Nations Unies

CCPR/C/125/D/2720/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2720/2016 * , **

Communication présentée par :

Vitaly Amelkovich (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

5 juin 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er février 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

29 mars 2019

Objet :

Refus d’autoriser une réunion pacifique ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Absence de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

Aucun

1.L’auteur de la communication est Vitaly Amelkovich, de nationalité bélarussienne, né en 1980. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 17 février 2011, l’auteur a demandé au Comité exécutif du district de Slutsk l’autorisation d’organiser une réunion pacifique (un piquet) le 5 mars 2011 dans le stade municipal de Slutsk. Le but du piquet était d’exprimer publiquement son soutien et celui des autres participants aux détenus politiques du Bélarus. Conformément à la loi du 30 décembre 1997 relative aux manifestations publiques, l’auteur a pris un engagement écrit au sujet de l’organisation et de la conduite de la manifestation.

2.2Le 25 février 2011, le Comité exécutif du district de Slutsk a refusé d’autoriser le piquet au motif qu’il n’y avait aucun détenu politique au Bélarus.

2.3Le 23 mars 2011, l’auteur a saisi le tribunal du district de Slutsk d’un recours contre la décision rendue par le Comité exécutif du district de Slutsk (région de Minsk). Eu égard aux articles 23, 33 et 35 de la Constitution et aux articles 19 et 21 du Pacte, il a avancé que le refus d’autoriser la tenue du piquet ne saurait être considéré comme une restriction autorisée de son droit de réunion pacifique et de son droit à la liberté d’expression, cette restriction n’étant pas nécessaire, dans une société démocratique, ni dans l’intérêt de l’ordre public ni aux fins de la protection des droits et libertés d’autrui.

2.4Le 19 avril 2011, le tribunal du district de Slutsk a rejeté le recours formé par l’auteur. Il a jugé que le refus du Comité exécutif du district de Slutsk d’autoriser la tenue du piquet le 5 mars 2011 était légal.

2.5Le 27 avril 2011, l’auteur a saisi la chambre judiciaire des affaires civiles du tribunal régional de Minsk d’un recours en cassation contre la décision du tribunal du district de Slutsk. Eu égard aux articles 23, 33 et 35 de la Constitution et aux articles 19 et 21 du Pacte, l’auteur soutenait à nouveau que la décision était illégale et violait son droit à la liberté d’expression, ainsi que son droit de réunion pacifique.

2.6Le 2 juin 2011, la chambre judiciaire des affaires civiles du tribunal régional de Minsk a confirmé la décision du tribunal du district de Slutsk, pour les mêmes motifs et arguments. Selon l’article 432 du Code de procédure civile, la décision de la juridiction de cassation est définitive et devient exécutoire dès son prononcé.

2.7L’auteur n’a pas fait de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle auprès du Bureau du Procureur et des juridictions supérieures car il estimait que cette procédure ne constituait pas un recours utile. Il ajoute que la décision d’examiner une demande de réexamen ne dépend pas de la volonté de la personne concernée mais est purement laissée à l’appréciation d’un nombre limité de fonctionnaires de justice de haut niveau. Lorsqu’un tel réexamen a lieu, il se limite aux questions de droit et ne permet aucun examen des faits et des preuves. L’auteur soutient par conséquent qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime d’une violation par le Bélarus du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique qui lui sont reconnus, respectivement, par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte, étant donné que l’on ne sait toujours pas à quelle fin légitime ces droits ont été restreints. Il argue que le Comité exécutif du district de Slutsk n’a pas expliqué en quoi les restrictions qui lui ont été imposées étaient nécessaires à l’une des fins légitimes énoncées aux articles 19 et 21 du Pacte. Il ajoute que, d’après lui, l’interdiction, imposée par les autorités locales, d’organiser une réunion pacifique n’était pas nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public ni à la protection de la santé publique ou des droits et libertés d’autrui.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Le 1er février 2016 puis les 16 janvier, 3 juillet et 9 octobre 2017, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des informations et des observations sur la recevabilité et le fond de la présente communication. Il regrette que l’État partie n’ait fourni aucune information concernant la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux griefs formulés par l’auteur, pour autant que ceux-ci aient été étayés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés. Il relève également que l’auteur n’a pas formé de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle car il ne considérait pas que cette procédure constituait un recours utile. En l’absence d’objection de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ont été remplies.

5.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il déclare donc la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Il ressort des informations dont dispose le Comité que la demande de l’auteur aux fins de l’organisation d’une manifestation publique a été rejetée au motif qu’il n’y aurait pas de prisonniers politiques au Bélarus.

6.3Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui avance que le droit à la liberté d’expression qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte a été arbitrairement restreint. Il renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, où il dit que ces libertés sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société (par. 2). Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions qui doivent toutefois être fixées par la loi et être nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objet spécifique qui les inspire.

6.4Le Comité relève que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont fourni d’explications pour justifier les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les interdictions imposées à l’auteur, bien que fondées sur le droit interne, n’étaient pas justifiées aux fins énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel le refus des autorités locales de l’autoriser à tenir le piquet a constitué une violation du droit à la liberté de réunion qu’il tient de l’article 21 du Pacte. Dans les circonstances de l’espèce, il rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique, y compris sous une forme fixe dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont en règle générale le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’un État partie impose des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de le concilier avec les intérêts généraux susmentionnés, il doit chercher à faciliter l’exercice de ce droit, et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

6.6Le Comité observe, à la lumière des informations versées au dossier, que les autorités nationales et les juridictions n’ont fourni aucune justification ou explication de l’interdiction faite à l’auteur d’exercer son droit à la liberté de réunion, hormis une déclaration générale selon laquelle il n’y aurait pas de prisonniers politiques au Bélarus. Les articles 19 et 21 s’appliquent aux situations dans lesquelles des idées controversées sont diffusées, et toute restriction doit être justifiée par les autorités au regard des raisons exposées dans le Pacte.

6.7Le Comité relève qu’il a déjà examiné des cas analogues concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie dans un certain nombre de communications antérieures. En l’absence de toute explication de l’État partie sur les questions qui se posent, le Comité conclut qu’en l’espèce l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour assurer à l’auteur une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent. À cet égard, le Comité souligne de nouveau que l’État partie devrait réviser sa législation, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre du paragraphe 2 de l’article 2, afin de garantir la pleine jouissance sur son territoire des droits consacrés aux articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.