Nations Unies

CCPR/C/122/D/2217/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2217/2012 * , **

Communication présentée par :

Elena Popova (représentée par un conseil, Sergei Golubok)

Au nom de :

Elena Popova

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

10mai 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29 novembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatat ion s :

6 avril 2018

Objet :

Arrestation et imposition d’une amende à la suite d’une manifestation non autorisée

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit de réunion, procès équitable

Article(s) du Pacte :

14 (par.1) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par.2b))

1.L’auteure de la communication est Elena Popova, de nationalité russe, née en 1965. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 14 (par. 1) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits

2.1Le 5 décembre 2011, à 21 h 50, l’auteure a été arrêtée à Saint‑Pétersbourg (Fédération de Russie), sur l’avenue Ligovsky. Elle était soupçonnée d’avoir organisé une manifestation publique non autorisée. En particulier, elle était accusée d’avoir incité les autres participants à scander des slogans précis tels que « Russie sans Poutine » et « Peu importe pour qui vous votez, vous serez [injure] ». Elle était également accusée d’avoir demandé à d’autres personnes de participer à la manifestation.

2.2Les policiers arrivés sur les lieux ont tenté de mettre fin à la manifestation. Par haut‑parleurs, ils ont averti les personnes présentes qu’elles prenaient part à une manifestation non autorisée et leur ont ordonné d’y mettre un terme. D’après les rapports de police et les dossiers judiciaires, l’auteure a refusé d’obtempérer et a été arrêtée avec plusieurs autres participants.

2.3Pendant les audiences, l’auteure a plaidé son innocence. Tout en admettant qu’elle se trouvait bien avenue Ligovsky, près de la gare « Moscou », le 5 décembre 2011, elle a déclaré qu’elle s’y était rendue pour rejoindre une connaissance, et qu’elle y avait vu un rassemblement et une forte présence policière. Certaines personnes restaient sur place tandis que d’autres se déplaçaient. Après un certain temps, les gens ont commencé à former une ronde, que l’auteure s’est mise à filmer. Soudain, des policiers ont empoigné des manifestants pour les emmener vers leurs voitures de patrouille. L’auteure nie avoir scandé des slogans ou organisé une manifestation. Elle affirme avoir entendu d’autres personnes scander les mots « Russie sans Poutine ». Elle nie avoir résisté à son arrestation et agressé des policiers.

2.4K. O. V., une des témoins à l’audience et collègue de travail de l’auteure, a déclaré qu’elle avait croisé l’auteure à leur bureau vers 20 heures, et que celle‑ci lui avait dit qu’elle avait l’intention de se rendre près de la gare « Moscou » pour « aider quelqu’un », et qu’il était possible qu’elle soit emmenée dans un poste de police. Un autre témoin, le policier M. K. V., a déclaré qu’il était arrivé sur les lieux avec des collègues vers 22 heures. La foule scandait « des slogans antigouvernementaux », et certaines personnes avaient ensuite formé une « ronde ». Le témoin a déclaré que les policiers avaient averti les participants qu’ils devaient mettre un terme à la manifestation, et que Mme Popova participait également à la ronde en scandant des slogans. Tous les participants avaient été arrêtés et embarqués dans des fourgons de police. Le témoin a affirmé que, lors de l’arrestation, Mme Popova l’avait empoigné par son uniforme.

2.5Le tribunal a condamné l’auteure à une amende administrative de 1 000 roubles. Il a considéré qu’elle avait enfreint les dispositions de la loi fédérale no 54-FZ sur les rassemblements, réunions, manifestations, défilés et piquets (la loi sur les manifestations publiques) du 19 juin 2004, en ce qu’elle n’avait adressé aucun « préavis » aux autorités locales, ce qui doit être fait au plus tard dix jours avant la manifestation prévue.

2.6L’autorité locale, le Comité sur les questions de droit, d’ordre et de sécurité de la ville de Saint-Pétersbourg, a informé le tribunal que ce préavis n’avait pas été donné. Le tribunal a également tenu compte du fait que les policiers présents sur les lieux avaient averti les participants qu’ils devaient cesser leurs activités. Il a fait observer dans sa décision que les policiers avaient agi dans le cadre de l’autorité qui leur était conférée en vertu de l’article 17 (partie 2) de la loi sur les manifestations publiques.

2.7Le tribunal a estimé en outre que l’auteure avait nié avoir organisé le rassemblement simplement pour éviter la sanction administrative, et que les actes de l’auteure étaient expressément prohibés par l’article 20.2 (partie 1) du Code des infractions administratives, qui interdit la tenue de manifestations publiques non autorisées.

2.8L’auteure a fait appel de cette décision auprès du tribunal du district Smolninsky à Saint-Pétersbourg. Le 12 mars 2012, le tribunal de district l’a déboutée et a confirmé le raisonnement du tribunal de première instance. L’auteure était présente à l’audience du tribunal de district, mais il n’y avait pas de procureur, de même qu’ à la première audience devant le tribunal.

2.9L’auteure affirme qu’elle aurait pu contester la décision du tribunal de district dans le cadre de la procédure de contrôle mais qu’elle a estimé que ce recours était inefficace et qu’il n’était pas nécessaire de l’épuiser.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les caractéristiques de la procédure administrative engagée contre elle relèvent du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Selon l’observation générale no 32 (2007) du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, l’équité de la procédure a pour corollaire l’égalité des armes et donc également le principe du contradictoire, lequel ne peut pas être respecté sans la présence des deux parties, la défense et l’accusation. Dans l’arrêt Ozerov c. Russie , la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’examen d’une affaire en l’absence d’un procureur entraînait une confusion entre les fonctions de procureur et de juge, et permettait légitimement de douter de l’impartialité du tribunal. En l’absence d’un procureur, il est évident qu’un juge doit assumer la fonction d’accusation ou bien classer l’affaire. Étant donné l’absence du procureur pendant la procédure engagée contre elle, l’auteure affirme que l’État partie a violé le droit à un procès équitable qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 14.

3.2Même à supposer que l’auteure ait organisé une « manifestation de masse », ce qu’elle conteste, son arrestation, l’établissement de sa culpabilité et sa condamnation à une amende administrative n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique. Il convient de noter que le rassemblement du 5 décembre 2011 constituait une réponse « directe et immédiate » à l’annonce des résultats préliminaires des élections parlementaires du 4 décembre, qui avaient été considérés comme falsifiés. Les participants aux événements du 5 décembre 2011 s’étaient rendus à l’avenue Ligovsky pour manifester pacifiquement contre ces résultats. Dans sa jurisprudence, le Comité des droits de l’homme a relevé que les États parties devaient démontrer la nécessité des restrictions imposées. En l’espèce, les tribunaux n’ont pas expliqué en quoi, concrètement, les actes de l’auteure avaient cessé d’être pacifiques ou avaient troublé l’ordre public, par exemple en gênant la circulation des véhicules ou le passage des piétons. Ils se sont bornés à examiner formellement si une autorisation préalable avait été obtenue auprès des autorités locales. L’auteure en conclut que les droits qu’elle tient de l’article 21 du Pacte ont été violés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 31 janvier 2013, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il a confirmé que l’auteure avait été condamnée à une amende administrative pour violation de l’article 20.2 (partie 1) du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie. Cette décision avait été contestée devant le tribunal du district Smolninsky, qui avait confirmé la décision de la juridiction inférieure, de sorte que la décision du 6 février 2012 était entrée en force de chose jugée.

4.2Le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg a signalé que l’auteure n’avait pas formé de recours. L’État partie a affirmé en outre que l’auteure n’avait pas déposé plainte auprès du Bureau du Procureur comme l’y autorisait l’article 25.11 (partie 1, al. 3) du Code des infractions administratives. Étant donné que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes, la communication doit être déclarée irrecevable.

4.3Le 19 juin 2013, l’État partie a formulé ses observations quant au fond de la communication. Il a affirmé que l’auteure avait été arrêtée le 5 décembre 2011 alors qu’elle « refusait d’obtempérer à des ordres légitimes » de membres des forces de l’ordre qui exerçaient leurs fonctions officielles de protection de la sécurité publique. Au cours de la manifestation en question, Elena Popova avait communiqué aux autres participants les slogans qu’il fallait scander, coordonné les actions et, par conséquent, fait office d’organisatrice de l’événement, qui avait un caractère spontané et n’avait pas fait l’objet de l’autorisation requise par la loi. Les participants ayant refusé d’obtempérer à des ordres légitimes, ils avaient été dispersés par la force. L’auteure avait été accusée de violation de l’article 20.2 (partie 1) et de l’article 19.3 (partie 1) du Code des infractions administratives pour avoir refusé d’obéir aux ordres légitimes des membres des forces de l’ordre.

4.4L’État partie affirme que l’article 31 de la Constitution de la Fédération de Russie donne aux citoyens le droit d’organiser des « rassemblements, réunions, manifestations, défilés et piquets » pacifiques. D’après la loi sur les manifestations publiques, l’un des principes régissant l’organisation d’une manifestation publique est la « légalité », à savoir le respect des dispositions de la Constitution de la Fédération de Russie, de la loi précitée et d’autres textes législatifs. L’article 5 (partie 4, al. 1) de la loi sur les manifestations publiques exige le dépôt d’un préavis auprès des autorités locales.

4.5Par décision du tribunal en date du 6 février 2012, l’auteure a été condamnée à une amende administrative. Elle a fait appel de cette décision mais a été déboutée. Elle a également été détenue pendant quatorze heures. Selon l’article 27.5 (partie 3) du Code des infractions administratives, la personne accusée d’une infraction administrative peut être maintenue en détention jusqu’à quarante-huit heures.

4.6L’État partie fait valoir en outre que le tribunal du district Smolninsky a dûment examiné les griefs formulés par l’auteure au titre de l’article 21 du Pacte, lequel dispose que le droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de la moralité, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui. Le paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution de la Fédération de Russie garantit le plein exercice des droits de l’homme et des libertés sous réserve qu’il ne porte pas atteinte aux droits et libertés d’autrui. L’obligation de déposer un préavis vise à protéger l’ordre public et les droits et libertés d’autrui, et ne constitue donc pas une atteinte au droit à la liberté de réunion consacré à l’article 21 du Pacte.

4.7En ce qui concerne les griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie fait valoir qu’en vertu de l’article 25.11 (partie 1) du Code des infractions administratives, le procureur qui participe à la procédure judiciaire a le droit d’engager une procédure administrative, d’assister aux audiences, de produire des preuves, de déposer des requêtes et d’accomplir d’autres actes prévus par la loi fédérale. Conformément à l’article 25.11 (partie 2) de la même loi, le procureur n’est informé de l’heure, de la date et du lieu des audiences que si elles concernent une infraction administrative commise par un mineur ou lorsqu’il a lui-même engagé la procédure. Dans les autres cas, la loi fédérale n’exige pas du procureur qu’il participe à toutes les audiences administratives.

4.8Comme il ressort clairement des pièces de procédure, l’auteure a pu participer à la procédure et expliquer sa position au sujet de l’infraction alléguée. Dans le cadre de la procédure en appel devant le tribunal du district Smolninsky, l’auteure était représentée par son avocat, M. Sergei Golubok. Elle a donc effectivement exercé son droit constitutionnel à une défense dans le cadre d’une procédure judiciaire. L’État partie en conclut qu’il n’y a pas eu violation des articles 14 (par. 1) ou 21 du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Répondant aux observations de l’État partie, l’auteure réaffirme sa position concernant la recevabilité de ses griefs et demande au Comité de déclarer la communication recevable dans son intégralité. Elle note que l’État partie a soutenu que l’amende qui lui a été infligée était conforme à la législation russe. Son argument principal porte toutefois sur le point de savoir si les restrictions qui lui ont été imposées étaient nécessaires dans une société démocratique, au sens de l’article 21 du Pacte. La manifestation tenue en réaction à un problème important − des allégations de trucage de résultats électoraux − était « absolument pacifique, sans qu’aucune personne ni aucun bien n’ait subi de dommage ou n’ait été mis en danger ».

5.2L’auteure estime que la réponse de l’État partie aux griefs tirés de la violation du paragraphe 1 de l’article 14 est dénuée de pertinence. Elle était effectivement représentée par un avocat, mais elle affirme que l’absence du procureur a constitué une violation du principe de l’égalité des armes. L’État partie n’a pas avancé d’argument susceptible de réfuter cette allégation. L’auteure considère que l’État partie devrait lui restituer le montant de l’amende administrative qu’elle a payée, lui rembourser les frais engagés dans le cadre des procédures devant les tribunaux et le Comité, et lui présenter des excuses publiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles en n’engageant pas une procédure de contrôle. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité réaffirme que les demandes de contrôle de la légalité de décisions judiciaires devenues exécutoires adressées à un tribunal ou au bureau d’un procureur et subordonnées au pouvoir discrétionnaire d’un juge ou d’un procureur constituent un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes constituent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Or l’État partie n’a pas montré que les demandes au titre de la procédure de contrôle étaient accueillies dans des affaires concernant une mise en détention et une amende administratives, et n’a pas signalé, le cas échéant, dans combien d’affaires elles avaient abouti. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions des articles 2 et 5 (par. 2 b) du Protocole facultatif ne s’opposent pas à ce qu’il examine la communication.

6.4Le Comité prend acte des griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, selon lesquels le procureur était absent lors des procédures administratives menées contre elle, ce qui permettait légitimement de douter de l’impartialité du tribunal. Toutefois, en l’absence d’autres renseignements pertinents dans le dossier, et compte tenu de l’explication donnée par l’État partie concernant l’absence du procureur aux procédures de ce type (voir par. 4.7 ci-dessus), le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé ses autres griefs, qu’elle tire de l’article 21 du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel la détention et l’amende administratives que l’État partie lui a infligées ont constitué une violation de son droit à la liberté de réunion. L’auteure soutient qu’elle a été arrêtée pendant une manifestation pacifique tenue en réaction « directe et immédiate » à l’annonce des résultats préliminaires des élections parlementaires, qui étaient considérés comme falsifiés. L’État partie affirme que l’auteure a été arrêtée et condamnée à une amende pour avoir organisé une action publique sans en avoir informé les autorités locales dix jours à l’avance, au mépris de la loi no 54-FZ, et pour ne pas avoir obéi aux injonctions légitimes des policiers qui tentaient de disperser la manifestation.

7.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser un rassemblement pacifique dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et de voix du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’elles imposent des restrictions au droit de réunion pacifique des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les autorités de l’État partie doivent s’efforcer de faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.4En l’espèce, la détention et l’amende administratives auxquelles l’auteure a été soumise ont constitué une limitation de son droit de réunion pacifique. Le Comité note que l’État partie affirme que cette restriction a été imposée conformément à l’article 31 de la Constitution de la Fédération de Russie et à l’article 5 (partie 4, al. 1) de la loi sur les manifestations publiques, qui exige le dépôt d’un préavis auprès des autorités locales (voir par. 4.4 ci-dessus). Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’obligation de déposer un préavis vise à protéger l’ordre public ainsi que les droits et libertés d’autrui (voir par. 4.6 ci-dessus). Le Comité note toutefois également que l’auteure affirme que, même si la restriction était peut-être légale en droit interne, son arrestation, l’établissement de sa culpabilité et sa condamnation à une amende administrative n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique pour la poursuite des objectifs légitimes invoqués par l’État partie (voir par. 3.2 ci-dessus). L’auteure affirme en outre que la manifestation tenue en réaction à un problème important − des allégations de trucage de résultats électoraux − était absolument pacifique, et qu’aucune personne ni aucun bien n’a subi de dommage ou n’a été mis en danger (voir par. 5.1 ci-dessus).

7.5Le Comité a estimé précédemment qu’une obligation de préavis pouvait être compatible avec les restrictions autorisées par l’article 21 du Pacte. Toutefois, si un système de préavis peut être important pour le bon déroulement des manifestations publiques, son application ne saurait devenir une fin en soi. Toute restriction au droit à la liberté de réunion pacifique doit en tout état de cause être justifiée par l’État partie au regard de la deuxième phrase de l’article 21. Cela vaut en particulier pour les manifestations spontanées, qui ne peuvent, de par leur nature même, être soumises à une obligation de préavis, laquelle impliquerait de se conformer à une longue procédure.

7.6Le Comité prend note du fait que, selon l’auteure, les tribunaux se sont bornés à examiner la question de savoir si une autorisation préalable avait été obtenue et n’ont pas expliqué en quoi les actes de l’auteure avaient cessé d’être pacifiques ou avaient perturbé l’ordre public, par exemple en gênant la circulation des véhicules ou le passage des piétons (voir par. 3.2 ci-dessus), ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité estime donc, au vu des éléments dont il dispose, que l’État partie n’a pas démontré que la détention et l’amende administratives infligées à l’auteure à la suite d’une manifestation pacifique étaient nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui, contrairement à ce qu’exige l’article 21 du Pacte. Pour ces raisons, le Comité conclut en l’espèce que l’État partie a violé l’article 21 du Pacte .

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteure tient de l’article 21 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteure une indemnisation adéquate et de lui rembourser le montant de l’amende imposée, ainsi que tous frais de justice encourus. Il est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour empêcher que ce type de violations ne se reproduise. À cette fin, il devrait examiner sa législation en vue d’assurer sa conformité avec les dispositions de l’article 21 du Pacte, y compris en ce qui concerne les manifestations spontanées.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.