Nations Unies

CCPR/C/125/D/2333/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2333/2014 * , **

Communication présentée par :

Ilya Petrovets (représenté par un conseil, Sergei Golubok)

Au nom de :

Ilya Petrovets

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

4 janvier 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

29 mars 2019

Objet :

Détention et mauvais traitements

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; arrestation et détention arbitraires ; droit à un recours

Article(s) du Pacte :

2 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2 et 5

1.L’auteur de la communication est Ilya Petrovets, de nationalité bélarussienne, né en 1986. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 et 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 22 juin 2011, en sa qualité d’observateur du Comité Helsinki bélarussien, l’auteur a observé une manifestation pacifique qui se tenait à Minsk. Le soir, alors qu’il marchait avec deux amis dans le centre de Minsk, il a été arrêté par deux hommes qui étaient vêtus d’uniformes noirs portant l’inscription « Police », mais n’avaient pas de badge d’identification. L’auteur n’a pas été informé des raisons de son arrestation. Il a été placé dans un fourgon de police avec d’autres détenus. Les hommes en uniforme noir les ont tous contraints à s’allonger sur le plancher du véhicule et les ont roués de coups de pied et de coups de poing. L’auteur a reçu au moins cinq coups au visage et au corps, dont un coup direct au nez. Il a été transporté au Département régional du Ministère de l’intérieur de Minsk, où ses empreintes digitales ont été relevées. Il a été libéré vers 22 heures, sans avoir reçu aucun document de la police concernant sa détention.

2.2Le même jour, à 23 heures, l’auteur a été examiné dans un hôpital de Minsk par un chirurgien qui a diagnostiqué une fracture fermée du nez. Ce diagnostic a été confirmé plus tard par un examen médico-légal effectué le 29 décembre 2011 dans le cadre d’une enquête préliminaire. Le 24 juin 2011, l’auteur a déposé plainte contre les policiers auprès du Procureur du district Tsentralny de Minsk. Le 25 juillet 2011, l’enquêteur du Département du Comité d’enquête du Bélarus pour le district Tsentralny a décidé, après enquête préliminaire, de ne pas ouvrir d’enquête pénale au motif que rien ne permettait de conclure qu’une infraction avait été commise par les policiers. D’après le rapport de police, l’auteur n’était même pas présent dans les locaux du Département régional du Ministère de l’intérieur le 22 juin 2011.

2.3Le 5 janvier 2012, l’auteur a adressé une plainte au Procureur du district Tsentralny de Minsk pour contester la décision prise par l’enquêteur le 25 juillet 2011. Le 9 janvier 2012, l’enquêteur du Département du Comité d’enquête du Bélarus pour le district Tsentralny, après avoir mené une nouvelle enquête préliminaire, a de nouveau refusé d’ouvrir une enquête pénale, estimant qu’aucune infraction n’avait été commise contre l’auteur. Le même mois, l’auteur a déposé plainte auprès du Procureur du district Tsentralny de Minsk pour contester la décision prise par l’enquêteur le 9 janvier 2012. Le 23 janvier 2012, l’enquêteur a une nouvelle fois décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale.

2.4À plusieurs autres occasions, les enquêteurs ont décidé de ne pas ouvrir d’enquête. Le 23 janvier 2012, l’auteur a saisi le tribunal du district Tsentralny de Minsk d’un recours contre la décision prise par l’enquêteur le même jour. Le 28 avril 2012, le tribunal a donné gain de cause à l’auteur et annulé la décision du 23 janvier 2012. Le tribunal a prié l’enquêteur de mener un complément d’enquête, d’ordonner des expertises complémentaires et de trouver des témoins oculaires des faits survenus le 22 juin 2011. Le 14 juin 2012, l’enquêteur du Département du Comité d’enquête du Bélarus pour le district Tsentralny a encore une fois décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale, faisant fi de ce que le tribunal avait ordonné le 28 avril 2012.

2.5Le 14 juillet 2012, l’auteur a saisi le tribunal du district Tsentralny de Minsk d’un recours contre la décision prise par l’enquêteur le 14 juin 2012. Le 8 août 2012, le tribunal a donné gain de cause à l’auteur et a annulé la décision de l’enquêteur au motif que celui-ci ne s’était pas conformé à sa décision du 28 avril 2012. Le 16 septembre 2012, l’enquêteur du Département du Comité d’enquête du Bélarus pour le district Tsentralny a de nouveau décidé de ne pas ouvrir d’enquête pénale. Il a interrogé quatre témoins des faits survenus le 22 juin 2011 : le premier ne se trouvait pas sur les lieux au moment des faits, le deuxième ne se souvenait de rien, et les troisième et quatrième avaient vu l’auteur dans le fourgon de police. L’enquêteur n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas tenu compte des témoignages de deux autres témoins oculaires, K. L. et L. E., qui avaient été témoins des sévices et pouvaient confirmer les allégations de l’auteur.

2.6L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Il soutient qu’un nouveau recours devant les tribunaux serait inutile puisque la justice s’est déjà prononcée à deux reprises dans la même affaire et l’enquêteur ne s’est pas conformé aux décisions rendues. Il ajoute qu’en tout état de cause, les procédures de recours interne ont été excessivement longues.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur avance qu’il a été arrêté et battu pour avoir tenté d’observer si les particuliers avaient la possibilité d’exercer leur droit à la liberté de réunion. Le traitement inhumain dont il a été victime avait pour but de l’intimider et de le punir et lui a valu des ecchymoses et une fracture du nez. L’auteur soutient que la charge de la preuve ne saurait lui incomber exclusivement et que, dans bien des cas, seul l’État partie a accès aux informations concernant le type de faits dont il a été victime.

3.2L’auteur avance qu’il a fourni toutes les informations nécessaires pour permettre aux autorités de mener une enquête. Selon lui, les enquêteurs n’ont pas respecté les décisions rendues par le tribunal, ont retardé l’audition des témoins et n’ont pas tenu compte des témoignages des deux amis qui étaient avec lui lorsqu’il a été arrêté. L’État partie a donc manqué à son obligation de lui garantir un recours utile, en violation de l’article 2 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 26 mars 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au titre des articles 1er, 2 et 5 du Protocole facultatif, sans donner davantage de détails. L’État partie explique que la communication a été présentée par un avocat qui réside en Fédération de Russie, et non par l’auteur lui-même, sans que cela ne soit aucunement justifié.

4.2L’État partie soutient que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce, mais ne donne pas davantage de détails.

4.3L’État partie estime que l’auteur a abusé de son droit de présenter une communication. Compte tenu de ce qui précède, il a décidé de ne plus correspondre avec le Comité concernant la présente communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.L’auteur précise que le droit d’enregistrer les communications appartient au Comité et non aux États parties. Il est représenté par un avocat dûment agréé, qui exerce dans la Fédération de Russie, ce qui est permis par le règlement intérieur du Comité. L’État partie dit que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, mais n’indique pas quels sont les recours disponibles à épuiser. L’auteur estime qu’il a épuisé tous les recours internes utiles.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité note que l’État partie déclare que la communication a été enregistrée par le Comité en violation des dispositions du Protocole facultatif et soumise par l’auteur en violation du droit de présenter une communication et, qu’en conséquence, il ne correspondra plus avec le Comité à ce sujet.

6.2Le Comité fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1 du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (art. 5 (par. 1 et 4)). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une affaire doit être enregistrée. En n’acceptant pas la décision du Comité concernant l’opportunité d’enregistrer la communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de celle-ci, l’État partie a violé les obligations mises à sa charge par l’article 1 du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui dit avoir épuisé tous les recours internes utiles à sa disposition. L’État partie n’ayant pas indiqué quel recours en particulier restait ouvert à l’auteur, le Comité estime qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

7.4Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 2 (par. 3) et 7 du Pacte, lus séparément et conjointement, aux fins de la recevabilité. Il déclare donc la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note tout d’abord du fait que l’auteur soutient que, le 22 juin 2011, il a été arrêté et soumis à des traitements inhumains et dégradants et à d’autres mauvais traitements. L’auteur a ensuite été examiné par deux médecins différents qui ont diagnostiqué une fracture du nez et diverses contusions. Bien que l’État partie n’ait pas fait d’observations sur ces allégations, il ressort clairement des informations fournies par l’auteur que, au lieu d’ouvrir une enquête rapide et impartiale, les autorités compétentes de l’État partie ont refusé à cinq reprises d’ouvrir une enquête pénale. Le Comité constate de surcroît que l’auteur a fourni aux autorités des preuves des mauvais traitements subis, leur a présenté des témoignages et leur a demandé d’entendre des témoins supplémentaires. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu en particulier du fait que l’État partie ne peut ou ne veut pas expliquer les signes visibles de mauvais traitements constatés par plusieurs personnes, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

8.3Quant à l’obligation qu’a l’État partie de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de mauvais traitements formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte. Le Comité constate que, selon les documents versés au dossier, aucune enquête n’a été menée sur les allégations de mauvais traitements, malgré plusieurs témoignages incriminants et deux certificats médicaux. Dans les circonstances de l’espèce, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que M. Petrovets tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte, ainsi qu’une violation de l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de mener une enquête rapide et impartiale sur les allégations de mauvais traitements formulées par l’auteur et d’accorder à celui-ci une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que ce type de violations ne se reproduise pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.