Nations Unies

CCPR/C/127/D/2725/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 janvier 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2725/2016 * , * *

Communication présentée par :

S. J. (représenté par des conseils, Kinam Kim et Dasol Lyu)

Victime(s) présumée(s):

Sung-hee Joo

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

20 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 décembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

7 novembre 2019

Objet :

Détention illégale, mauvais traitement et violations du droit à un procès équitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Détention arbitraire, procès équitable, procès équitable − temps et facilités nécessaires, conditions de détention, accès à un tribunal, application rétroactive de la peine la plus légère

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1), 14 (par. 1 et 7) et 15 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication estS. J., ressortissant de la République de Corée, né en 1964. Il affirme que la détention préventive dont il fait l’objet depuis 2013 constitue une violation des droits qu’il tient des articles 9, 14 (par. 1 et 7) et 15 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 juillet 1990. L’auteur est représenté par des conseils.

Exposé des faits

2.1Avant d’être placé en détention à titre préventif, l’auteur avait commis plusieurs infractions, dont un vol en 1983 (suspension des poursuites), une agression en 1984 (huit mois de prison ferme et deux ans avec sursis) et une autre agression en 1986 (dix mois de prison ferme et deux ans avec sursis). Le 2 décembre 1988, il a été reconnu coupable de vol qualifié et condamné à dix mois d’emprisonnement. Le 1er juin 1991, alors qu’il se trouvait en prison, l’auteur a été condamné à une nouvelle peine d’emprisonnement d’un an pour tentative de vol. Le 2 décembre 1992, il a été condamné à deux ans et six mois d’emprisonnement pour vol, sur le fondement de la loi prévoyant des peines aggravées pour certaines infractions. Le 14 février 1996, en vertu de la même loi, il a été condamné à deux ans d’emprisonnement et à une peine de détention préventive pour vol. Après deux ans passés en prison, l’auteur a été placé en détention préventive ; il devait être libéré le 25 mai 2004, mais il a bénéficié d’une liberté conditionnelle le 25 mai 2001.

2.2Alors qu’il se trouvait en liberté conditionnelle, l’auteur a commis plusieurs nouvelles infractions. Le 30 janvier 2004, il a été condamné à une peine de dix ans de prison assortie d’une peine de détention préventive d’une durée indéterminée pour de multiples infractions en vertu de la loi relative à la sécurité nationale. Dans son jugement de janvier 2004, le tribunal de première instance a considéré que l’auteur, eu égard à son casier judiciaire, présentait un risque de récidive. Il a estimé qu’il existait un risque qu’il commette de nouvelles infractions graves à l’avenir étant donné son âge, sa personnalité, son milieu familial, ses antécédents judiciaires et sa propension à la récidive. L’auteur n’a toutefois jamais été examiné par un psychologue ou un psychiatre au cours ou dans le cadre de son procès. Il a fait appel de ce jugement et a été débouté le 9 juillet 2004. Sa condamnation a acquis un caractère définitif le 14 juillet 2004 après le retrait d’un second appel.

2.3Entre-temps, en 1991, 1996 et 2001, le système de la détention à titre préventif prévu par la loi relative à la sécurité nationale a été contesté devant la Cour constitutionnelle, qui a confirmé la constitutionnalité de la loi. Toutefois, le 13 janvier 2004, la Commission nationale des droits de l’homme a recommandé au Gouvernement d’abroger cette loi.

2.4Le 4 août 2005, l’Assemblée nationale de la République de Corée a abrogé la loi relative à la sécurité nationale par l’adoption de nouvelles dispositions (loi d’abrogation), considérant que cette loi imposait une double peine, en prévoyait l’accomplissement dans des conditions de type carcéral similaire à une sanction pénale et avait l’effet d’une mise à l’écart. Le même jour, la loi sur les traitements médicaux et la détention a été adoptée en remplacement de la loi abrogée, mais les délinquants qui se trouvaient déjà en détention préventive ou qui avaient été reconnus coupables et condamnés à une peine de détention préventive avant l’adoption de cette nouvelle loi restaient frappés d’une mesure de détention en application de l’article 2 de la loi d’abrogation. L’auteur, qui avait été condamné en 2004 à dix ans d’emprisonnement et à une période indéterminée de détention préventive, n’a par conséquent pas été exempté de l’exécution de sa peine, y compris de la partie à accomplir sous forme de détention préventive d’une durée indéterminée.

2.5Le 26 mars 2009, la Cour constitutionnelle a confirmé la constitutionnalité de l’article 2 de la loi d’abrogation, estimant que la détention à titre préventif prévue par la loi relative à la sécurité nationale, désormais abrogée, pouvait difficilement être considérée comme inconstitutionnelle. Elle ne constituait pas une double peine et ne portait pas atteinte de manière excessivement disproportionnée à la liberté de la personne parce que le législateur, en abrogeant la loi relative à la sécurité nationale, avait établi que la détention à titre préventif s’appliquerait aux seules personnes qui avaient été condamnées à une mesure de détention préventive avant l’adoption de la loi d’abrogation, eu égard au chaos social que la soudaine libération d’un nombre considérable de personnes détenues à titre préventif pourrait causer dans le pays, à la jurisprudence de la Cour et à la nécessité de respecter le jugement définitif du tribunal. La Cour constitutionnelle a également estimé que la détention à titre préventif n’était pas contraire au principe constitutionnel d’égalité car il existait des motifs raisonnables permettant de justifier une marge d’appréciation du législateur susceptible de donner lieu une certaine discrimination entre les personnes qui avaient été condamnées sur le fondement d’un jugement définitif et les personnes dont la procédure était en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi d’abrogation.

2.6Après avoir accompli sa peine de dix ans de prison, qui prenait fin le 31 mars 2013, l’auteur a entamé dès le lendemain sa période de détention préventive. Il a été transféré au troisième centre pénitentiaire de la province du Gyeongsang du Nord, sous la supervision du Ministère de la justice. Entre son incarcération pénale et sa détention préventive, aucun organe judiciaire n’a tenu d’audience ni mené d’examen intérimaire pour déterminer la validité de cette mesure de détention.

2.7En mars et septembre 2014, la Commission de délibération sur les traitements médicaux et la détention (Commission de délibération) a examiné la peine de détention préventive imposée à l’auteur et a refusé la mise en liberté conditionnelle de celui-ci. Au cours de cet examen, la Commission de délibération n’a pas ordonné d’examen psychiatrique de l’auteur pour évaluer la manière dont se déroulait sa réinsertion et réexaminer son statut de détenu. L’auteur a alors fait appel du premier refus opposé par la Commission de délibération à sa demande de libération conditionnelle. Il affirme que les autorités ne l’ont pas informé des modalités de recours à cet égard, en violation de l’article 26 de la loi relative aux recours administratifs. Le 4 novembre 2014, la Commission centrale des recours administratifs a débouté l’auteur de son action contre le rejet de sa demande de liberté conditionnelle par la Commission de délibération. L’auteur n’a jamais formé recours contre la mesure de placement en détention préventive après 2014.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dit qu’il n’a pas formé de nouveau recours contre la mesure de placement en détention préventive dont il a fait l’objet, détention qui a commencé le 1er avril 2013, pensant qu’un appel serait vain et inutile aux fins de l’épuisement de tous les recours disponibles. Dans sa décision en date du 26 mars 2009, la Cour constitutionnelle avait en effet reconnu la constitutionnalité de l’article 2 de la loi d’abrogation dans une affaire analogue. Par conséquent, l’auteur affirme qu’il n’est pas tenu d’épuiser les recours internes qui lui sont offerts comme le prescrit l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

3.2L’auteur affirme que sa détention préventive constitue une détention arbitraire au regard de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il fait observer que, selon la jurisprudence du Comité, l’expression « arbitraire » doit recevoir une interprétation large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Cela signifie que pour ne pas être arbitraire au regard du Pacte, la mise en détention préventive doit certes être légale, mais qu’elle doit aussi être raisonnable et nécessaire, et proportionnée au but légitime recherché par l’État. L’auteur fait également observer que le placement en détention à titre préventif doit être justifié par des raisons impérieuses et que celles-ci doivent rester valables tant que la détention se poursuit à ces fins. En outre la décision doit pouvoir être examinée par une autorité judiciaire.

3.3L’auteur affirme que placer une personne en détention à des fins préventives pour une durée indéterminée pouvant aller, comme c’est le cas en l’espèce, jusqu’à sept ans au titre de la loi relative à la sécurité nationale est arbitraire pour les raisons exposées ci-après. Premièrement, le contexte législatif et l’histoire de la loi relative à la sécurité nationale montrent qu’aucune raison impérieuse n’obligeait les autorités à recourir à la détention préventive pour protéger de la criminalité les citoyens et la société et réaliser le but recherché par la loi relative à la sécurité nationale. Deuxièmement, la décision de placer l’auteur en détention préventive n’était ni objective ni raisonnable car le tribunal a examiné la question de savoir si l’auteur faisait partie, en principe, de la catégorie des personnes considérées comme risquant de commettre de nouvelles infractions au regard de l’article 5 de la loi relative à la sécurité nationale, sans que le risque précis de récidive qu’il pouvait présenter fasse l’objet de la moindre évaluation par un spécialiste des domaines pertinents, notamment la psychiatrie. Troisièmement, le tribunal n’a pas évalué en l’espèce les progrès que l’auteur avait faits en matière de réinsertion après avoir accompli sa peine d’emprisonnement de dix ans et l’État n’avait, avant de placer l’auteur en détention préventive, invoqué aucune raison impérieuse de le maintenir à l’écart de la société. Quatrièmement, des mesures de réinsertion moins attentatoires à la liberté de l’auteur auraient pu être prises, par exemple l’imposition de l’obligation de participer à un programme de réinsertion ou de soins, pour répondre au but de la loi relative à la sécurité nationale consistant à faciliter la réinsertion des délinquants et à protéger la société de la criminalité. Cinquièmement, le placement de l’auteur en détention préventive n’était pas proportionné aux infractions qu’il avait commises, à savoir principalement des infractions économiques telles que le vol et le vol qualifié, et bien que l’auteur ait aussi commis une infraction sexuelle, il ne l’a pas commise en état de récidive et son acte n’était pas prémédité. Sixièmement, après avoir imposé à l’auteur une peine aggravée de dix ans d’emprisonnement, il était disproportionné, au regard du but de réinsertion et de protection de la société contre la criminalité énoncé dans la loi relative à la sécurité nationale, de le placer dans des conditions de détention préventive assimilables à des conditions carcérales.

3.4L’auteur affirme que le fait de le placer en détention préventive revient à lui imposer une double peine, en violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, car cette mesure n’est pas différente de la détention pénale, en dépit de son caractère soi-disant civil et de son but officiel de prévention. L’auteur fait observer que la décision initiale de le placer en détention préventive a été adoptée en même temps que le jugement pénal prononcé par le tribunal, sans qu’il ait été procédé à la moindre expertise psychiatrique. Il affirme en outre qu’il n’y a guère de différence de traitement entre les personnes détenues à titre préventif et les autres détenus, les deux groupes étant pratiquement soumis aux mêmes règlements et programmes, ainsi qu’au même régime s’agissant de la correspondance, des droits de visite et de l’accès aux soins médicaux, qui est limité. Les personnes en détention préventive sont surveillées par des gardiens qui ne reçoivent pas de formation professionnelle et n’ont pas été formés aux méthodes de réinsertion. L’auteur relève aussi que les personnes détenues à titre préventif sont hébergées dans des locaux de type carcéral, de sorte qu’elles sont isolées de la population et qu’elles partagent leurs cellules et les installations sanitaires avec d’autres détenus. Ces installations n’offrent pas la moindre protection de l’intimité et ne sont pas chauffées en hiver. En outre les possibilités de formation professionnelle et l’accompagnement psychologique dont bénéficient les personnes détenues à titre préventif ne sont pas suffisants pour permettre leur réinsertion.

3.5L’auteur dénonce une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent conformément à l’article 14 (par. 1), puisque c’est la Commission de délibération qui a examiné ses demandes de libération conditionnelle en mars et septembre 2014. L’auteur prétend que l’examen de ces demandes s’est déroulé en l’absence de représentant légal et dans le non-respect des règles régissant l’évaluation des éléments de preuve, notamment sans que le tribunal entende l’avis d’un expert.

3.6L’auteur affirme aussi qu’en le maintenant en détention au titre de l’article 2 de la loi d’abrogation et de la loi sur les traitements médicaux et la détention, l’État partie a violé les dispositions de l’article 15 (par. 1) du Pacte car il ne lui a pas permis de bénéficier d’une modification du système de la détention préventive ayant pour conséquence l’application d’une peine plus légère que celle qui était applicable au moment où l’infraction pénale a été commise.

3.7L’auteur demande au Comité de déclarer que l’État partie a enfreint les obligations qui lui incombent au titre des articles 9 (par. 1), 14 (par. 1 et 7) et 15 (par. 1) du Pacte. Il lui demande aussi de recommander à l’État partie d’adopter toutes les mesures nécessaires pour se conformer au Pacte, notamment de le libérer immédiatement, ou tout au moins d’améliorer ses conditions de détention, qui sont de type carcéral, et de lui offrir des recours appropriés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 29 septembre 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il fait observer que le cas des personnes qui ont été placées en détention en vertu de la loi relative à la sécurité nationale désormais abrogée est examiné tous les six mois par la Commission de délibération. L’auteur a donc, tous les six mois, la possibilité d’être libéré, et il pouvait contester auprès de la Commission centrale des recours administratifs le refus de la Commission de délibération de le remettre en liberté. Il pouvait aussi engager une procédure administrative devant un tribunal qui pouvait ordonner sa remise en liberté. Or l’auteur n’a jamais engagé de procédure administrative.

4.3L’État partie fait en outre observer que la Cour suprême s’est bornée à affirmer que la mesure de détention à titre préventif prévue par l’article 2 de la loi d’abrogation ou par la loi relative à la sécurité nationale abrogée n’était pas contraire à la Constitution. Cette décision ne remettait pas en cause la procédure de remise en liberté de la Commission de délibération et ne rendait pas vaine la procédure administrative. L’État partie relève que la Cour constitutionnelle s’est fondée, pour déclarer cette mesure constitutionnelle, sur le fait que toute personne dont le placement en détention à des fins préventives est jugé illégal pouvait obtenir sa remise en liberté dans le cadre d’une procédure de recours administrative.

4.4L’État partie note par ailleurs que l’auteur n’explique pas précisément en quoi ses droits individuels ont été violés, et qu’il se borne à invoquer des questions de droit et de politique générale ayant trait à la loi de sécurité nationale ou à la loi d’abrogation. L’État partie affirme qu’en argumentant ainsi de façon générale sans prouver en quoi ses droits ont été violés du fait de la loi ou d’une omission des autorités, l’auteur ne satisfait pas aux prescriptions de l’article premier du Protocole facultatif et donc aux critères de recevabilité énoncés à l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité.

4.5En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 9 (par. 1), l’État partie déclare que le contexte historique invoqué par l’auteur, qui affirme que le placement en détention à titre préventif servait à contrôler la population civile sous le régime militaire de l’époque, n’a aucun rapport avec la détention préventive de l’auteur. La décision définitive de placer l’auteur en détention à des fins préventives a été prise en juin 2004, date à laquelle le système de détention préventive était déjà solidement orienté vers la prévention de la criminalité.

4.6L’État partie réfute également les déclarations de l’auteur selon lesquelles le jugement du tribunal concernant le risque de récidive manquait d’objectivité et était déraisonnable. L’État partie indique que l’article 5 de la loi relative à la sécurité nationale distingue, aux fins de l’appréciation de l’opportunité d’imposer une mesure de détention préventive, le risque de récidive des antécédents judiciaires, distinction confirmée par la Cour suprême. L’État partie ajoute que l’on ne saurait qualifier la décision du juge, qui tient compte de l’ensemble des circonstances et faits pertinents, de déraisonnable simplement parce que l’avis d’un psychologue ou d’un psychiatre n’a pas été pris en considération. L’État partie fait observer que dans le cadre de la procédure pénale, l’auteur était autorisé à soumettre au juge les conclusions d’une expertise psychiatrique à laquelle il se serait soumise à titre volontaire et qui aurait présenté un intérêt aux fins de la prise de décisions concernant son éventuel placement en détention préventive.

4.7S’agissant du troisième grief de violation du paragraphe 1 de l’article 9 soulevé par l’auteur − à savoir que la décision concernant son placement en détention préventive a été adoptée en même temps que le jugement pénal −, l’État partie dit que le juge connaissant d’une affaire est le mieux placé pour évaluer précisément la nécessité d’un éventuel placement en détention préventive car c’est lui qui apprécie le risque de récidive. L’État partie ajoute que le détenu peut être remis provisoirement en liberté ou exempté de la détention préventive après examen de la Commission de délibération, et qu’il peut contester la décision de la Commission de délibération dans le cadre d’une procédure administrative.

4.8L’auteur prétend que dans son cas, la détention préventive était ni inévitable ni utile pour sa réinsertion et sa réintégration dans la société. Or selon l’État partie, les personnes en détention préventive ne sont pas traitées comme les autres détenus et il est pleinement tenu compte de la finalité de la mesure, qui est de faciliter la réinsertion, ainsi que de son caractère non punitif. L’État partie ajoute que des programmes thérapeutiques et éducatifs sont prévus pour faciliter la réinsertion sociale des personnes en détention préventive.

4.9L’État partie conteste également le cinquième argument de l’auteur, selon lequel sa détention préventive était injustifiée parce qu’il n’avait pas commis d’infraction économique grave et que le viol dont il a été reconnu coupable était un acte isolé commis sous le coup d’une impulsion, et ne représentait pas de sérieuse menace pour la société. L’État partie invoque les vols et vols qualifiés commis à plusieurs reprises par l’auteur les 23 janvier, 31 janvier et 5 février 2003, y compris ses menaces à l’égard d’une femme de sa connaissance qu’il avait emmenée en voiture. Le 7 février 2003, l’auteur a violé et blessé une femme, l’a frappée de nombreuses fois et l’a menacée d’un couteau sur le cou. Il a lui a assené des coups de couteau à la cuisse et au visage et a aidé son complice à la violer dans un hôtel du voisinage. Selon l’État partie, il s’agit d’infractions graves, qui portent atteinte au droit à la liberté et à la vie de la personne ainsi qu’à l’autodétermination sexuelle et qui présentent donc une menace importante pour la sécurité de la société. L’État partie fait observer en outre que l’auteur, lorsqu’il a été temporairement remis en liberté après trois années de détention préventive, a perpétré des infractions similaires et montré une propension à commettre des crimes plus graves.

4.10L’État partie considère comme sans fondement l’affirmation de l’auteur selon laquelle il avait déjà été condamné à une peine aggravée en tant que délinquant multirécidiviste. Seule l’infraction de vol a été puni d’une peine aggravée parce qu’il s’agissait d’une récidive avérée, et l’auteur a été condamné uniquement à la peine de prison applicable à la plus grave des infractions qu’il avait commises.

4.11L’État partie conclut que la détention préventive de l’auteur est conforme à la procédure prévue par la loi relative à la sécurité nationale. Sa détention est donc légitime au regard de l’article 12 (par. 1) de la Constitution de la République de Corée, et ne constitue pas une détention arbitraire.

4.12En ce qui concerne la violation alléguée du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte, l’État partie affirme que la détention préventive, de par sa nature et le régime concret auquel sont soumis les détenus, n’équivaut pas à une sanction pénale. Le principe de double incrimination, dont l’objet est d’empêcher qu’une personne soit punie deux fois pour une même infraction, ne s’applique pas à la détention préventive. La finalité et la fonction de cette dernière diffèrent de celles de la peine puisqu’elle vise à protéger la société contre les délinquants présentant un risque élevé de récidive et à contribuer à la réinsertion sociale de ces derniers. Par ailleurs, le fait que ce soit le tribunal connaissant de l’affaire qui statue sur la détention préventive permet à celui-ci de statuer dans le strict respect de la légalité, conformément à la procédure prévue par la loi de procédure pénale. L’État partie ajoute que le traitement des personnes en détention préventive, qui est distinct du traitement des détenus condamnés exécutant leur peine initiale, ne saurait être considéré comme ayant les mêmes caractéristiques que celui dont fait l’objet les personnes qui accomplissent une peine. Par exemple, en principe, les personnes en détention préventive ne sont pas soumises à des limitations concernant les visites, peuvent utiliser largement leur téléphone et obtenir un travail à leur demande ou dans le cadre d’un accord et sont beaucoup mieux rémunérées que les condamnés qui accomplissent des travaux d’intérêt général. Elles peuvent en outre participer à diverses activités, notamment à des activités musicales et artistiques de type thérapeutique, à des programmes d’apprentissage des règles de la vie quotidienne et de maîtrise de soi et à des programmes destinés à leur permettre de trouver un emploi ou de créer leur entreprise. L’auteur a aussi été autorisé à participer, depuis septembre 2016, à un programme lui permettant de vivre de manière plus autonome.

4.13S’agissant de la violation alléguée de l’article 14 (par. 1), l’État partie dit que l’exécution de la mesure de détention préventive ordonnée par le tribunal ne concerne pas une « accusation en matière pénale » ou des « contestations sur des droits et obligations de caractère civil » au sens de l’article 14 (par. 1) et n’entre pas dans le champ d’application du Pacte ratione materiae. L’État partie ajoute que la décision de placer l’auteur en détention préventive a été prise par le tribunal compétent, avec toutes les garanties d’une procédure équitable, notamment le droit de faire appel et le droit à un conseil. La Commission de délibération est un organe quasi judiciaire qui peut décider, notamment dans le cadre d’une procédure administrative, de mettre fin, sur la base d’une évaluation psychiatrique et juridique, à la détention préventive, laquelle fait l’objet chaque année d’un examen judiciaire. L’État partie conclut donc que le droit de l’auteur à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent n’a pas été violé.

4.14En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 15 (par. 1), l’État partie fait valoir que le principe de non-rétroactivité des lois pénales et celui de la primauté de l’éventuelle loi postérieure à l’infraction prévoyant l’application d’une peine plus légère énoncés dans le Pacte ne s’appliquent pas à la détention préventive, qui est une mesure de prévention destinée à protéger la société et, partant, pas une sanction pénale. La décision de placer l’auteur en détention à des fins préventives se fondait sur la législation qui était en vigueur à l’époque et sur le jugement définitif rendu. Étant donné la nature non pénale de la détention préventive, l’application des dispositions transitoires prévoyant l’exécution des jugements définitifs après l’abolition du système antérieur par une nouvelle loi ne saurait être considérée comme une violation de l’article 15 (par. 1), puisqu’il appartient aux autorités de décider de la manière de réaliser les objectifs des politiques en matière de justice pénale. De plus, l’État partie fait valoir qu’il était raisonnable de prévoir des dispositions transitoires pour assurer l’exécution des mesures de détention préventive frappant des personnes déjà condamnées et prévenir les troubles à l’ordre public qu’aurait pu causer la libération d’un seul coup d’un nombre considérable de personnes en détention préventive, qui auraient ainsi réintégré la société après l’abrogation de la loi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 31 décembre 2016, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il répète que l’idée d’engager une procédure administrative contre la décision de la Commission de délibération paraissait vaine et inutile puisque la Cour constitutionnelle avait considéré que la détention à des fins préventives prévue à l’article 2 de la loi d’abrogation ne constituait pas une double peine ni une atteinte disproportionnée à la liberté personnelle. L’auteur souligne également que, le 24 septembre 2015, la Cour constitutionnelle a confirmé sa position antérieure lorsqu’elle s’est prononcée sur l’article 2 de la loi d’abrogation.

5.2S’agissant du caractère arbitraire de son placement en détention préventive au regard de l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’auteur répète que l’examen du tribunal n’était ni objectif ni raisonnable car il s’agissait d’une prédiction faite par les juges en suivant leur intuition et en se fondant sur son seul passé plutôt que de s’appuyer sur des évaluations et expertises psychiatriques ou psychologiques, qu’on ne lui a jamais proposées. L’auteur répète que l’État partie n’a donné aucune raison impérieuse pouvant justifier sa détention à titre préventif et rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle pour éviter tout caractère arbitraire, la détention à des fins de sûreté devait être raisonnable, nécessaire dans toutes les circonstances de l’espèce et proportionnée aux buts légitimes fixés par l’État partie.

5.3L’auteur souligne que la manière dont il a été traité en détention préventive ne diffère pas de celle dont il a été traité en prison puisqu’il n’a bénéficié d’aucun programme global de réinsertion ou de soins. Tout en reconnaissant avoir commis plusieurs infractions économiques ainsi qu’un grave crime de viol, il maintient que l’on peut raisonnablement douter de la conclusion du juge selon laquelle il présenterait une propension à commettre de nouvelles infractions menaçant sérieusement la société. À cet égard, il souligne que l’État partie a indiqué que le tribunal l’avait déclaré récidiviste non pas pour l’infraction de vol qualifié, le crime de viol ou le délit de fuite, mais seulement pour l’infraction de vol. Selon lui, le tribunal n’aurait donc pas dû conclure qu’il avait une propension à la récidive ou qu’il représentait un danger la société, et son placement en détention préventive est disproportionné.

5.4En ce qui concerne la question de la double peine visée à l’article 14 (par. 7) du Pacte, l’auteur répète que les personnes qui se trouvent en détention préventive dans le troisième centre pénitentiaire de la province du Gyeongsang du Nord sont placées dans les mêmes locaux que les détenus ordinaires. Depuis le 19 août 2016, l’auteur a occupé différents étages du bâtiment accueillant les détenus ordinaires. Auparavant, il se trouvait dans une aile de ce bâtiment qui était séparée de celles accueillant les détenus. L’auteur souligne qu’aucune ressource n’a été allouée pour les personnes en détention préventive, notamment au titre de la réinsertion. En fait, les programmes destinés aux personnes détenues à titre préventif sont encore pires que ceux qui sont destinés aux détenus ordinaires. En outre, les conditions de vie des personnes détenues à titre préventif ne diffèrent pas sensiblement de celles des détenus ordinaires. L’auteur met en relief qu’il a obtenu un diplôme d’enseignement supérieur en études commerciales dans le cadre d’un programme d’autoformation, mais que cela ne faisait pas partie d’un programme de réinsertion conçu pour lui. Il n’a bénéficié d’aucun soutien. Il était motivé pour obtenir ce diplôme car cela lui donnait droit à des avantages accrus selon le règlement concernant la catégorie et le traitement des personnes en détention préventive. Il a dû acheter lui-même les manuels et autres fournitures nécessaires pour passer l’examen. L’auteur conclut que les programmes de réinsertion ou de réadaptation sociale qui lui sont offerts sont limités. Le troisième centre pénitentiaire de la province du Gyeongsang du Nord l’a informé qu’il avait constitué une équipe spéciale chargée de réfléchir aux mesures à prendre pour améliorer le traitement des personnes se trouvant en détention préventive. Il a également annoncé avoir constitué un groupe de bénévoles locaux qui pouvaient offrir des conseils thérapeutiques à l’auteur et aux autres personnes se trouvant en détention préventive. Cependant, ces annonces n’ont jamais été suivies d’effets. Pour toutes ces raisons, l’auteur affirme que la détention à des fins préventives est une mesure de caractère pénal, et, partant, que le système actuel de détention préventive est un prolongement du régime de sanction pénale. Comme il a déjà accompli sa peine, cela constitue une violation de l’article 14 (par. 7) du Pacte.

5.5En ce qui concerne le droit à un procès équitable, garanti à l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteur réfute l’observation de l’État partie selon laquelle l’exécution de la mesure de détention préventive ordonnée par le tribunal n’entre pas dans le champ d’application du Pacte. L’auteur rappelle que le Comité, dans l’affaire Perterer c.  Autriche,ainsi que dans son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, a indiqué que la notion de droit à un procès équitable peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Même si l’État partie affirme que la détention à titre préventif est une mesure administrative, la détention préventive dont l’auteur fait l’objet est de caractère pénal et est assez rigoureuse pour constituer une sanction pénale. L’auteur affirme par conséquent que ses droits en ce qui concerne la détention préventive sont compris dans les « droits et obligations de caractère civil » au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

5.6L’auteur répète que la sanction pénale et la détention à titre préventif diffèrent fondamentalement quant à leur finalité et à leur légitimité. Alors que la sanction pénale vise à punir des actes commis dans le passé, la détention préventive vise seulement à prévenir la commission de nouvelles infractions pénales. La détention préventive ne se justifie donc que si la privation de liberté est nécessaire et proportionnée, et les mesures prises dans ce cadre devraient viser à réinsérer l’intéressé ou à le soigner en suivant systématiquement les prescriptions médicales. En outre, la détention préventive devrait aussi être distinguée à tous points de vue du régime carcéral ordinaire. Or à cet égard, ainsi qu’il est indiqué dans la lettre initiale et les observations ci-dessus, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1), 14 (par. 1 et 7) et 15 (par. 1) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article5 (par.2a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité rappelle que conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que les recours internes disponibles ont été épuisés.

6.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés car, si l’auteur a fait appel du refus de la Commission de délibération de le libérer auprès de la Commission centrale des recours administratifs, qui l’a débouté de son action, il n’a pas contesté ensuite cette décision dans le cadre d’une procédure administrative. L’auteur prétend que cela aurait été vain et inutile étant donné que la Cour constitutionnelle avait déjà affirmé que la mesure de détention préventive prévue par l’article 2 de la loi d’abrogation ou par la loi relative à la sécurité nationale abrogée n’était pas contraire à la Constitution et avait confirmé cet avis dans une décision ultérieure.

6.5À cet égard, aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, le Comité rappelle que les recours internes doivent être non seulement disponibles mais aussi utiles, ce qui dépend aussi de la nature de la violation alléguée, et que l’expression « recours internes » vise au premier chef les recours juridictionnels. Il rappelle également que l’auteur d’une communication est tenu de s’être prévalu de tous les recours judiciaires ou administratifs qui lui offraient des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. Le Comité rappelle qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser les voies de recours internes s’il n’y a objectivement aucune chance de les voir aboutir : tel est le cas lorsque, en vertu de la législation interne applicable, la plainte serait immanquablement rejetée, ou lorsque la jurisprudence des juridictions nationales supérieures exclut que le plaignant ait gain de cause.Toutefois, le Comité considère que la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes.

6.6En l’espèce, le Comité prend note du commentaire de l’auteur selon lequel l’engagement d’une procédure administrative contre la décision de la Commission de délibération serait vain et inutile, puisque la Cour constitutionnelle a affirmé que la détention préventive prévue à l’article 2 de la loi d’abrogation ne constituait pas une double peine ni une atteinte excessivement disproportionnée à la liberté de la personne, ce qui avait été confirmé lors d’un examen constitutionnel ultérieur après l’échec d’une procédure administrative intentée pendant une période de détention préventive.

6.7Le Comité prend note toutefois de l’observation de l’État partie selon laquelle la Cour constitutionnelle a fondé sa décision de constitutionnalité sur le fait que toute personne placée illicitement en détention à des fins préventives peut obtenir sa libération dans le cadre d’une procédure administrative. Le Comité note également que l’auteur a contesté devant la Haute Cour le verdict de culpabilité prononcé à son égard et la partie de sa peine impliquant une période de détention préventive, mais qu’il n’a pas saisi la Cour suprême. Il note en outre qu’à la seule exception de l’appel interjeté en 2014 devant la Commission centrale des recours administratifs, l’auteur n’a contesté, que ce soit auprès de la Commission centrale des recours administratifs ou dans le cadre d’une procédure administrative en justice, aucune des décisions ultérieures concernant son statut en ce qui concerne le risque qu’il présente, malgré le fait que la Commission de délibération se livre à un examen aux fins de ces décisions tous les six mois. L’auteur n’ayant pas apporté d’autres éclaircissements sur les raisons pour lesquelles il n’a pas cherché ni réussi à faire appel des décisions concernant son statut concernant ce risque, ni soumis lui-même des éléments d’expertise à l’appui de ses affirmations, le Comité ne peut pas considérer qu’il a épuisé tous les recours internes dont il disposait raisonnablement pour contester son maintien en détention et la violation correspondante des droits qu’il invoque au titre des articles 9, 14 et 15 du Pacte. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif l’empêchent d’examiner la présente communication.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.