Nations Unies

CCPR/C/122/D/2629/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mai 2018

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2629/2015 * , **

Communication présentée par :

Eduardo Humberto Maldonado Iporre (représenté par un conseil, Zambrana Sea)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

État plurinational de Bolivie

Date de la communication :

21 mai 2015

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 juillet 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28 mars 2018

Objet :

Interdiction faite à un ancien sénateur de se porter candidat à une charge de maire

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication ; griefs insuffisamment fondés ; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond :

Droit d’être élu et droit d’accéder à des fonctions publiques ; interdiction de la discrimination ; garanties d’une procédure régulière

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 à 3), 14 (par. 1), 25 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Eduardo Humberto Maldonado Iporre, de nationalité bolivienne, né en 1968. Il se déclare victime d’une violation par l’État plurinational de Bolivie des droits consacrés aux articles 2 (par. 1 à 3), 14 (par. 1), 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 12 novembre 1982.

1.2Le 29 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait que la question de la recevabilité soit examinée séparément de celle du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a participé aux élections générales du 6 décembre 2009 en tant que candidat du parti Mouvement vers le socialisme (MAS − « Movimiento al Socialismo‑Instrumento político por la Soberanía de los pueblos »). Il était candidat à la charge de sénateur pour le département de Potosí. Après la large victoire remportée par le MAS, la première Assemblée législative plurinationale a été constituée pour la période 2010-2015. L’auteur a été nommé président d’une des commissions du Sénat, la Commission de la Constitution, des droits de l’homme et des élections.

2.2Le 29 juillet 2010, une grève générale a éclaté dans le département de Potosí, ce qui a déclenché un conflit et une rupture des relations entre le Gouvernement central et le département. L’auteur a fait diverses démarches tendant à convaincre le Gouvernement central d’écouter les revendications du département. Faute d’avoir obtenu gain de cause, il s’est joint à la grève de la faim observée par des membres de comités civiques départementaux. Cette grève a pris fin le 16 août 2010, et un projet de loi contre le racisme et toutes les formes de discrimination a été soumis à l’examen de la commission parlementaire présidée par l’auteur. Celui-ci a convoqué des audiences parlementaires auxquelles il a convié des organisations de défense des droits de l’homme et des organes de presse afin de réunir un consensus sur le projet de loi, ce qui a déplu au pouvoir exécutif. Le Président Evo Morales a déclaré publiquement que le projet devait être adopté tel quel, « sans qu’on y change ne fût-ce qu’une virgule ».

2.3Le 4 octobre 2010 le Sénat, disposant des deux tiers des voix nécessaires parmi les membres du MAS, a démis l’auteur de la présidence de la Commission de la Constitution, des droits de l’homme et des élections. L’auteur affirme que cette décision sans précédent a été prise sur instruction du pouvoir politique et prouve l’intolérance de ce dernier et la subordination de l’organe législatif à l’organe exécutif. En 2011, l’auteur a critiqué plusieurs actions de l’exécutif, notamment la répression par la police d’une manifestation de peuples autochtones opposés à la construction d’une route traversant le Territoire autochtone et parc national Isiboro-Sécure et l’adoption d’un projet de loi visant à mettre une partie du désert de sel d’Uyuni à la disposition de coopératives minières. En 2012 et en 2014, il s’est opposé à l’adoption de deux autres projets de loi concernant, respectivement, la redistribution des sièges parlementaires et l’industrie minière et métallurgique. L’auteur affirme que ses critiques à l’égard du pouvoir exécutif, motivées par la défense des intérêts de son département et des droits de l’homme et par la nécessité de protéger les ressources naturelles, ont été à l’origine d’un éloignement progressif du parti au pouvoir.

2.4Le 28 avril 2014, l’organe électoral plurinational a convoqué des élections générales pour le 12 octobre 2014. Les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale (députés et sénateurs) ont été autorisés à se présenter en vue d’une réélection pour 2015-2020 alors qu’ils avaient pourtant tous résidé à La Paz, siège du Parlement, pendant la législature précédente. Si l’article 149 de la Constitution dispose que les candidats à l’Assemblée plurinationale doivent avoir résidé de façon permanente dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter pendant les deux années précédant immédiatement le scrutin, l’organe électoral plurinational a néanmoins estimé que les députés et sénateurs résidaient de façon permanente dans le département constituant leur circonscription, et non à La Paz, où ils exerçaient leurs activités parlementaires.

2.5Les articles 285.I et 287.I de la Constitution exige également que les candidats aux organes exécutifs, conseils et assemblées de gouvernements locaux autonomes aient résidé pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter.

2.6Le 30 octobre 2014 a été promulguée la loi électorale transitoire no 587 sur les élections locales de 2015. Ce texte disposait que les règles concernant la composition des organes élus et l’éligibilité des candidats aux élections locales du 29 mars 2015 seraient les mêmes que pour les élections précédentes, tenues le 4 avril 2010. Le 14 novembre 2014, le Tribunal électoral suprême a publié la circulaire no 52/2014, dans laquelle il précisait que, pour justifier de leur résidence dans tel ou tel département, les candidats devaient produire une déclaration faite devant notaire et une attestation d’inscription sur les listes électorales locales. En décembre 2014, le règlement régissant l’élection des autorités politiques départementales, régionales et municipales (élections locales de 2015) a été adopté ; il confirmait les conditions énoncées dans la circulaire no 52/2014.

2.7L’auteur explique que, comme il était de notoriété publique que plusieurs membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS avaient l’intention de se présenter aux élections locales de 2015 comme candidats aux fonctions de maire de diverses municipalités importantes, le 18 décembre 2014, le Tribunal électoral suprême a publié la circulaire no 71/2014, par laquelle il interdisait aux députés et sénateurs de la législature 2010-2015 de faire acte de candidature à des charges locales, à l’exception de celles de gouverneur et de député départemental.

2.8Le 18 décembre 2014 également, les deux chambres de l’Assemblée plurinationale (la Chambre des sénateurs et la Chambre des députés) ont séparément publié des déclarations par lesquelles elles s’opposaient à la circulaire no 71/2014 au motif qu’elle enfreignait l’article 26 de la Constitution, qui garantit à la population le libre exercice des droits politiques. Le même jour, l’auteur a démissionné de sa charge de sénateur.

2.9Le 29 décembre 2014, l’auteur a présenté sa candidature à la charge de maire de la municipalité de Potosí, chef-lieu du département du même nom, par l’intermédiaire du groupement citoyen Poder Popular. Pour justifier de sa résidence, il a produit une déclaration faite devant notaire et une attestation d’inscription sur les listes électorales municipales, en application des dispositions de la loi électorale transitoire no 587 et de la circulaire no 52/2014. Le 13 janvier 2015 le Tribunal électoral du département de Potosí a rendu la décision no E-04/2015, par laquelle, sur le fondement de la circulaire no 71/2014, il interdisait à l’auteur de faire acte de candidature au motif qu’il avait été sénateur pendant la législature précédente.

2.10Le groupement Poder Popular, agissant au nom de l’auteur, a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal électoral suprême, qui l’a débouté par la décision no 95/2015 du 19 janvier 2015 au motif que l’auteur ne satisfaisait pas à la condition selon laquelle il devait avoir résidé de façon permanente à Potosí pendant les deux années précédant le scrutin, fixée à l’article 285.I de la Constitution, parce que, pendant la majeure partie de la période 2010-2014, il avait résidé dans la ville où l’Assemblée plurinationale siégeait. Le Tribunal a en outre estimé que la circulaire no 71/2014 n’avait pas pour effet de restreindre ou de nier les droits politiques et qu’elle donnait simplement effet à l’article 281.I de la Constitution.

2.11L’auteur précise que, conformément à l’article 11 de la loi no 18 relative à l’organe électoral plurinational, la décision du Tribunal électoral suprême n’était pas susceptible de recours et les recours internes avaient donc été épuisés. Cela étant, le 30 janvier 2015, l’auteur et le groupement Poder Popular ont formé un recours en amparo constitutionnel contre la décision no 95/2015 du Tribunal électoral. Le 5 février 2015, la première chambre civile du Tribunal départemental de justice de La Paz, siégeant en qualité de tribunal des garanties, a ordonné que soient rectifiés trois vices de forme. Le 11 février 2015, le tribunal a rendu la décision no AA-03/2015, jugeant que le recours en amparo constitutionnel était nul et non avenu parce que le groupement Poder Popular n’avait pas démontré qu’il était doté de la personnalité juridique. Le 19 février 2015, l’auteur a introduit un nouveau recours en amparo. À une audience du 4 mars 2015, le tribunal a rendu la décision no AA‑08/2015, par laquelle il rejetait le recours motif pris de ce que : a) ni l’auteur ni Poder Popular n’avaient contesté la circulaire no 71/2014, au contraire, ils l’avaient tacitement approuvée en en respectant les dispositions ; b) c’était Poder Popular et non l’auteur qui avait interjeté appel de la décision no E-04/2015.

2.12L’auteur souligne que, en application des articles 41 à 43 de la Constitution, le Tribunal des garanties a vingt-quatre heures pour faire connaître sa décision au Tribunal constitutionnel plurinational, qui dispose à son tour de cinquante jours pour confirmer ou annuler cette décision. Or, à la date de la présentation de la communication au Comité, ce délai était expiré et le Tribunal constitutionnel n’avait toujours pas statué.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que, en interdisant aux députés et aux sénateurs de se porter candidats à certaines charges locales, la circulaire no 71/2014 outrepasse les dispositions de la Constitution. D’après lui, la condition selon laquelle les candidats doivent avoir résidé de manière permanente pendant deux ans dans la circonscription dans laquelle ils souhaitent être élus, établie aux articles 285.I et 287.I de la Constitution, vise à éviter que des personnes n’ayant aucune connaissance de la situation d’une circonscription donnée briguent des charges d’élu, et non à empêcher les membres de l’Assemblée plurinationale − obligés de se déplacer à La Paz dans le cadre de leur mandat − d’être candidats à d’autres charges dans une circonscription qu’ils représentent déjà. En publiant la circulaire no 71/2014, le Tribunal électoral suprême a restreint les droits politiques, et ce, alors qu’il n’est pas habilité à interpréter la Constitution ni à légiférer. L’auteur signale que, après avoir été élu sénateur pour le département de Potosí aux élections générales de 2009, pendant toute la législature 2010-2015, il a fait la navette entre La Paz, où il passait la semaine pour exercer ses fonctions parlementaires, et Potosí, sa résidence permanente, où il séjournait les week-ends et lorsque se tenaient des réunions organisées dans le cadre des« semaines régionales ». Par conséquent, tant l’adoption de la circulaire no 71/2014 que le recours à celle-ci pour l’empêcher de se porter candidat au poste de maire aux élections du 29 mars 2015 constituent une violation du droit consacré par l’article 25 b) du Pacte.

3.2L’auteur se déclare victime d’un traitement discriminatoire par rapport aux députés et sénateurs de la législature 2010-2015 qui ont résidé à La Paz pendant cette période et ont pu se porter candidats : a) aux élections générales du 12 octobre 2014, au cours desquelles ont été élus les membres de la législature 2015-2020 (voir par. 2.4) ; b) aux élections du 29 mars 2015, aux cours desquelles ont été élus les gouverneurs et les députés départementaux − fonctions exclues de l’interdiction sans aucune justification alors que ce sont les plus élevées au niveau local ; c) aux élections locales du département de La Paz qui ont eu lieu le 29 mars 2015. Il soutient que la circulaire no 71/2014 avait pour objectif d’exclure du processus électoral les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale qui, comme lui, étaient dissidents du MAS, et ce, en raison de leur position ou opinion politique, en violation des articles 25 c) et 26 du Pacte.

3.3L’auteur allègue que les dispositions de la circulaire no 71/2014 n’étaient ni raisonnables ni objectives car elles empêchaient les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale de faire acte de candidature à certaines charges locales, mais pas à d’autres (gouverneur et député départemental), ce qui était injustifié. Il affirme que cette distinction repose sur des motifs politiques et n’est pas fondée en droit. Par conséquent, l’interdiction qui lui a été faite de briguer la fonction de maire ne reposait pas sur des critères objectifs et raisonnables et a constitué une violation de l’article 25 a) et b), lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte.

3.4L’auteur ajoute que la condition de résidence établie dans la Constitution et par d’autres règles de droit interne est déraisonnable et discriminatoire. Selon lui, le fait de lui avoir interdit de se porter candidat à la charge de maire parce qu’il ne remplissait pas cette condition a constitué une violation supplémentaire des articles 25 et 26 du Pacte.

3.5L’auteur affirme que l’organe électoral plurinational, composé des tribunaux électoraux départementaux et du Tribunal électoral suprême, n’est pas indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ce manque d’indépendance s’est manifesté par l’avantage donné aux candidats du MAS, dont certains adversaires n’ont pas pu se présenter aux élections locales de mars 2015 parce qu’ils représentaient des partis qui avaient été privés de la personnalité juridique. L’auteur ajoute que, avant les élections, le Président Evo Morales et le Vice‑Président Álvaro García ont publiquement menacé les habitants de certaines communes de ne pas financer des travaux publics s’ils ne votaient pas pour les candidats du MAS. L’organe électoral plurinational aurait dû saisir le parquet pour qu’une enquête pénale soit ouverte, mais il n’a rien fait. De son côté, le bureau du Défenseur du peuple a fait paraître, le 27 mars 2015, un communiqué dans lequel il exprimait sa préoccupation face au manque de transparence, d’efficacité, de sérieux et de sens des responsabilités dont l’organe électoral plurinational avait fait preuve dans le contexte des élections du 29 mars 2015. Le manque d’indépendance du Tribunal électoral suprême s’explique par le fait que ce tribunal est composé de personnes étroitement liées au MAS, dont le vice-président, nommé directement par le Président Evo Morales, et trois autres juges, qui ont tous approuvé la décision no 95/2015 par laquelle l’auteur a été déclaré inéligible.

3.6L’auteur affirme que le Tribunal électoral suprême a aussi manqué d’impartialité car les juges se sont publiquement exprimés à six reprises sur l’issue du recours plusieurs jours avant de rendre leur décision et ont de surcroît adopté la circulaire no 71/2014, qui nuisait aux intérêts des candidats dissidents du MAS et favorisait ceux des candidats fidèles au parti.

3.7L’auteur fait remarquer que le Tribunal électoral suprême et le tribunal départemental de justice de La Paz ont interprété les dispositions internes de façon arbitraire étant donné que la Constitution (art. 285.I et 287.I) et la circulaire no 52/2014 exigent que les candidats résident de manière permanente − et non temporaire − dans leur circonscription pendant les deux années précédant immédiatement le scrutin.

3.8L’auteur affirme que, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le tribunal qui a statué sur son recours en amparo n’a pas non plus été indépendant et impartial et a subi les ingérences du pouvoir exécutif, qui s’immisce régulièrement dans les affaires de l’appareil judiciaire, comme l’ont relevé le Comité et d’autres organes internationaux. En outre, le tribunal a mis trente-trois jours pour se prononcer alors que l’article 129 de la Constitution exige un examen immédiat et une décision dans un délai de quarante-huit heures. L’auteur signale que trois autres membres de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS qui ont été interdits de participation aux élections locales de 2015 ont aussi vu leur recours examiné tardivement en raison de prétendus vices de forme. Il souligne de surcroît que, même si le Tribunal constitutionnel avait fini par annuler la décision relative à son recours en amparo, cela n’aurait servi à rien étant donné que les élections avaient déjà eu lieu au moment du prononcé de la décision.

3.9L’auteur soutient que le fait que le Tribunal constitutionnel n’avait toujours pas statué sur la décision portant rejet de l’amparo à la date de la soumission de la communication au Comité alors que le délai légal était dépassé constitue un manquement à l’obligation de diligence énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, au droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 de l’article 2, et à l’obligation de l’État partie de prendre des mesures effectives pour permettre à l’auteur d’exercer ses droits politiques établie au paragraphe 2 de l’article 2.

3.10À titre de mesures de réparation, l’auteur demande : a) une mesure de satisfaction, à savoir la reconnaissance publique du tort causé, ainsi qu’une indemnisation couvrant les dépenses engagées pour sa candidature et sa campagne électorale, le coût des déplacements effectués à La Paz aux fins des démarches administratives et judiciaires liées à la procédure et les honoraires des conseils qui l’ont représenté devant les organes nationaux et internationaux ; b) l’abrogation ou la révision des dispositions législatives qui empêchent les membres de l’Assemblée plurinationale de se porter candidats à des charges locales ; c) l’abrogation des dispositions de la Constitution et de la loi électorale qui subordonnent l’exercice des droits politiques à une condition de résidence ; d) l’adoption d’un texte législatif garantissant des recours rapides, opportuns et utiles contre les décisions de l’organe électoral plurinational attentatoires aux droits politiques ; e) la mise en place d’un mécanisme de nomination des membres du Tribunal électoral suprême et des tribunaux électoraux de département fonctionnant de manière transparente et garantissant l’indépendance et l’impartialité des institutions concernées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 3 septembre 2015, l’État partie objecte que la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Premièrement, l’auteur aurait dû présenter un recours en amparo constitutionnel contre la circulaire no 71/2014 du Tribunal électoral suprême, et non contre les décisions qui l’ont empêché de se porter candidat à la charge de maire lors des élections de 2015. En n’attaquant pas cette circulaire par la voie de l’amparo, l’auteur a manifesté son acceptation de ce texte. Deuxièmement, le recours en amparo que l’auteur a formé à tort contre la décision no 95/2015 du Tribunal électoral suprême n’a pas été définitivement tranché, le Tribunal constitutionnel ne s’étant pas encore prononcé sur la décision par laquelle le Tribunal des garanties a rejeté l’amparo. Troisièmement, l’auteur aurait pu soumettre ses griefs de discrimination à la juridiction pénale ou à la juridiction administrative sur le fondement la loi no 45 du 8 octobre 2010 sur la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination.

4.2L’État partie allègue un abus du droit de présenter des communications au motif que le Comité n’a pas compétence pour ordonner aux États parties de prendre des mesures de réparation telles celles qui sont demandées par l’auteur, d’autant que ces mesures vont au‑delà de ce qui est prévu par les mécanismes subsidiaires de protection des droits de l’homme. En particulier, la responsabilité des dépenses engagées par l’auteur dans le cadre de la campagne électorale et après résulte de la négligence de l’intéressé et ne saurait être attribuée à l’État partie. Pour ce qui est des dispositions législatives dont la révision est demandée, l’État partie fait observer qu’elles ont été adoptées pendant que l’auteur siégeait à l’Assemblée et que l’intéressé ne s’est pas élevé contre leur adoption.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que le grief tiré de l’article 26 du Pacte n’est pas suffisamment étayé. D’une part, pour arguer d’une violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination énoncé à l’article 26, d’autres droits protégés par le Pacte doivent avoir été enfreints − il n’est pas possible d’alléguer seulement une violation de l’article 26. D’autre part, l’auteur n’a pas démontré qu’il avait fait l’objet d’un traitement défavorable par rapport à celui dont avaient bénéficié d’autres personnes dans des situations comparables, ni qu’il avait été traité de manière arbitraire ou déraisonnable. La circulaire no 71/2014 n’était pas discriminatoire puisqu’elle s’appliquait sans distinction à tous les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale.

4.4L’État partie souligne que la condition de résidence vise à assurer que les personnes qui aspirent à représenter les intérêts d’une population régionale ou municipale ont une connaissance directe de la situation socioéconomique et culturelle de leurs administrés, ce qui ne peut pas être le cas des membres de l’Assemblée législative plurinationale, dont le mandat exige qu’ils résident à La Paz. Si la circulaire no 71/2014 établit une distinction entre les charges départementales et les charges municipales, c’est parce que les circonscriptions départementales sont constituées de plusieurs communes et il serait impossible pour les candidats de résider dans chacune. Par contre, la condition de résidence se justifie pour les représentants municipaux, qui doivent avoir établi une relation étroite avec les administrés, ce qui n’est possible que s’ils ont résidé sans interruption dans la commune pendant au moins deux années. Rien n’empêche la personne qui a été titulaire d’un mandat à l’Assemblée plurinationale de se porter par la suite candidate à une charge départementale étant donné que, pendant leur mandat, les député et les sénateurs représentent le département.

4.5L’État partie signale que la nomination du vice-président du Tribunal électoral suprême est régie par les dispositions de la Constitution (art. 172) et de la loi no 18 sur l’organe électoral plurinational (art. 13).

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une communication du 15 octobre 2015, l’auteur répond que le recours en amparo constitutionnel prévu par l’article 129 de la Constitution n’est ouvert qu’en cas de dommage ou préjudice direct pour la personne concernée. D’après la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, l’amparo ne peut pas être utilisé pour contester une norme in abstracto étant donné que cela reviendrait à dénoncer une action ou une omission concernant une situation juridique générale qui ne porte pas concrètement et directement préjudice à l’intéressé et est donc sans conséquence pour lui. Partant, la circulaire no 71/2014 ne peut pas faire l’objet d’un recours en amparo. L’auteur insiste sur le fait que les recours internes ordinaires ont été épuisés lorsqu’il a interjeté appel devant le Tribunal électoral suprême et ajoute que, en tout état de cause, puisque le Tribunal constitutionnel ne s’est toujours pas prononcé sur le rejet de l’amparo, la procédure d’examen de son recours est excessivement longue et a dépassé le délai légal. Pour ce qui est du recours prévu par la loi no 45, l’auteur signale que l’article 12 de ce texte dispose que les personnes qui ont subi des actes de racisme ou de discrimination peuvent saisir les instances constitutionnelles, administratives, disciplinaires ou pénales. La loi n’impose donc pas d’épuiser les recours de toutes les juridictions. L’auteur a choisi de saisir le tribunal électoral, ce qui était la solution la plus appropriée car l’action pénale n’aboutit pas au rétablissement des droits politiques, mais à la détermination de la responsabilité pénale et à la sanction des responsables.

5.2L’auteur soutient que le principe selon lequel les victimes doivent obtenir réparation intégrale du préjudice subi est un principe fondamental du droit international des droits de l’homme et que les mesures de réparation qu’il demande, à savoir une indemnisation, le remboursement des frais de justice et la révision de la législation, sont des mesures couramment prescrites par le Comité. En ce qui concerne la révision de la législation, l’auteur signale que, en sa qualité de sénateur, il aurait certes pu mettre en question la constitutionnalité d’une règle de droit, mais il n’aurait pas pu contester la condition de résidence car celle-ci est prévue dans la Constitution.

5.3L’auteur affirme que l’État partie confond la nature du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte avec celle de l’article 26. Si le paragraphe 1 de l’article 2 ne peut être invoqué que conjointement avec d’autres dispositions, ce n’est pas le cas de l’article 26, qui consacre un droit à part entière. En l’espèce, l’auteur allègue une violation de l’article 26, lu seul et conjointement avec l’article 25. Il insiste sur le fait qu’il a bénéficié d’un traitement défavorable par rapport à d’autres membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale pendant qui se trouvaient dans la même situation que lui.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une communication du 29 février 2016, l’État partie signale que, en décembre 2014, le Tribunal électoral suprême a adopté un règlement (voir par. 2.6) qui l’habilitait à régler, par voie de circulaire, des aspects techniques et fonctionnels de l’administration et du déroulement des élections de 2015. La circulaire no 71/2014 n’est autre qu’un instrument strictement fonctionnel venant préciser le champ d’application des règles constitutionnelles.

6.2L’État partie soutient que les États parties ont toute latitude pour introduire dans leur législation des limites et des restrictions à l’exercice des droits consacrés par le Pacte, sous réserve qu’elles soient conformes aux principes de légalité et de proportionnalité. L’obligation constitutionnelle faite aux candidats d’avoir résidé de façon permanente pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter obéit à la nécessité d’assurer la légitimité et la compétence des représentants du peuple, qui doivent avoir une relation particulière, permanente et privilégiée avec leurs administrés. L’État partie signale que plusieurs pays de la région ont adopté des dispositions comparables. La condition de résidence vise à garantir que les élus peuvent défendre les intérêts de ceux qu’ils représentent parce qu’ils ont une connaissance directe de la situation sociale, culturelle et économique locale. Les charges municipales sont très différentes des charges départementales et nationales car elles exigent une relation de proximité particulière avec la population.

6.3L’État partie souligne que la possibilité qu’a le Président de la République de nommer un juge du Tribunal électoral suprême est reconnue par la Constitution et par la loi (voir par. 4.5) et ne compromet nullement l’impartialité et la compétence de l’organe électoral plurinational. C’est l’Assemblée législative qui élit les six autres juges.

6.4L’État partie fait remarquer que l’auteur a formé deux recours en amparo. Le premier, introduit par le groupement Poder Popular, a été rejeté parce qu’il présentait des vices de forme qui n’ont pas été rectifiés (voir par. 2.11). Le 5 février 2015, le Tribunal des garanties avait relevé trois vices concernant la preuve de la personnalité juridique du groupement et demandé des éclaircissements, mais l’auteur n’a pas fait le nécessaire. Le 19 février 2015, l’auteur a déposé un nouveau recours en amparo, qui a été jugé recevable le 25 février 2015 et a donné lieu à une audience tenue le 4 mars 2015. Par la décision no AA-08/2015, rendue le même jour, le tribunal a rejeté le recours au motif que l’auteur n’avait pas contesté la circulaire no 71/2014 en temps opportun et était donc réputé en avoir accepté les dispositions. Le 29 septembre 2015, le Tribunal constitutionnel a confirmé cette décision.

6.5L’État partie soutient que la charge de la preuve incombe à la personne qui se dit victime de discrimination et que, en l’espèce, l’auteur n’a fourni aucun élément probant à l’appui de ses griefs, qui ne sont que des suppositions dénuées de fondement. L’auteur compare sa situation de candidat à la charge de maire d’une commune à deux situations complètement différentes, à savoir celle des candidats à la réélection à un nouveau mandat à l’Assemblée plurinationale et celle des candidats à des charges départementales. La situation des membres de l’Assemblée plurinationale qui se sont portés candidats à des charges dans le département de La Paz n’est pas non plus comparable à celle de l’auteur étant donné que ces personnes candidats remplissaient la condition de résidence.

6.6L’État partie affirme qu’il s’est toujours acquitté de l’obligation d’adopter des normes de droit compatibles avec le Pacte et de garantir des recours utiles et rapides devant la juridiction électorale et la juridiction constitutionnelle.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une communication du 1er mai 2016, l’auteur avance que l’obligation faite aux candidats d’avoir résidé pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter, faite à l’article 285.I de la Constitution, s’applique aux candidats à tous les organes exécutifs autonomes, non seulement aux niveaux municipal et régional, mais aussi au niveau départemental. La seule différence concerne l’âge des candidats (qui doivent avoir 21 ans au moins pour pouvoir exercer des fonctions municipales et 25 ans au moins pour pourvoir exercer des fonctions départementales ou régionales). L’auteur ajoute que l’argument de l’État partie selon lequel les représentants municipaux ont une relation particulière avec leurs administrés est déraisonnable et contraire à la Constitution.

7.2L’auteur fait observer que, avant de publier la circulaire no 71/2014, le Tribunal électoral suprême avait déjà adopté la circulaire no 52/2014, qui régissait les élections locales de 2015 et expliquait comment les candidats pouvaient justifier du fait qu’ils avaient résidé de manière permanente pendant deux années dans la circonscription qu’ils souhaitaient représenter. La circulaire no 71/2014 a été adoptée plus tard avec pour seul objectif d’empêcher les membres de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS de se présenter aux élections en introduisant des critères d’éligibilité non prévus dans la Constitution. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, elle n’a donc pas qu’un caractère technique et fonctionnel.

7.3En ce qui concerne la condition de résidence prévue dans la Constitution, l’auteur fait observer que les États d’Amérique latine cités par l’État partie n’imposent pas des conditions particulières aux candidats aux élections municipales. Il insiste sur le fait que la circulaire no 71/2014 a entraîné une application arbitraire et sélective de la condition de résidence car elle concernait uniquement certaines charges et certaines élections (celles de mars 2015), restriction qui n’existait pas lors des élections précédentes.

7.4L’auteur rappelle que l’article 25 a) du Pacte exige que toute restriction à un droit soit apportée par un texte législatif alors que, ses droits ont été restreints par voie de circulaire administrative, norme de rang inférieur à la loi.

7.5L’auteur affirme que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte exige non seulement que les tribunaux soient impartiaux, mais aussi qu’ils paraissent impartiaux à un observateur neutre. Or, tous les juges de la chambre du Tribunal électoral suprême saisie de l’appel interjeté contre la décision d’inéligibilité dont il a fait l’objet avaient été nommés en raison de leur relation étroite avec le parti au pouvoir. L’auteur fait observer que l’une des juges de ce tribunal a ultérieurement admis devant des journalistes que le Tribunal avait commis une erreur lorsqu’il avait reconnu la validité de la circulaire no 71/2014 et décidé d’empêcher d’anciens membres de l’Assemblée plurinationale de se présenter aux élections locales.

7.6L’auteur fait observer que l’État partie n’a pas commenté les allégations relatives au manque d’indépendance et d’impartialité du Tribunal constitutionnel. Il signale que tous les candidats concernés par la circulaire no 71/2014 ont formé des recours et que ces recours ont été rejetés par la juridiction électorale et par la juridiction constitutionnelle. Il ajoute que le Tribunal constitutionnel a rejeté son recours en amparo sans examiner le fond des griefs simplement parce qu’il contestait la circulaire no 71/2014.

7.7Enfin, l’auteur souligne que le Tribunal constitutionnel a mis deux cent vingt jours à rendre sa décision alors que le délai légal est de cinquante jours et ne s’est prononcé qu’une fois les élections locales terminées. En outre, il conteste l’argument de l’État partie selon lequel le retard pris dans la procédure en première instance est dû au fait qu’il a tardé à rectifier des vices de forme. Il insiste sur le fait que les objections de forme soulevées par le Tribunal des garanties étaient arbitraires et dénuées de fondement légal (voir par. 2.11). L’auteur souligne en outre que l’amparo a été rejeté pour deux raisons : il n’avait pas contesté la circulaire no 71/2014, et l’appel contre la décision no E-04/2015 avait été interjeté par le groupement Poder Popular et non directement par lui-même. Or, selon lui, la loi no 26 sur les élections prévoit que les organisations politiques ne peuvent traiter avec l’organe électoral que par l’intermédiaire de leurs délégués ; l’interprétation du Tribunal des garanties était donc erronée et contraire à la loi. L’auteur ajoute que le Tribunal électoral suprême a examiné son recours et rendu la décision no 95/2015 sans mettre en doute la qualité pour agir de l’organisation politique (voir par. 2.10).

Renseignements supplémentaires des parties

8.1Les 31 octobre 2016 et 22 septembre 2017, l’État partie a fait parvenir des observations dans lesquelles il répète ses arguments concernant la recevabilité et le fond de la communication. Il souligne que la circulaire no 71/2014 avait pour objet de rappeler aux candidats l’obligation de résidence imposée par la Constitution et n’établissait aucune distinction entre les dissidents politiques et les partisans du pouvoir en place. Il fait remarquer que si la seule différence établie dans la Constitution concerne l’âge de candidature aux différentes charges, le règlement régissant les élections locales de 2015 habilitait le Tribunal électoral suprême à régler les aspects techniques et fonctionnels non couverts par ses dispositions. La circulaire no 71/2014 a été prise dans ce contexte et visait non à restreindre arbitrairement des droits, mais à tenir compte de la nature particulière des charges municipales.

8.2L’État partie fait observer que le Tribunal des garanties a rejeté l’amparo parce qu’il était empêché d’examiner le fond du recours au motif que celui-ci avait été introduit par un représentant de Poder Popular et non par l’auteur en sa qualité de partie lésée.

9.Dans une réponse du 21 novembre 2017, l’auteur soutient que les observations supplémentaires de l’État partie n’apportent aucun élément nouveau et réitère ses allégations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés (voir par. 4.1) puisque : a) l’auteur aurait dû former un recours en amparo contre la circulaire no 71/2014 et non contre les décisions du Tribunal électoral qui l’ont empêché d’être candidat au poste de maire lors des élections de mars 2015 ; b) le Tribunal constitutionnel ne s’était pas encore prononcé sur le recours en amparo lorsque la communication a été présentée ; c) l’auteur aurait dû soumettre ses griefs de discrimination à la juridiction pénale ou à la juridiction administrative, sur le fondement de la loi no 45 relative à la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination. Le Comité note toutefois que l’auteur soutient, et l’État partie ne conteste pas, que d’après l’interprétation du Tribunal constitutionnel, l’amparo ne peut pas viser une norme in abstracto car le requérant doit avoir subi un dommage ou un préjudice direct (voir par. 5.1). Il note également que, par jugement du 29 septembre 2015, le Tribunal constitutionnel a confirmé la décision de rejet de l’amparo et, par conséquent, la voie constitutionnelle a été épuisée (voir par. 6.4 et 7.7). Enfin, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel la loi no 45 invoquée par l’État partie n’exige pas l’épuisement des recours offerts par toutes les juridictions et saisir la juridiction électorale était la solution la plus appropriée pour obtenir réparation pour une violation des droits politiques (voir par. 5.1). Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication représente un abus du droit de présenter des communications parce que le Comité n’a pas compétence pour accorder les mesures de réparation demandées et, en tout état de cause, certaines de ces mesures sont destinées à remédier les conséquences de la négligence de l’auteur (voir par. 4.2). Le Comité fait remarquer que, conformément à la procédure établie par le Protocole facultatif, il a compétence pour déterminer les mesures que l’État partie doit prendre afin de réparer les violations du Pacte constatées et d’empêcher qu’elles se reproduisent. Rien n’interdit aux auteurs de communications de demander telle ou telle mesure de réparation, le Comité n’étant pas lié par leur demande. En outre, le Comité est d’avis que la question de savoir si l’auteur a été négligent dans les procédures engagées devant les juridictions internes est étroitement liée au fond de l’affaire. Par conséquent, il estime que l’article 3 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.4L’État partie a fait valoir que le grief de violation de l’article 26 du Pacte n’était pas suffisamment étayé parce que l’article 26 ne pouvait pas être invoqué seul et l’auteur n’avait pas donné d’exemples de situations comparables à la sienne venant démontrer qu’il avait effectivement été victime d’un traitement discriminatoire (par. 4.3). Le Comité rappelle que l’article 26 du Pacte vient certes réaffirmer la garantie énoncée au paragraphe 1 de l’article 2, mais consacre aussi un droit à part entière. De surcroît, le Comité estime que l’auteur a avancé des arguments suffisant à démontrer qu’il avait été traité défavorablement par rapport aux autres candidats aux élections locales de 2015 (voir par. 3.2 à 3.8). Selon lui, ses allégations sont étroitement liées au fond de l’affaire et doivent être examinées au fond.

10.5Le Comité constate que l’auteur argue que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé car l’organe électoral plurinational a manqué d’indépendance et d’impartialité (voir par. 3.5 à 3.7). Il note toutefois que les décisions de cet organe dont l’auteur tire argument concernent des affaires différentes de l’espèce et n’ont rien à voir avec l’interdiction de se porter candidat à la charge de maire aux élections locales de 2015. Le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré en quoi la composition du Tribunal électoral suprême avait empêché les juges de faire preuve de toute l’indépendance voulue pour statuer sur son recours, ni en quoi le mode de nomination des membres du Tribunal électoral suprême ne permettait pas de garantir l’indépendance des juges. Enfin le Comité constate que les déclarations que les juges du Tribunal électoral suprême ont faites avant de rendre la décision no 93/2015, par lesquelles ils ont approuvé la teneur de la circulaire no 71/2014, étaient générales et ne concernaient pas expressément la question de l’éligibilité de l’auteur. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité en ce qu’il n’a pas démontré que le Tribunal électoral suprême n’avait pas bénéficié de toute l’indépendance voulue, que ce soit en droit ou en pratique. Partant, le Comité déclare ce grief irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité note que l’auteur argue que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé car le tribunal saisi du recours en amparo a subi les ingérences du pouvoir exécutif, ce qui a porté atteinte à son indépendance (voir par 3.10). Il constate toutefois que l’auteur n’a fourni aucun élément venant expressément étayer cette allégation. En conséquence, il estime que ce grief n’est pas suffisamment étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7En ce qui concerne les allégations de violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, fondées sur le fait que le Tribunal constitutionnel a rendu sa décision alors que le délai fixé par la loi était dépassé (voir par. 2.12, 3.8 et 3.9), le Comité rappelle qu’il est établi dans sa jurisprudence que les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent une obligation générale à l’intention des États parties et ne peuvent être invoquées seules dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.8Le Comité estime toutefois que les griefs tirés des articles 25 et 26 du Pacte, concernant l’inéligibilité de l’auteur à la charge de maire lors des élections de 2015, ainsi que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, concernant le manque d’indépendance et d’impartialité de la juridiction constitutionnelle saisie du recours en amparo formé par l’intéressé, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il les déclare recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des griefs fondés sur l’article 25 du Pacte, selon lesquels l’auteur a été empêché de se porter candidat à la charge de maire de Potosí par la circulaire no 71/2014 prise par le Tribunal électoral suprême ; ladite circulaire interdisait aux membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale d’être candidats aux élections locales de 2015, mais pas aux élections départementales, ce qui n’était pas justifié ; cette interdiction était dénuée de fondement légal et s’écartait de l’interprétation de la loi et de la pratique en vigueur jusqu’alors, étant donné que, si les articles 149, 285.I et 287.I de la Constitution imposent à tout candidat à des charges parlementaires et exécutives d’avoir résidé de façon permanente dans la circonscription qu’il souhaite représenter pendant les deux années précédant le scrutin, l’organe électoral plurinational a conclu que la résidence était établie par l’inscription sur les listes électorales de la circonscription en question et par une déclaration faite devant notaire ; selon l’interprétation donnée jusqu’alors par le Tribunal électoral suprême lui-même, la résidence permanente des membres de l’Assemblée plurinationale était le département qu’ils représentaient et non La Paz, où ils exerçaient leurs activités parlementaires ; en introduisant cette interdiction, le Tribunal électoral suprême a outrepassé ses pouvoirs, étant uniquement habilité à régler par voie de circulaire des questions techniques, et restreint de façon illégale et injustifiée le droit de l’auteur de se porter candidat à la charge qu’il briguait (voir par. 2.3 à 2.6 et 3.1 à 3.4).

11.3L’État partie a soutenu que la circulaire no 71/2014 était un instrument technique et fonctionnel qui visait simplement à rappeler l’obligation imposée par la Constitution d’avoir résidé dans la circonscription de candidature pendant les deux années ayant immédiatement précédé le scrutin (voir par. 4.4 et 6.1). Toutefois, sans se prononcer sur l’interprétation et l’application de la législation interne, le Comité constate que la circulaire no 71/2014 a empêché plusieurs députés et sénateurs de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale se présenter aux élections de 2015 comme candidats aux fonctions de conseiller municipal, entre autres. Le Comité constate également que la circulaire susmentionnée a interdit à l’auteur de se porter candidat à la charge de maire car il avait été sénateur au cours de la législature précédente. Par conséquent, le Comité estime que la circulaire no 52/2014 (voir par. 2.6) et la circulaire no 71/2014, ainsi que les décisions prises par les organes électoraux en application de ce texte qui ont frappé l’auteur d’inéligibilité, ont restreint le droit de l’intéressé de se porter candidat aux élections locales du 29 mars 2015.

11.4Le Comité doit donc déterminer si cette restriction était justifiée. Il rappelle que l’exercice des droits reconnus à l’article 25 du Pacte, y compris le droit d’être candidat à des élections, ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, raisonnables et objectifs.

11.5L’État partie a fait valoir que la condition de résidence fixée dans la Constitution s’expliquait par la nécessité de garantir que les élus ont une connaissance directe de la situation socioéconomique et culturelle de leurs administrés, ce qui est particulièrement important pour les élus municipaux, qui doivent entretenir des liens étroits avec la localité qu’ils représentent (voir par. 4.4 et 6.2). Cela étant, le Comité constate que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’auteur aurait cessé de connaître la situation socioéconomique et culturelle de la localité dont il est originaire, qu’il représente et où il réside habituellement parce qu’il avait été sénateur pendant la législature précédente et s’était donc régulièrement rendu à La Paz pour assister aux séances parlementaires, d’autant qu’il retournait à Potosí, son lieu de résidence habituelle, les week-ends et les jours où des réunions se tenaient à l’occasion des « semaines régionales » (voir par. 3.1). L’État partie n’a pas non plus avancé d’arguments convaincants permettant de démontrer que les charges municipales et régionales étaient à ce point différentes des charges nationales et départementales qu’une distinction aussi importante et non prévue dans la Constitution ni par la loi se justifiait (voir par. 2.4 à 2.6). Enfin, le Comité note que, d’après les allégations de l’auteur, que l’État partie n’a pas contestées, cette interprétation a été introduite pour la première fois dans la circulaire no 71/2014 aux fins des élections locales de 2015 et n’existait pas lors des élections municipales précédentes (voir par. 2.7 et 7.3). À la lumière de ce qui précède, il estime que la décision de déclarer l’auteur inéligible, fondée sur la circulaire no 71/2014, ne reposait pas sur des critères raisonnables et objectifs clairement énoncés dans la loi. Par conséquent l’interdiction de se porter candidat à la charge de maire aux élections locales de 2015 a constitué pour l’auteur une restriction injustifiée des droits consacrés par l’article 25 du Pacte et une violation de cette disposition.

11.6Ayant conclu à l’existence d’une violation de l’article 25 du Pacte, le Comité n’examinera pas séparément le grief de violation de l’article 26 à raison des mêmes faits.

11.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles la procédure d’amparo a été excessivement longue, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteur soutient en particulier que ses recours en première et deuxième instance ont été tranchés en dehors du délai légal sans raison valable, l’arrêt du Tribunal constitutionnel ayant été rendu alors que les élections avaient déjà eu lieu, et qu’il a été débouté au motif que le recours aurait dû introduit par lui-même directement et non par l’intermédiaire du groupement Poder Popular (voir par. 2.11, 2.12, 3.8, 3.9, 7.6 et 7.7).

11.8Le Comité rappelle que la rapidité de la procédure est un élément important du procès équitable et que les retards que ne justifient ni la complexité de l’affaire ni la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de l’article 14. En l’espèce, le Comité note que l’État partie a justifié les retards dans la procédure de première instance engagée devant la juridiction constitutionnelle par la négligence du groupement Poder Popular, qui a selon lui tardé à rectifier des vices de forme (voir par. 6.4). Le Comité constate toutefois que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi la décision sur le recours en amparo avait été rendue une fois le délai légal expiré et seulement après l’introduction, le 19 février 2015, d’un deuxième recours en amparo (voir par. 2.12 et 7.7). L’État partie n’a pas non plus expliqué le retard dans la révision de cette décision par le Tribunal constitutionnel, retard d’autant plus surprenant qu’en fin de compte, l’auteur avait été débouté en raison de vices de forme, parce que ni lui ni Poder Popular n’avaient contesté la circulaire no 71/2014 et Poder Popular n’était pas habilité à saisir le Tribunal électoral suprême (voir par. 2.11 et 6.4). Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité estime que les retards indus dont la procédure d’amparo a souffert ont constitué une violation du droit reconnu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il doit assurer une réparation complète aux individus dont les droits ont été violés. En l’espèce, l’État partie doit, entre autres mesures, offrir à l’auteur une indemnisation adéquate couvrant les coûts de représentation devant les organes nationaux et internationaux. Il a également l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, et notamment de faire en sorte que la réglementation électorale et son application soit conforme à l’article 25 du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans les langues officielles du pays et à les diffuser largement.