Nations Unies

CCPR/C/123/D/2348/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2348/2014 * , **

Communication présentée par :

Nell Toussaint(représentée par un conseil, Andrew Dekany, et par Bruce Porter, du Social Rights Advocacy Centre)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Canada

Date de la communication :

24 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 février 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

24 juillet 2018

Objet :

Refus d’accès à l’assurance maladie et à des soins de santé et conséquences pour la vie et la santé de l’auteure

Question(s) de procédure :

Statut de victime (actio popularis) ; abus du droit de présenter une communication − incompatibilité avec le Pacte ; non‑épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à une égale protection sans distinction daucune sorte ; droit à un recours utile ; droit à la vie ; risque de mauvais traitements ; droit à la sécurité de la personne ; droit à légalité devant la loi

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1 et 3 a)), 6, 7, 9 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

1, 2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.L’auteure de la communication est Nell Toussaint, de nationalité grenadienne, née en 1969 ; elle vit au Canada depuis 1999. Elle affirme être victime de violations par le Canada des droits qu’elle tient des articles 2 (par. 1 et 3 a)), 6, 7, 9 (par. 1) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Canada le 19 août 1976. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 11 décembre 1999, l’auteure est entrée légalement au Canada en tant que touriste en provenance de la Grenade. Elle a travaillé au Canada de 1999 à 2008 sans obtenir le statut de résidente et sans permis de travail. Certains de ses employeurs ont toutefois procédé à des déductions sur son salaire pour couvrir les impôts fédéraux et provinciaux et les cotisations au Régime de pensions du Canada et à l’assurance-emploi. Durant cette période, elle a pris à sa charge ses frais médicaux.

2.2En 2005, encouragée par un employeur qui souhaitait l’employer à titre permanent, l’auteure a entamé des démarches pour faire régulariser sa situation au Canada. Cette année-là, elle a versé une part importante de ses économies à un consultant en matière d’immigration qui s’est révélé malhonnête et ne l’a aucunement aidée. L’auteure, pendant un certain temps, n’a plus eu les moyens de faire de nouvelles démarches pour régulariser sa situation.

2.3En 2006, la santé de l’auteure a commencé à se détériorer ; elle a contracté des abcès et développé un syndrome de fatigue chronique. En novembre 2008, elle n’a plus été capable de travailler en raison de son état de santé et, en 2009, sa santé s’est encore détériorée au point de mettre sa vie en péril. En février 2009, l’auteure a été victime d’une embolie pulmonaire et souffrait en outre d’un diabète mal maîtrisé et de complications liées à un dysfonctionnement rénal, une protéinurie, une rétinopathie et une neuropathie périphérique, selon le diagnostic du docteur Guyatt, professeur d’épidémiologie clinique et de biostatistique à l’Université McMaster. Les problèmes neurologiques de l’auteure se sont traduits par un grave handicap fonctionnel avec une réduction marquée de la mobilité entravant les activités courantes. Elle souffrait également d’hyperlipidémie et d’hypertension.

2.4En 2008, l’auteure a bénéficié à titre gracieux de l’assistance d’un consultant qualifié en matière d’immigration et a demandé au service Citoyenneté et immigration Canada le statut de résidente permanente pour considérations d’ordre humanitaire.

2.5En avril 2009, l’auteure a été informée que, parce qu’elle avait présenté une demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire, elle avait droit à une aide sociale de la province au titre du programme Ontario au travail. Elle a aussi été admise au bénéfice d’une aide sociale dans le cadre du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, mais aucun de ces programmes ne prenait en charge les soins de santé et les frais afférents à une demande pour considérations d’ordre humanitaire.

2.6Le 6 mai 2009, l’auteure a demandé à bénéficier d’une couverture maladie au titre du Programme fédéral de soins de santé aux immigrants, le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), établi par un décret de 1957.

2.7Le 10 juillet 2009, un agent de l’immigration a refusé à l’auteure l’accès à une couverture maladie dans le cadre du PFSI car elle n’entrait dans aucune des quatre catégories d’immigrants admis au bénéfice du PFSI définies dans les directives de Citoyenneté et immigration Canada : les demandeurs d’asile, les réfugiés réinstallés, les personnes détenues en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et les victimes de la traite des personnes. Le fait que les problèmes de santé de l’auteure mettaient sa vie en danger n’était pas mentionné comme entrant en considération.

2.8L’auteure a attaqué la décision lui refusant l’accès à une couverture maladie dans le cadre du PFSI devant la Cour fédérale du Canada. Elle faisait valoir que cette décision portait atteinte à son droit à la vie, à son droit à la sécurité de la personne et à son droit de ne pas faire l’objet de discrimination énoncés aux articles 7 et 15, respectivement, de la Charte canadienne des droits et libertés, et que l’agent de l’immigration n’avait pas appliqué le droit interne d’une manière conforme aux traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Canada. L’auteure a également fourni à la Cour de nombreux certificats médicaux attestant que sa vie avait été mise en péril.

2.9Lors du procès devant la Cour fédérale, le docteur Guyatt, entendu en tant qu’expert, a décrit les problèmes de santé de l’auteure et les conséquences pour son état de santé de l’absence de traitement médical adéquat. De la même manière, le docteur Hwang a présenté des observations sur l’évolution probable de l’état de santé de l’auteure dans le cas où elle ne pourrait pas bénéficier de soins de santé adéquats dans un hôpital.

2.10La Cour fédérale a jugé qu’il ressortait des pièces versées au dossier que, du fait de son exclusion du PFSI, l’auteure avait été privée du droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne. La Cour a toutefois estimé que la privation du droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne dans le cas de l’auteure n’était pas contraire à l’article 7 de la Charte canadienne, que le refus de financer les soins de santé à des personnes ayant choisi d’entrer au Canada ou d’y demeurer illégalement était conforme à la justice fondamentale et que la politique attaquée constituait un moyen légitime de prévenir les infractions à la législation canadienne en matière d’immigration.

2.11L’auteure a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale, faisant valoir que la décision de la Cour fédérale portait atteinte au droit à la vie qu’elle tenait de l’article 6 du Pacte et à son droit, garanti par le droit international des droits de l’homme, d’être protégée contre toute discrimination fondée sur sa situation au regard de la législation relative à l’immigration.

2.12La Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle l’auteure « a été exposée à un risque important pour sa vie et sa santé, risque suffisamment important pour entraîner une violation de son droit à la vie et de son droit à la sécurité de sa personne ». La Cour a toutefois jugé que la « cause véritable » de ce risque pour sa vie était sa décision de demeurer illégalement au Canada, et a souscrit à la conclusion de la juridiction inférieure selon laquelle, en l’espèce, la privation du droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne était conforme aux principes de la justice fondamentale. La Cour d’appel fédérale a de plus jugé que le statut en matière d’immigration ou de citoyenneté ne constituait pas un « motif analogue » de discrimination au sens de la Charte canadienne. Elle a également fait observer que pour évaluer si l’exclusion des immigrants sans statut légal de l’accès aux soins de santé était justifiable en tant que limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte canadienne, il convenait d’accorder le poids voulu à l’intérêt que l’État a à défendre ses lois en matière d’immigration. La Cour a considéré que si le droit international des droits de l’homme pouvait être pris en considération pour interpréter la Charte canadienne, il n’était pas pertinent en l’espèce.

2.13L’auteure a ensuite demandé à être autorisée à faire appel de la décision de la Cour d’appel fédérale devant la Cour suprême du Canada. Cette demande a été rejetée le 5 avril 2012.

2.14Peu après, le Gouvernement canadien a abrogé le décret de 1957 et l’a remplacé par le Décret concernant le Programme fédéral de santé intérimaire. La nouvelle politique en matière d’accès au PFSI ne prévoit toutefois pas l’accès des migrants sans papiers à une couverture maladie dans le cadre du Programme et ne prévoit pas d’exception explicite dans les cas où la vie ou la santé sont en danger, sauf en cas de risque manifeste pour la santé publique.

2.15Le 30 avril 2013, l’auteure a été admise au bénéfice de la couverture maladie à la suite de sa demande de résidence permanente fondée sur le parrainage de son époux et de la confirmation par Citoyenneté et immigration Canada qu’elle satisfaisait aux critères régissant ce parrainage. À partir de ce moment, l’auteure a été admise au bénéfice du Régime d’assurance-santé de l’Ontario et a reçu des soins médicaux.

2.16L’auteure fait valoir qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles et qu’elle n’a présenté de communication à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

2.17Le recours de l’auteure est double. Elle demande à l’État partie a) de faire en sorte que les immigrants illégaux aient accès au PFSI afin qu’ils puissent recevoir les soins de santé nécessaires à la protection de leur droit à la vie et de leur droit à la sécurité de la personne ; et b) de l’indemniser en réparation de la grande détresse psychologique, du traitement inhumain et de l’exposition à un risque pour sa vie et à des conséquences néfastes à long terme sur sa santé causés par la violation de ses droits.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme qu’en lui refusant l’accès aux soins nécessaires à la protection de sa vie et de sa santé du 10 juillet 2009 au 30 avril 2013 en raison de sa situation irrégulière en matière d’immigration, l’État partie a manqué aux obligations que les articles 2 (par. 1 et 3 a)), 6, 7, 9 (par. 1) et 26 du Pacte mettent à sa charge. Elle affirme qu’elle n’avait pas les moyens de payer elle-même les soins de santé.

3.2L’auteure fait valoir que son exclusion de la couverture maladie sur la base de sa situation particulière en matière d’immigration a constitué une violation des droits qu’elle tient des articles 2 (par. 1) et 26 du Pacte. Elle affirme que les décisions des tribunaux internes concernant ce refus de lui donner accès aux soins en raison de sa situation en matière d’immigration ne constituent pas un moyen objectif, proportionné et raisonnable de lutter contre l’immigration illégale. L’auteure fait également valoir qu’elle n’a pas migré au Canada pour y obtenir des soins de santé ; elle a décidé de rester au Canada pour y travailler. Elle affirme que son exclusion du bénéfice du PFSI sur la base de sa situation en matière d’immigration a constitué une distinction discriminatoire et que sa situation, en particulier le fait que sa vie était en péril, n’a pas été prise en considération.

3.3L’auteure affirme de plus que le refus de lui donner accès à des soins de santé a mis sa vie en danger et a constitué un traitement cruel et inhumain, en violation des droits qu’elle tient des articles 6 et 7 du Pacte. Elle souligne que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu que le refus de l’État partie de lui donner accès à une couverture maladie dans le cadre du PFSI l’avait exposée à un risque important pour sa vie et sa santé et constituait donc, selon elle, une violation du droit à la vie et du droit de ne pas faire l’objet d’un traitement cruel, inhumain et dégradant qu’elle tient des articles 6 et 7, respectivement.

3.4L’auteure affirme aussi que ce refus de lui donner accès à des soins de santé lui a causé des souffrances physiques et mentales pouvant également constituer une violation de l’article 9 (par. 1). À cet égard, elle demande au Comité, qui limite en général l’application de l’article 9 aux questions touchant l’administration de la justice, d’élargir la portée du droit à la sécurité de la personne énoncé dans cet article à l’accès aux soins de santé, mentionnant la pratique des tribunaux canadiens en la matière.

3.5Enfin, l’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte en ne lui offrant aucun recours utile pour la discrimination dont elle a été victime en raison de sa situation en matière d’immigration ainsi que pour la violation de son droit à la vie et de son droit à la sécurité de la personne. Elle fait valoir que les tribunaux internes auraient dû interpréter et appliquer les dispositions pertinentes du droit interne conformément au Pacte. Elle ajoute qu’elle n’a pas disposé d’un recours utile parce que les tribunaux internes ne s’étaient pas référés aux témoignages d’experts attestant l’existence d’une stigmatisation discriminatoire des migrants sans papiers résultant du refus d’accès aux soins de santé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 14 août 2014, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité, en demandant que celle-ci soit examinée séparément du fond.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas été victime d’une violation au sens des articles 1 et 2 du Protocole facultatif, car elle n’avait pas le droit de recevoir des fonds dans le cadre du programme spécial PFSI et qu’après avoir obtenu un permis de résidence permanente en avril 2013, elle a bénéficié de la couverture maladie de la province. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité relative à l’actio popularis, arguant que l’auteure n’est pas la représentante d’une victime alléguant une violation parmi d’autres migrants sans papiers potentiels.

4.3Il affirme que le PFSI de 1957 que conteste l’auteure n’existe plus puisqu’il a été remplacé par le PFSI de 2012. De plus, ce dernier a été déclaré invalide le 4 juillet 2014 par la Cour fédérale, qui l’a jugé incompatible avec les articles 12 et 15 de la Charte canadienne. La Cour a jugé que les dispositions du Programme mettaient en péril la santé des personnes vulnérables et qu’il n’était pas démontré que le refus de soins de santé à ces personnes était nécessaire pour réaliser un objectif légitime. L’État partie fait également valoir que l’auteure n’a plus aucun besoin d’obtenir la prise en charge de ses soins de santé et que ses besoins en la matière ont été satisfaits.

4.4L’État partie soutient également que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles puisqu’elle n’a pas demandé d’indemnisation pécuniaire devant les tribunaux internes lorsqu’elle a contesté la constitutionnalité du PFSI.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 2 novembre 2014, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

5.2Elle rejette l’argument selon lequel elle n’est pas une victime de la politique de l’État partie consistant à exclure les migrants sans papiers du bénéfice du PFSI. Elle fait valoir que sa communication n’est pas une actio popularis car elle ne vise pas l’effet de la politique contestée en général mais concerne l’application de cette politique à son cas particulier. Elle fait valoir qu’elle s’appuie sur les constatations des tribunaux internes et que, du fait que l’accès au PFSI lui a été refusé, elle a souffert d’une grave détresse psychologique et a été exposée à un risque pour sa vie ainsi qu’à des conséquences préjudiciables à long terme potentiellement irréversibles sur sa santé.

5.3L’auteure rejette également l’affirmation de l’État partie qui déclare que son grief selon lequel elle a été exclue du PFSI au motif qu’elle était une migrante sans papiers est désormais sans objet parce qu’elle bénéficie maintenant de soins de santé en sa qualité de résidente permanente. Elle affirme que le fait qu’elle bénéficie d’une couverture maladie depuis 2013 n’a pas annulé les effets de la détresse psychologique ni les conséquences à long terme sur sa santé du refus de soins de santé dont elle a été victime en tant que migrante sans papiers et ne l’indemnise pas non plus de ces effets et conséquences.

5.4Elle rejette également l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa communication devrait être considérée comme sans objet parce que le PFSI de 1957 a été remplacé en 2012 par un régime le modifiant. Si les modifications apportées au PFSI concernaient des aspects de l’accès de certains groupes au programme, celui-ci continue de n’être pas accessible aux migrants sans papiers. Les modifications apportées par l’État partie n’ont en aucune manière remédié à l’exclusion des migrants sans papiers de l’accès au Programme ou atténué les effets de cette exclusion.

5.5S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur affirme qu’il n’y avait pas d’autres recours internes utiles disponibles qui lui auraient permis de demander une indemnisation pécuniaire pour la violation des droits qu’elle tient du Pacte. Elle fait valoir qu’elle a épuisé les recours disponibles qui auraient abouti à une indemnisation pécuniaire pour la violation du droit à la vie, du droit à la sécurité de la personne et du droit de ne pas faire l’objet de discrimination qu’elle tient de la Charte canadienne. L’auteure admet qu’elle n’a pas engagé une action distincte devant les tribunaux internes pour demander uniquement une indemnisation pécuniaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Le 2 avril 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

6.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie réitère ses observations du 14 août 2014, à savoir que la communication devrait être déclarée irrecevable. Le Canada a mis en œuvre une nouvelle politique (« la Politique de 2014 ») le 5 novembre 2014 pour la prise en charge temporaire des soins de santé de certaines catégories d’étrangers sans statut légal. L’État partie affirme que la Politique de 2014 confère au Ministre de la santé le pouvoir d’étendre les prestations au titre de la couverture maladie « si des circonstances exceptionnelles l’exigent ».À la date de la communication, une couverture maladie avait été accordée à titre discrétionnaire dans deux cas concernant des migrants sans statut légal au Canada.

6.3En ce qui concerne le fond, l’État partie estime que les allégations de l’auteure concernant les articles 2, 6, 7 et 9 (par. 1) sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 96 d) du règlement intérieur du Comité.

6.4Pour ce qui est de l’article 2, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief au regard du Protocole facultatif.

6.5L’État partie rappelle que l’article 6 énonce un droit négatif interdisant les lois et les pratiques causant une privation arbitraire de la vie. La portée du droit à la vie ne va pas jusqu’à imposer aux États l’obligation positive de garantir aux migrants sans papiers un niveau optimal d’assurance maladie financée par l’État (irrecevabilité ratione materiae).

6.6L’État partie fait de même valoir que l’article 7 ne peut être interprété comme imposant aux États l’obligation positive de financer un niveau optimum d’assurance maladie.

6.7L’État partie affirme que le champ d’application de l’article 9 (par. 1) est généralement limité aux situations de détention ou autres privations de liberté, bien que le Comité, dans son observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, se soit efforcé d’élargir ce champ d’application à la protection « contre toute atteinte corporelle ou mentale intentionnelle, que la victime soit détenue ou ne le soit pas ».

6.8En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie affirme que bénéficient de l’assurance maladie les citoyens et les non-citoyens, et les étrangers ayant des statuts très divers en matière d’immigration. Il affirme également que le refus des soins de santé était justifié, puisque l’auteure ne résidait pas légalement sur le territoire. L’État partie ajoute que la résidence légale est un critère neutre et objectif qui ne peut être considéré comme un motif de discrimination interdit.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

7.1Le 22 août 2015, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle a rejeté l’argument de l’État partie qui affirme que les articles 6, 7 et 9 (par. 1) du Pacte n’imposent pas d’obligations positives aux États et que ses griefs sont irrecevables ratione materiae. Cet argument est incompatible avec l’observation générale no 6 (1982) du Comité sur le droit à la vie et avec la jurisprudence du Comité. L’auteure ne fait pas valoir un droit à la santé mais affirme que des droits bien définis énoncés dans le Pacte ont été violés dans le contexte de l’accès aux soins de santé dans le cadre du PFSI. Elle fait également valoir que le droit à la vie, l’interdiction des peines ou traitements inhumains et dégradants, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas faire l’objet de discrimination doivent être pleinement protégés lorsque l’accès aux soins de santé est en cause, y compris s’agissant des migrants en situation irrégulière.

7.2L’auteure rejette également l’argument de l’État partie selon lequel des soins de santé d’urgence dispensés gratuitement suffisaient à protéger les droits qu’elle tient du Pacte, rappelant que la Cour fédérale a examiné avec soin les éléments de preuve concernant l’accès à des soins de santé d’urgence et a jugé que la vie de l’auteure et sa santé à long terme avaient été mises en péril. De plus, la déclaration de l’État partie selon laquelle les migrants en situation irrégulière ont accès à des soins de santé d’urgence en application de la législation provinciale n’est pas vraie dans tous les territoires et provinces.

7.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel le statut en matière d’immigration ne constitue pas un motif de discrimination interdit au regard de l’article 26, l’auteure fait valoir que la discrimination, l’exclusion, l’exploitation et les mauvais traitements visant les migrants en situation irrégulière sont répandus et que priver ces personnes de soins de santé ne peut être justifié comme un moyen de promouvoir le respect de la législation relative à l’immigration.

7.4Le 22 août 2015, l’auteure a présenté l’avis juridique du Réseau international pour les droits économiques, sociaux et culturels (Réseau-DESC) et celui d’Amnesty International Canada.

7.5Le Réseau-DESC affirme que l’interprétation étroite que donne l’État partie des articles 6, 7 et 9 (par. 1) est incorrecte. L’examen des affaires dans lesquelles l’accès aux soins de santé est en cause ne repose pas sur un droit explicite à la santé, mais devrait être entrepris compte tenu de tous les droits de l’homme pertinents. Le droit à la vie, l’interdiction des peines ou traitements inhumains et dégradants, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas faire l’objet de discrimination doivent être pleinement protégés lorsque l’accès à des soins de santé nécessaires est en cause, en particulier en ce qui concerne les groupes les plus vulnérables de la société, notamment les migrants sans papiers. Le Comité a confirmé en de multiples occasions que l’accès aux soins de santé relevait de plusieurs droits énoncés dans le Pacte et que cet accès devait être respecté et garanti sans discrimination, y compris la discrimination fondée sur le statut en matière d’immigration. Le Réseau-DESC fait valoir que, dans ses observations finales de 2015 relatives au Canada, le Comité a demandé au Canada de « veiller à ce que tous les demandeurs d’asile et migrants en situation irrégulière aient accès aux services de santé de base, quel que soit leur statut ». De même, dans ses observations finales de 2014 concernant les États-Unis d’Amérique, le Comité a demandé aux États-Unis de « rechercher les moyens de faciliter l’accès à des soins de santé adéquats, y compris aux services de santé de la procréation, aux immigrants sans papiers […] ». Le Réseau-DESC souligne que la Cour européenne des droits de l’homme connaît régulièrement de situations concernant la santé au regard des article 2 (droit à la vie), 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance), soulignant les obligations positives de garantir l’accès à des soins de santé afin de protéger divers droits de l’homme, en particulier le droit à la vie.

7.6Le Réseau-DESC soutient également que les obligations énoncées dans le Pacte s’imposent à tous les niveaux de l’État et que l’État partie doit veiller à ce que, lorsque le Gouvernement fédéral assume la responsabilité de fournir les soins de santé nécessaires aux migrants qui n’ont pas droit aux soins de santé des provinces, le programme fédéral soit conforme au Pacte.

7.7Le Réseau-DESC fait de plus valoir que l’immigration devrait être clairement reconnue comme un motif interdit de discrimination, suite à l’interprétation du Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Le Réseau-DESC considère par conséquent qu’une politique ou pratique de l’État qui subordonne la protection du droit à la vie à la régularisation du statut en matière d’immigration ne sauraient être considérées comme raisonnables au regard du droit international des droits de l’homme. Il souligne que les États parties doivent envisager d’adopter et d’appliquer des politiques et des pratiques répondant de manière proportionnée aux objectifs légitimes qui peuvent être les leurs s’agissant de faire respecter la législation relative à l’immigration.

7.8Dans son avis juridique, Amnesty International Canada estime également que la communication devrait être jugée recevable. L’organisation note que l’auteure a épuisé les recours internes puisque sa demande d’autorisation de faire appel de la décision de la Cour fédérale d’appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée, et qu’elle ne disposait donc plus d’autres recours internes. Amnesty International Canada rappelle que c’est uniquement en l’absence d’auteurs susceptibles d’être individuellement identifiés comme ayant subi une violation de leurs droits qu’une communication constitue une actio popularis et est de ce fait irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

7.9Sur le fond, Amnesty International Canada fait valoir que le refus d’accès aux soins de santé nécessaires aux migrants en situation irrégulière constitue une discrimination interdite, considérant que l’exclusion de ces migrants du bénéfice du PFSI constitue un traitement inégal qui ne repose pas sur des critères raisonnables et objectifs et ne peut donc être justifiée. L’organisation souligne que la Cour suprême du Canada a déjà jugé que l’article 15 de la Charte canadienne imposait une obligation positive au Canada. Dans l’affaire Eldrige c. Colombie ‑Britannique, la Cour a déclaré que « [l]e principe selon lequel la discrimination peut découler du fait de ne pas prendre de mesures concrètes pour faire en sorte que les groupes défavorisés bénéficient d’une manière égale des services offerts à la population en général est largement accepté dans le domaine des droits de la personne ». En ce qui concerne la violation alléguée du droit à la vie de l’auteure, Amnesty International Canada demande au Comité de constater que les obligations qu’impose le Pacte au Canada exigent que celui-ci prenne des mesures positives pour protéger le droit à la vie. L’organisation rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle, bien que le Pacte n’énonce pas un « droit à la santé » autonome, l’article 6 s’applique aux questions touchant l’accès aux soins de santé. Elle rappelle également que le Comité a estimé que le fait d’entraver « l’accès [...] à tous les services de base et les services essentiels pour la vie comme l’alimentation, la santé, l’électricité, l’approvisionnement en eau et l’assainissement » est incompatible avec le droit à la vie énoncé à l’article 6.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Le 30 mars 2016, l’État partie a réaffirmé que, comme indiqué dans ses observations du 14 août 2014 et du 2 avril 2015, la communication devrait être déclarée irrecevable.

8.2Répondant aux commentaires de l’auteure sur les soins d’urgence prévus par la législation des provinces, l’État partie rappelle que l’administration et la prestation des services de soins de santé incombent au gouvernement de chaque province ou territoire, guidé par la loi canadienne sur la santé. Il rappelle que ce sont les provinces et territoires qui financent ces services, dans le cadre de programmes publics d’assurance maladie, avec l’aide du Gouvernement fédéral sous la forme d’allocations budgétaires. L’État partie fait valoir que les services de soins de santé comprennent les soins de santé primaires et les services hospitaliers assurés, et que les provinces et territoires fournissent à certains groupes des prestations de santé complémentaires qui ne sont pas prévues par la loi canadienne sur la santé, par exemple les médicaments délivrés sur ordonnance.

8.3L’État partie indique que les soins de santé publics sont administrés et financés par l’Ontario dans le cadre du Régime d’assurance-santé de l’Ontario. Il rappelle que l’auteure a demandé si elle pouvait être assurée au titre de ce programme en juin 2009, mais qu’on lui a répondu qu’elle ne remplissait pas les conditions énoncées par la loi de l’Ontario sur l’assurance-santé parce qu’elle n’était pas légalement résidente de l’Ontario. Au regard de la loi canadienne sur l’assurance-santé, il faut, pour être assuré, avoir la citoyenneté ou un statut en matière d’immigration ouvrant droit aux prestations du système public de soins de santé. L’État partie fait observer que divers types de résidence ouvrent droit à ces prestations, notamment la résidence permanente, la situation des personnes ayant présenté une demande de résidence permanente qui remplissent les conditions requises, celle des personnes protégées et celle des personnes titulaires d’un permis de travail valide délivré en application de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’État partie fait observer que les étrangers sans statut légal au Canada n’ont pas le droit de bénéficier du système public de soins de santé.

8.4L’État partie fait également valoir que l’auteure n’a pas demandé qu’une décision formelle soit prise en ce qui concerne son admissibilité au Régime d’assurance-santé de l’Ontario ni contesté judiciairement la réponse de la Province. Il souligne également que l’auteure n’a pas contesté la constitutionnalité du Régime d’assurance-santé de l’Ontario devant les tribunaux canadiens. Il relève que dans le cadre du système fédéral du Canada, c’est à la province qu’il incombe de déterminer l’admissibilité au bénéfice des soins de santé publics, et que c’est donc contre ce niveau de gouvernement que l’auteure aurait dû exercer un recours interne.

8.5L’État partie rappelle que l’auteure a le statut de résidente permanente au Canada depuis 2013 et bénéficie depuis d’une assurance maladie publique complète et suffisante pour répondre à tous ses besoins médicaux. Il note que la régularisation de son statut au Canada lui a permis de bénéficier de soins de santé complets et publics. Il rappelle que le Comité a reconnu, dans l’affaire Dranichnikov c. Australie, que l’octroi d’un statut civil suffisant pour protéger l’auteure (en l’espèce un visa de protection) rendait la plainte sans objet et de ce fait irrecevable.

8.6L’État partie, rappelant la décision rendue par le Comité dans l’affaire A. P. L. ‑ v. d. M. c. Pays-Bas, à savoir que l’auteure ne pouvait pas, au moment où elle présentait sa plainte, prétendre être victime d’une violation du Pacte, note que l’auteure a commencé à bénéficier de soins de santé publics le 30 avril 2013, huit mois avant qu’elle présente sa communication au Comité, le 24 décembre 2013. L’État partie affirme donc que la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

8.7L’État partie soutient que la communication est une actio popularis et est par conséquent irrecevable. Il rappelle que l’auteure, outre ce qu’elle demande pour elle-même, demande que l’État partie « veille à ce que les personnes résidant au Canada en situation irrégulière au regard de la législation sur l’immigration et la citoyenneté aient accès, dans le cadre du PFSI, aux soins de santé nécessaires ». L’État partie note que cette partie de la communication ne concerne donc pas l’auteure mais les autres migrants sans papiers qui pourraient demander à être admis au PFSI pour financer leurs besoins en matière de soins de santé. L’État partie souligne en conséquence qu’une telle allégation ne relève pas du champ d’application du Protocole facultatif et que le Comité a toujours considéré que « dans la mesure où [un] auteur fait valoir [qu’un] mécanisme dans son ensemble n’est pas conforme au Pacte, ce grief équivaut à une actio popularis qui dépasse les circonstances de l’affaire ».

8.8L’État partie déclare que les violations alléguées en ce qui concerne les articles 6, 7 et 9 (par. 1) du Pacte, y compris le refus de soins de santé primaires publics, ne relèvent pas du champ d’application du Pacte. Faisant référence à la position du Comité concernant le droit à des soins de santé publics primaires ou préventifs, l’État partie indique que « la privation de la vie suppose l’infliction délibérée ou, à tout le moins, prévisible et évitable, d’un préjudice (dommage ou lésion) qui a pour résultat de mettre fin à la vie et qui va au‑delà de la simple atteinte à la santé, à l’intégrité physique ou à la qualité de vie, ce à quoi l’auteure serait exposée si elle ne recevait pas “en temps opportun les soins et les médicaments nécessaires” ». L’État partie fait valoir que l’auteure a bénéficié des soins de santé publics d’urgence et essentiels accessibles à toute personne, quel que soit son statut civil ou en matière de résidence. Il ajoute qu’en offrant de tels soins de santé, il s’acquitte des obligations concernant la protection de la vie que l’article 6 (par. 1) du Pacte met à sa charge.

8.9L’État partie déclare également qu’il n’a pas tenté d’empêcher l’auteure d’obtenir des soins de santé auprès des centres de santé communautaires ou ailleurs à titre gracieux. Il rappelle que la Cour d’appel fédérale a relevé que l’auteure avait bénéficié d’une assistance médicale dans ces centres lorsqu’elle n’a plus eu les moyens de payer pour ses soins de santé.

8.10L’État partie soutient qu’on ne peut interpréter le droit à la vie comme allant jusqu’à imposer aux États une obligation positive de fournir aux migrants sans papiers un niveau optimal d’assurance maladie. À cet égard, il invoque la décision du Comité dans l’affaire Linder c. Finlande selon laquelle « le droit à la santé en tant que tel n’est pas protégé par les dispositions du Pacte ». L’État partie déclare donc que le Pacte ne crée pas d’obligation de financer les soins de santé primaires ou préventifs.

8.11En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26, l’État partie fait valoir que, dans la fourniture de soins de santé publics, il peut raisonnablement distinguer entre les personnes présentes légalement au Canada (qu’il s’agisse de citoyens, de résidents permanents, de demandeurs d’asile ou d’immigrants, entre autres) et les étrangers qui n’y ont pas été légalement admis. Il rappelle que le Comité a constaté qu’une « distinction fondée sur des critères raisonnables et objectifs ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26 ». Invoquant l’affaire Oulajin et Kaiss, l’État partie soutient qu’exiger des étrangers qu’ils soient régulièrement présents au Canada pour pouvoir bénéficier de soins de santé primaires publics est un critère à la fois objectif et raisonnable au regard des principes de non-discrimination et d’égalité devant la loi énoncés à l’article 26 du Pacte.

8.12Sur le fond, l’État partie rappelle que l’auteure a bénéficié de soins de santé publics d’urgence et n’a pas été empêchée d’obtenir des soins de santé primaires auprès de diverses organisations communautaires, à titre gracieux ou sur la base d’une assurance maladie privée.

8.13L’État partie conclut qu’il n’a pas eu violation des articles 2 (par. 1 et 3 a)), 6, 7, 9 (par. 1) ou 26 du Pacte et il prie le Comité de déclarer la demande d’indemnisation pécuniaire de l’auteure irrecevable.

Commentaires de l’auteure sur les observations complémentaires de l’État partie

9.1Le 26 juillet 2016, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Elle rejette l’argument selon lequel elle aurait dû exercer des recours auprès des gouvernements provinciaux du Canada pour que sa plainte contre le Gouvernement fédéral soit recevable. Elle fait valoir qu’elle a contesté le refus du Gouvernement fédéral de la faire bénéficier de soins de santé dans le cadre du PFSI et que la Cour fédérale a jugé que ce refus violait son droit à la vie en l’exposant à un grave risque pour sa vie et à des conséquences préjudiciables à long terme sur sa santé. Elle fait de plus valoir que la condition d’épuisement des recours internes devrait, s’agissant des États fédéraux, être appliquée d’une manière conforme au paragraphe 4 de l’observation générale no 31 (2004) du Comité concernant la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte.

9.2L’auteure indique qu’elle a sollicité l’avis d’un groupe d’éminents spécialistes du droit constitutionnel et du droit de la santé au Canada. Ces juristes estiment qu’il était raisonnable pour elle d’exercer un recours contre le Gouvernement fédéral et non contre une province parce qu’il ne lui avait pas donné accès à une assurance maladie couvrant les soins de santé d’urgence et essentiels.

9.3L’auteure rejette l’observation de l’État partie selon laquelle sa communication serait sans objet comme dans l’affaire Dranichnikov c. Australie. Elle rappelle que, dans cette affaire, l’auteure alléguait que les droits qu’elle tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte seraient violés si elle était expulsée vers la Fédération de Russie. L’auteure ayant obtenu un visa de protection, le Comité a estimé que ses allégations relatives à la menace d’expulsion étaient sans objet car elle n’était plus menacée d’expulsion. L’auteure affirme que, dans la présente affaire, on lui a refusé l’accès aux soins de santé nécessaires à la protection de sa vie et de sa santé à long terme, et non qu’elle est menacée d’un tel refus. Elle indique toutefois que les éléments de son allégation sont analogues à ceux de la communication dans l’affaire Dranichnikov c. Australie, que le Comité a jugé recevable. Bien que, dans cette affaire l’auteure ne fût plus partie à une instance devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et que sa famille fût désormais titulaire d’un visa de protection permanent, elle avait été partie à une telle instance et son allégation concernant la procédure de ce tribunal a été jugée recevable. L’auteure note que, de la même manière, dans la présente affaire, son allégation selon laquelle les droits qu’elle tient du Pacte ont été violés par le passé n’est pas rendue sans objet parce que, du fait des changements intervenus dans sa situation, la politique contestée ne lui est plus applicable.

9.4En ce qui concerne les observations de l’État partie sur l’affaire A. P. L .- v. d. M. c. Pays-Bas, l’auteure rappelle que la décision du Comité était fondée sur un fait particulier, à savoir que dans cette affaire la restriction des prestations avait été abolie avec effet rétroactif. L’auteure fait observer que, dans la présente affaire, l’exclusion des migrants sans papiers de l’accès aux soins de santé n’a pas été abolie et que la violation des droits qu’elle tient du Pacte n’a pas été réparée.

9.5L’auteure rejette également l’observation de l’État partie selon laquelle sa communication constituerait une actio popularis. Elle rappelle que, dans l’affaire Jazairi c. Canada, le Comité a considéré qu’un « particulier doit être personnellement et directement touché par des violations alléguées » et que les allégations relatives au « mécanisme dans son ensemble » dépassent « les circonstances de l’affaire ». Dans la présente affaire, l’auteure fait valoir qu’elle conteste son exclusion du PFSI, qui l’a personnellement et directement touchée. Elle fait également valoir qu’à l’époque où l’accès à ce programme lui a été refusé, le Ministre de la santé n’avait pas encore le pouvoir discrétionnaire d’en ouvrir l’accès aux personnes sans statut légal au Canada. Elle souligne en outre que l’État partie n’a pas indiqué que ce pouvoir discrétionnaire était exercé selon un critère lié à la protection de la vie et de la santé à long terme. De plus, l’auteure relève que les deux cas dans lesquels le Ministre a exercé ce pouvoir discrétionnaire donnent à penser que les rares exceptions qui ont été faites l’ont été compte tenu de la situation particulière des intéressés en matière d’immigration et non parce qu’ils avaient besoin de recevoir des soins de santé au titre de l’article 6 du Pacte.

9.6L’auteure rejette en outre l’observation de l’État partie selon laquelle sa communication est incompatible avec les articles 6, 7 et 9 du Pacte. Elle soutient qu’elle n’affirme pas que le Pacte énonce « un droit à des soins de santé primaires publics » mais allègue une négation de son droit à la vie, lequel, dans la situation qui était la sienne, voulait qu’elle ait accès à un programme prévoyant la couverture des soins de santé d’urgence et essentiels. L’auteure fait donc valoir que la principale question touchant le respect de l’article 6 par l’État partie à laquelle l’État partie ne répond pas concerne la décision des tribunaux internes selon laquelle une violation du droit à la vie n’est pas arbitraire parce qu’elle est justifiée en tant que mesure visant à promouvoir le respect de la législation relative à l’immigration.

9.7Quant aux observations de l’État partie sur l’allégation de violation de l’article 26, l’auteure relève que, dans l’affaire Danning c. Pays-Bas, il s’agissait d’une distinction entre personnes mariées et célibataires, qui bénéficiaient de prestations d’assurance différentes, et le Comité a estimé qu’elle reposait sur des critères raisonnables et objectifs. L’auteure estime que cette distinction n’est pas comparable à un refus de soins de santé d’urgence et essentiels sur la base du statut en matière d’immigration, tant parce que le droit à la vie et le droit à la sécurité de la personne sont en cause que parce qu’il est admis que la distinction en cause dans la présente affaire est un motif de discrimination et de stigmatisation fréquent dans de nombreux pays. Bien que l’État partie, invoquant l’affaire Oulajin et Kaiss c. Pays-Bas, affirme qu’une telle distinction ne vise pas à stigmatiser, l’auteure fait valoir que la distinction entre enfants placés dans une famille et enfants biologiques qui était alors en cause était entièrement différente par sa nature de celle en cause dans la présente affaire.

9.8Enfin, l’auteure rejette les observations de l’État partie sur le fond. En ce qui concerne les observations faites par l’État partie au sujet des soins de santé d’urgence publics, l’auteure note qu’elle vivait dans la pauvreté à l’époque où elle a demandé à bénéficier du PFSI et qu’elle n’avait pas la possibilité de payer ses soins de santé. En réponse à l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteure a bénéficié de soins de santé d’urgence publics, elle fait valoir que la Cour fédérale a jugé que les soins de santé nécessaires à la protection de sa vie et de sa santé à long terme lui avaient été refusés, et qu’on lui avait également demandé de payer les soins de santé qu’elle avait reçus dans les services d’urgence parce qu’elle n’était pas assurée au titre du PFSI. L’auteure évoque également la tentative qu’elle a faite pour que sa demande de résidence permanente soit réexaminée pour considérations d’ordre humanitaire et souligne que la procédure a été prolongée par le refus du Ministre de la santé d’examiner sa demande tendant à être dispensée de payer les droits qu’elle n’était pas en mesure d’acquitter.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’objection de l’État partie à la recevabilité de la communication au motif que l’auteure vise, au moyen d’une actio popularis, à contester la loi pour faire en sorte que les personnes résidant au Canada en situation irrégulière au regard de la réglementation sur l’immigration et la citoyenneté aient accès à une couverture maladie dans le cadre du PFSI, et que l’auteure n’est pas victime d’une violation au sens des articles 1 et 2 du Protocole facultatif, puisqu’elle bénéficie de l’assurance maladie de la province depuis avril 2013. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle « une personne ne peut se prétendre victime d’une violation de l’article premier du Protocole facultatif que s’il est effectivement porté atteinte à ses droits. L’application concrète de cette condition est une question de degré. Toutefois, aucun individu ne peut dans l’abstrait, par voie d’actio popularis, contester une loi ou une pratique en déclarant que celle-ci est contraire au Pacte ».

10.4Le Comité prend toutefois note de l’argument de l’auteure selon lequel sa communication indique comment la politique en question lui a été individuellement appliquée et comment elle l’a personnellement et directement touchée de 2006 à 2013, comme le démontrent les constatations des tribunaux internes, y compris en ce qui concerne les conséquences qui ont été néfastes pour sa santé (voir par. 2.9). Eu égard à sa jurisprudence, le Comité considère qu’en raison de son exclusion du PFSI entre 2006 et 2013 et des conséquences de celle-ci, l’auteure peut affirmer qu’elle est victime de la violation alléguée des droits qu’elle tient du Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

10.5Le Comité prend également note des objections de l’État partie à la recevabilité de la communication au motif que celle-ci est sans objet puisque le régime de couverture maladie contesté par l’auteure n’existe plus, puisqu’il a été modifié en 2012 et 2014, et que la régularisation de la situation de l’auteure au Canada lui a permis de bénéficier à partir de 2013 d’une couverture complète par le système public de soins de santé. Le Comité note en outre, toutefois, que ni les modifications apportées au programme fédéral en 2014, ni la régularisation de la situation de l’auteure n’ont pu réparer rétroactivement le préjudice dont elle a, de fait, souffert entre 2006 et 2013 du fait que l’accès à des soins de santé adaptés à son état lui a été refusé. Le Comité considère en conséquence que cette partie de la communication est recevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable parce que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles comme l’exige l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il rappelle sa jurisprudence aux termes de laquelle l’auteur d’une communication doit épuiser, aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, tous les recours administratifs ou judiciaires qui lui offrent des chances raisonnables d’obtenir réparation. Le Comité prend note des objections de l’État partie selon lesquelles l’auteure n’a pas demandé d’indemnisation pécuniaire devant les tribunaux internes lorsqu’elle a contesté la constitutionnalité du PFSI. L’auteure a toutefois expliqué qu’elle avait épuisé les recours internes s’agissant de la violation des droits qu’elle tenait de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle fait valoir qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 24 de la Charte canadienne, les personnes dont les droits garantis dans la Charte ont été violés peuvent s’adresser aux tribunaux pour obtenir une réparation, y compris, dans certaines circonstances, une indemnisation pécuniaire. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle, comme la Cour d’appel fédérale avait jugé que la Charte n’avait pas été violée, toute demande d’indemnisation pécuniaire qu’elle aurait pu présenter n’avait aucune chance de prospérer. Il prend aussi note de l’argument de l’auteure selon lequel les tribunaux jouissaient d’un large pouvoir discrétionnaire pour lui accorder une réparation appropriée et juste, y compris une indemnisation, si la Cour fédérale et la Cour fédérale d’appel avaient fait droit à ses demandes.

10.7Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la gestion et la prestation des services de soins de santé relèvent de la responsabilité du gouvernement de chaque province ou territoire et l’auteure aurait dû demander réparation auprès de la Province de l’Ontario. L’État partie souligne aussi que l’auteure aurait pu contester la conformité à la Constitution du système d’assurance-santé de l’Ontario. Parallèlement, le Comité prend note des explications de l’État partie (voir par. 8.3) selon lesquelles l’auteure ne remplissait pas les conditions énoncées par la loi de l’Ontario sur l’assurance-santé parce qu’elle n’était pas légalement résidente de l’Ontario et ne pouvait donc en aucune manière bénéficier de ce programme provincial. Le Comité prend également note des arguments de l’auteure et de l’avis du « groupe d’éminents experts », composé de neuf professeurs de droit canadiens, qui a estimé qu’il était raisonnable pour elle d’exercer un recours contre le Gouvernement fédéral et non contre une province. Le Comité note en particulier : a) que si les compétences en matière de santé peuvent être partagées entre les niveaux de gouvernement provincial et fédéral, les institutions fédérales sont chargées de la prestation des soins de santé à certaines catégories de la population, à savoir notamment certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière ; b) que les institutions fédérales sont responsables des soins de santé aux immigrants placés en détention, aux demandeurs d’asile déboutés qui attendent leur reconduite à la frontière et aux personnes expulsées dont la reconduite a été suspendue en raison des conditions de détention ou de l’insécurité régnant dans leur pays ; et c) que la législation provinciale exclut expressément de sa juridiction toutes les personnes qui n’ont pas le droit de résider régulièrement au Canada et cette exclusion est confirmée par une jurisprudence constante des tribunaux canadiens. Par conséquent, des recours au niveau provincial auraient inutilement retardé la procédure, alors que c’est d’une solution urgente que l’auteure avait besoin. L’État partie n’explique pas en quoi ces recours auraient pu être utiles en l’espèce. Le Comité considère donc que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ont été remplies.

10.8Le Comité prend de plus note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure concernant la violation des articles 2 (par. 1 et 3 a)), 6, 7 et 9 (par. 1) devraient être jugées incompatibles avec le Pacte au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.9En ce qui concerne l’article 6, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel on ne peut interpréter le droit à la vie comme allant jusqu’à imposer aux États une obligation positive de fournir aux migrants sans papiers un niveau optimal d’assurance maladie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit à la santé n’est pas en tant que tel protégé par les dispositions du Pacte. Toutefois, l’auteure a expliqué qu’elle n’allègue pas une violation de son droit à la santé mais de son droit à la vie, faisant valoir que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation positive de protéger celui-ci, lequel, dans la situation où elle se trouvait, exigeait la fourniture de soins de santé d’urgence et essentiels (voir par. 9.7). Le Comité déclare en conséquence recevables les griefs formulés au titre de l’article 6.

10.10Le Comité prend note des griefs de l’auteure au titre des articles 7 et 9 (par. 1) et considère que l’auteure n’a pas fourni de renseignements suffisants pour expliquer en quoi le refus d’accès à des soins de santé pourrait l’avoir exposée à un traitement cruel, inhumain ou dégradant ou avoir porté atteinte à la jouissance des droits qui lui sont garantis par l’article 9 (par. 1) du Pacte. Le Comité considère par conséquent que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.11S’agissant des griefs de l’auteure au titre de l’article 26, le Comité relève que l’État partie n’en a pas contesté la recevabilité mais a fait valoir que le Gouvernement avait justifié sa décision de ne pas faire bénéficier les migrants sans papiers de la couverture maladie en indiquant qu’elle visait à promouvoir le respect de la législation fédérale en matière d’immigration. Le Comité note que le Gouvernement fédéral n’a pas nié qu’il aurait pu faire bénéficier l’auteure des soins de santé nécessaires en lui permettant, parce qu’elle était une migrante sans papiers ayant besoin d’une aide médicale d’urgence, de bénéficier des soins de santé essentiels dans le cadre du PFSI. En conséquence, la partie de la communication visant l’article 26 est déclarée recevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.12Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif parce qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs de l’auteure au titre de l’article 2 (par. 1 et 3 a)) sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.13En conséquence, le Comité déclare recevables les griefs que l’auteure tire des articles 6 et 26 et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

11.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 6, le Comité prend note des griefs de l’auteure selon lesquels a) le refus de lui donner accès à des soins de santé a mis sa vie et sa santé en péril du fait qu’elle n’a pas pu bénéficier d’un traitement médical correspondant à la gravité de ses problèmes de santé ; b) en 2009, son état de santé déjà critique s’est détérioré au point de mettre sa vie en péril ; et c) la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont reconnu qu’en refusant à l’auteure l’accès à la couverture maladie dans le cadre du PFSI, l’État partie l’avait exposée à un risque sérieux pour sa vie et sa santé. Dans ce contexte, le Comité note que l’auteure résidait au Canada depuis un certain temps, y a travaillé de 1999 à 2008 et a cherché à régulariser sa situation en 2005.

11.3Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 6, il a noté que le droit à la vie était trop souvent interprété de façon étroite et qu’il ne pouvait pas être entendu de façon restrictive, et que la protection de ce droit exigeait que les États adoptent des mesures positives. Le Comité considère que le droit à la vie recouvre le droit des personnes de ne pas subir d’actes ni d’omissions ayant pour but ou résultat leur décès non naturel ou prématuré, et le droit de vivre dans la dignité. De plus, l’obligation des États parties de respecter et garantir le droit à la vie vaut face aux menaces et situations raisonnablement prévisibles qui mettent la vie en danger. Il peut y avoir violation de l’article 6 par les États parties même si de telles menaces ou situations n’ont pas effectivement abouti à la perte de la vie. En particulier, les États ont au minimum l’obligation de fournir l’accès aux services de soins de santé existants disponibles et accessibles dans des conditions raisonnables, lorsque le fait de ne pas avoir accès à ces soins exposerait une personne à un risque raisonnablement prévisible pouvant aboutir à la perte de la vie.

11.4Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles l’auteure a pu recevoir des soins de santé publics parce qu’elle a eu accès à des soins hospitaliers d’urgence et qu’elle n’a pas été empêchée d’obtenir des soins de santé primaires auprès de diverses organisations communautaires, à titre gracieuxou sur la base d’une assurance maladie privée. Du fait que l’auteure a bénéficié de ces soins de santé, l’État partie considère qu’il a satisfait aux obligations concernant la protection du droit à la vie de l’auteure qui lui sont imposées par le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte. Le Comité relève toutefois que tant la Cour fédérale que la Cour d’appel fédérale ont reconnu que, malgré les soins qu’elle avait pu recevoir, l’auteure avait été exposée à une menace grave pour sa vie et sa santé, parce qu’elle avait été exclue du bénéfice du PFSI. Le Comité prend également note des avis médicaux produits à cet effet lors du procès devant la Cour fédérale (voir par. 2.9).

11.5Étant donné les graves incidences du refus d’admettre l’auteure au bénéfice de la couverture maladie dans le cadre du PFSI de juillet 2009 à avril 2013, dont la preuve est rapportée dans sa communication et qui ont été analysées en détail par les tribunaux fédéraux, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteure tient de l’article 6.

11.6Le Comité prend note du grief de l’auteure au titre de l’article 26, à savoir que l’exclure du bénéfice du PFSI sur la base de son statut en matière d’immigration n’est pas un moyen objectif, proportionné ou raisonnable de lutter contre l’immigration illégale, du fait en particulier qu’il n’a pas été tenu compte de son état de santé, qui mettait sa vie en péril. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel, dans l’allocation des crédits de santé publique, il peut raisonnablement distinguer entre les personnes légalement présentes au Canada, y compris les immigrants, et les étrangers qui n’y ont pas été légalement admis, et que la résidence légale est un critère neutre et objectif qui ne peut être considéré comme un motif de discrimination interdit.

11.7Le Comité rappelle son observation générale no 18 (1989) concernant la non‑discrimination, dans laquelle il a réaffirmé qu’au regard de l’article 26, toutes les personnes étaient égales devant la loi et avaient droit à une égale protection de la loi, et que la loi devait interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation (par. 1). Si l’article 2 limite la portée des droits devant être protégés contre la discrimination à ceux visés dans le Pacte, il n’en va pas de même de l’article 26, qui interdit toute discrimination de jure ou de facto dans tout domaine réglementé et protégé par les pouvoirs publics. Le Comité rappelle également que, dans son observation générale no 15 (1986) concernant la situation des étrangers au regard du Pacte, il a confirmé la règle générale selon laquelle chacun des droits énoncés dans le Pacte devait être garanti sans discrimination entre les citoyens et les étrangers. Si le Pacte ne reconnaît pas aux étrangers le droit d’entrer sur le territoire d’un État partie et d’y résider, le Comité a aussi déclaré que les étrangers avaient un « droit inhérent à la vie ». Les États ne peuvent donc établir de distinction, aux fins du respect et de la protection du droit à la vie, entre les migrants en situation régulière et ceux qui sont en situation irrégulière. De manière plus générale, le Comité rappelle également que les différences de traitement fondées sur les motifs énoncés à l’article 26 ne sauraient toutes être réputées discriminatoires, dès lors qu’elles reposent sur des critères objectifs et raisonnables et servent un objectif légitime au regard du Pacte.

11.8Le Comité considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce telles qu’alléguées par l’auteure, reconnues par les tribunaux internes et non contestées par l’État partie, à savoir que l’exclusion de l’auteure du bénéfice du PFSI risquait de lui coûter la vie ou d’avoir des conséquences préjudiciables irréversibles sur sa santé, la distinction opérée par l’État partie, aux fins de l’admission au Programme, entre les personnes présentes légalement au Canada et celles qui n’y avaient pas été légalement admises ne reposait pas sur un critère raisonnable et objectif et constituait donc une discrimination au sens de l’article 26.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6 et 26.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a ainsi l’obligation d’accorder pleine réparation aux personnes dont les droits consacrés par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, notamment, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteure une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas, notamment de revoir sa législation nationale pour faire en sorte que les migrants en situation irrégulière aient accès aux soins de santé essentiels pour prévenir tout risque raisonnablement prévisible pouvant aboutir à une perte de la vie.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est également invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles de l’État partie.