Nations Unies

CCPR/C/126/D/2035/2011

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 octobre 2019

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2035/2011 * , **

Communication présentée par :

Jérémie EbénézerNgapna et consorts (représentés par un conseil, Charles Taku)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Cameroun

Date de la communication :

20 septembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (article 92 du nouveau règlement), communiquée à l’État partie le 24 septembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations  :

17 juillet 2019

Objet :

Refus d’accorder les avantages légaux liés à la fonction publique ; non-exécution de décisions de justice contraignantes

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; justification des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à un procès équitable ; droit de participer à la vie publique ; égalité devant la loi

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14 (par. 1), 25(al. c)) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Jérémie Ebénézer Ngapna, Ferdinand Ernestine Simo, Henriette Bidias, Martin Forzoh, Charles Olindga Essomba, Yolanda Eloundou, Ola’a Nkpwang, Winifred Mbuh Amuyen, Charles Afane Akame, Puissant Paul Heu, Théophile Onana, Vecaris Koto Nseke, Abraham Max Nwatsock, Robert Tchamba, Emmanuel Wandji, Michelin Libam, Martine Titty Dibeng, Marie Gisèle Minkandi, Jean Kanmougne, Ernest Abadoma Boyoguino, Edongo Nkempi, Théophile Zega et Désirée Mandengue Eteki, tous de nationalité camerounaise et fonctionnaires dans l’administration publique camerounaise. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 juin 1984. Les auteurs sont représentés par un conseil, Charles Taku.

1.2Le 28 juin 2011, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication.

1.3À sa 116e session, le Comité a examiné la communication et conclu qu’elle était recevable en ce qui concerne les griefs tirés des articles 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al. c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte.

1.4Le 25 septembre 2012, les auteurs ont accepté la proposition de l’État partie de régler l’affaire à l’amiable. En conséquence, le Comité a suspendu l’examen de la communication le 25 octobre 2012 afin de permettre un tel règlement. Le 15 avril 2013, les auteurs ont informé le Comité que le règlement amiable n’était pas encore intervenu. Le 13 août 2013, le Comité a réitéré sa décision de suspension de l’examen de la communication tant que les discussions entre les auteurs et l’État partie étaient en cours. La suspension était accordée jusqu’au 13 novembre 2013. Le 15 avril 2015, en l’absence de tout progrès significatif sur la voie du règlement amiable, en dépit des mesures d’intégration et d’indemnisation adoptées en faveur des auteurs par l’État partie, le Comité a décidé de mettre fin à la suspension de la communication et de procéder à l’examen de sa recevabilité.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont des fonctionnaires du Ministère des finances du Cameroun. Ils ont reçu une bourse de l’État partie pour étudier à l’École nationale des impôts de Clermont-Ferrand et à l’École nationale du Trésor de Noisiel, en France, entre 1984 et 1991. Leurs études terminées et de retour au pays, ils ont été déployés dans divers services du Ministère des finances.

2.2Les auteurs font noter que le décret no 74/611 du 1er juillet 1974 fixant les conditions de recrutement des licenciés titulaires des diplômes des écoles financières spécialisées étrangères prévoit dans son article premier que « les titulaires d’une licence ou d’un diplôme académique équivalent, titulaires du diplôme de fin de stage des écoles financières spécialisées étrangères bénéficient, à compter de la date de prise de service, d’une mesure d’intégration au 1er échelon de la 2e classe, catégorie “A”, premier grade de la fonction publique ». Or, en pratique, les autorités de l’État partie n’ont pas appliqué ces dispositions légales aux auteurs. En effet, les autorités camerounaises ont refusé d’intégrer les auteurs dans la catégorie en question, au motif que le décret no 74/611 avait été abrogé par le décret no 75/776 du 18 décembre 1975 portant statut particulier du corps des fonctionnaires des régies financières, en vigueur à l’époque où les auteurs ont été affectés au Ministère des finances et qui ne prévoyait pas les mêmes avantages que le décret no 74/611. Les auteurs ont contesté cette décision, faisant valoir que le décret no 74/611 était encore en vigueur.

2.3À la suite des recours intentés par trois des auteurs, à savoir Robert Tchamba, Emmanuel Wandji et Michelin Libam, la Cour suprême du Cameroun s’est prononcée le 14 novembre 2002 pour Robert Tchamba (arrêt no 10/A) et Emmanuel Wandji (arrêt no 09/A), et le 27 mars 2003 pour Michelin Libam (arrêt no 17/A). Dans ces décisions, la Cour suprême a conclu que le décret no 74/611 était toujours en vigueur à l’époque où les auteurs avaient été affectés au Ministère des finances, et n’avait pas, comme l’affirmait l’État partie, été abrogé par le décret no 75/776. La Cour a décidé que les auteurs devaient être intégrés, reclassés et rémunérés dans la catégorie spécifiée à l’article premier du décret no 74/611 à compter de la date de leur entrée en fonction dans les services du Ministère des finances, soit le 16 janvier 1990 pour Robert Tchamba, le 3 janvier 1989 pour Emmanuel Wandji et le 5 janvier 1988 pour Michelin Libam. Malgré le caractère juridiquement contraignant des arrêts de la Cour suprême et les demandes répétées des auteurs, l’État partie n’a pas exécuté ces décisions.

2.4Le 16 février 2009, le Vice-Premier Ministre et Ministre de la justice camerounais a donné pour instruction au Secrétaire général des services du Premier Ministre d’exécuter la décision de la Cour suprême rendue en faveur de Michelin Libam, mais cette instruction est restée sans suite. À cet égard, les auteurs expliquent que le 31 mai 1995, le Secrétaire général des services du Premier Ministre avait déjà reçu l’instruction, de la part du Secrétaire général de la présidence camerounaise, d’intégrer et de reclasser les diplômés des « écoles françaises d’application financière », mais sans résultat. Les auteurs font observer que le Secrétaire général des services du Premier Ministre était issu de l’École nationale d’administration et de magistrature, qui a selon eux une grande influence sur l’administration de l’État partie et dont les responsables ont été à l’origine du « blocage » qui a empêché l’intégration des auteurs conformément à l’article premier du décret no 74/611.

2.5Les auteurs affirment que l’État partie a intégré dans la catégorie prévue par le décret no 74/611, avec les avantages qui y sont liés, au moins une personne, soit Teniu Lezuitikong Joseph, un diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature dont la situation est identique à la leur. Par conséquent, les auteurs devraient avoir bénéficié du même traitement.

2.6Les auteurs disent avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Ils soutiennent aussi que puisque l’État partie n’a pas donné suite aux arrêts de la Cour suprême qui réglaient leur cas, ils ne disposent d’aucun autre recours utile. Ils indiquent enfin que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment être victimes de violations par l’État partie des droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte.

3.2Les auteurs considèrent que l’État partie, en refusant de leur accorder la catégorie et les avantages légaux auxquels ils ont droit, et en n’exécutant pas les arrêts contraignants de la Cour suprême, a violé les dispositions susvisées du Pacte. Ils ajoutent que dans leur cas, il n’existe aucun recours interne utile et disponible. Ils considèrent en outre que le fait d’accorder les avantages prévus à l’article premier du décret no 74/611 à Teniu Lezuitikong Joseph et de les leur refuser constitue un traitement discriminatoire.

3.3Les auteurs font aussi valoir que la raison d’être du décret no 74/611 était précisément de corriger l’inégalité existant entre des fonctionnaires qui, alors qu’ils avaient des qualifications identiques ou équivalentes, qu’ils travaillaient dans la même profession et qu’ils effectuaient le même travail, étaient rémunérés de manière inégale. Ils soutiennent qu’en refusant d’appliquer la législation pertinente dans leur cas et en appliquant cette législation de manière inégale en fonction du parcours de chacun, l’État partie a établi une discrimination à leur encontre et accordé un traitement préférentiel aux agents qui ont étudié à l’École nationale d’administration et de magistrature.

3.4Les auteurs maintiennent que le traitement discriminatoire dont eux-mêmes et leur famille ont été victimes a été à l’origine de graves difficultés et d’une stigmatisation, et qu’ils ont dû faire face à un environnement économique et professionnel « très dur ». Ils considèrent en outre que leur niveau de formation en tant qu’inspecteurs de l’administration financière n’a pas été dûment reconnu, puisqu’ils ne peuvent travailler que comme contrôleurs. De plus, en raison des manœuvres dilatoires de l’État partie, certains des fonctionnaires qui se trouvaient dans la même situation que les auteurs et qui auraient dû bénéficier du décret en question sont décédés, à la retraite ou désormais trop découragés, appauvris ou intimidés pour faire valoir leurs droits.

3.5Les auteurs demandent au Comité de conclure à une violation de leurs droits et d’engager instamment l’État partie à accorder à chaque auteur une indemnité de 100 millions de francs CFA (environ 170 000 dollars des États-Unis) par année de retard dans l’application du décret no 74/611 jusqu’à la date du paiement. Ils prient aussi le Comité de recommander à l’État partie de veiller à l’avenir à l’application du décret no 74/611.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Le 21 juin 2011, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes, arguant que seuls 3 des 23 auteurs avaient saisi les autorités judiciaires. L’État partie a soumis que par les arrêts nos 08/94-95, 09/94-95 et 10/94-95 du 27 octobre 1994, la chambre administrative de la Cour suprême avait fait droit à leur demande, décision confirmée par la Cour suprême. Selon l’État partie, les autres auteurs n’ayant pas épuisé les recours internes rendent l’ensemble de la communication irrecevable en vertu de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.Le 28 juillet 2011, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils ont réfuté l’argument de non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que les arrêts de la Cour suprême ayant conclu à la violation des droits des trois auteurs n’avaient jamais été exécutés et que ces arrêts établissaient un précédent applicable à la situation des autres auteurs. En conséquence, il aurait été vain d’exiger que chacun des auteurs demande la même interprétation du même décret à la même Cour. Dans leurs soumissions additionnelles du 19 novembre 2014, les auteurs se sont opposés à la jonction des affaires nos 2035/2011 et 2213/2012, proposée par l’État partie. Les auteurs ont demandé au Comité de poursuivre l’examen des deux affaires séparément et de recommander à l’État partie de leur accorder une réparation adéquate tenant compte des trente années de « violations systématiques » de leurs droits.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité

6.Le 21 août 2012, l’État partie a demandé que l’examen de la communication soit suspendu en raison des démarches de réparations enclenchées au moyen d’un règlement amiable incluant l’intégration des auteurs dans la fonction publique. Le 17 juillet 2014, l’État partie a indiqué que tous les auteurs avaient reçu les décisions relatives à leur intégration dans la fonction publique ainsi que le versement d’une indemnité de 12,5 millions de francs CFA (environ 20 000 dollars) en moyenne par personne, à titre de revalorisation. Le 19 août 2014, l’État partie a fourni un complément d’information sur l’avancement du processus de règlement amiable, faisant valoir que des mesures avaient été adoptées en faveur des auteurs, y compris leur réintégration, leur promotion et l’octroi d’indemnisations.

Décision du Comité sur la recevabilité

7.1Au cours de sa 116e session, le Comité a considéré la recevabilité de la présente communication, que l’État partie contestait pour deux motifs : a) seulement trois des auteurs avaient formé un recours auprès de la Cour suprême, qui a rendu des arrêts en leur faveur le 14 novembre 2002 et le 27 mars 2003 ; et b) les autres auteurs n’avaient pas engagé de procédure judiciaire, et n’avaient donc pas épuisé tous les recours internes disponibles.

7.2Le Comité a pris note de l’argument des auteurs, qui affirmaient que la prétendue réparation avait été déterminée en dehors de tout accord entre les parties et sans tenir compte des droits accordés aux auteurs par le décret no 74/611, et qu’elle ne constituait donc pas un recours utile. Le Comité a aussi noté qu’il n’avait jamais été donné suite aux arrêts de la Cour suprême reconnaissant la violation des droits des auteurs qui l’avaient saisie.

7.3Le Comité a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes qui ont une chance raisonnable d’aboutir, sans excéder des délais raisonnables. En l’occurrence, le Comité a conclu que les auteurs qui n’avaient pas saisi la Cour suprême avaient des raisons suffisantes de croire qu’un recours portant sur la même question que celle soulevée par certains de leurs collègues n’aurait aucune chance d’aboutir. Dans ces circonstances, le Comité a considéré que les conditions de recevabilité énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif étaient remplies pour tous les auteurs de la présente communication.

7.4Le Comité a noté le grief des auteurs selon lequel ils ont été victimes de l’application discriminatoire du décret no 74/611. Il a noté aussi que l’État partie avait indiqué avoir fait une distinction entre les diplômés des écoles françaises d’administration financière et ceux de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature du Cameroun, mais que le Chef de l’État avait décidé de réintégrer les agents concernés dans la fonction publique et d’allouer à chacun d’eux un dédommagement financier d’environ 20 000 dollars. Le Comité a noté en outre que les auteurs s’étaient opposés à la tentative de l’État partie de considérer les arrêts de la Cour suprême comme constituant une réparation adéquate pour les violations qu’ils avaient subies, puisqu’il n’a été donné aucune suite aux conclusions de la Cour. Au vu des renseignements communiqués, le Comité a estimé que les faits dont il avait été saisi soulevaient des questions au titre des articles 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte ainsi que de l’article 25 (al. c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte, et que cette partie de la communication était en conséquence recevable.

7.5En ce qui concerne les griefs tirés des articles 3 et 8 (par. 3 a)) du Pacte, le Comité a noté que les auteurs n’avaient pas fourni de renseignements précis à cet égard. Il a donc considéré que les auteurs n’avaient pas suffisamment étayé leurs griefs, et a déclaré cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 du Pacte, le Comité a constaté que cette disposition ne créait aucun droit individuel distinct. Ainsi, il a déclaré le grief incompatible avec le Pacte et irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6En conséquence, le Comité a décidé que la communication était recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al. c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Dans sa soumission du 8 juillet 2015, l’État partie considère que les arguments des auteurs relatifs aux violations alléguées de l’article 2 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés.

8.2L’État partie défend la distinction établie entre les diplômés des écoles françaises d’administration financière et ceux de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature du Cameroun. À cet égard, ilaffirme que la priorité accordée aux diplômés de l’institution camerounaise visait à privilégier la formation interne des ressources humaines, ainsi qu’à réduire les coûts, étant donné que la formation des précédents diplômés des écoles françaises d’administration financière était à la charge de l’État partie. L’État partie excipe que, dès lors que la distinction avait un caractère raisonnable et objectif de même qu’un but légitime, elle ne constituait pas une discrimination. Ilajoute que cette procédure était conforme au décret no 75/776, lequel prévoit qu’il est procédé au recrutement des inspecteurs de l’administration financière, compte tenu du caractère et des besoins du service, parmi les licenciés et titulaires d’un diplôme du cycle A de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature, et que l’objectif du décret no74/611 avait été de répondre aux besoins particuliers de l’administration qui ne pouvaient pas être satisfaits par des candidats issus de l’institution camerounaise, et non d’accorder à tous ceux précédemment issus des écoles françaises d’administration financière le droit d’être recrutés en tant qu’inspecteurs.

8.3L’État partie indique que les intéressés étaient cependant recrutés dans la fonction publique en tant que contrôleurs, sans restriction injustifiée ni discrimination, conformément à l’article 25 (al.c)) du Pacte. Ilajoute que c’est pour répondre aux allégations de discrimination soulevées par les auteurs que le Chef de l’État a décidé de réintégrer les fonctionnaires concernés dans la fonction publique et de leur verser une indemnité d’environ 20000 dollarspar personne.

8.4L’État partie prie le Comité, malgré l’absence d’accord formel entre les parties, de mettre fin à l’examen de la communication afin de tenir compte du consensus intervenu entre les parties sur la réparation. Si le Comité décide de poursuivre l’examen, l’État partie lui demande de constater l’absence de violation des articles 2, 25 et 26 du Pacte, et de conclure que les auteurs ont déjà reçu une réparation pour les violations alléguées. L’État partie ajoute que l’indemnité demandée de 100 millions de francs CFA par personne et par année (soit un total de 2,5 milliards de francs CFA) n’est ni raisonnable ni objective.

8.5Dans ses observations supplémentaires du 18 août 2015, l’État partie réfute les allégations des auteurs, qui affirmaient que le cabinet du Premier Ministre avait bloqué le règlement de la question de leur reconstitution de carrière. L’État partie soutient que tous les auteurs de la présente communication sont vivants et que les dires des auteurs concernant les fonctionnaires décédés ne devraient pas être pris en considération,au cas où le Comité déciderait d’examiner la présente communication sur le fond.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur le fond

9.1Dans leurs soumissions du 19 novembre 2014, du 8 mars 2015, du 30 août 2015, du 16 septembre 2016 et du 2 décembre 2016, les auteurs : a) réaffirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 14, 25 et 26 du Pacte, en ce qu’il a procédé à une application discriminatoire du décret no 74/611 sur la base duquel une seule personne, ayant reçu la même formation que les auteurs, a bénéficié d’une intégration au grade d’inspecteur ; b) demandent au Comité d’examiner leur communication sur le fond ; et c) demandent au Comité d’ordonner à l’État partie d’appliquer immédiatement le décret no 74/611 en leur faveur, de les intégrer dans la fonction publique, d’ajuster leurs traitements conformément aux dispositions de l’article premier dudit décret, et de verser une somme de 50 millions de francs CFA par personne et par année de retard, de l’application du décret jusqu’à la date du paiement.

9.2Dans leurs commentaires du 19 novembre 2014, les auteurs font remarquer au Comité que leurs demandes d’indemnisation n’ont pas été contestées ni raisonnablement réfutées par l’État partie. Le 8 mars 2015, ils ajoutent que l’État partie a démontré son intention de ne pas régler l’affaire à l’amiable et,concernant l’examen de la communication, renvoient aux observations générales du Comité no 18 (1989) sur la non-discrimination (par. 7), no 28 (2000) sur l’égalité des droits entre hommes et femmes (par. 3) et no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 4).

9.3Dans leur soumission du 30 août 2015, les auteurs soulignent qu’ils ont été privés pendant plus de trente ans des avantages liés aux grades qui leur revenaient et qu’ils méritaient dans la fonction publique en vertu de la législation en vigueur à l’époque. Ils estiment que la réparation censée résulter de la reconstitution de leur carrière dans la fonction publique a été présentée à tort par l’État partie comme un règlement amiable et qu’elle n’est pas conforme au décret no 74/611, étant donné qu’aucun accord n’a été trouvé sur cette base.

9.4Dans leurs commentairessupplémentaires du 16 septembre 2016, les auteurs interprètent la demande de jonction des deux affaires no 2035/2011 et no 2213/2012 par l’État partie ainsi que la proposition de règlement à l’amiable, que l’État partie n’a pas respectée, comme un aveu de violation des articles 2, 14, 25 et 26 du Pacte. De plus, ils estiment que la réparation supposée, qui ne reconnaît pas leurs droits au titre du décret no 74/611, ne constitue pas un recours utile, car un recours extraordinaire fondé sur une décision discrétionnaire devrait rétablir les droits violés.

9.5Les auteurs affirment que l’État partie les a exposés à des représailles administratives dans la défense de leurs droits, au lieu de leur offrir les recours nécessaires, alors que la Cour suprême du Cameroun a tranché en leur faveur.

9.6Les auteurs soulignent que le fait que l’État partie reconstitue la carrière de l’un d’entre eux et refuse en même temps de prendre la même mesure en leur faveur constitue une discrimination aux termes des articles 2 (par. 3), 14, 25 et 26 du Pacte. Ils soutiennent que le décret no 74/611, appliqué convenablement, devrait permettre à l’État partie de se conformer à l’article 2 du Pacte. Ils estiment que la reconstitution de leur carrière professionnelle ne constitue pas en soi une mesure de réparation, si elle ne tient pas compte des dommages subis sur le long terme, et que les montants qu’ils ont reçus sont ceux auxquels ils ont droit selon la loi, et ne constituent pas une réparation effective au regard des violations continues qu’ils ont subies. Ils soutiennent également qu’en vertu de l’article 2(par. 3) du Pacte, l’État partie a pour obligation de réparer le préjudice dont ils sont victimes.

9.7Les auteurs notent que l’État partie ne conteste pas leur droit à des réparations pour les dommages qu’ils ont subis, mais que les réparations proposées ne sont pas adéquates. Ils demandent au Comité de fixer le montant de la compensation financière réclamée, étant donné que l’État partie ne l’a pas fait en temps utile.

9.8Dans leurs commentaires additionnels du 2 décembre 2016, les auteursfont remarquer que l’État partie ne s’est pas soumis aux exigences de la décision de recevabilité du Comité,puisqu’il n’a pas soumis, dans les six mois suivant la date de la décision, des explications écrites ou des déclarations clarifiant la question et indiquant les mesures éventuelles que l’État pourrait avoir prises, conformément à l’article 4(par. 2) du Protocole facultatif.

9.9Les auteurs soulignent que l’État partie, en plus de les priver d’un recours effectif et du versement de dommages-intérêts appropriés pour les violations injustifiées infligées aux auteurs, a refusé de régler les demandes dues aux collègues et auteurs décédés, sans possibilité de recours effectif pour leurs veuves et héritiers. Les auteurs prient le Comité d’exiger de l’État partie l’octroi des réparations demandées et la mise en place d’un mécanisme d’exécution de la décisiondu Comité.

Délibérations du Comité sur le fond

10.1Conformément à sa décision sur la recevabilité de la présente communication, le Comité doit statuer sur le fond des allégations des auteurs, basées sur les articles 14 (par. 1), 25 (al. c)) et 26 du Pacte,ainsi que sur l’article 25 (al. c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte, conformément à l’article 5(par.1) du Protocole facultatif.

10.2Le Comité prend note des allégations des auteurs,lesquels prétendent qu’en leur ayant refusé pendant trente ans leur intégration dans la fonction publique, au grade prévu par l’articlepremier du décretno 74/611, et les avantages liésà ces grades,l’État partie a violé leurs droits au titre des articles 25 et 26 du Pacte. Le Comité prend également note de l’argument des auteurs selon lequel la reconstitution de leur carrière n’équivaut pas à une réparation adéquate. Il note par ailleurs l’argument de l’État partie selon lequel le placement des auteurs dans la fonction publique à titre de contrôleurs était justifié, en raison de la nécessité de privilégier la formation interne des ressources humaines et de réduire les dépenses de formation engendrées par des précédents diplômés des écoles françaises d’administration financière,dépenses qui étaient à la charge de l’État partie.

10.3Le Comité prend note des réclamations des auteurs, qui affirment que la réparation proposée par l’État partie ne reconnaît pas leurs droits au titre du décret no 74/611, et qu’il n’y a donc pas lieu de parler de recours utile, dans la mesure où un recours extraordinaire fondé sur une décision discrétionnaire devrait rétablir les droits violés. Le Comité note néanmoins les efforts de l’État partie quant à la réparation des torts subis par les auteurs, à savoir la décision du Chef de l’État de réintégrer les fonctionnaires concernés dans la fonction publique et de leur verser une indemnité d’environ 20000 dollars par personne.

10.4Le Comité prend aussi note de l’affirmation des auteurs selon laquelle l’État partie, malgré le versement de ces indemnités,a failli à son obligation de réparer le préjudice qu’ils ont subi et de leur garantir un recours adéquat et effectif, enviolation de l’article 2 (par. 3) du Pacte. Le Comité prend note de la position de l’État partie qui, malgré l’absence d’accord formel entre les parties, lui demande de mettre fin à la communication ou de constater l’absence de violation des articles 2, 25 et 26 du Pacte, et de conclure que les auteurs ont déjà reçu réparation pour les violations alléguées. Le Comité souligne que l’État partie a fait valoir le caractère déraisonnable de l’indemnité de 100 millions de francs CFA réclamée par auteur et par année.

10.5Quant à l’argument des auteurs faisant valoir que la différence de traitement entre eux et des diplômés de l’École nationale d’administration et de magistraturen’est pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le placement des auteurs dans la fonction publique à titre de contrôleurs était justifié par la nécessité de privilégier la formation des ressources humaines dans l’État partieet de réduire les dépenses de formation engendrées par les Camerounais issus des écoles françaises d’administration financière. Le Comité note également que les auteurs n’ont fourni aucune information ou preuve pour contrer les arguments avancés par l’État partie concernant l’objectif légitime poursuivi, ni justifié de toute autre manière que le traitement différencié constituait une discrimination. À cet égard, le Comité note que les auteurs ont simplement identifié un diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature qui se trouverait dans la même situation et qui a été nommé dans la catégorie supérieure prévue par le décret no74/611. Le Comité estime qu’une simple différenciation de traitement entre individus liée à l’avancement ou à la promotion dans la fonction publique, en l’absence d’éléments supplémentaires démontrant en quoi cetraitement n’est pas fondé sur des critères raisonnables et objectifs ou ne poursuit pas un but légitime, ne suffit pas pour constater une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

10.6Le Comitéprend note des allégations soulevées par les auteurs sur cette différence de traitement entre les deux catégories de fonctionnaires, qui engendrerait une violation de l’article 25(al.c)) du Pacte, en ce sens qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’accéder dans des conditions d’égalité à la fonction publique de leur pays. Le Comité observe néanmoins que,bien qu’ils aient été affectés à une catégorie inférieure à celle à laquelle ils prétendent avoir droit en vertu du droit national, les auteurs ont toutefois bien été recrutés en tant que fonctionnaires. En conséquence, ayant par ailleurs déterminé que le traitement discriminatoire n’était pas établi dans le cas présent, le Comité est d’avis que les informations fournies ne lui permettent pas de conclure que les droits des auteurs au titre de l’article 25 (al.c)) du Pacte ont été violés.

10.7Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’État partie n’a pas exécuté les décisions de la Cour suprêmerendues le 14 novembre 2002 en faveur de Robert Tchamba et d’Emmanuel Wandji, et le 27 mars 2003 en faveur de Michelin Libam, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Le Comité note néanmoinsque l’État partie a pris des mesures,dans les années suivant ces décisions, pour donner réparation aux auteurs. Ilprend note, en particulier, de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ces trois auteurs ont été réintégrés etreclassés, et qu’ils ont reçu une indemnité d’environ 20000 dollars chacun à titre de revalorisation. En conséquence, le Comité estime que les informations dont il dispose ne lui permettent pas de conclure que les droits des auteurs au titre de l’article 14(par.1) du Pacte ont été violés.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5(par. 4) du Protocole facultatif, constate que les griefs présentés par les auteurs n’ont pas donné lieu à une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent des articles 14 (par.1), 25 (al.c)) et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al.c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte.