Nations Unies

CCPR/C/128/D/2984/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 mai 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2984/2017 * , **

Communication présentée par :

J. B. N. K.

Victime(s présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Suède

Date de la communication :

22 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 mai 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

13 mars 2020

Objet :

Expulsion de la Suède vers le Rwanda

Questions de procédure :

Degré de justification des griefs

Questions de fond :

Droit à la vie ; risque de torture ou de mauvais traitements

Article(s) du Pacte :

6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

3

1.1L’auteur de la communication est J. B. N. K. Né le 5 septembre 1992, il possède un passeport congolais et un passeport rwandais. Il affirme que l’État partie violerait les droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte s’il était expulsé. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 30 mai 2017, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Rwanda tant que sa communication serait à l’examen devant le Comité.

Exposé des faits

2.1L’auteur est d’origine ethnique tutsi. Il est né dans le nord Kivu, en République démocratique du Congo. Sa famille a fui au Rwanda en 1998 à cause du conflit qui régnait en République démocratique du Congo. L’auteur a grandi au Rwanda où il a obtenu en 2011 un diplôme d’études supérieures. Il souligne toutefois qu’il n’est pas ressortissant du Rwanda et que sa famille avait seulement obtenu des permis de séjour dans ce pays.

2.2L’auteur affirme qu’à partir de 2011, il a commencé, comme d’autres jeunes réfugiés congolais au Rwanda, à rencontrer des problèmes. Nombre d’entre eux ont été enrôlés de force dans le groupe rebelle M23. En 2012, l’auteur a été contacté par un homme qui connaissait son père. L’homme lui a proposé une bourse pour se rendre aux États-Unis d’Amérique dans le cadre d’un soi-disant projet entre le Rwanda et les États-Unis en faveur des réfugiés congolais. L’auteur, qui ne possédait pas de passeport, a été invité à communiquer aux représentants des réfugiés congolais une photo d’identité ainsi que ses coordonnées. Le 7 septembre 2012, l’auteur a reçu un passeport rwandais indiquant une date de naissance erronée. Lorsqu’il a demandé aux représentants de rectifier l’erreur, ceux‑ci lui ont dit que cela n’était pas possible car il risquerait de perdre sa bourse.

2.3L’auteur a été informé qu’avant de partir pour les États-Unis, il devait suivre trois mois de préparation dans un endroit du nord du Rwanda vers lequel il serait conduit en bus. Deux jours avant le départ, son père a été contacté par un assistant de l’un des représentants. Cette personne était un de ses amis et lui a dit qu’il n’existait pas de programme de formation de ce type aux États-Unis. L’auteur, ainsi que les autres personnes à qui le projet avait été proposé, devaient au lieu de cela être conduits dans des camps d’entraînement de la milice M23. Refusant de rejoindre le mouvement M23, l’auteur, le jour où ils devaient partir pour les camps d’entraînement, a gagné la frontière entre l’Ouganda et le Rwanda. Il a passé la frontière et est resté en Ouganda. Sa famille a commencé à recevoir des messages d’autres représentants des réfugiés congolais laissant entendre qu’il était un espion congolais. L’auteur a quant à lui reçu des messages de haine émanant de jeunes gens participant aux entraînements du M23. À une date non précisée, l’auteur a quitté l’Ouganda et est revenu chez lui. Son père a été convoqué à deux reprises par des autorités officielles du Rwanda pour répondre aux allégations selon lesquelles il serait un espion congolais au Rwanda. Pour cette raison, en novembre 2012, l’auteur et sa famille ont décidé de rentrer à Goma en République démocratique du Congo.

2.4À Goma, l’auteur a travaillé comme interprète pour une organisation non gouvernementale quelques jours par semaine, comme son frère. Des fonctionnaires du Gouvernement de la République démocratique du Congo ont commencé à accuser l’auteur et sa famille d’appartenir au M23, prétendant qu’ils espionnaient le Gouvernement pour le compte du M23. De son côté, le M23 les accusait, lui et sa famille, de ne pas le soutenir dans son combat en faveur des Tutsis et affirmait qu’ils ne méritaient donc pas d’être qualifiés de Tutsi. Après avoir reçu plusieurs lettres contenant de telles accusations, l’auteur s’est rendu au Kenya. En septembre 2013, lorsqu’il est revenu à Goma pour convaincre sa famille de s’installer au Kenya, il a découvert le corps sans vie de ses parents et de son jeune frère, ainsi que ses sœurs en larmes après avoir été agressées.

2.5L’auteur a décidé de partir chercher refuge en Ouganda, où il a demandé l’asile le 3 septembre 2014. Il a obtenu le statut de réfugié le 23 novembre 2014. L’auteur explique qu’il a dû remettre son passeport congolais à la police ougandaise lorsqu’il a demandé l’asile et qu’il ne l’a pas récupéré, les autorités nationales lui ayant dit qu’elles ne pourraient lui rendre que s’il retournait en République démocratique du Congo.

2.6En Ouganda, l’auteur a rencontré des réfugiés de la République démocratique du Congo qui avaient appartenu à la milice M23. En janvier 2014, l’auteur a été interpellé à Kampala par trois hommes qui l’ont accusé d’avoir pris part à la publication de rapports contre le M23. L’auteur produit un rapport de la police ougandaise daté du 2 mai 2014 où il est dit que l’auteur aurait été attaqué par des membres du mouvement rebelle M23 qui avaient fui en Ouganda. Ceux-ci l’ont accusé de les dénoncer à une organisation des droits de l’homme au Congo. Il est aussi relaté dans le rapport que l’auteur avait parlé à la police le 20 mars 2014 et le 25 avril 2014. Ne se sentant pas en sécurité en Ouganda, l’auteur a contacté un homme d’affaires kényan, qui était installé au Rwanda et qui avait travaillé avec son père, et lui a demandé de l’aider à quitter l’Ouganda. Cet homme lui a offert la possibilité de participer à un programme de formation en Europe organisé pour ses employés. L’auteur devait se rendre au Rwanda pour obtenir un visa, ce qu’il a fait en bus, de nuit. Le 26 mai 2014, l’auteur s’est rendu en Suède avec le passeport rwandais qui lui avait été délivré en 2012.

2.7Le 29 mai 2014, l’auteur a demandé l’asile. Le 28 octobre 2015, le Service suédois de l’immigration a rejeté sa demande d’asile, notant que l’auteur avait présenté un passeport rwandais, une carte électorale de la République démocratique du Congo, des rapports de police ougandais et sa carte ougandaise d’enregistrement de l’asile. Le Service de l’immigration a indiqué que son Département chargé de l’identité avait jugé que le passeport était valide, mais considéré que la carte d’enregistrement et la carte électorale étaient faciles à falsifier et donc de faible valeur probante. Il a en outre été souligné que l’auteur n’avait fourni aucun document émanant des autorités rwandaises à l’appui de sa déclaration selon laquelle il avait vécu au Rwanda en tant que réfugié, et qu’il n’avait pas non plus fourni de justification valable concernant l’obtention de son passeport rwandais.

2.8Le Service de l’immigration a donc considéré que l’auteur était un citoyen rwandais. Il a établi que l’auteur n’avait pas montré qu’il était revenu en République démocratique du Congo en 2012, parce que son passeport ne comportait pas de tampons, et a jugé non crédibles ses déclarations expliquant qu’il était entré au Rwanda avec son passeport et était revenu en Ouganda avec sa carte d’étudiant, puisqu’aucun timbre ne confirmait ce déplacement. Le Service a également relevé que l’auteur n’avait soumis aucun rapport de police quant aux menaces qu’il aurait reçues en République démocratique du Congo. Il n’avait pas fourni de copie des lettres reçues, ni le moindre élément étayant ses accusations visant les autorités rwandaises et ougandaises qu’il disait être de connivence avec le M23, ni encore le contrat de l’ONG pour laquelle il affirmait avoir travaillé, malgré les demandes qui lui avaient été adressées en ce sens. Le Service de l’immigration a noté en outre que l’auteur s’était enfui à Goma parce qu’il s’estimait menacé après son refus de rejoindre le M23. Or le M23 était alors basé à Goma, et lorsqu’on lui avait demandé pourquoi il s’était réfugié dans un endroit où la milice opérait, l’auteur n’avait pu fournir aucune explication. Le Service de l’immigration a également observé que l’auteur n’avait pas pu expliquer pourquoi il aurait été menacé par le M23 et les autorités de la République démocratique du Congo, sinon pour avoir travaillé comme interprète. Il a aussi noté que l’auteur avait fait plusieurs allers‑retours entre le Rwanda et l’Ouganda sans être le moins du monde inquiété par les autorités rwandaises. Enfin, le Service de l’immigration a considéré que le visa avec lequel il s’était rendu en Suède n’était pas un moyen de fuir le Rwanda puisqu’il avait décidé de participer à la conférence avant de contacter l’Office suédois des migrations pour demander l’asile. Le Service de l’immigration a considéré que l’auteur ne s’était pas efforcé honnêtement d’étayer ses dires.

2.9Le 6 novembre 2015, l’avocat de l’auteur, sans consulter celui-ci, a fait appel de la décision du Service de l’immigration. Une fois l’appel interjeté, l’auteur a rencontré son avocat qui lui a demandé d’obtenir auprès du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en Suède, par l’intermédiaire du bureau du HCR en Ouganda, les données concernant son enregistrement en tant que réfugié. Le 7 mars 2016, l’avocat a transmis aux autorités d’immigration le profil de réfugié de l’auteur émanant du bureau du HCR en Ouganda.

2.10L’auteur a expliqué dans son recours que, lorsqu’il était retourné à Goma, la ville était contrôlée par l’armée congolaise. Il estimait donc qu’il était pour lui plus sûr de rentrer à Goma que de rester au Rwanda. Il a ajouté qu’il lui était difficile d’obtenir des éléments à l’appui de ses allégations concernant les événements en République démocratique du Congo.

2.11Le 10 mars 2016, le tribunal des migrations a confirmé la décision du Service de l’immigration. Il a considéré que les documents concernant le statut de réfugié que l’auteur avait présentés et qui avaient été émis en Ouganda pouvaient avoir été falsifiés, et que l’auteur n’avait pas prouvé qu’il résidait en République démocratique du Congo. Le tribunal des migrations pensait plutôt qu’il résidait au Rwanda. Il a considéré que la situation au Rwanda n’était pas suffisamment grave pour que l’auteur puisse prétendre à un permis de séjour en Suède. Le tribunal des migrations a établi que les dires de l’auteur n’étaient pas crédibles ni étayés par des preuves écrites. Le tribunal a fait également valoir que l’auteur n’avait pas prouvé qu’il était un réfugié au Rwanda et a considéré que les assertions selon lesquelles le M23 et les autorités rwandaises le poursuivaient reposaient sur des informations de deuxième main de faible valeur probante parce que les motifs invoqués par l’auteur pour justifier une protection étaient en grande partie fondés sur des renseignements qui lui avaient été transmis par son père. L’auteur affirme que la décision était déjà prise avant la soumission des documents du HCR et que ceux-ci n’ont pas été pris en considération.

2.12Cette décision a été contestée devant le tribunal d’appel des migrations par l’avocat de l’auteur, qui a demandé au tribunal d’examiner les documents communiqués par le bureau du HCR en Suède. Le 15 avril 2016, l’appel a été rejeté.

2.13Dans sa communication au Comité, l’auteur produit une copie de son passeport de la République démocratique du Congo, délivré le 20 février 2017. Il explique qu’il a obtenu ce passeport auprès de l’ambassade congolaise après la conclusion de la procédure d’asile dans l’État partie.

2.14Le 7 juillet 2015, l’auteur a obtenu un contrat de travail permanent en Suède. Il explique qu’en droit suédois, un demandeur d’asile qui trouve un emploi avant le rejet de sa demande peut présenter une demande de permis de travail sans avoir à quitter la Suède. L’auteur a donc sollicité un tel permis. Il fait valoir que bien que satisfaisant à toutes les conditions requises, sa demande a été rejetée le 6 avril 2017 parce qu’il n’avait pas fourni les informations complémentaires demandées. L’auteur fait observer qu’il n’a jamais reçu la moindre demande d’informations complémentaires. Il a donc fait appel de ce rejet.

2.15Le 3 mai 2017, les autorités suédoises d’immigration ont informé l’auteur qu’il allait être expulsé vers le Rwanda alors que son recours contre la décision du 6 avril 2017 était toujours en instance.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers le Rwanda l’exposerait à un risque de mort et de torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il explique que les autorités suédoises ont l’intention de le renvoyer au Rwanda alors qu’il est un ressortissant de la République démocratique du Congo, qui ne reconnaît pas la double nationalité. L’auteur dit que s’il est renvoyé au Rwanda, il risque d’être arrêté par les autorités pour avoir refusé de rejoindre le mouvement M23 car il pourrait être considéré comme un espion de la République démocratique du Congo.

3.2L’auteur ajoute que s’il est renvoyé au Rwanda, il risque d’être persécuté par le M23 parce qu’il ne l’a pas soutenu dans son combat en faveur des Tutsis. L’auteur indique qu’à la suite de l’intervention menée par le Malawi, l’Afrique du Sud et la République-Unie de Tanzanie en coopération avec la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, le M23 a été vaincu et ses membres ont fui en Ouganda et au Rwanda.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 novembre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il considère que la communication devrait être jugée irrecevable faute du minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité.

4.2En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie estime que, sans vouloir sous-estimer les préoccupations que peut légitiment susciter la situation actuelle des droits de l’homme au Rwanda, cette situation ne justifie pas d’une manière générale la protection de tous les demandeurs d’asile venant de ce pays. L’État partie fait observer que c’est à l’auteur de montrer qu’il court personnellement un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte s’il est renvoyé au Rwanda.

4.3L’État partie explique que plusieurs dispositions de la loi suédoise relative aux étrangers illustrent les mêmes principes que ceux qui sont énoncés à l’article 3 du Pacte. Les autorités nationales sont très bien placées pour évaluer les informations soumises par un demandeur d’asile et apprécier la crédibilité de ses déclarations et allégations. À cet égard, l’Office des migrations et le tribunal des migrations ont procédé à un examen minutieux du cas de l’auteur. L’État partie indique que, le 2 juin 2014, l’Office des migrations a eu un premier entretien avec l’auteur, dont il a transmis la transcription à son conseil le 16 juin 2014. Le 11 août 2014, une enquête approfondie de plus de trois heures a eu lieu en présence du conseil, lequel en a reçu la transcription le 13 août 2014. L’entretien comme l’enquête se sont déroulés en présence d’interprètes, et l’auteur a confirmé qu’il comprenait bien ce qu’ils disaient. L’auteur a en outre pu présenter des observations écrites sur les transcriptions et a donc eu plusieurs occasions d’expliquer les faits et circonstances pertinents à l’appui de ses allégations. Pour cette raison, l’État partie affirme que les autorités chargées des migrations disposaient d’informations suffisantes, outre les faits et les documents figurant au dossier, pour fonder solidement leur appréciation des risques sur une base informée, transparente et raisonnable, s’agissant du besoin de protection de l’auteur en Suède. Selon l’État partie, il n’y a aucune raison de conclure que les décisions des instances nationales ont été inadéquates ou que l’issue des procédures internes a été en quoi que ce soit arbitraire ou a constitué un déni de justice, et il convient d’attacher un grand poids à l’avis des autorités suédoises chargées des migrations selon lequel le renvoi de l’auteur au Rwanda n’entraînerait pas de violation de l’article 7 du Pacte.

4.4L’État partie fait d’autre part valoir que l’auteur n’a pas montré de façon plausible qu’il avait une autre nationalité que celle du Rwanda. L’État partie explique que l’auteur a présenté deux documents contenant des informations différentes : une carte électorale à titre de pièce d’identité pour la République démocratique du Congo, et un passeport du Rwanda. Il dit qu’aucun passeport congolais n’a jamais été présenté aux autorités suédoises. La carte électorale pourrait avoir été falsifiée, ce qui lui confère une faible valeur probante. En revanche, le passeport rwandais est authentique et établit que l’auteur est né à Kinazi Ruhango, au Rwanda, le 5 septembre 1989. L’État partie relève aussi que lors de l’évaluation effectuée par l’Office des migrations, l’auteur a déclaré que sa date de naissance avait été modifiée dans son passeport rwandais parce qu’il était impossible de demander une bourse pour les États-Unis si l’on avait moins de 21 ans. Interrogé ultérieurement sur la question de savoir pourquoi il était nécessaire de modifier sa date de naissance, l’auteur a répondu que le M23 avait été vivement critiqué parce qu’il recrutait des jeunes. L’Office des migrations s’est demandé si un groupe rebelle comme le M23 se préoccupait vraiment de l’âge de ses recrues ou s’inquiétait des critiques internationales à ce sujet. L’État partie conclut par conséquent que, d’après les informations et documents disponibles, l’auteur est un citoyen rwandais.

4.5Enfin, l’État partie considère que la présente communication ne fait apparaître aucune violation du Pacte. Les autorités suédoises chargées des migrations ont souligné que le critère de la preuve ne pouvait pas être placé trop haut pour des allégations concernant un risque de persécution car il était rare que des éléments de preuve solides puissent être produits à cet égard. Toutefois, les déclarations d’un demandeur d’asile doivent être jugées plausibles et crédibles, et le demandeur doit s’efforcer honnêtement d’étayer ses dires.

4.6À cet égard, l’État partie rappelle les motifs invoqués par les autorités suédoises chargées des migrations pour rejeter la demande d’asile de l’auteur :

a)Les documents soumis par l’auteur ont une faible valeur probante ;

b)Certains des documents présentés contiennent des renseignements contradictoires ;

c)L’auteur a soumis des articles et informations indiquant que le groupe rebelle M23, qui était précédemment tenu pour vaincu, recrutait des soldats au Rwanda et en Ouganda début 2014. Ces articles ne sauraient cependant être considérés comme prouvant en soi que l’auteur serait exposé à un risque personnel et réel à son retour au Rwanda ;

d)Le passeport rwandais de l’auteur ne comporte pas les tampons qui prouveraient qu’il a quitté le Rwanda pour la République démocratique du Congo en novembre 2012 ;

e)L’auteur n’a pas présenté de documents écrits à l’appui de son allégation selon laquelle il a travaillé comme interprète pour une organisation non gouvernementale. Il n’a pas non plus produit de copie des lettres de menaces qu’il aurait reçues ou des rapports de police de la République démocratique du Congo, et il a été incapable d’expliquer de façon satisfaisante pourquoi il n’avait pas été en mesure de le faire ;

f)L’auteur a fait plusieurs allers-retours entre le Rwanda et l’Ouganda et est rentré en République démocratique du Congo alors qu’il risquait soi-disant d’être personnellement poursuivi par les autorités de ces pays. On peut donc penser qu’aucune des autorités de ces pays n’a cherché à l’arrêter aux frontières ;

g)L’auteur s’étant rendu en Suède muni d’un visa valide apposé sur son passeport rwandais, on peut en conclure que les autorités rwandaises l’ont autorisé à franchir la frontière sans l’appréhender ni l’arrêter ;

h)L’auteur prétend qu’il était interprète et avait connaissance d’informations concernant des violations commises par les deux parties au conflit, mais il n’a pas dit être ou avoir été en possession d’autres informations sensibles susceptibles d’intéresser le groupe rebelle M23 ;

i)Les revendications de l’auteur concernant son besoin d’une protection au Rwanda reposent en grande partie sur des informations qui lui ont été transmises par son père et dont la valeur probante est donc faible.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1L’auteur répète que son conseil, désigné par les autorités chargées des migrations, a fait appel des décisions de ces autorités sans le consulter. Il explique que le 11 août 2014, il s’est rendu à l’entrevue fixée dans le cadre de l’enquête sur sa demande d’asile sans avoir pu échanger préalablement des informations avec son conseil. Par conséquent, ce dernier ne connaissait pas sa situation et ne pouvait pas comprendre son histoire.

5.2L’auteur ajoute qu’en le renvoyant au Rwanda, l’État partie violerait non seulement le Pacte mais aussi les articles 33 à 35 de la Convention relative au statut des réfugiés. Son renvoi au Rwanda, qui n’est pas son pays d’origine, l’exposerait à une menace de mort ou de réclusion à perpétuité. L’auteur répète que l’État partie n’a pas pris en considération les documents transmis par le bureau du HCR en Suède, qui avait contacté le bureau ougandais pour s’enquérir de sa situation, parce que son avocat a envoyé ces documents aux autorités chargées des migrations après le dépôt de l’appel.

5.3L’auteur note que l’État partie a décrit dans ses observations la situation des droits de l’homme qui règne actuellement au Rwanda mais il estime que les autorités suédoises ignorent ce qui se passe réellement dans ce pays. De nombreux réfugiés rwandais ont été placés en détention et expulsés d’Ouganda vers le Rwanda par des agents secrets de l’État rwandais. Ils ont été torturés, et certains d’entre eux ont été victimes de disparition forcée.

5.4L’auteur dit que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie et comme il l’a expliqué aux autorités de celui-ci, sa carte électorale congolaise est un document valide. Il a produit un document du Gouvernement canadien confirmant que les cartes électorales servent de pièce d’identité en République démocratique du Congo. Il ajoute qu’il a contacté le bureau du HCR en Suède pour qu’il confirme qu’il est bien ressortissant de la République démocratique du Congo. Il dément en outre n’avoir pas expliqué pourquoi il n’était pas en possession du passeport congolais lorsqu’il a demandé l’asile en Suède. Il a expliqué aux autorités chargées des migrations que la police ougandaise avait dit à sa famille qu’elle ne pouvait lui remettre ce passeport qu’en personne et à condition qu’il accepte de signer des documents confirmant qu’il retournerait en République démocratique du Congo.

5.5L’auteur relève que l’État partie a conclu qu’il était ressortissant du Rwanda parce qu’il a considéré que le seul document crédible qu’il avait soumis était le passeport. Or il réaffirme que sa carte électorale, ses documents relatifs au statut de réfugié et la copie de son nouveau passeport congolais indiquent la même date de naissance et le même pays d’origine, et constituent une preuve de sa nationalité congolaise. Comme il l’a déjà expliqué à plusieurs reprises aux autorités de l’État partie chargées des migrations, il n’a obtenu son passeport rwandais qu’à des « fins illégales ».

5.6L’auteur relève en outre que l’État partie n’a pas contesté la crédibilité des rapports qu’il avait communiqués concernant le recrutement de soldats par les rebelles du M23 au Rwanda et en Ouganda. Il ajoute que si son passeport n’a pas été visé lorsqu’il a quitté le Rwanda en novembre 2012, c’est qu’il avait utilisé sa carte électorale, et qu’il ne peut pas se servir de son passeport rwandais pour retourner en République démocratique du Congo. À l’époque, il ne possédait pas le passeport congolais, lequel ne lui a été délivré qu’en 2017. Pour se déplacer entre le Rwanda et l’Ouganda, il se servait de sa carte d’étudiant et de son passeport rwandais, puisque les ressortissants rwandais n’ont pas besoin de visa pour entrer en Ouganda alors que les Congolais doivent payer 100 dollars des États-Unis pour s’en procurer un. L’auteur confirme qu’au regard du nombre de fois où il s’est rendu au Rwanda, son passeport rwandais comporte peu de tampons parce qu’il utilisait sa carte d’étudiant pour entrer dans le pays.

5.7En ce qui concerne les preuves écrites de son expérience de travail auprès de l’organisation non gouvernementale, l’auteur répète qu’il n’avait pas de contrat permanent et était rémunéré à la journée. Il ne possédait donc pas de preuves de cette expérience professionnelle. Il explique que toutes les lettres de menaces que sa famille et lui-même ont reçues ont été remises à la police pour enquête. Il se demande d’ailleurs si, même en disposant de ces lettres, les autorités le croiraient, sachant qu’elles continuaient de prétendre que ses pièces d’identité auraient elles-mêmes pu être falsifiées. L’auteur ajoute qu’il a déjà soumis aux autorités suédoises le rapport de la police ougandaise montrant qu’il n’était pas en sécurité en Ouganda.

5.8Enfin, l’auteur explique que la décision de retourner à Goma, après que sa famille a commencé à recevoir des lettres de menaces des rebelles du M23 au Rwanda, n’était pas de son fait. C’était une décision de sa famille, parce qu’ils n’avaient pas d’autre endroit où aller que chez eux. L’auteur dit qu’à cette époque, Goma était contrôlée par les forces gouvernementales de la République démocratique du Congo, et non par les rebelles du M23 comme l’affirme l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 9 octobre 2019, l’État partie a annoncé que l’arrêté d’expulsion deviendrait caduc le 15 avril 2020. Il indique que, le 5 juin 2018, l’auteur a déposé une demande auprès de l’Office suédois des migrations pour l’obtention d’un permis de séjour ou un réexamen de la question du permis de séjour en application de la loi relative aux étrangers, invoquant des obstacles à l’exécution de l’arrêté. L’auteur a présenté son passeport congolais dans l’original pour prouver son identité et sa nationalité et déclaré qu’il existait de sérieuses raisons pour qu’on lui accorde une protection internationale contre son pays d’origine, la République démocratique du Congo, et que ces raisons n’avaient pas été précédemment évaluées.

6.2Le 20 septembre 2019, l’Office suédois des migrations a décidé de ne pas accorder de permis de séjour à l’auteur et de ne pas réexaminer la question du permis de séjour. Du fait de cette décision, l’arrêté d’expulsion visant l’auteur a acquis un caractère définitif. Tout nouvel argument ne peut donc être examiné que conformément aux dispositions de la loi relative aux étrangers concernant les obstacles à l’exécution des décisions de refus d’admission et d’expulsion. Lors d’un tel examen, l’Office des migrations ne prend en considération que les nouvelles circonstances survenues en l’affaire. À cet égard, l’Office des migrations a établi qu’il avait déjà examiné l’allégation de l’auteur selon laquelle il était un citoyen de la République démocratique du Congo ; par conséquent, il ne pouvait pas considérer qu’il s’agissait d’une nouvelle circonstance en vertu de la loi suédoise relative aux étrangers.

6.3La présentation par l’auteur d’un passeport congolais à l’Office des migrations a en revanche été considérée comme constituant une nouvelle circonstance. L’Office des migrations a fait observer qu’il avait déjà établi, de même que le tribunal des migrations, que l’auteur était un ressortissant rwandais. Il a établi que, d’après les informations disponibles concernant le pays d’origine, le Rwanda reconnaît la double nationalité. Compte tenu de ce qui précède, l’auteur était toujours considéré comme un ressortissant rwandais et l’Office n’avait donc aucune raison de penser que le Rwanda refuserait d’admettre l’auteur à son retour dans ce pays. Les motifs concernant la République démocratique du Congo invoqués par l’auteur à l’appui de sa demande d’asile n’ont donc pas été examinés. L’Office des migrations a considéré que l’auteur n’avait pas montré de façon plausible que des obstacles durables s’opposaient à l’exécution de l’arrêté concernant son expulsion vers le Rwanda conformément à la loi relative aux étrangers.

6.4Compte tenu de ces informations, l’État partie maintient sa position, à savoir que les déclarations de l’auteur et les faits sur lesquels il s’appuie dans sa plainte sont insuffisants pour permettre de conclure que le risque de mauvais traitements allégué en cas de renvoi dans son pays d’origine satisfait aux conditions requises, à savoir qu’il s’agit d’un risque prévisible, réel et personnel. Par conséquent, l’État partie affirme que l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas une violation de l’obligation lui incombant au titre de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, que l’auteur avait épuisé tous les recours internes dont il disposait. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les prescriptions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont satisfaites.

7.4Le Comité note que, selon l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable en application de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 96 b) de son règlement intérieur faute de réunir le minimum d’éléments de preuve requis. À cet égard, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur disant que son renvoi forcé au Rwanda l’exposerait à un risque de traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte puisqu’il pourrait être arrêté par les autorités rwandaises pour avoir refusé en 2012 de rejoindre le mouvement M23 et être considéré comme un espion congolais. Il prend note également des déclarations de l’auteur qui affirme que s’il était renvoyé au Rwanda, il risquerait d’être persécuté par des membres du mouvement M23 parce qu’il n’a pas soutenu leur combat en faveur des Tutsis. Il prend note aussi des allégations de l’auteur disant que, lorsqu’ils vivaient au Rwanda, lui et sa famille ont été menacés par des membres du M23 qui les accusaient de ne pas soutenir le mouvement ; que ses parents et son jeune frère ont été tués et ses sœurs agressées à Goma, où il travaillait comme interprète pour une organisation des droits de l’homme ; et que, lorsqu’il vivait en Ouganda, où il avait obtenu l’asile, il avait été agressé et menacé par d’anciens membres de la milice M23. Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a l’intention de l’expulser vers le Rwanda, qui n’est pas son pays d’origine, et a initialement rejeté les documents d’identité qu’il avait présentés pour prouver sa nationalité congolaise.

7.5Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il se réfère à l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence dans laquelle il a établi que le risque doit être personnel et qu’il faut dûment démontrer qu’il y a des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Ainsi, tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

7.6Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence dans laquelle il a considéré qu’il convient d’accorder une grande importance à l’appréciation menée par l’État partie et qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable, à moins qu’il soit établi que cette appréciation a manifestement été arbitraire ou entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice.

7.7Le Comité prend note des arguments de l’État partie indiquant que ses autorités ont procédé à un examen minutieux des allégations de l’auteur ; que les documents présentés par l’auteur ont été considérés comme des documents simples, ayant donc une faible valeur probante ; et que l’auteur n’a pas soumis de documents écrits à l’appui de ses allégations selon lesquelles il aurait travaillé comme interprète pour une organisation non gouvernementale ou aurait reçu des lettres de menaces. Le Comité observe en outre que l’auteur a été incapable d’expliquer de manière satisfaisante pourquoi il ne pouvait pas présenter de tels documents ; que l’auteur a fait plusieurs allers-retours entre le Rwanda et l’Ouganda et est rentré en République démocratique du Congo alors qu’il disait courir un risque personnel d’être poursuivi par les autorités rwandaises et congolaises ; que le Département chargé des documents d’identité du Service suédois de l’immigration a considéré que le passeport rwandais de l’auteur était valide ; que l’auteur s’est rendu en Suède muni d’un visa valide apposé dans son passeport rwandais ; et que l’auteur prétend avoir travaillé comme interprète ayant accès à des informations concernant des violations commises par les deux parties au conflit mais qu’il n’a pas dit avoir été en possession d’autres renseignements sensibles susceptibles d’intéresser le groupe rebelle M23.

7.8Le Comité prend note également de l’affirmation de l’auteur disant que les autorités de l’État partie, en évaluant la situation des droits de l’homme au Rwanda, n’ont pas pris en compte les informations figurant dans un rapport de Human Rights Watch indiquant que de nombreux réfugiés rwandais avaient été capturés et expulsés d’Ouganda vers le Rwanda par des agents secrets de l’État et avaient été victimes de torture ou de disparition (voir par. 5.3). Le Comité observe toutefois que le mouvement M23 n’est pas mentionné dans ce rapport. Il note aussi que, d’après des informations de sources publiques, le mouvement M23 a été vaincu par le Gouvernement de la République démocratique du Congo en novembre 2013.

7.9Le Comité relève que l’auteur, tout en contestant les conclusions des autorités de l’État partie, n’a pas montré que leur appréciation des faits et des éléments de preuve qu’il avait présentés a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni le minimum d’éléments de preuve requis pour étayer l’allégation selon laquelle il serait exposé à un risque personnel de préjudice irréparable en cas d’expulsion vers le Rwanda, parce qu’il n’a produit aucun élément concernant les menaces qu’il aurait reçues au Rwanda. Par conséquent, sans préjudice de la responsabilité qui incombe toujours à l’État partie de prendre en considération la situation actuelle du pays vers lequel l’auteur serait expulsé, et sans sous‑estimer les préoccupations que peut légitimement susciter la situation générale des droits de l’homme au Rwanda, le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 6 et 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.