Nations Unies

CCPR/C/123/D/2250/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

31 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2250/2013 * , **

Communication présentée par :

Oleksii Katashynskyi (représenté par un conseil, Sergiy Zayets)

Au nom de :

Oleksii Katashynskyi

État partie :

Ukraine

Date de la communication :

19 mars 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 juillet 2018

Objet :

Atteinte au droit et à la possibilité de prendre part à la direction des affaires publiques et d’être élu au cours d’élections périodiques honnêtes

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Activités politiques ; participation à la direction des affaires publiques ; vote et élections ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

2, 14 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Oleksii Katashynskyi, de nationalité ukrainienne, né en 1967. Il affirme être victime d’une violation par l’Ukraine des droits qu’il tient des articles 2, 14 et 25 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 octobre 1991. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En octobre 2010, l’auteur a présenté sa candidature au conseil municipal de Sébastopol dans la circonscription électorale à siège unique no 17 pour les élections des députés du peuple à la Verkhovna Rada (Parlement) de la République autonome de Crimée (élections locales). La procédure régissant la conduite des élections en Ukraine est prévue par la loi « relative aux élections des députés à la Verkhovna Rada de la République autonome de Crimée, des représentants aux conseils locaux et des présidents des conseils de village, d’agglomération et de ville » (la loi sur les élections). La circonscription no 17 comprenait cinq bureaux de vote dans le district Gagarinsky de Sébastopol. L’auteur affirme que le droit d’être élu lui a été dénié du fait de la perte de bulletins de vote dans un des bureaux de vote, où il avait remporté la majorité des voix.

2.2L’auteur explique que selon les résultats du scrutin qui a eu lieu le 31 octobre 2010, son principal adversaire était le candidat G. car tous les autres candidats avaient obtenu un nombre de voix insignifiant. Les procès-verbaux établis par les commissions électorales des bureaux de vote indiquaient que les suffrages des électeurs s’étaient répartis comme suit. Dans le bureau de vote no 02076, l’auteur avait obtenu le plus grand nombre de voix.

Bureau de vote n o

Katashynskyi O. O. (nombre de voix)

G, S. A. (nombre de voix)

Écart de voix en faveur de Katashynskyi O. O. (+/-)

02074

142

175

-33

02075

131

108

+23

02076

209

150

+59

02077

99

131

-32

02183

0

2

-2

Total

581

566

+15

2.3Le 1er et le 2 novembre 2010, après avoir procédé au décompte des voix et établi leur procès-verbal, les commissions électorales des bureaux de vote ont transmis à la commission électorale du district Gagarinsky les procès-verbaux de dépouillement ainsi que d’autres documents relatifs à l’élection. Le 3 novembre, après avoir accepté les documents, la commission électorale du district Gagarinsky a décidé de faire procéder à un nouveau comptage des voix dans les bureaux de vote nos 02075, 02076 et 02077. Le même jour, durant le nouveau comptage, il a été constaté qu’il manquait des documents électoraux du bureau de vote no 02076. L’information concernant ces documents manquants a été transmise par la commission électorale du district Gagarinsky au bureau du Procureur. D’après l’auteur, aucune enquête effective n’a été menée.

2.4Les résultats communiqués par les commissions électorales des bureaux de vote pour les bureaux nos 02075 et 02077 ont été confirmés à l’issue du nouveau comptage des voix.

2.5Le 4 novembre 2010, la commission électorale du district Gagarinsky a invalidé le scrutin dans le bureau de vote no 02076 (sans ordonner un nouveau scrutin) en raison de l’impossibilité de recompter les voix et de vérifier le rapport sur le dépouillement du scrutin (le procès-verbal) de la commission électorale du bureau de vote concerné. Le même jour, le rapport sur les résultats des élections a été établi, faisant ressortir queG. avait obtenu 416 voix tandis que l’auteur en avait obtenu 372.La déduction des résultatsdu bureau de vote no 02076opérée dans ledécompte des voix par la commission électorale du district Gagarinsky a fait que l’auteur a obtenu 44 voix de moins que son adversaire, le candidatG. Ce rapport a été transmis à la commission électorale de la ville de Sébastopol pour que celle-ci établisse les résultats définitifs des élections.

2.6Le 5 novembre 2010, la commission électorale de la ville de Sébastopol a établi le rapport sur les résultats du scrutin dans la circonscription no 17 et a déclaré le candidat G. élu conseiller municipal de Sébastopol.

2.7À une date non précisée, l’auteur a formé recours devant le tribunal administratif de circuit de Sébastopol contre les décisions rendues par la commission électorale du district Gagarinsky le 3 novembre 2010 (sur le nouveau comptage des voix) et le 4 novembre 2010 (sur l’invalidation du scrutin dans le bureau de vote no 02076). Le 6 novembre 2010, le tribunal administratif de circuit de Sébastopol a annulé les deux décisions contestées, concluant que la commission électorale du district Gagarinsky avait manqué à son obligation de garantir l’intégrité de l’élection en ce qui concernait les documents du bureau de vote no 02076. La décision du tribunal de première instance a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Sébastopol le 8 novembre 2010.

2.8Le 6 novembre 2010, l’auteur s’est pourvu devant le tribunal administratif de circuit de Sébastopol contre la décision de la commission électorale du district Gagarinsky en date du 4 novembre 2010 (sur les résultats des élections). Il demandait l’annulation du rapport relatif aux résultats des élections en s’appuyant sur la décision du tribunal administratif de circuit de Sébastopol du 6 novembre 2010. Le 8 novembre 2010, le tribunal administratif de circuit de Sébastopol a invalidé les résultats de l’élection.

2.9Le 7 novembre 2010, l’auteur s’est pourvu devant le tribunal administratif de circuit de Sébastopol contre la décision rendue par la commission électorale de la ville de Sébastopol le 5 novembre 2010 (sur les résultats du scrutin dans la circonscription no 17). Le 10 novembre 2010, le tribunal administratif de circuit de Sébastopol a annulé la décision de la commission électorale de la ville de Sébastopol par laquelle le candidat G. avait été déclaré élu conseiller municipal de Sébastopol dans la circonscription no 17.

2.10Le 10 novembre 2010, la commission électorale du district Gagarinsky a établi un nouveau rapport sur le décompte des voix fondé sur les décisions du tribunal administratif de circuit de Sébastopol en date du 6 et du 8 novembre 2010, confirmant effectivement que l’auteur avait obtenu la majorité des voix dans la circonscription no 17. Le même jour, la commission électorale du district Gagarinsky a également annulé ses décisions du 3 novembre 2010 (sur le nouveau comptage des voix) et du 4 novembre 2010 (sur les résultats des élections).

2.11Le 12 novembre 2010, la Cour administrative d’appel de Sébastopol, saisie d’un recours de la commission électorale du district Gagarinsky, a annulé la décision du tribunal administratif de circuit de Sébastopol en date du 8 novembre 2010 (voir par. 2.9). Le même jour, la Cour administrative d’appel de Sébastopol a également annulé la décision du tribunal administratif de circuit de Sébastopol datée du 10 novembre 2010 (voir par. 2.10).

2.12Le 15 novembre 2010, la commission électorale du district Gagarinsky a tenté de transmettre le nouveau rapport sur le décompte des voix, établi le 10 novembre 2010, à la commission électorale de la ville de Sébastopol, mais celle-ci l’a refusé. Le même jour, l’auteur a saisi le tribunal administratif de circuit de Sébastopol d’une plainte concernant l’action (inaction) de la commission électorale de la ville de Sébastopol. Le 20 novembre 2010, le tribunal administratif de circuit de Sébastopol a rejeté la plainte, affirmant que les résultats de l’élection avaient été publiés le 9 novembre 2010 et que, le scrutin étant clos, la commission électorale de la ville de Sébastopol n’avait aucune raison d’accepter le nouveau rapport sur le décompte des voix. Cette décision du tribunal administratif de circuit de Sébastopol a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Sébastopol le 24 novembre 2010.

2.13L’auteur ajoute que la législation de l’État partie ne permet pas de se pourvoir devant la Cour de cassation en matière électorale et qu’il a donc épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les restrictions déraisonnables ont porté atteinte au droit et à la possibilité, garantis par l’article 25 du Pacte, de prendre part à la direction des affaires publiques et d’être élu au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs. Il ajoute que la question centrale soulevée dans la présente communication porte, non pas sur le caractère plus ou moins arbitraire du recomptage des voix, mais plutôt sur la légalité du refus des autorités de réparer effectivement la violation, même après que cette violation eut été établie au plan interne.

3.2L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation de l’article 2 du Pacte et soutient qu’il a été privé de voies de recours effectives au niveau interne puisque les juridictions de l’État partie ont refusé, au motif que le scrutin était désormais clos, d’examiner au fond la plainte qu’il avait déposée contre la commission électorale de la ville de Sébastopol. De plus, même si l’auteur avait entrepris de contester les décisions liées aux élections tandis que le processus d’établissement des résultats électoraux était encore en cours, il n’avait aucune chance de soutenir le rythme de la procédure ; alors même qu’il engageait un recours contre une décision, une autre décision se rapportant directement à la décision attaquée était prise. De plus, la décision déclarant que le candidat G. était élu conseiller municipal de Sébastopol a effectivement clos le scrutin et rendu impossible toute contestation de cette décision par l’auteur.

3.3L’auteur allègue aussi une violation des droits qui sont garantis par l’article 14 du Pacte. Il fait référence à la décision de la Cour administrative d’appel de Sébastopol en date du 24 novembre 2010 (la décision définitive dans le contexte de la présente communication) selon laquelle, sauf pour les décisions relatives au nouveau comptage des voix et à l’invalidation du scrutin dans le bureau de vote no 02076, les juridictions de l’État partie s’estimaient incompétentes pour examiner les recours de l’auteur contre les décisions prises par les commissions électorales, en soulignant que le règlement de tous les différends électoraux relevait exclusivement de la compétence des commissions électorales et que les tribunaux n’avaient pas le droit de s’immiscer dans le mode d’exercice de cette compétence. L’auteur ajoute que les commissions électorales n’ont aucune caractéristique d’un organe juridictionnel et que la loi même de l’État partie dispose que les différends électoraux doivent être examinés par les tribunaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a soumis des observations sur la recevabilité et le fond de la communication le 26 décembre 2013. En ce qui concerne la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie juge inutile d’analyser l’arrêt Kerimova c. Azerbaïdjan , lequel porte sur une affaire intéressant un autre État partie, qui a une législation différente. Concernant l’arrêt Kovach c. Ukraine , la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en raison du conflit entre les articles 70 et 72 de la loi de 2001 sur les élections législatives, qui privait de tout but légitime l’atteinte aux droits de l’auteur par les autorités. En l’espèce, c’est la loi relative aux élections des députés à la Verkhovna Rada de la République autonome de Crimée, des représentants aux conseils locaux et des présidents des conseils de village, d’agglomération et de ville (la loi sur les élections) qui a été appliquée. En conséquence, l’arrêt Kovach c. Ukraine n’est pas pertinent.

4.2L’État partie souscrit à l’énoncé des faits dans la communication de l’auteur, à savoir que, le 6 novembre 2010, le tribunal administratif de circuit de Sébastopol (la juridiction de première instance) a annulé les décisions de la commission électorale du district Gagarinsky du 3 novembre 2010 sur le nouveau comptage des voix dans le bureau de vote no 02076 et du 4 novembre 2010 sur l’invalidation du scrutin dans le même bureau de vote. Le tribunal a aussi estimé que la commission électorale de district avait manqué à son obligation d’assurer l’intégrité des documents électoraux.

4.3En outre, le 12 novembre 2010 la Cour administrative d’appel de Sébastopol a rejeté les griefs de l’auteur concernant les actions de la commission électorale du district Gagarinsky et de la commission électorale de la ville de Sébastopol liées à leurs décisions (sur le dépouillement du scrutin, l’élaboration d’un protocole sur les résultats des élections, l’adoption d’une décision sur lesdits résultats et l’approbation de ces résultats) au motif que, premièrement, lorsqu’elles avaient pris les décisions contestées ultérieurement les deux commissions n’avaient pas connaissance, et ne pouvaient pas avoir connaissance, de la décision du tribunal de première instance en date du 6 novembre 2010 et, deuxièmement, le protocole/rapport relatif aux résultats des élections électoraux comportait exclusivement des données arithmétiques et ne pouvait pas faire grief. Les commissions électorales avaient pris les décisions contestées en se fondant sur les documents et les données de fait dont elles disposaient alors. Quand les décisions ont été prises, aucune violation n’a été décelée.

4.4La législation ukrainienne offre deux voies de recours contre l’action des commissions électorales : la voie juridictionnelle et la saisine de la commission électorale supérieure. En vertu de l’article 85 de la loi sur les élections, les recours formés contre l’action ou l’inaction des commissions électorales peuvent être soumis à la commission électorale de niveau supérieur ou aux tribunaux. Les recours contre le défaut d’agir d’une commission électorale peuvent aussi être soumis à la Commission électorale centrale. La législation nationale n’exige pas que les deux voies de recours soient épuisées simultanément. Néanmoins, dans la présente espèce, l’auteur aurait dû saisir la Commission électorale centrale, parce que les juges ont indiqué directement dans leurs décisions que la question de la régularité du protocole (rapport) sur les résultats des élections était hors du champ de leur compétence et relevait entièrement de la compétence de la commission électorale.

4.5Compte tenu de ce qui précède, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes offerts par l’État partie, comme l’exige l’article 2 du Pacte. Les juges ont agi dans le cadre de la législation nationale et il n’y pas eu violation de l’article 14 du Pacte. Enfin, les autorités nationales n’ont pas commis de violation de l’article 25 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires, datés du 28 mai 2014, l’auteur affirme que, comme l’État partie l’explique avec justesse, toute action, inaction ou décision des commissions électorales peut être contestée suivant deux voies parallèles : devant la justice ou devant la commission électorale de niveau supérieur. Il souligne que la législation interne ne limite en aucune façon la compétence des tribunaux par rapport à celle des commissions électorales car les deux voies sont de valeur égale. L’État partie affirme que la juridiction interne n’avait pas compétence pour examiner un différend électoral, mais pourtant le tribunal n’a pas refusé d’examiner le recours et n’a pas jugé celui-ci irrecevable ;il a même rendu une décision sur le fond. S’il était incompétent, le tribunal aurait dû s’abstenir d’examiner le recours ou classer l’affaire. En outre, le paragraphe 11 de l’article 85 de la loi relative aux élections des députés à la Verkhovna Rada de la République autonome de Crimée, des représentants aux conseils locaux et des présidents des conseils de village, d’agglomération et de ville oblige le tribunal saisi du recours à informer immédiatement la commission électorale concernée et la commission électorale de niveau supérieur de l’action engagée et de la décision rendue par lui. Dès lors que certains des griefs de l’auteur concernaient l’action de la commission électorale de la ville de Sébastopol, le tribunal en a avisé la Commission électorale centrale. De plus, selon le paragraphe 12 de l’article85 de la loi susmentionnée, si la commission électorale est avisée par le tribunal qu’une action de cette nature est engagée, elle doit renvoyer cette plainte, sans l’examiner, au plus tard le jour suivant la réception de la notification du tribunal, en indiquant les motifs du renvoi. Cela permet d’éviter des recours parallèles et la loi oblige le plaignant à choisir une voie de recours. Il apparaît donc qu’en cas de différend électoralc’est la voie juridictionnelle qui est prioritaire plutôt que la saisine de la commission électorale.

5.2Il était donc suffisant pour l’auteur d’épuiser au moins une des voies de recours disponibles, ce qu’il a fait en saisissant le tribunal. L’auteur maintient donc qu’il a épuisé les recours internes disponibles et que sa communication est recevable.

5.3 Pour ce qui est du fond de la communication, les affaires Kovach c. Ukraine et Kerimova c. Azerbaïdjan portées devant la Cour européenne des droits de l’homme concernent des situations comparables à celle de l’auteur. La loi électorale visée dans l’affaire Kovach c. Ukraine est analogue à celle qui a été appliquée dans la présente espèce. Bien que Kovach c. Ukraine concerne des élections législatives alors que la communication à l’examen porte sur des élections à une assemblée locale, et que ces deux catégories d’élections soient régies par deux lois différentes, les dispositions de ces lois qui portent sur la nature des recours sont analogues. Dans ce contexte, l’État partie n’a pas expliqué la différence de contenu de ces lois (notamment entre les articles 70 et 72 de la loi sur les élections législatives et les articles 73 et 75 de la loi sur les élections) qui pourrait justifier une application différente, ni pourquoi une telle différence aurait un caractère substantiel dans la présente communication. L’auteur soutient que la présente communication concerne non pas les critères de sélection des candidats, mais la façon dont les résultats du scrutin ont été déterminés. Il a pu, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire Kovach c. Ukraine, démontrer au plan interne que cette détermination était fausse. La principale question soulevée dans la présente communication est celle de savoir si le comportement des autorités et les règles normatives sont conformes aux prescriptions de l’article 25 du Pacte en ce qui concerne l’obligation de prendre en considération les résultats factuels du scrutin, dont l’authenticité a été prouvée.

5.4L’auteur conteste aussi l’argument de l’État partie qui affirme que les commissions n’avaient pas connaissance des violations au moment où elles ont pris les décisions attaquées ultérieurement. Il affirme que les États parties doivent respecter les normes établies par le Pacte, que les autorités aient eu ou non l’intention de violer ces normes. Les États parties doivent faire cesser les violations dès qu’ils en ont connaissance. Dans ce sens, le fait que les membres des commissions électorales n’aient pas été informés des décisions du tribunal peut les exonérer d’une responsabilité personnelle quant aux violations, mais ils restaient tenus de réparer ces violations quand celles-ci étaient connues.

5.5L’auteur fait observer que le tribunal a rendu ses décisions avec la participation de la commission électorale, en lui faisant obligation d’informer une commission électorale de niveau supérieur ; les commissions avaient donc connaissance des erreurs. De plus, la décision du tribunal établissant la réalité des violations de la loi électorale a été rendue alors que le processus électoral n’était pas encore achevé, si bien qu’il aurait été possible de réparer effectivement les violations. Selon l’auteur, la violation du Pacte dans le contexte de la communication tient au fait qu’il a obtenu la majorité des voix mais qu’il n’a pas été déclaré élu conseiller municipal de Sébastopol et n’a donc pas pu prendre part à la conduite des affaires publiques. L’État partie n’a présenté aucun argument pour justifier cette situation dans le contexte de l’article 25 du Pacte. L’auteur réaffirme qu’il y a eu violation des droits qu’il tient des articles 2, 14 et 25 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts parce qu’il n’a pas saisi la Commission électorale centrale en ce qui concerne les violations de l’article 25 du Pacte. Le Comité note toutefois qu’il n’est pas contesté que l’auteur a saisi le tribunal administratif de circuit de Sébastopol puis a formé un recours devant la Cour administrative d’appel de Sébastopol. L’État partie n’a cité aucun recours raisonnablement disponible dont l’auteur aurait dû se prévaloir. En conséquence, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 du Pacte parce que, alors que la violation de la loi électorale avait été établie à l’échelon interne, l’auteur a été privé des moyens effectifs permettant de remédier aux conséquences de cette violation. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Il considère toutefois que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 3 de l’article 2 devraient être examinés conjointement avec les griefs tirés de l’article 25 du Pacte. Il estime donc que les griefs sont recevables.

6.5Le Comité prend note du grief de l’auteur qui allègue une violation du droit, consacré à l’article 14 du Pacte, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal établi par la loi qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, parce que, exception faite des décisions relatives au nouveau comptage des voix et à l’invalidation des résultats des élections dans le bureau de vote no 02076, les tribunaux de l’État partie se sont déclarés incompétents pour examiner les recours de l’auteur contre les décisions prises par les commissions électorales, au motif que le règlement de tous les différends électoraux relève de la compétence des commissions électorales. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur aurait dû saisir la Commission électorale centrale, parce que les tribunaux ont indiqué que la question de la régularité des résultats électoraux était hors du champ de leur compétence et relevait entièrement de la compétence de la commission électorale. Il note toutefois l’argument de l’auteur, qui n’est pas réfuté par l’État partie, selon lequel la législation de l’État partie offre deux voies de recours contre l’action des commissions électorales (la saisine de la commission électorale supérieure ou la voie juridictionnelle) et n’exige pas que les deux voies soient suivies simultanément. Le Comité considère donc que les griefs tirés de l’article 14 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

6.6Le Comité prend note des griefs de l’auteur qui affirme qu’il a été porté atteinte au droit de prendre part à la conduite des affaires publiques et au droit d’être élu au cours d’élections périodiques honnêtes, garantis par l’article 25 du Pacte. Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 14 et de l’article 25, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et procède donc à l’examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que selon l’auteur, les circonstances du scrutin, c’est-à-dire le fait que la commission électorale ait décidé de ne pas tenir compte des voix des électeurs d’un bureau de vote parce que le procès-verbal avait été perdu, et le fait que l’État partie n’ait pas agi pour remédier à la violation de ses droits qui en avait résulté, ont emporté une violation de l’article 25 du Pacte. Le Comité rappelle qu’une autorité électorale indépendante devrait être créée afin de superviser le processus électoral et de veiller à ce qu’il soit conduit dans des conditions d’équité et d’impartialité, conformément à des lois établies qui soient compatibles avec le Pacte. La sécurité des urnes doit être garantie. Un contrôle indépendant du vote et du dépouillement devrait être exercé et il faut offrir la possibilité d’un réexamen par les tribunaux, ou une autre procédure équivalente, afin que les électeurs aient confiance dans la sûreté du scrutin et du dépouillement des votes. Le Comité relève que la décision d’invalider le scrutin dans le bureau de vote no 02076, sans que l’organisation de nouvelles élections soit ordonnée ni que des mesures soient prises pour remédier à la perte des documents électoraux, a conduit directement à ce que ce soit le candidat G., et non l’auteur, qui a été déclaré élu. Le Comité note que le tribunal de première instance a infirmé les décisions de la commission électorale, mais que la juridiction supérieure a annulé la décision de ce tribunal. Il note aussi que bien que l’auteur ait contesté les décisions en matière électorale alors que les résultats du scrutin étaient encore en cours d’établissement, plusieurs décisions se rapportant à l’affaire ont été rendues presque simultanément. Si le Comité reconnaît la légitimité de procédures rapides dans les cas de contestation d’une décision concernant des élections, il note l’explication de l’auteur qui dit avoir été dans l’impossibilité de déposer des plaintes actualisées étant donné que tandis qu’il déposait une plainte contre une décision, d’autres décisions en lien direct avec l’élection contestée étaient rendues. En outre, la décision déclarant le candidat G. élu a effectivement clos le scrutin et rendu impossible toute contestation du résultat par l’auteur. Le Comité note également que l’État partie ne conteste pas les faits tels qu’exposés par l’auteur en ce qui concerne les décisions de justice, et reconnaît aussi que l’intégrité des documents électoraux n’a pas été garantie. Le Comité considère par conséquent que, dans les circonstances de l’espèce, la décision d’invalider entièrement le scrutin dans le bureau de vote no 02076 sans ordonner que les voix soient recomptées était arbitraire. Cette décision conjuguée à l’impossibilité par la suite d’obtenir un réexamen judiciaire ont donné lieu à une restriction disproportionnée et déraisonnable des droits garantis par l’article 25, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. À la lumière de ce qui précède et au vu des éléments dont il dispose, le Comité conclut que l’État partie est responsable d’une atteinte aux droits garantis à l’auteur par l’article 25, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.3Ayant constaté une violation de l’article 25, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité n’examinera pas séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient du paragraphe 25, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, notamment, d’offrir une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées, y compris le remboursement de tous frais de justice engagés par l’auteur ainsi qu’une indemnisation pour les pertes non pécuniaires subies. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.