Nations Unies

CCPR/C/128/D/2828/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 novembre 2020

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2828/2016*,**

Communication présentée par :

Djegdjigua Cherguit [représentée par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie]

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et Hakim Cherguit (fils de l’auteure)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

24 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 mars 2020

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit à la vie privée ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 6, 7, 9, 10, 14, 16, 17 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.L’auteure de la communication est Djegdjigua Cherguit, de nationalité algérienne. Elle fait valoir que son fils, Hakim Cherguit, né le 21 juillet 1966, également de nationalité algérienne, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que des articles 6, 7, 9, 10, 16 et 17 du Pacte. L’auteure soutient par ailleurs être victime d’une violation de ses droits au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que des articles 7, 14, 17 et 21 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. L’auteure est représentée par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 31 décembre 1993, vers 1 heure du matin, alors qu’il dormait chez lui, Hakim Cherguit a été réveillé et arrêté en présence de plusieurs témoins par des policiers de la brigade antiterroriste en uniforme, le visage couvert, accompagnés par des gendarmes en tenue officielle. Ils l’ont frappé et menotté sans donner aucune explication. Par suite des protestations de l’auteure, les policiers ont retiré les menottes à son fils, mais lui ont masqué le visage avec son pull et l’ont embarqué de force dans le coffre d’une voiture de couleur blanche. Lorsque l’auteure a voulu connaître la raison pour laquelle les policiers enlevaient son fils et l’endroit où ils l’emmenaient, ces derniers lui ont répondu qu’il serait relâché après avoir été interrogé. L’auteure était consternée et inquiète, d’autant plus que son fils souffrait d’un problème cardiaque − un souffle au cœur − et qu’on devait lui administrer un traitement de façon périodique.

2.2Une heure plus tard, les mêmes policiers sont revenus au domicile de la famille Cherguit avec Hakim, qui avait visiblement reçu des coups. Ils ont fouillé toute la maison, mais sont repartis avec Hakim Cherguit sans avoir rien trouvé. Vers 4 heures du matin, les mêmes policiers l’ont conduit de force chez un voisin nommé D. Y. La mère de D. Y. a eu du mal à reconnaître Hakim Cherguit à cause de son visage tuméfié par les coups qu’il avait reçus. Les policiers sont repartis en emmenant non seulement Hakim Cherguit, mais aussi D. Y., qui demeurait également porté disparu au moment de la soumission de la présente communication.

2.3L’auteure a attendu quelques jours, persuadée que son fils serait libéré. Ne le voyant pas revenir, elle a commencé à le chercher. Elle a tenté sans succès d’obtenir des renseignements sur son fils au commissariat du dix-septième arrondissement, à Kouba, ainsi qu’aux commissariats d’Hussein-Dey, d’El Harrach, de Bab Ezzouar, et dans les casernes militaires, gendarmeries et prisons des alentours, notamment la gendarmerie de Bab Jdid et la prison d’El Harrach. En réponse à ses recherches, l’auteure a fait l’objet d’intimidations de la part de policiers et de militaires qui l’ont insultée, provoquant en elle un vif sentiment d’humiliation.

2.4Deux ans plus tard, le cousin de l’époux de l’auteure l’a informée qu’après avoir été interrogé au commissariat d’Hussein-Dey, Hakim Cherguit aurait été détenu à la caserne de Châteauneuf et ensuite transporté, malade, dans une ambulance vers une destination inconnue. Le cousin ne l’a plus jamais revu. L’auteure s’est aussitôt rendue à la caserne de Châteauneuf, mais les militaires présents l’ont dissuadée de poursuivre son enquête. L’auteure a pourtant obtenu des informations d’autres personnes détenues en même temps que son fils, mais libérées ultérieurement. Selon elles, Hakim Cherguit serait resté détenu à Châteauneuf pendant quatorze mois avant d’être incarcéré à la prison de Serkadji, à Alger. Ensuite, à une date non précisée, l’auteure a reçu la visite d’une voisine dont le fils, détenu à la prison d’El Harrach, l’aurait dépêchée pour prévenir l’auteure que Hakim Cherguit était également détenu à El Harrach. Cependant, lorsque l’auteure s’y est rendue, les gardiens ont nié le détenir. Plus tard, lorsque le fils de la voisine est sorti de prison, il a confirmé à l’auteure qu’il avait bien vu Hakim Cherguit à la prison d’El Harrach.

2.5Le 18 juillet 1995, le 29 février 1996 et de nouveau à une date non précisée en 1996, l’auteure a déposé des plaintes auprès du Procureur général du tribunal d’Alger pour solliciter que les autorités trouvent son fils. À la suite de ces plaintes, elle a reçu un courrier du Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey, qui lui faisait savoir, par procès‑verbal de la sûreté de daira daté du 15 décembre 1996, que les agents de la police de daira ignoraient où se trouvait Hakim Cherguit. Aucun élément supplémentaire n’était donné quant à la tenue d’une éventuelle enquête.

2.6Le 20 avril 2003, l’auteure a réitéré sa plainte auprès du Procureur général du tribunal d’Alger. À une date non précisée, elle a aussi présenté une plainte au Procureur de la République de la cour Abane-Ramdane. À la suite de cette plainte, l’auteure a été convoquée le 10 janvier 2005 par le juge d’instruction du tribunal d’Hussein-Dey, pour être entendue sur la disparition de son fils. Au cours de cette audition, l’auteure a demandé à se constituer partie civile, mais le juge d’instruction n’a pas donné suite à sa demande. Sans nouvelle de cette entrevue, le 13 avril 2005, l’auteure s’est adressée de nouveau au Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey. Ne recevant pas de réponse, le 2 février 2006, elle a écrit directement au juge d’instruction auprès de ce même tribunal. Le 26 février 2006, elle a également envoyé un courrier au Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey. Par courrier du 29 avril 2006, le juge d’instruction près le tribunal d’Hussein-Dey a avisé l’auteure que l’affaire de la disparition de son fils ne donnerait pas lieu à une enquête et qu’il la classait sans suite. Le juge d’instruction n’a fourni aucune explication sur cette décision.

2.7Le 30 mai 2006, l’auteure a demandé un constat de disparition de son fils auprès du Directeur de la police nationale de Kouba. Même si ce constat est le premier élément nécessaire pour qu’une personne puisse prétendre à une indemnisation, l’auteure ne l’a pas sollicité pour enclencher la procédure d’indemnisation, mais pour savoir si son fils avait été déclaré décédé ou disparu par les autorités algériennes. Le 25 août 2006, la gendarmerie de Kouba lui a délivré un constat de disparition de Hakim Cherguit.

2.8Le 15 juillet 2007, l’auteure a été convoquée par la sûreté de la daira d’Hussein-Dey, qui lui a de nouveau signifié que les autorités n’avaient aucune information sur le sort de son fils, et a également tenté de la persuader de demander un jugement de décès pour recevoir les indemnisations conformément à la procédure mise en place par l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Malgré l’impossibilité d’engager une procédure judiciaire depuis la promulgation de cette ordonnance, l’auteure a persévéré et renouvelé sa plainte auprès du Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey, le 29 septembre 2007 et le 30 mars 2008, au risque d’être poursuivie et emprisonnée au titre de l’article 46 de l’ordonnance. Elle s’est vu notifier un procès-verbal en date du 29 septembre 2009, établi par le bureau du Procureur de la République auprès de la cour d’Alger, lui demandant de suivre les démarches fixées par l’ordonnance. L’auteure n’a cependant obtenu aucune information sur les prétendues recherches menées pour découvrir la vérité sur le sort de son fils, ni aucun document pouvant justifier qu’une enquête avait été menée.

2.9Le 15 avril 2010, l’auteure a réitéré sa demande d’ouverture d’enquête auprès du Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey. Dans un procès-verbal daté du 18 mai 2011, le Procureur expliquait que, selon les enquêtes menées par les services de sécurité, les recherches de Hakim Cherguit étaient toujours en cours et qu’aucun constat de décès ne pourrait lui être transmis avant la confirmation de son décès. Depuis ce procès-verbal, l’auteure n’a plus jamais reçu de réponse des autorités algériennes.

2.10Concomitamment à ses demandes aux autorités judiciaires, l’auteure a sollicité le soutien de diverses instances non juridictionnelles. Elle a ainsi envoyé des lettres au Président de la République, au Ministre de la justice, au Chef du Gouvernement, au Ministre de l’intérieur, au Conseiller des droits de l’homme auprès de la présidence de la République, à l’Observatoire national des droits de l’homme, et à la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme. Le 7 août 2004, le cabinet du Chef du Gouvernement s’est contenté de répondre que le service avait bien reçu le courrier du 3 juillet 2004, qui avait été transmis à la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme, laquelle était compétente pour ce genre de dossier. Le 26 janvier 2008, l’auteure a reçu une réponse identique.

2.11L’auteure affirme qu’en 2014, dans un reportage diffusé sur la chaîne de télévision Al Magharibia, une personne déclarait avoir été détenue à Aïn M’guel avec 17 personnes, dont Hakim Cherguit. Ils auraient ensuite été transférés à la prison de Reggane. Cette personne affirmait avoir été libérée après des années de détention dans cette prison, mais les autres personnes y seraient restées.

2.12Malgré tous les efforts de l’auteure, aucune enquête n’a été ouverte par les autorités étatiques compétentes. L’auteure souligne qu’il lui est aujourd’hui impossible légalement de recourir à une instance judiciaire, après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les recours internes, qui étaient d’ailleurs inutiles et inefficaces, ne sont de ce fait plus disponibles. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale stipule que « les actes répréhensibles d’agents de l’État, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie ».

2.13Selon l’auteure, l’ordonnance no 06-01 interdit sous peine de poursuites pénales le recours à la justice, ce qui dispense les victimes de la nécessité d’épuiser les voies de recours internes. Cette ordonnance interdit en effet toute plainte pour disparition ou autre crime, son article 45 disposant qu’« [a]ucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ». En vertu de cette disposition, toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. De plus, l’article 46 de la même ordonnance prévoit ce qui suit : « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 [dinars algériens], quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double. ».

2.14L’auteure indique que le cas de Hakim Cherguit a également été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires le 7 août 2002.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue que son fils est victime d’une disparition due aux agissements d’agents de police, et donc imputable à l’État partie, conformément à la définition des disparitions forcées incluse à l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. L’auteure affirme qu’en dépit du fait qu’aucune disposition du Pacte ne fait expressément mention des disparitions forcées, la pratique implique des violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. En l’espèce, l’auteure invoque des violations par l’État partie des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que des articles 6, 7, 9, 10, 14, 16, 17 et 21 du Pacte.

3.2L’auteure estime que l’ordonnance no 06-01 constitue un manquement à l’obligation générale de l’État partie consacrée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, en ce sens que ladite disposition implique également une obligation négative pour les États parties de ne pas adopter de mesures contraires au Pacte. En adoptant ladite ordonnance, en particulier son article 45, l’État partie aurait donc pris une mesure d’ordre législatif privant d’effet les droits reconnus dans le Pacte, particulièrement le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Depuis la promulgation de cette ordonnance, l’auteure a été empêchée d’ester en justice. Elle estime que le manquement à l’obligation fixée par le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, par action ou par omission, peut engager la responsabilité internationale de l’État partie. Elle affirme qu’en dépit de toutes ses démarches après l’entrée en vigueur de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, ses plaintes sont demeurées sans suite. Elle estime en conséquence être victime de cette disposition législative contraire au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

3.3L’auteure ajoute que les dispositions de l’ordonnance no 06-01 sont contraires au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car elles ont pour effet d’empêcher toute poursuite pénale à l’encontre des auteurs présumés de disparitions forcées, lorsque ces personnes sont des agents de l’État. Cette ordonnance amnistie de fait les crimes commis durant la décennie passée, y compris les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Elle interdit aussi, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur le sort des victimes. Les autorités algériennes, y compris judiciaires, refusent de toute évidence d’établir la responsabilité des services de sécurité, y compris des agents de police qui seraient coupables de la disparition forcée de Hakim Cherguit. Ce refus fait obstacle à l’efficacité des recours exercés par sa famille. Le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte impose l’octroi d’une réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. Les articles 27 à 39 de l’ordonnance no 06-01 ne prévoient qu’une simple indemnisation financière conditionnée à l’établissement d’un jugement de décès établi après une enquête infructueuse, l’article 38 excluant toute autre forme de réparation. Or, en pratique, aucune enquête n’est diligentée sur le sort du disparu, ni sur les auteurs de la disparition. L’auteure rappelle que le Comité a estimé que le droit à un recours utile comportait nécessairement le droit à une réparation adéquate et le droit à la vérité, et a recommandé à l’État partie de s’engager à garantir que les disparus et/ou leur famille disposent d’un recours utile et que bonne suite y est donnée, tout en veillant au respect du droit à indemnisation et à la réparation la plus complète possible. L’État partie a donc violé le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte à l’égard de l’auteure.

3.4L’auteure rappelle l’évolution de la jurisprudence du Comité en matière de disparitions forcées et estime que le seul risque pour une personne de perdre la vie dans le contexte d’une telle disparition est suffisant pour conclure à une violation directe de l’article 6 du Pacte. Elle rappelle les faits entourant la disparition de son fils et estime que les chances de le retrouver s’amenuisent de jour en jour, pensant en effet que soit son fils a perdu la vie, soit il est maintenu en détention au secret, ce qui constitue un risque très élevé pour sa vie du fait qu’il se trouve à la merci de ses geôliers, dans une situation échappant à tout contrôle. À cela s’ajoute le fait que Hakim Cherguit souffrait d’un problème cardiaque nécessitant un traitement adéquat et régulier qui, selon toute vraisemblance, n’a pas dû lui être administré en détention. L’auteure estime en conséquence que l’État partie a failli à son obligation de protéger le droit à la vie de Hakim Cherguit et de prendre des mesures pour enquêter sur ce qui lui était arrivé, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

3.5L’auteure rappelle les circonstances entourant la disparition de son fils, à savoir l’absence totale d’informations sur sa détention et son état de santé, ainsi que l’absence de communication avec sa famille et le monde extérieur, et considère en conséquence que Hakim Cherguit a été soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle rappelle aussi qu’une détention arbitraire prolongée augmente le risque de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteure souligne également que l’angoisse, l’incertitude et la détresse provoquées par la disparition de Hakim Cherguit constituent une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant pour sa famille. En conséquence, l’auteure allègue que l’État partie est responsable d’une violation de l’article 7 du Pacte à son égard et à celui de Hakim Cherguit.

3.6Rappelant la garantie du droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne énoncée à l’article 9 du Pacte, qui interdit par ailleurs les arrestations et détentions arbitraires, l’auteure estime que l’arrestation et la détention de Hakim Cherguit constituent une privation arbitraire de sa liberté et de sa sécurité. Elle estime en conséquence que son fils a été privé des garanties énoncées à l’article 9 du Pacte, impliquant une violation dudit article à son égard.

3.7L’auteure affirme ensuite qu’en l’absence d’enquête de la part des autorités algériennes, Hakim Cherguit a été privé de liberté et n’a pas été traité avec humanité et dignité, en violation de l’article 10 du Pacte à son égard.

3.8Rappelant les dispositions de l’article 14 du Pacte ainsi que le paragraphe 9 de l’observation générale no 32 (2007) du Comité, l’auteure affirme que toutes les démarches engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. Par courrier daté du 29 avril 2006, l’auteure a été informée du classement de l’affaire en non-lieu par le juge d’instruction du tribunal d’Hussein-Dey. Puis, par courrier daté du 29 septembre 2009, le Procureur de la République du tribunal d’Hussein-Dey a enjoint à l’auteure de suivre la procédure d’indemnisation, sans apporter aucun éclaircissement quant à la disparition de Hakim Cherguit. L’auteure considère donc être victime d’une violation de ses droits au titre de l’article 14 du Pacte.

3.9L’auteure rappelle ensuite les dispositions de l’article 16 du Pacte et la jurisprudence constante du Comité selon laquelle la soustraction intentionnelle d’une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime est entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris devant les cours de justice, sont systématiquement empêchés. Elle renvoie à cet effet aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de l’Algérie au titre de l’article 40 du Pacte, dans lesquelles le Comité a établi que les personnes disparues toujours en vie et détenues au secret voient leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, tel que consacré par l’article 16 du Pacte, violé. Elle soutient en conséquence qu’en maintenant Hakim Cherguit en détention sans en informer officiellement sa famille et ses proches, les autorités algériennes ont soustrait ce dernier à la protection de la loi et l’ont privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

3.10Rappelant que l’article 17 du Pacte protège les individus de toute immixtion arbitraire ou illégale dans leur vie privée, leur domicile ou leur correspondance, et s’appuyant sur la jurisprudence du Comité, l’auteure soutient que les circonstances de l’irruption brutale et sans mandat des policiers au sein de son domicile, associées à l’absence de recours accessible et utile, sont constitutives d’une violation par l’État partie de l’article 17 du Pacte à son égard.

3.11Enfin, l’auteure rappelle que l’article 46 de l’ordonnance no 06-01 interdit l’expression collective des familles de disparus et des défenseurs des droits de l’homme, y compris lorsqu’il s’agit de réunions ou de manifestations politiques, en violation du droit à la liberté de réunion pacifique énoncé à l’article 21 du Pacte. L’auteure, en sa qualité de Vice‑Présidente du bureau de SOS Disparus à Alger, a été victime de violations de son droit à la liberté de réunion pacifique. Le 5 octobre 2005, pendant un rassemblement pacifique, elle a été arrêtée de façon agressive avec d’autres familles de disparus, et conduite au commissariat du neuvième arrondissement d’Alger. Elle a été libérée vers 20 heures, après avoir passé la journée au commissariat, mais a été traumatisée par cette arrestation musclée. L’auteure a également fait l’objet, à plusieurs reprises, d’intimidations verbales et de violences physiques de la part des forces de l’ordre. Elle estime donc avoir été victime d’une violation de l’article 21 du Pacte.

3.12L’auteure demande au Comité de constater que l’État partie a violé les articles 6, 7, 9, 10, 16 et 17 du Pacte à l’égard de Hakim Cherguit, et les paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que les articles 7, 14, 17 et 21 du Pacte à l’égard de l’auteure. De plus, elle lui demande de prier instamment l’État partie de respecter ses engagements internationaux et de donner effet aux droits reconnus par le Pacte et par l’ensemble des conventions internationales de protection des droits de l’homme ratifiées par l’Algérie. Elle demande également au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes et impartiales en vue : a) de retrouver Hakim Cherguit et de respecter son engagement aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; b) de déférer les auteurs matériels et intellectuels de cette disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour qu’ils fassent l’objet de poursuites conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; et c) de garantir à Hakim Cherguit, s’il est encore en vie, ainsi qu’à sa famille, l’accès à une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 et à l’article 9 du Pacte, incluant une indemnisation appropriée et proportionnée à la gravité de la violation, une réadaptation pleine et entière, et des garanties de non-répétition. Elle demande enfin au Comité d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger les articles 27 à 39, 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01.

Observations de l’État partie

4.Le 11 janvier 2017, l’État partie a invité le Comité à se référer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale.

Défaut de coopération de l’État partie

5.Le Comité rappelle que le 11 janvier 2017, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant référence au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le 21 octobre 2016 ainsi que les 17 octobre et 18 décembre 2018, l’État partie a été invité à présenter ses observations sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette l’absence de collaboration de l’État partie quant au partage de ses observations sur la présente plainte. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que la disparition a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme dont les mandats consistent, d’une part, à examiner la situation des droits de l’homme dans un pays ou un territoire, ou des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, et, d’autre part, à faire rapport publiquement à ce sujet, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Hakim Cherguit par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

6.3Le Comité prend note de ce que l’auteure affirme avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles et que, pour contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de renvoyer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. À cet égard, le Comité rappelle qu’en 2018, il avait exprimé ses préoccupations de ce qu’en dépit de ses demandes répétées, l’État partie continuait de faire systématiquement référence au document général type, dit « aide‑mémoire », sans répondre spécifiquement aux allégations soumises par les auteurs de communications. En conséquence, le Comité invitait de manière urgente l’État partie à coopérer de bonne foi dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide‑mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications.

6.4Le Comité rappelle ensuite que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. L’auteure a, à de nombreuses reprises, alerté les autorités compétentes sur la disparition forcée de son fils, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur cette allégation grave. L’État partie n’a par ailleurs apporté aucun élément d’explication spécifique dans ses observations en réponse au cas de Hakim Cherguit qui pourrait permettre de conclure qu’un recours efficace et disponible est à ce jour ouvert. S’ajoute à cela le fait que l’ordonnance no 06-01 continue d’être appliquée, en dépit du fait que le Comité a souligné la nécessité de sa mise en conformité avec les principes du Pacte. À cet égard, le Comité rappelle que dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’État partie, il déplorait en particulier l’absence de recours efficace pour les personnes disparues et/ou leur famille et l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les personnes disparues, de les localiser et, en cas de décès, de restituer leurs dépouilles aux familles. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note que l’auteure a également soulevé une violation distincte des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte à son égard. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif du fait qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs de l’auteure au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, invoqués de manière séparée, sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note également les allégations de l’auteure selon lesquelles elle serait victime d’une violation de ses droits au titre de l’article 21 du Pacte. Il note toutefois que selon les informations disponibles, l’auteure ne semble pas avoir présenté de plainte ou effectué de démarches auprès des autorités nationales compétentes à cet égard. Il considère par ailleurs que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses allégations. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité estime en revanche que l’auteure a suffisamment étayé ses autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen au fond des griefs formulés au titre du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9, 10, 14, 16 et 17 du Pacte.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

7.2Le Comité note que l’État partie s’est contenté de faire référence à ses observations collectives et générales qui avaient été transmises antérieurement au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et au Comité en lien avec d’autres communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont déjà été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de ladite Charte à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence d’inclusion des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

7.3Le Comité note par ailleurs que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteure sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteure, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.

7.5Le Comité note que l’auteure a vu son fils pour la dernière fois le 31 décembre 1993. Ensuite, d’autres personnes ont témoigné à l’auteure avoir vu Hakim Cherguit à des dates non précisées alors qu’il était en détention au commissariat d’Hussein-Dey, à la caserne de Châteauneuf, à la prison de Serkadji et enfin à la prison d’El Harrach, successivement. Le Comité prend note de ce que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de déterminer ce qu’il est advenu de Hakim Cherguit et n’a même jamais confirmé sa détention. Il rappelle que, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque grave et constant, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Hakim Cherguit. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Hakim Cherguit, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.6Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce qu’après avoir eu des nouvelles de la part de différentes personnes qui ont affirmé avoir vu son fils dans plusieurs lieux de détention, l’auteure n’a plus jamais eu la moindre information sur son sort ou lieu de détention, malgré diverses tentatives de visites à ces lieux de détention et malgré plusieurs requêtes successives présentées aux autorités étatiques. Le Comité estime donc que Hakim Cherguit, disparu le 31 décembre 1993, serait potentiellement toujours détenu au secret par les autorités algériennes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité considère que la disparition de Hakim Cherguit constitue une violation de l’article 7 du Pacte à son égard.

7.7Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

7.8Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Hakim Cherguit, depuis plus de vingt-six ans, a causées à l’auteure. Il considère à cet égard que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure.

7.9En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles Hakim Cherguit a été arrêté arbitrairement, sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. L’État partie n’ayant communiqué aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteure. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard de Hakim Cherguit.

7.10Le Comité prend également note des allégations de l’auteure selon lesquelles le manque d’accès aux autorités judiciaires de l’État partie dont elle a souffert constitue une violation de l’article 14 du Pacte. Le Comité rappelle son observation générale no 32, où il indique notamment qu’une situation dans laquelle les tentatives d’une personne pour saisir les tribunaux ou les cours de justice compétents sont systématiquement entravées va de jure ou de facto à l’encontre de la garantie énoncée dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En l’espèce, le Comité note que toutes les démarches de l’auteure engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. Il renvoie à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, dans lesquelles il exprimait ses préoccupations quant aux articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, qui portent atteinte au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Ce droit inclut également le droit d’accès à un tribunal, comme prévu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation d’assurer à l’auteure l’accès à un tribunal, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.11Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par ses proches pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication sur le sort de Hakim Cherguit, ni sur le lieu où il se trouverait, en dépit des démarches de ses proches et du fait que Hakim Cherguit était entre les mains des autorités de l’État partie lors de sa dernière apparition. Le Comité conclut que la disparition forcée de Hakim Cherguit depuis plus de vingt-six ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.12En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucun élément justifiant ou expliquant que des policiers soient entrés en pleine nuit, de force et sans mandat au domicile de la famille de Hakim Cherguit. Le Comité conclut que l’entrée d’agents de l’État dans la maison familiale de Hakim Cherguit dans ces conditions constituait une immixtion illégale dans son domicile, en violation de l’article 17 du Pacte.

7.13Enfin, le Comité note que même si l’auteure n’a pas invoqué expressément une violation du paragraphe 3 de l’article 2 en conjonction avec l’article 7 du Pacte, elle fait référence à l’obligation imposée aux États parties par cette disposition de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

7.14En l’espèce, l’auteure a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de son fils sans que l’État partie procède à une enquête approfondie et rigoureuse sur cette disparition, et sans que l’auteure soit informée de l’évolution des démarches de recherche et d’enquête entreprises, ou du sort de Hakim Cherguit. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Hakim Cherguit et l’auteure de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 16 et 17 du Pacte à l’égard de Hakim Cherguit, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 7 et 17 du Pacte à l’égard de l’auteure.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9, 16 et 17 du Pacte, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 16 et 17 du Pacte à l’égard de Hakim Cherguit. Il constate en outre une violation par l’État partie des articles 7 et 17 lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que de l’article 14 du Pacte à l’égard de l’auteure.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) de mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Hakim Cherguit et de fournir à l’auteure des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de libérer immédiatement Hakim Cherguit s’il est toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où Hakim Cherguit serait décédé, de restituer sa dépouille à sa famille dans le respect de la dignité, conformément aux normes et aux traditions culturelles des victimes ; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises ; e) de fournir à l’auteure ainsi qu’à Hakim Cherguit, s’il est en vie, une pleine réparation, y compris une indemnité adéquate ; et f) de fournir des mesures de satisfaction appropriées à l’auteure. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. À cet effet, le Comité est d’avis que l’État partie devrait revoir sa législation en fonction de l’obligation qui lui est faite au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, et en particulier abroger les dispositions de ladite ordonnance qui sont incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.