009, ce que celle-ci a refusé de faire le 14 juin 2010. La Haute Cour a notamment fait observer que la plainte concernait des événements remontant à 2004 et qu’il n’était donc guère utile de l’examiner plus avant. Le fait que l’auteur faisait l’objet de nouvelles procédures pénales devant le tribunal de district pouvait plutôt être l’occasion de réexaminer les éventuelles questions concernant sa capacité à passer en jugement.

2.10L’auteur signale, à titre d’information, qu’en 2012 il a reçu des coups qui ont causé des lésions cérébrales. En 2014, après de nouveaux coups, il a perdu un œil et son QI est tombé à 56. En 2014, il a été déclaré inapte à passer en jugement et a été placé en unité de soins surveillée pour douze mois.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte pour deux motifs. Premièrement, il a été détenu arbitrairement pendant quatorze jours en juin 2004 pour un examen psychiatrique qui n’a pas duré plus de deux heures. Deuxièmement, sa condamnation à une peine de prison était totalement arbitraire parce que le tribunal de district n’avait pas évalué correctement sa déficience intellectuelle et les questions y afférentes.

3.2L’auteur dit que sa condamnation à de la prison a constitué un traitement cruel, inhumain ou dégradant en violation de l’article 7 et/ou du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, étant donné sa déficience intellectuelle et ses antécédents d’automutilation .

3.3L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce qu’il a fait l’objet d’un procès inéquitable au cours duquel sa déficience intellectuelle n’a pas été correctement évaluée et parce qu’il n’y avait pas d’intention délictueuse.

3.4Il dénonce également une violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte parce qu’à cause de sa déficience, il n’a pas pu bien communiquer avec son conseil aux fins de la conduite de sa défense.

3.5L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation du paragraphe 3 a), d), f) et g) de l’article 14 du Pacte parce que ni le tribunal de district ni le docteur B.-W. ne l’ont informé de son droit de consulter un avocat et de lui donner ses instructions, et de son droit de garder le silence lorsqu’il se trouvait en détention pour examen psychiatrique et pendant l’examen.

3.6Enfin, l’auteur affirme qu’il a fait l’objet d’une discrimination fondée sur sa déficience intellectuelle, en violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 19 janvier 2015, l’État partie a fait part de ses observations, arguant que la communication était irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif parce que l’auteur, en dépassant le délai imparti pour soumettre sa communication au Comité, avait abusé de son droit de plainte. La communication était également irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’avait pas épuisé à temps les recours internes dont il disposait.

4.2L’État partie relève que la condamnation et la peine imposées à l’auteur pour vol aggravé dont il est question dans la communication remontent à 2004, mais que c’est seulement en avril 2007 que l’auteur a soumis une demande d’autorisation d’appel tardif. La décision définitive de la Haute Cour rejetant cette demande date du 14 juin 2010. L’auteur a alors saisi le Comité le 2 juin 2015, soit cinq ans après en avoir terminé avec les recours internes, sans expliquer ce délai.

4.3Le retard avec lequel la présente communication a été soumise est d’autant plus important que la condamnation et la peine contestées par l’auteur remontent à 2004 et qu’il s’agit des conclusions concernant les capacités intellectuelles de l’auteur à l’époque. Compte tenu de ce retard, il est difficile pour l’État partie de répondre aux griefs de l’auteur, une grande partie des éléments de preuve risquant de ne plus être disponibles en raison du temps écoulé.

4.4L’État partie prend note de la déclaration de l’auteur indiquant qu’il a eu entre temps des lésions cérébrales qui ont réduit encore son QI. Il a de ce fait été jugé inapte à passer en jugement pour d’autres chefs d’accusation (portés contre lui en 2007). Compte tenu de l’altération des capacités intellectuelles de l’auteur, il est aujourd’hui difficile de vérifier la justesse des examens psychiatriques effectués en 2004. Le temps écoulé empêche également l’auteur d’avoir accès à un recours utile.

4.5L’État partie affirme aussi que l’auteur n’a pas fait appel de sa condamnation et de sa peine dans le délai fixé de vingt-huit jours. Il a soumis une demande d’autorisation de faire appel seulement deux ans et huit mois après avoir été condamné, demande qui a été rejetée par la Haute Cour le 17 mars 2009. S’il avait exercé son droit de recours dans le délai de vingt-huit jours imparti, son appel aurait été examiné sur le fond par la Haute Cour. S’il avait été débouté de son appel, il aurait encore eu la possibilité de saisir la Cour d’appel, puis la Cour suprême. Faute d’avoir soumis sa demande d’appel dans les délais, l’auteur n’avait d’autre recours à exercer que contre la décision de la Haute Cour sur sa demande d’autorisation d’appel tardif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 23 février 2016, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il fait valoir que, s’il n’a pas contesté sa condamnation en 2004, c’est simplement parce qu’il n’en était intellectuellement pas capable. Il prétend que l’État partie n’a pas expliqué comment un homme souffrant d’une déficience intellectuelle est censé faire appel dans les délais − alors qu’il a besoin de temps pour comprendre le processus de détermination de la peine et le droit de recours.

5.2L’auteur souligne qu’il a bien épuisé tous les recours internes en soumettant une demande d’autorisation d’appel tardif auprès de la Haute Cour ainsi que trois requêtes en habeas corpus, dont il a contesté, pour deux d’entre elles, le rejet. Il affirme en outre que l’approche de l’État partie en matière pénale est discriminatoire au regard de la procédure civile qui permet aux personnes souffrant d’une déficience intellectuelle de bénéficier d’une prolongation du délai fixé pour intenter une action. Il prétend qu’une telle discrimination constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte parce qu’il n’y a pas eu d’aménagement raisonnable du temps imparti.

5.3L’auteur soutient que, si l’approche de l’État partie était acceptée, cela aurait des effets considérables pour toute personne devant épuiser les recours internes. Il ajoute qu’il a dû s’en remettre entièrement à l’intervention non rémunérée de son conseil actuel pour de nombreuses audiences internes et pour la présente communication.

5.4En ce qui concerne la soumission tardive de sa communication au Comité, l’auteur affirme essentiellement que sa déficience intellectuelle, à laquelle s’ajoutent les coups qu’il a reçus par la suite et ses lésions cérébrales, suffit à expliquer un tel retard.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle la communication constitue un abus du droit de soumettre une communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif parce que l’auteur a soumis sa plainte au Comité cinq ans après l’adoption de la décision définitive rendue par le tribunal dans son affaire et n’a pas expliqué ce retard de façon convaincante. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui soutient que sa déficience intellectuelle, encore aggravée par des lésions cérébrales, suffisait à expliquer ce retard. Le Comité rappelle qu’il n’existe aucune échéance précise pour la présentation des communications en vertu du Protocole facultatif et que le simple fait d’avoir attendu longtemps avant d’adresser la communication ne constitue pas en soi un abus du droit de plainte. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. En outre, conformément à l’article 96 c) du règlement intérieur du Comité, une communication peut constituer un abus du droit de plainte si elle est « soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire ».

6.4L’État partie a indiqué que la décision définitive dans l’affaire de l’auteur était celle qui avait été rendue par la Haute Cour le 14 juin 2010. Il a aussi fait observer que l’auteur avait saisi le Comité le 2 juin 2015. Le Comité note que, stricto sensu, l’auteur lui a soumis sa communication environ deux semaines avant l’échéance de cinq ans prévue à l’article 96 c) de son règlement intérieur. Il considère par conséquent qu’il n’y a pas eu abus du droit de soumettre une communication en l’espèce.

6.5Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas contesté sa condamnation et sa peine dans le délai réglementaire de vingt-huit jours. Le Comité prend note aussi du contre-argument de l’auteur disant qu’il a dépassé ce délai à cause de sa déficience intellectuelle et que, avec la demande d’autorisation de faire appel tardivement adressée à la Haute Cour et ses requêtes en habeas corpus, il a bien épuisé les recours internes.

6.6S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que la disposition énoncée à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif vise à offrir à l’État partie lui‑même la possibilité de réparer la violation subie par une personne. En l’espèce, l’auteur, bien que représenté par un conseil devant le tribunal de district, a dépassé le délai de vingt-huit jours qui était imparti pour faire appel auprès de la Haute Cour. Selon l’État partie, si l’appel avait été rejeté, il aurait pu être porté devant des juridictions supérieures, à savoir la Cour d’appel et même la Cour suprême. Ayant laissé passer le moyen d’appel ordinaire, l’auteur a soumis une demande d’autorisation d’appel tardif en 2007, c’est-à-dire deux ans et huit mois après sa condamnation effective. Le rejet par la Haute Cour de cette demande pouvait être attaqué devant la Cour d’appel uniquement, ce que l’auteur a fait avant de retirer son appel, s’étant rendu aux arguments de la partie intimée concernant l’absence de compétence. Il est clair pour le Comité qu’en ne saisissant pas le moyen d’appel ordinaire, l’auteur n’a pas permis à toutes les juridictions compétentes d’examiner ses griefs.

6.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur disant que ses requêtes en habeas  corpus devraient être considérées comme un épuisement des recours internes, le Comité observe que les deux appels soumis à la Cour d’appel ont été rejetés parce que la procédure normale qu’il aurait dû suivre pour faire examiner ses griefs était la procédure d’appel ordinaire, et non les demandes d’habeas corpus.

6.8Le Comité n’est pas convaincu par l’argument de l’auteur selon lequel sa déficience intellectuelle est la raison pour laquelle il a dépassé le délai d’appel réglementaire, sachant en particulier qu’il était représenté par un conseil professionnel devant le tribunal de district et qu’il ne s’est pas plaint des services de ce conseil auprès du Comité. Le Comité relève que l’auteur a plaidé coupable et qu’il était possible qu’il n’ait pas eu l’intention de faire appel. En tout état de cause, rien dans le dossier n’explique pourquoi l’auteur n’a pas interjeté appel en 2004 et a décidé de le faire en 2007.

6.9Le Comité prend note aussi de l’argument de l’auteur selon lequel, compte tenu de sa déficience intellectuelle, on ne peut attendre de lui qu’il fasse appel dans les délais, ayant besoin de temps pour comprendre la procédure de détermination de la peine et le droit de recours. Sur ce point, le Comité observe que, d’après les informations figurant au dossier, notamment le rapport psychiatrique du docteur B.-W. et les décisions des juridictions internes, l’auteur était en mesure de comprendre la procédure pénale et a été déclaré en état de plaider. À la lumière des informations dont il est saisi, qui ne révèlent aucun arbitraire ni parti pris de la part des tribunaux internes, le Comité ne peut pas conclure que la déficience intellectuelle de l’auteur telle qu’elle a été établie au moment des événements en question était de nature à l’empêcher de contester sa peine dans le délai imparti.

6.10À la lumière de ces considérations, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes dont il disposait et que la présente communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.