Nations Unies

CCPR/C/122/D/2753/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2753/2016 * , **

Communication présentée par :

C. L. et Z. L. (représentés par un conseil, Daniel Nørrung)

Au nom de :

C. L. et de son fils mineur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

15 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 août 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

26 mars 2018

Objet :

Expulsion du Danemark vers la Chine

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité − défaut de fondement manifeste ; irrecevabilité ratione materiae et ratione loci ; griefs insuffisamment étayés

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; risque de torture ou de mauvais traitements en cas de renvoi dans le pays d’origine et droit à la liberté de religion

Article(s) du Pacte :

6, 7 et 18

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est C. L., né le 1er mars 1970. Il présente la communication en son nom et au nom de son fils mineur, Z. L., né le 30 juillet 2004. Tous deux sont de nationalité chinoise. L’auteur et son fils sont sous le coup d’une mesure d’expulsion vers la Chine à la suite du rejet de leur demande d’asile par la Commission danoise de recours des réfugiés le 4 septembre 2013, puis le 24 septembre 2015 lorsque la Commission a refusé de rouvrir la procédure d’asile concernant l’auteur. L’auteur affirme qu’en les expulsant vers la Chine, le Danemark commettrait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 6, 7 et 18 du Pacte. Il a demandé que des mesures provisoires soient prises pour empêcher leur renvoi en Chine. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 21 mars 2016, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur et son fils mineur vers la Chine tant que la communication serait à l’examen. Le 4 avril 2016, la Commission de recours des réfugiés a, comme le lui avait demandé le Comité, suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ du Danemark de l’auteur et de son fils mineur. Le 21 septembre 2016, l’État partie a demandé la levée des mesures provisoires, l’auteur n’ayant pas établi la probabilité d’un risque de préjudice irréparable si lui et son fils étaient renvoyés en Chine. Le 13 mars 2017, le Comité a décidé de ne pas accéder à cette demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est arrivé au Danemark avec son fils mineur le 18 décembre 2012, muni d’un passeport national en cours de validité et d’un visa. Le 20 décembre 2012, il a demandé l’asile pour lui-même et son fils, lequel souffre de troubles du spectre de l’autisme.

2.2Dans sa demande d’asile, l’auteur a fait valoir l’action clandestine qu’il avait menée pendant de nombreuses années en faveur du mouvement prodémocratique en Chine. En 1989, il avait pris part, en tant qu’organisateur, à de grandes manifestations étudiantes dans la ville de Guangzhou. Il avait de ce fait été sanctionné d’un avertissement par les autorités et avait été ultérieurement privé de certains droits dans le cadre de ses études et de son travail. De 1998 à la date de son départ, il avait été un membre actif d’un mouvement prodémocratique dont l’objectif était de renverser le régime communiste et d’instaurer une démocratie multipartite en Chine.

2.3Depuis que le père de l’auteur avait refusé de devenir membre du Parti communiste, la famille était déplacée dans son propre pays. Les deux sœurs de l’auteur ont obtenu l’asile au Danemark après avoir participé aux manifestations étudiantes de 1989 et, dans le cas de la plus jeune, après avoir été soumise à la torture.

2.4En 1998, alors qu’il travaillait comme vérificateur des comptes dans une entreprise d’import-export d’acier et de métaux (la succursale de Shenzhen de Guangxi Metals and Minerals), l’auteur a accepté l’invitation que lui avait adressée un collègue, M. Wang, fondateur du « Mouvement patriotique et démocratique de Chine », à soutenir le mouvement prodémocratique. De 1998 à 2000, l’auteur et M. Wang ont transféré 4,3 millions de dollars de Hong Kong, correspondant à des dons de l’étranger au mouvement prodémocratique chinois, en gonflant artificiellement les prix de la société. Les autorités chinoises ont arrêté l’auteur, soupçonné d’avoir perçu des pots-de-vin en contrepartie des surfacturations, et l’ont incarcéré et soumis à des actes de torture pendant six mois en 2001. Il a ainsi été roué de coups de matraque et privé de nourriture et de sommeil. Par suite de ces tortures, il a contracté une hépatite B et souffre d’acouphènes, de troubles de la mémoire, de douleurs et d’anxiété, ainsi que de problèmes de sommeil. En août 2001, l’auteur et un autre suspect ont été libérés faute de preuves. Les autorités chinoises n’ont jamais découvert que l’argent avait été transféré au mouvement prodémocratique.

2.5En dépit de la détérioration de son état de santé et du fait que ses sœurs ne cessaient de l’exhorter à fuir vers les États-Unis d’Amérique ou l’Europe, l’auteur a tenu à rester en Chine. Après sa libération, il a continué à œuvrer au sein du mouvement démocratique en recrutant de nouveaux membres. Ces activités s’inscrivaient dans le cadre de sa forte implication dans l’église chrétienne Meixin, dont M. Wang était lui aussi membre. L’un des groupes d’études religieuses de l’Église servait de couverture à une action politique. Bien que les autorités se soient employées à contrôler et perturber les offices religieux, cette action politique n’a jamais été découverte. En juillet 2012, l’auteur a appris que M. Zhang, le supérieur de M. Wang, avait été arrêté à Shanghai où le mouvement pour la démocratie s’était réuni. L’auteur a été averti que, sous la torture, M. Zhang risquait de révéler son identité et celle d’autres membres. En outre, un renforcement de l’action du service de lutte contre la corruption était prévisible dans le secteur, si bien que les transferts de fonds antérieurs à 2001 en faveur du mouvement risquaient d’être découverts. En cas de nouvelle arrestation, la vie de l’auteur et celle d’autres membres du mouvement seraient en grand danger. C’est alors que M. Wang et l’auteur ont décidé de quitter la Chine.

2.6En raison de l’autisme de son fils, l’auteur ne pouvait prendre le risque de sortir illégalement du pays. Il a décidé d’attendre de pouvoir obtenir régulièrement un visa sur la base d’une invitation de ses sœurs au Danemark. Il est parti en décembre 2012. En mars 2013, après l’arrivée de l’auteur au Danemark, la police chinoise a saccagé le domicile de son ex-épouse et a demandé où il se trouvait, indiquant qu’il était soupçonné de prendre part à des activités illégales portant atteinte à la sécurité nationale.

2.7L’auteur a été interrogé le 7 mai 2013 par le Service danois de l’immigration qui lui a refusé l’asile le 20 juin 2013. Il a alors saisi la Commission danoise de recours des réfugiés. Le 4 septembre 2013, celle-ci a confirmé la décision négative du Service de l’immigration qui n’ordonnait pas de mesure d’expulsion car l’auteur avait parallèlement présenté une demande de permis de séjour pour motifs humanitaires en raison des troubles du spectre de l’autisme dont souffrait son fils. Cette demande était en instance devant le Ministère de la justice lorsque la Commission a rendu sa décision. Dans celle-ci, la Commission a considéré comme établis les faits relatés par l’auteur, en particulier son action en faveur d’un mouvement prodémocratique de 1998 jusqu’à son départ, et a admis qu’il avait continué de mener des activités d’appui aux forces opposées au régime communiste et avait été en contact avec des personnes qui partageaient sa vision de la situation politique dans le cadre de ses activités religieuses. Toutefois, de l’avis de la majorité des membres de la Commission, il n’était pas établi qu’après son départ l’auteur avait attiré l’attention des autorités chinoises au point de risquer de subir des persécutions justifiant l’octroi de l’asile en cas de retour en Chine.

2.8Lors de l’audition devant la Commission, le conseil de l’auteur a demandé que la sœur aînée de celui-ci, Elena Luo, soit autorisée à faire une brève déposition. Cette demande a été rejetée. La sœur de l’auteur voulait donner des précisions sur les expériences que celui-ci avait vécues et expliquer comment les tortures qu’il avait subies l’avaient affaibli et avaient affecté son audition et sa capacité de se concentrer.

2.9En décembre 2013, l’auteur a rejoint l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours (mormons) pour pratiquer son christianisme parce qu’il y a trouvé une ressemblance avec l’église Meixin à laquelle il appartenait en Chine. L’auteur a aussi participé à une manifestation contre le régime du Parti communiste chinois le 1er octobre 2014, au cours de laquelle il portait deux pancartes demandant l’instauration de la démocratie (« We need democracy ») et l’abolition de la dictature du Parti communiste (« Communist one party dictatorship get out »). Des photos de l’auteur portant ces pancartes lors de la manifestation au Danemark ont été publiées sur deux sites Web.

2.10Le 7 février 2014, le Ministère danois de la justice a rejeté la demande de permis de séjour pour motifs humanitaires présentée par l’auteur. Le 29 juillet 2015, il a rejeté la demande de l’auteur tendant au réexamen de sa demande d’octroi d’un permis de séjour pour motifs humanitaires en application de l’article 9 b) de la loi relative aux étrangers. L’auteur et son fils ont été informés qu’ils devraient quitter le Danemark à la fin du mois de juillet 2015.

2.11Le 1er septembre 2015, le conseil de l’auteur a prié la Commission de rouvrir la procédure d’asile afin de tenir compte des renseignements fournis par les sœurs de l’auteur, de la participation de l’auteur à des manifestations contre la Chine au Danemark et de son baptême en tant que mormon. Le 24 septembre 2015, la Commission a rejeté la demande de réouverture de la procédure d’asile. Elle a estimé que les sœurs de l’auteur n’avaient pas d’éléments d’information nouveaux, que rien n’indiquait que l’auteur ait été particulièrement remarqué dans les manifestations et que les renseignements relatifs à ses activités religieuses et politiques avaient seulement été présentés avant la date prévue pour son départ.

2.12Au cours de l’automne 2015, l’auteur a soumis une dernière demande au Service danois de l’immigration, en faisant valoir que son fils s’était bien intégré, en deux ans, dans une école spécialisée pour enfants autistes. Le 18 décembre 2015, le Service de l’immigration a rejeté la demande de permis de séjour pour motifs exceptionnels présentée par l’auteur. Depuis lors, l’auteur et son fils risquent d’être expulsés à tout moment.

2.13L’auteur affirme en outre avoir reçu en décembre 2015 un appel téléphonique du chef du mouvement prodémocratique en Chine. Cette personne lui aurait fait savoir que son ancien collègue, M. Wang, avait été arrêté par des agents communistes dans la Région administrative spéciale de Hong Kong alors qu’il participait à une activité clandestine, que l’église Meixin, qu’il fréquentait, avait été fermée par les autorités en juin 2015 et que le mouvement prodémocratique avait provisoirement suspendu ses activités pour s’employer à sauver ceux de ses membres qui avaient été emprisonnés. À cette occasion, l’auteur a fait part à son interlocuteur de sa crainte d’être renvoyé en Chine.

2.14L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts puisque les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d’appel. Il n’a pas saisi d’autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie violerait les obligations qui lui incombent en vertu des articles 6, 7 et 18 du Pacte en le renvoyant de force en Chine avec son fils mineur.

3.2L’auteur soutient que les droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte seraient violés si le Danemark l’expulsait avec son fils vers la Chine, compte tenu du fait qu’il a œuvré secrètement pendant de nombreuses années pour instaurer la démocratie en Chine. Il craint d’être arrêté, condamné à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort, et de nouveau soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour en Chine. S’agissant de l’article 18 du Pacte, il fait valoir qu’il serait privé de la possibilité de pratiquer sa religion chrétienne s’il était renvoyé en Chine.

3.3L’auteur soutient qu’il risquerait de subir un préjudice irréparable s’il était expulsé en Chine, en raison de ses précédents engagements politiques et religieux auprès de l’église Meixin. Il fait aussi valoir que l’État partie n’a pas dûment enquêté, pour évaluer sa crédibilité, sur les séquelles des tortures qu’il avait subies ; sur son entourage familial (la dissidence de son père et la fuite de ses sœurs et leur statut de réfugiées au Danemark) ; sur sa participation à des manifestations antichinoises et son appartenance à une église mormone au Danemark ainsi que son absence de Chine depuis 2012.

3.4L’auteur affirme en particulier que la Commission n’a pas examiné les éléments dont elle était saisie avant de rendre sa première ou sa seconde décision de rejet, puisqu’elle n’a pas tenu compte des informations figurant sur le site Web de l’église Meixin coéditées par l’auteur ; qu’elle a refusé d’entendre la sœur aînée de l’auteur comme témoin ; et qu’elle n’a pas donné suite à la demande de l’auteur de se soumettre à un examen médical pour faire constater les séquelles des tortures qu’il avait subies. Un tel examen aurait dû précéder toute évaluation de crédibilité et toute décision négative à cet égard.

3.5En outre, l’auteur soutient que dans sa décision du 24 septembre 2015 par laquelle elle a refusé de rouvrir la procédure d’asile, la Commission n’a pas tenu compte des renseignements relatifs à ses sœurs et à leurs antécédents communs.

3.6Enfin, l’auteur fait valoir que son ex-épouse était incapable de s’occuper de leur fils mineur autiste, qu’elle avait psychologiquement rejeté et qu’elle battait et réprimandait sans cesse. Il affirme que s’il était arrêté en Chine, son fils se retrouverait seul et finirait dans la rue ou se laisserait mourir, ce que l’auteur craignait encore plus que d’être incarcéré.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 septembre 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, en donnant des précisions sur la procédure d’asile concernant l’auteur, en particulier sur les décisions de la Commission du 4 septembre 2013 et du 24 septembre 2015.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission, qu’il considère comme un organe quasi juridictionnel indépendant.

4.3L’État partie affirme que l’auteur n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, le bien‑fondé de ses griefs au titre des articles 6 et 7 du Pacte, car il n’a pas démontré qu’en cas de renvoi en Chine, il courrait un risque réel et personnel de préjudice irréparable en ce qu’il risquait d’être condamné à mort, torturé ou maltraité, ou d’être privé de la possibilité de pratiquer sa religion chrétienne. Comme il n’a pas été suffisamment établi qu’il existe des motifs sérieux de penser que le renvoi de l’auteur et de son fils mineur en Chine constituerait une violation des articles 6 ou 7 du Pacte, cette partie de la communication devrait être considérée comme irrecevable parce que manifestement mal fondée.

4.4S’agissant des allégations de violation de l’article 18 du Pacte, l’État partie fait observer que l’auteur n’a pas non plus suffisamment démontré qu’il existe des motifs sérieux de penser qu’il serait porté atteinte à sa liberté de religion s’il était renvoyé en Chine. En conséquence, cette partie de la communication devrait être considérée comme irrecevable parce que manifestement mal fondée. L’État partie soutient aussi que l’auteur tente de faire appliquer les obligations résultant de l’article 18 de manière extraterritoriale, et que le Danemark ne saurait être tenu responsable de violations de l’article 18 qui pourraient être commises par un autre État partie en dehors du territoire danois et de la juridiction danoise. L’auteur n’a pas allégué de violation de cet article qui résulterait d’actes qu’il aurait subis au Danemark ou en un lieu placé sous le contrôle effectif de l’État partie. En conséquence, l’État partie fait valoir que le Comité n’a pas compétence pour se prononcer sur la violation alléguée en ce qui concerne le Danemark et que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’incompatible avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif ou, subsidiairement, être déclarée irrecevable ratione loci et ratione materiae conformément à l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie affirme en outre que le Comité n’a jamais examiné au fond un grief relatif à l’expulsion d’une personne qui craignait d’être victime d’une violation de dispositions autres que les articles 6 et 7 du Pacte, soit dans le pays vers lequel l’expulsion devait avoir lieu soit dans tout autre pays vers lequel la personne pouvait ensuite être renvoyée. En conséquence, l’État partie soutient qu’aucun préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ne résulterait de l’extradition, de l’expulsion ou de toute autre forme d’éloignement d’une personne craignant que les droits qu’elle tient, par exemple, de l’article 18 du Pacte, soient violés par un autre État partie.

4.5Sur le fond, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi avec son fils vers la Chine constituerait une violation des articles 6, 7 et 18 du Pacte. Selon lui, la communication ne fait que reprendre des informations déjà examinées par la Commission dans le cadre de ses décisions des 4 septembre 2013 et 24 septembre 2015. L’auteur a toutefois invoqué un fait nouveau, à savoir qu’en décembre 2015 il aurait communiqué par téléphone avec l’organisation politique dont il dit avoir été membre.

4.6L’État partie affirme que la Commission a recherché, lorsqu’elle a examiné la demande d’asile de l’auteur, si les déclarations de celui-ci étaient logiques, vraisemblables et cohérentes. Après avoir procédé à une appréciation générale de ces déclarations et des autres éléments du dossier, la Commission a conclu que l’auteur n’avait pas démontré qu’il était probable qu’en raison de ses activités politiques et religieuses en Chine et au Danemark, il avait acquis une visibilité de nature à attirer l’attention des autorités chinoises au point de justifier l’octroi de l’asile. Elle a estimé peu plausibles les déclarations de l’auteur relatives à sa position et son importance au sein du mouvement pour la démocratie.

4.7La Commission a considéré comme établi que l’auteur avait été détenu en 2001 en raison de faits de surfacturation dans l’entreprise publique qui l’employait, tout comme elle a admis que, pendant plusieurs années, l’auteur avait effectivement mené des activités pour une organisation dont l’objectif était d’appuyer les forces démocratiques en Chine. Par contre, la Commission n’a pas considéré comme établi que, par voie de conséquence, l’auteur avait attiré l’attention des autorités chinoises au point qu’il serait justifié de lui accorder l’asile. Aux dires mêmes de l’auteur, celui-ci a quitté légalement la Chine cinq mois après l’arrestation de plusieurs responsables de l’organisation pour laquelle il avait mené des activités. De plus, la Commission a jugé invraisemblable, eu égard à l’affirmation de l’auteur selon laquelle il avait joué un rôle déterminant dans cette organisation, que les autorités chinoises ne se soient présentées à son domicile que huit mois après l’arrestation de ces responsables. Ainsi qu’il ressort de la communication présentée au Comité, les dossiers relatifs à l’octroi de l’asile aux sœurs de l’auteur ont été pris en considération par la Commission. Par ailleurs, celle-ci a estimé que les activités politiques et religieuses de l’auteur au Danemark n’avaient pas conféré à celui-ci, aux yeux des autorités chinoises, une importance telle qu’il risquerait d’être victime de persécutions ou de violences à son retour en Chine justifiant l’octroi de l’asile. En procédant à son évaluation, la Commission a souligné que les renseignements relatifs à ces activités ne lui avaient été soumis qu’en septembre 2015 − immédiatement avant la date prévue pour l’expulsion de l’auteur − alors que, selon les informations produites, l’auteur avait été baptisé trois mois environ après la première audition devant la Commission et alors que sa dernière participation à une manifestation remontait au 1er octobre 2014.

4.8S’agissant de son appartenance au mouvement prodémocratique en Chine, l’auteur a affirmé devant la Commission que depuis 1998, date de son adhésion au mouvement et de son engagement à ne divulguer aucun détail à propos de celui-ci, il avait été chargé de transférer de l’étranger des fonds destinés au mouvement en procédant à des surfacturations de 1998 à la fin de l’année 2000. De la fin de 2001 jusqu’en 2012, la collaboration de l’auteur avec le mouvement prodémocratique avait consisté à recruter des disciples pour l’Église et à trouver parmi ses coreligionnaires des partisans de la démocratie en Chine. L’auteur a admis que même s’il jouait un rôle important, il se situait relativement bas dans la hiérarchie. À propos de son départ de Chine, l’auteur a déclaré qu’un passeport lui avait été délivré à sa demande le 9 août 2012 et qu’il avait ensuite obtenu un visa de l’ambassade du Danemark à Guangzhou le 27 novembre 2012, ce qui lui avait permis de quitter légalement le pays sans aucun problème.

4.9La Commission a estimé que la déclaration de l’auteur concernant les conflits qu’il aurait eus avant de quitter légalement la Chine en décembre 2012 paraissait incohérente et invraisemblable sur des points essentiels. Elle a souligné que l’auteur n’avait apparemment qu’une connaissance très limitée et superficielle de l’organisation pour laquelle il avait œuvré de 1998 à 2012 ; qu’il se situait relativement bas dans la hiérarchie du mouvement ; qu’il n’avait pas été détenu par les autorités chinoises, si ce n’est en 2001, selon ses propres dires ; et qu’il continuait d’assister aux réunions du mouvement alors que les autorités avaient photographié les participants aux réunions précédentes, en dépit des avertissements. De plus, l’auteur n’avait quitté la Chine, après avoir obtenu régulièrement un passeport, que le 17 décembre 2012 − cinq mois après l’arrestation de M. Zhang. Dans l’intervalle, il était resté chez lui sans avoir été inquiété par les autorités, alors que la procédure dirigée contre lui aurait été rouverte en juillet 2012. En outre, ce n’était qu’en mars et juillet 2013 que les autorités avaient pris contact avec l’ex-épouse de l’auteur à son domicile, c’est-à-dire plusieurs mois après le départ régulier de l’auteur. Ayant par ailleurs jugé invraisemblable que l’auteur ait pu travailler pour une entreprise publique et les autorités chinoises pendant de nombreuses années si ces autorités le soupçonnaient de soutenir le mouvement prodémocratique, la Commission a conclu que l’auteur n’avait pas démontré la probabilité du risque de persécution justifiant l’octroi de l’asile auquel il aurait été exposé avant son départ.

4.10La Commission n’a accordé aucun poids aux nouvelles informations communiquées au Comité par l’auteur en mars 2016, selon lesquelles, en décembre 2015, il aurait reçu un appel téléphonique du chef de l’organisation, qui lui aurait dit que le mouvement prodémocratique auquel il appartenait était le Parti chinois de la liberté et de la démocratie fondé en 1989 par Wang Bingzhan. Selon la Commission, l’auteur n’a pas précisé comment le chef de l’organisation était entré en relation avec lui, vu qu’il n’avait pas osé prendre contact avec qui que ce soit d’autre en Chine, pas même ses amis. La Commission a estimé que la déclaration de l’auteur selon laquelle il lui avait fallu, par égard pour son fils autiste, attendre la délivrance de son visa pour quitter légalement la Chine ne pouvait conduire à une appréciation différente étant donné que la Commission avait déjà examiné les allégations de l’auteur et conclu que celui-ci n’avait pas démontré qu’il avait fait l’objet de poursuites par les autorités chinoises.

4.11S’agissant des activités politiques et religieuses de l’auteur au Danemark et des deux articles datés du 6 avril 2014 et du 19 novembre 2014 publiés sur le site Web www.ndt.tv (China Forbidden News) comportant deux photos de l’auteur prises lors d’une manifestation organisée au Danemark le 1er octobre 2014 contre le régime communiste chinois, l’État partie fait observer que l’auteur avait déjà fait état de ces photos lorsqu’il avait demandé à la Commission de rouvrir la procédure d’asile le concernant. Dans sa décision du 24 septembre 2015, la Commission a estimé que ces photos ne justifiaient pas la réouverture du dossier. La Commission a relevé qu’il n’avait été produit qu’une copie d’une photo non datée de l’auteur à une manifestation, sans aucune précision concernant les sites Web sur lesquels cette photo avait été publiée, et qu’il n’avait été produit aucun autre document ni renseignement concernant la participation de l’auteur à d’autres manifestations après le 1er octobre 2014. L’État partie fait observer que les photos prises le 1er octobre 2014 n’ont été téléchargées qu’en 2016, un mois seulement avant la présentation au Comité de la communication de l’auteur par son conseil. En conséquence, l’auteur n’a pas démontré la probabilité d’un risque de persécution ou de violence s’il était renvoyé en Chine. Le fait que l’auteur soit membre d’une confession non reconnue en Chine, qui a des millions d’adeptes dans ce pays, y compris dans la province de l’auteur, et la fermeture de l’église Meixin en Chine ne sauraient conduire à une appréciation différente. L’auteur n’est qu’un membre comme un autre de cette église, et il n’a eu aucun conflit personnel avec les autorités chinoises en raison de sa foi avant son départ de Chine.

4.12S’agissant du grief de l’auteur selon lequel le 24 septembre 2015, la Commission a refusé de faire droit à sa demande d’audition d’un témoin, l’État partie fait valoir que, ce faisant, la Commission a considéré que le témoignage en question, s’il avait pu établir la crédibilité générale de l’auteur, n’aurait toutefois pas été directement pertinent pour étayer les motifs d’octroi de l’asile avancés par celui-ci. Procéder à l’audition d’un témoin est une faculté et non une obligation. Dans la présente espèce, la Commission a tenu compte des motifs avancés pour justifier la demande, à savoir que les sœurs de l’auteur seraient à même de donner des précisions sur les expériences que celui-ci avait vécues et les relier à leurs antécédents communs, des informations déjà connues de la Commission.

4.13L’État partie fait observer que les sœurs de l’auteur ont obtenu l’asile au Danemark en 1992 et 1998 respectivement, et qu’elles n’étaient donc pas avec l’auteur lorsque celui‑ci menait ses activités dans son pays d’origine. Les problèmes qu’avaient rencontrés les sœurs de l’auteur en Chine remontaient à une époque lointaine par rapport à celle durant laquelle l’auteur a mené ses activités dans son pays d’origine et à la date de sa demande d’asile au Danemark. Dès lors, les informations détenues par les sœurs de l’auteur ne sont pas directement liées aux motifs avancés par celui-ci pour demander l’asile. De plus, l’auteur n’a pas fait état de la « situation » de ses sœurs durant la procédure d’asile ayant précédé sa demande de réouverture du dossier.

4.14En ce qui concerne les observations de l’auteur concernant l’absence de recherche des séquelles de torture avant l’évaluation de sa demande au fond, l’État partie fait observer que la Commission ne fait procéder à un examen à cet effet que s’il est démontré qu’un demandeur d’asile a été précédemment soumis à la torture, et si elle estime aussi qu’il y a un risque réel que le demandeur d’asile concerné soit de nouveau soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine. Bien que dans sa décision du 4 septembre 2013 la Commission ait admis que l’auteur avait été effectivement arrêté et torturé en 2001, elle n’a pas estimé que celui-ci, de par sa position et son importance supposées, courrait un risque de persécution à son retour en Chine justifiant l’octroi de l’asile, même si l’on tenait compte des faits survenus en 2012. Puisqu’il n’y avait aucun risque réel que l’auteur soit soumis à la torture à son retour en Chine, la Commission a rejeté la demande du conseil tendant à la recherche de séquelles de torture sur son client. Les observations de l’auteur à cet égard montrent seulement qu’il n’est pas d’accord avec l’appréciation des preuves faite par la Commission ce qui, de l’avis de l’État partie, est dénué de pertinence.

4.15L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle il convient d’accorder un poids important à l’appréciation de l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que d’une manière générale c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer si un risque existe. Les deux décisions de la Commission ont été prises à l’issue de procédures au cours desquelles l’auteur a eu la possibilité d’exprimer son point de vue par écrit et oralement avec l’assistance d’un conseil.

4.16Dans sa communication au Comité, l’auteur se borne à exprimer son désaccord quant à l’appréciation des preuves faite par la Commission et à ses conclusions factuelles, mais il ne démontre pas que cette appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice, ni qu’un facteur de risque n’a pas été pris en considération. L’État partie estime par conséquent que l’auteur tente en fait d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir un réexamen des faits présentés à l’appui de sa demande d’asile.

4.17En conclusion, l’État partie réaffirme qu’il n’y aurait pas violation des articles 6 et 7 du Pacte si l’auteur et son fils mineur étaient renvoyés en Chine, et que le Danemark ne saurait être tenu responsable des violations de l’article 18 qui pourraient être commises par un autre État partie en dehors du territoire danois et de la juridiction danoise. De plus, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi qu’il serait privé des droits qu’il tient de l’article 18 du Pacte s’il était renvoyé en Chine, étant donné que les autorités chinoises tolèrent généralement que les adeptes d’églises non enregistrées pratiquent leur foi, et il prie le Comité de lever les mesures provisoires qu’il a accordées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 17 février 2017, le conseil de l’auteur a soutenu que la crédibilité des déclarations de l’auteur ne pouvait être sérieusement mise en doute L’auteur, comme son père et ses sœurs, aspire depuis des années à la démocratie. En 1998, il a accepté de travailler bénévolement pour une organisation liée à une église au bénéfice de laquelle, en sa qualité de comptable d’une entreprise publique de matériaux de construction, il a transféré d’importantes sommes d’argent au moyen de surfacturations. Ces sommes provenaient de dons de l’étranger en faveur du mouvement prodémocratique. Ces irrégularités ayant été découvertes par les autorités, l’auteur a été soupçonné de corruption passive ou de surfacturation à des fins de gain personnel.

5.2L’auteur a été incarcéré et torturé en 2001 mais a été libéré faute de preuves. Cesfaits ont été considérés comme avérés par l’État partie. Affaibli par les tortures subies, l’auteur s’est vu assigner des tâches moins exigeantes au sein de l’entreprise publique. Parallèlement, il recrutait et formait de nouveaux membres de l’organisation liée à l’église, sous le couvert d’un groupe d’études de l’église Meixin où il pratiquait également sa foi chrétienne. Les membres de cette église, comme ceux de toutes les églises privées, étaient harcelés par la police, qui prenait notamment des photos des participants aux offices religieux.

5.3Après l’arrestation en juillet 2012 de son chef religieux, M. Zhang, l’auteur était constamment en alerte ; il a envisagé plusieurs possibilités pour s’enfuir rapidement, mais a finalement décidé de quitter la Chine en toute sécurité avec son fils autiste. Le risque que courait l’auteur après l’arrestation de M. Zhang était double. Premièrement, il était de plus en plus probable que la procédure engagée contre l’auteur de 1998 à 2001 concernant le transfert en Chine d’importants capitaux étrangers pour financer les activités de l’organisation prodémocratique allait être rouverte et que toute l’opération, notamment le rôle joué par l’auteur, risquait à cette occasion d’être découvert, dans la mesure où M. Zhang risquait de parler sous la torture. En second lieu, les activités menées plus récemment par l’auteur pour la même organisation sous le couvert de son église risquaient d’être mises au jour. Par chance, la participation de l’auteur au mouvement prodémocratique n’a pas été découverte avant qu’il quitte légalement le pays en décembre 2012. À un certain moment entre décembre 2012 et mars 2013, il a commencé à faire l’objet de soupçons, si bien que les autorités sont venues perquisitionner le domicile de son ex‑épouse en mars 2013.

5.4Après son arrivée au Danemark, l’auteur a fait connaître sa position prodémocratique à plusieurs occasions, par exemple lors du Nouvel an chinois en 2014. En décembre 2015, il a reçu un appel téléphonique d’un dirigeant de son organisation locale qui le mettait en garde contre une trop grande visibilité. L’auteur n’avait aucune raison de révéler ses activités prodémocratiques au Danemark avant l’audition devant la Commission puisque son expulsion du Danemark était différée compte tenu de l’examen du dossier de son fils fondé sur des motifs humanitaires.

5.5La Commission a uniquement fondé sa décision de rejet sur les cinq mois écoulés entre l’arrestation de M. Zhang en juillet 2012 et le départ de Chine de l’auteur en décembre 2012, et les huit mois écoulés entre l’arrestation de M. Zhang et la recherche de l’auteur par les autorités en mars 2013. L’auteur reconnaît qu’il ne figurait pas sur la liste des personnes recherchées en décembre 2012 puisqu’il a pu partir sans problème. Il est possible que M. Zhang ne l’ait dénoncé qu’au bout d’un certain temps ou qu’il ait résisté à la pression ou soit mort sous la torture avant de pouvoir donner des informations concernant l’auteur. Néanmoins, l’auteur sait qu’à un certain moment entre décembre 2012 et mars 2013, il était recherché par la police chinoise puisque celle-ci s’est présentée au domicile de son ex-épouse. L’auteur souligne, indépendamment du rôle qu’il a pu jouer au sein de l’organisation, qu’il s’écoule toujours un certain temps avant qu’une personne arrêtée dénonce ses amis, ou que la réouverture de procédures relatives au mouvement prodémocratique donne lieu à une enquête et renforce ainsi les soupçons pesant contre l’auteur. L’auteur ajoute qu’il a pris des précautions pour éviter d’être persécuté, notamment en utilisant un faux nom dans son quartier après sa libération en 2001, et en demandant à être informé du registre tenu par l’organisation prodémocratique relatif aux personnes recherchées afin d’être dûment averti.

5.6L’auteur soutient que puisque l’État partie s’interrogeait sur la crédibilité de ses allégations, il aurait dû recourir à toutes les possibilités d’enquête dont il disposait, comme cela a été proposé à plusieurs reprises durant la procédure d’asile, afin de prendre ses décisions. L’auteur conteste les conclusions de l’État partie quant à son manque de crédibilité, car elles ne correspondent pas aux constatations de la Commission, laquelle a considéré comme établi que l’auteur avait été détenu et torturé, et qu’il continuait malgré cela à s’opposer au régime communiste. Après avoir reconnu que l’auteur s’était opposé au régime pendant au moins quatorze ans, l’État partie a refusé d’admettre ou de croire, sans fournir de motifs suffisants, qu’il était aujourd’hui en danger, simplement parce qu’il avait fallu plus de cinq mois à la police pour commencer à le rechercher après l’arrestation de l’un de ses supérieurs. En raison de cette contradiction concernant la crédibilité, la Commission aurait dû accorder à l’auteur le bénéfice du doute, ou au moins accepter le témoignage de sa sœur. Sa sœur E. L. aurait pu donner des explications sur le passé anticommuniste de la famille, sur l’opposition de celle-ci au régime par lequel elle avait elle-mêmeété torturée de nombreuses années auparavant, et sur la façon dont l’auteur avait refusé de partir pour se mettre en sécurité, parce qu’il voulait continuer à lutter pour la démocratie. Elle aurait pu aussi décrire l’extrême nervosité de l’auteur durant toute la période d’attente entre juillet et décembre 2012 et expliquer qu’en raison des tortures qu’il avait subies par le passé, il avait des difficultés à s’exprimer. L’État partie soutient que les dossiers des sœurs de l’auteur ont été pris en considération par la Commission lorsqu’elle a rendu sa décision le 4 septembre 2013, mais l’auteur affirme que ces dossiers n’ont été remis à son conseil que dix minutes avant l’audition du 4 septembre 2013. L’État partie n’a pas précisé à quel moment la Commission elle-même avait reçu ces dossiers, ce qui laisse supposer qu’elle ne les a reçus que le 4 septembre 2013. Vu que la Commission traite plusieurs affaires par jour, la décision concernant l’auteur a été rédigée et remise à celui-ci et à son conseil le même jour. L’auteur soutient que la décision du 4 septembre 2013 semble reposer sur une conclusion hâtive à laquelle la Commission est parvenue sans avoir procédé à un examen approfondi de tous les éléments pertinents et après avoir refusé que des preuves à décharge soient produites. Ilsouligne aussi que la décision de la Commission comportait plusieurs erreurs de date. Enfin, l’auteur dit de manière générale que l’État partie devrait exiger des interprètes employés par la Commission un minimum de qualifications afin de limiter les possibilités de malentendus et d’erreurs.

5.7En confirmant la décision de rejet de la demande d’asile de l’auteur sans être justifié à douter de la crédibilité de celui-ci, l’État partie l’a exposé à un risque considérable de menaces contre sa vie, ou de torture ou de mauvais traitements, c’est-à-dire à une violation des articles 6, 7 et 18 du Pacte en cas d’expulsion vers la Chine. L’auteur rappelle que son « infraction » politique a été commise sous le couvert de son église, ce qui justifie ses craintes quant au risque de violation de l’article 18 du Pacte s’il était expulsé vers la Chine. Il prie donc le Comité de ne pas lever les mesures provisoires.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 13 septembre 2017, l’État partie a formulé des observations complémentaires. Il affirme que les commentaires de l’auteur en date du 17 février 2017 n’apportent pas de nouvel élément factuel par rapport aux motifs d’asile initialement invoqués. Il réitère donc ses observations du 21 septembre 2016.

6.2À propos de l’argument selon lequel la Commission n’a pas cherché à savoir pour quelles raisons son appréciation était contestée par les sœurs de l’auteur, l’État partie affirme que dans sa décision du 24 septembre 2015 par laquelle elle a refusé de rouvrir la procédure d’asile, la Commission a estimé que les lettres du 12 septembre 2013 et du 25 août 2015 envoyées successivement par les sœurs de l’auteur ne fournissaient aucune information nouvelle. Les données pertinentes avaient donc été examinées par la Commission.

6.3S’agissant de l’absence de recours contre les décisions de la Commission, l’État partie rappelle la jurisprudence de la Cour suprême qui a établi que le réexamen par les tribunaux des décisions de la Commission ne peut porter que sur des points de droit, par exemple un défaut de fondement de la décision critiquée, des vices de procédure ou l’exercice illégal d’un pouvoir discrétionnaire. Concernant l’audition de témoins, l’État partie réaffirme que la Commission a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’entendre les sœurs de l’auteur car elles n’avaient pas une connaissance directe des activités de l’auteur dans son pays d’origine. À propos de l’observation générale de l’auteur concernant le manque de qualifications des interprètes employés par la Commission, l’État partie estime peu probable que des erreurs d’interprétation ou des malentendus dus à celle-ci aient influé sur la décision de la Commission et constate que l’auteur n’a formulé aucune allégation spécifique en ce sens.

6.4Quant à l’argument de l’auteur selon lequel la Commission n’aurait pas procédé à un examen approfondi de son dossier parce que sa décision du 4 septembre 2013 comportait des erreurs de dates et était succinctement motivée, l’État partie fait observer que la Commission a pleine liberté d’appréciation et qu’elle a pris sa décision en se fondant sur une évaluation globale de tous les éléments du dossier. Les dates inexactes figurant dans la décision du 4 septembre 2013 étaient dues à une erreur de la Commission et ont été rectifiées dans les observations de l’État partie. Cette erreur n’a toutefois pas pu, à elle seule, avoir d’incidence sur la décision puisqu’il avait été procédé à un examen approfondi du dossier pour déterminer si les conditions posées à l’article 7 de la loi relative aux étrangers étaient remplies ; elle ne justifiait donc pas une révision de sa décision par la Commission. De plus, l’auteur n’a pas établi que les erreurs de date dans la décision avaient eu un effet déterminant sur l’appréciation de la Commission.

6.5L’État partie réaffirme que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation des articles 6, 7 et 18 du Pacte si lui-même et son fils mineur étaient renvoyés en Chine. La communication de l’auteur montre simplement que celui-ci conteste le résultat de l’évaluation de sa situation particulière et des autres éléments du dossier par la Commission. Dans ses commentaires, l’auteur n’a pas établi que l’appréciation faite par la Commission avait été arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou avait représenté un déni de justice. L’auteur n’a pas non plus relevé d’irrégularité dans le processus de prise de décisions et il n’a mentionné aucun facteur de risque que la Commission n’aurait pas dûment pris en considération.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteur a été débouté du recours qu’il avait formé auprès de la Commission danoise de recours des réfugiés contre le rejet de sa demande d’asile, que sa demande d’autorisation de séjour au titre de l’article 9 c) 3) ii) de la loi relative aux étrangers a été rejetée par le Ministère de la justice, et que la demande de réouverture de la procédure d’asile le concernant a été rejetée par la Commission de recours des réfugiés le 24 septembre 2015. À ce propos, le Comité relève que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif concernant l’épuisement des recours internes. Comme les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d’appel, l’auteur ne dispose plus d’aucun recours. En conséquence, le Comité considère que les recours internes ont été épuisés.

7.4En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 18, à savoir qu’il serait privé de la possibilité de pratiquer sa religion chrétienne s’il était renvoyé en Chine, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ces allégations ne sont pas suffisamment étayées. Il relève en outre que, d’après l’État partie, le grief que l’auteur tire de l’article 18 est irrecevable ratione loci et ratione materiae parce qu’il est incompatible avec les dispositions du Pacte, vu que l’article 18 n’est pas d’application extraterritoriale, et parce que les allégations de l’auteur relatives à une violation de cette disposition ne reposent pas sur un traitement qui lui aurait été infligé au Danemark mais sur les conséquences qu’il subirait, selon lui, s’il était renvoyé en Chine. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte entraîne pour les États parties l’obligation de ne pas expulser quelqu’un de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur, dans sa communication, ne montre pas comment l’État partie, en le renvoyant en Chine, violerait les droits qu’il tient de l’article 18 d’une manière qui l’exposerait à un risque sérieux de préjudice irréparable tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité prend note du grief que tire l’auteur des articles 6 et 7 du Pacte, à savoir que s’il était renvoyé en Chine, il risquerait de faire l’objet, en raison de ses activités d’appui au mouvement pour une démocratie multipartite, d’accusations politiquement motivées et d’être, de ce fait, condamné à mort ou soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7 devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Le Comité considère toutefois que l’auteur a suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles il craint que son expulsion vers la Chine n’entraîne, pour lui‑même et pour son fils mineur autiste, le risque de subir des traitements incompatibles avec les articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité estime donc que cette partie de la communication, qui soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte, est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.6Le Comité décide que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si le renvoi de l’auteur et de son fils mineur autiste vers la Chine constituerait une violation par l’État partie des obligations que lui imposent les articles 6 et 7 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi établi qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle en outre qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par les autorités des États parties et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

8.4À cet égard, le Comité note que l’auteur craint, s’il était renvoyé en Chine, d’être arrêté et éventuellement d’être condamné à la réclusion à perpétuité ou à la peine de mort, et d’être de nouveau soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, parce qu’il a œuvré secrètement pendant de nombreuses années en faveur de l’instauration de la démocratie en Chine et a été un membre actif de l’église Meixin, une église chrétienne non reconnue. De plus, le Comité prend note des affirmations de l’auteur selon lesquelles l’État partie n’a pas mené d’enquête, dans le cadre de l’évaluation de sa crédibilité, sur les allégations et les séquelles de tortures subies dans le passé ; sur l’entrée en dissidence de sa famille, notamment la fuite de ses sœurs qui ont obtenu l’asile au Danemark ; sur sa participation à des manifestations contre la Chine et son appartenance à une église mormone au Danemark ; et sur les risques encourus depuis 2012. En particulier, l’auteur soutient que la Commission n’a pas procédé à l’examen des éléments de preuve disponibles avant de rendre ses première et seconde décisions de rejet de sa demande et qu’elle s’est notamment abstenue : a) de consulter les informations publiées sur le site Web de l’église Meixin coéditées par l’auteur ; b) d’entendre la sœur aînée de l’auteur comme témoin ; et c) de faire droit à la demande d’examen médical de l’auteur visant à faire constater des séquelles de torture.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7 du Pacte doivent être déclarés irrecevables pour défaut manifeste de fondement parce que l’auteur n’a pas suffisamment établi qu’il serait exposé personnellement à un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, s’il était renvoyé en Chine. Le Comité note aussi que selon l’État partie, la communication de l’auteur ne fournit aucune nouvelle information importante. Il constate toutefois que l’État partie n’a pas mis en doute la crédibilité générale de l’auteur, mais a seulement fait valoir que plusieurs de ses affirmations n’étaient guère plausibles. Le Comité relève par ailleurs que la Commission a considéré comme avéré  : a) que l’auteur s’était engagé dans le mouvement pour la démocratie ; b) que l’auteur avait éveillé la suspicion des autorités, principalement pour des faits de surfacturation commis dans une entreprise publique afin de transférer des fonds de l’étranger au mouvement pour la démocratie ; c) que l’auteur avait été membre d’une église chrétienne non reconnue ; d) que l’auteur avait été arrêté et torturé ; e) que l’auteur avait quitté la Chine légalement suite à l’arrestation de M. Zhang ; et f) que les autorités chinoises s’étaient présentées au domicile de l’ex-épouse de l’auteur en mars et juillet 2013.

8.6Néanmoins, la Commission a conclu que l’auteur n’avait pas démontré la probabilité qu’en raison de ses activités politiques et religieuses en Chine et au Danemark, il avait acquis une visibilité de nature à attirer l’attention des autorités chinoises au point de justifier l’octroi de l’asile. La Commission a principalement fondé sa décision sur le fait que l’auteur n’avait quitté la Chine légalement que cinq mois après l’arrestation de plusieurs responsables de l’organisation pour laquelle il avait mené ses activités, tout en jugeant improbable que les autorités chinoises aient attendu huit mois après l’arrestation de ces responsables pour se présenter au domicile de l’ex-épouse de l’auteur et sans tenir compte de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il avait joué un rôle déterminant dans l’organisation. De plus, la Commission a estimé que les renseignements relatifs aux activités politiques et religieuses de l’auteur au Danemark avaient été soumis tardivement − en septembre 2015 seulement, immédiatement avant la date prévue pour l’expulsion de l’auteur.

8.7Le Comité constate que nombre des faits relatés dans la présente affaire, notamment les informations relatives à l’engagement personnel de l’auteur dans le mouvement pour la démocratie (le Parti pour la liberté et la démocratie en Chine), les tortures subies dans le passé, et l’intérêt porté à l’auteur par les autorités avant et après son départ de Chine, n’ont pas été contestés par les autorités de l’État partie dans le cadre de l’appréciation de sa crédibilité. Ces autorités n’ont toutefois pas suffisamment expliqué comment elles étaient parvenues à leur conclusion selon laquelle l’auteur et son fils mineur ne courraient aucun risque personnel en cas de renvoi. Dans ce contexte, le Comité relève que l’État partie n’a pas suffisamment tenu compte des persécutions subies dans le passé par l’auteur, son père et ses sœurs, et que les autorités de l’État partie n’ont pas adéquatement examiné si l’auteur et son fils risquaient de faire l’objet de violations de leurs droits étant donné les circonstances, ni les conséquences que l’expulsion aurait sur le fils autiste de l’auteur. Le Comité note d’autre part que la demande d’examen médical de l’auteur visant à faire constater des séquelles de torture a été rejetée par la Commission au motif qu’elle ne procédait à un tel examen que si les allégations formulées à cet effet semblaient crédibles et qu’elle constatait qu’il y avait un risque effectif et réel que le demandeur d’asile soit de nouveau soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité considère que les raisons pour lesquelles la Commission a rejeté la demande d’examen médical de l’auteur ne paraissent pas raisonnables, en particulier parce que l’État partie a admis que l’auteur avait été torturé par le passé. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître l’existence d’un risque réel, pour l’auteur et son fils, de subir un traitement contraire aux dispositions de l’article 7 du Pacte en conséquence de leur expulsion vers la Chine, risque auquel les autorités de l’État partie n’ont pas accordé un poids suffisant. Le Comité conclut donc qu’en expulsant l’auteur et son fils mineur vers la Chine, l’État partie manquerait aux obligations que lui impose l’article 7 du Pacte.

8.8Compte tenu de ses conclusions relatives à l’article 7, le Comité n’examinera pas plus avant les griefs que l’auteur tire de l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate qu’en renvoyant l’auteur et son fils mineur en Chine, l’État partie violerait les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, en procédant à un réexamen de la décision d’expulser l’auteur et son fils vers la Chine eu égard aux obligations que lui impose le Pacte et aux présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteur et son fils tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité prie l’État partie de lui fournir, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans sa langue officielle et à veiller à ce qu’elles soient largement diffusées.