Nations Unies

CCPR/C/123/D/2575/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2575/2015*,**, ***

Communication présentée par :

Bayush Alemseged Araya (représentée par un conseil du Conseil danois pour les réfugiés)

Au nom de :

L’auteure et son fils mineur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

24 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 février 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2018

Objet :

Expulsion du Danemark vers l’Italie

Question(s) de procédure :

Néant

Question (s) de fond :

Risque de torture ou autre traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article (s) du Pacte :

7

Article (s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteure de la communication datée du 24 février 2015 est Bayush Alemseged Araya, de nationalité érythréenne, née en 1984. Elle présente la communication en son nom et au nom de son fils Euas, né le 8 décembre 2014. L’auteure a demandé l’asile au Danemark mais sa demande a été rejetée et elle fait l’objet d’une mesure d’expulsion vers l’Italie depuis le 26 février 2015. Elle affirme qu’en l’expulsant vers l’Italie, le Danemark violerait les droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. L’auteure est représentée par un conseil du Conseil danois pour les réfugiés.

1.2Le 25 février 2015, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteure et son fils mineur en Italie tant que leur cas était en cours d’examen devant le Comité. Le 27 février 2015, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’auteure.

1.3Le 8 juin 2015, l’État partie a indiqué que le Service danois de l’immigration avait décidé, le 25 avril 2015, d’examiner la demande d’asile de l’auteure et avait suspendu par conséquent la procédure d’expulsion. L’État partie a donc demandé au Comité d’interrompre son examen de la communication de l’auteure. Le 3 août 2015, le conseil de l’auteure a accepté cette demande puisque les autorités d’asile avaient rouvert la procédure. Le 25 avril 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé la suspension, et non pas l’interruption, de l’examen de la communication tant que la procédure d’asile était en instance. Le 12 mai 2016, l’État partie a transmis au Comité une nouvelle demande d’interruption. Le 13 mai 2016, le Comité a confirmé sa décision tendant à suspendre l’examen tant que la procédure d’asile était en instance. Le 21 juin 2016, l’État partie a informé le Comité que le Service danois de l’immigration et la Commission danoise de recours des réfugiés avaient rejeté la demande d’asile de l’auteure. Le 8 juillet 2016, l’auteure a demandé au Comité de lever la suspension de l’examen de sa communication au motif que sa demande d’asile avait été rejetée.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est de nationalité érythréenne. Elle a fui l’Érythrée parce qu’elle ne voulait pas intégrer l’armée dans le cadre du service national et ne voulait pas servir le Gouvernement. Elle a quitté le pays illégalement et s’est rendue au Soudan. Elle craint d’être emprisonnée et de faire l’objet de torture ou d’atteintes à sa vie si elle retourne en Érythrée parce qu’elle a quitté illégalement ce pays et s’est soustraite au service national.

2.2L’auteure est arrivée par bateau à Lampedusa au cours des mois de juillet ou août 2008, après que l’embarcation a été interceptée par les garde-côtes italiens. Elle a été conduite dans un centre d’accueil sur l’île, où elle a été enregistrée comme demandeuse d’asile.

2.3L’auteure a eu du mal à obtenir un permis de séjour et a dû solliciter plusieurs fois les services d’immigration. Pour se voir délivrer un permis de séjour, il faut en effet avoir une adresse ou un emploi. Cependant, après avoir passé environ six mois dans le centre d’asile, l’auteure a obtenu des autorités italiennes une protection subsidiaire assortie notamment d’un permis de séjour de trois ans (permis de séjour au titre de la protection subsidiaire).

2.4L’auteure s’est rendue à Milan, où elle a demandé l’aide des autorités locales. Elle a obtenu un hébergement temporaire d’une semaine (elle ne pouvait y passer que la nuit) et a cherché en vain un emploi. Faute de ressources, elle a dû vivre environ un an dans un immeuble désaffecté avec d’autres réfugiés et migrants dans des conditions peu sûres. L’insécurité tenait à la consommation de stupéfiants et d’alcool et au fait que la majorité de ceux qui dormaient dans le squat étaient des hommes. D’après l’auteure, les hommes qui vivaient là venaient souvent en état d’ivresse dans le lieu où dormaient les femmes pour les agresser sexuellement. Les rixes et la violence entre occupants étaient quotidiennes et l’auteure a été frappée très brutalement par un homme à qui elle se refusait.

2.5Après avoir passé un an dans le bâtiment désaffecté, l’auteure a trouvé un emploi, sans contrat et non déclaré, dans le secteur informel. Elle a travaillé plusieurs années comme femme de ménage, partageant une chambre avec trois autres réfugiées. En raison de la crise économique, elle a perdu son travail et a été expulsée de la chambre qu’elle louait. Entre-temps, elle s’est aperçue qu’elle était enceinte. Elle a cherché à consulter un médecin mais n’a pas pu obtenir d’examen médical. Elle se retrouvait sans logement, et sans autre option que de retourner dans le squat où elle avait été agressée. Craignant pour la survie de l’enfant à naître en raison des conditions de vie qui régnaient dans le squat, elle a décidé de quitter l’Italie pour le Danemark. Le 10 octobre 2014, elle a déposé une demande d’asile au Danemark. Le fils de l’auteure est né le 8 décembre 2014.

2.6Le 30 novembre 2014, le Service danois de l’immigration a demandé aux autorités italiennes d’accepter la réadmission de l’auteure conformément au Règlement Dublin. Le 15 décembre 2014, les autorités italiennes ont informé le Service danois de l’immigration que l’auteure avait obtenu une protection subsidiaire en Italie, y compris un permis de séjour, et ne pouvait donc pas être réadmise conformément au Règlement Dublin. Le 16 décembre 2014, le Service de l’immigration a refusé l’admission de l’auteure et de son fils au Danemark et décidé de ne pas examiner leur demande d’asile au motif qu’ils avaient obtenu une protection internationale en Italie. Par conséquent, l’auteure a reçu l’ordre de quitter immédiatement le Danemark. L’auteure et son fils, âgé de 2 mois et demi, devaient être expulsés vers l’Italie le 26 février 2015.

2.7Après que le Comité a été saisi de l’affaire, l’État partie a décidé de rouvrir la procédure d’asile concernant l’auteure aux fins de son réexamen par le Service de l’immigration. Le29 octobre 2015, le Service de l’immigration a rejeté une nouvelle fois la demande d’asile de l’auteure. Cette décision a été confirmée par la Commission de recours des réfugiés le 12 février 2016 ; la Commission a considéré que l’auteure aurait accès à une protection financière et sociale suffisante si elle était renvoyée en Italie, où elle avait obtenu un titre de séjour avant son départ pour leDanemark.

2.8L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles utiles puisque, selon la loi danoise relative aux étrangers, les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles d’appel auprès des organes administratifs ou des tribunaux danois. L’auteure n’a pas soumis sa communication à d’autres procédures internationales d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Invoquant l’article 7 du Pacte, l’auteure affirme que, si l’État partie la renvoyait de force en Italie, il violerait ses droits et ceux de son enfant car elle n’a pas pu trouver dans ce pays de logement décent, de travail légal, de nourriture suffisante ni aucune solution humanitaire temporaire ou durable alors même qu’elle bénéficiait d’une protection internationale.

3.2Elle insiste sur sa crainte d’être renvoyée à une vie d’insécurité avec un nouveau-né, en particulier d’être obligée de vivre dans la rue avec son fils, sans accès à des soins médicaux. Elle craint également de ne pouvoir se procurer un logement décent et une nourriture suffisante pour elle-même et pour son enfant, les conditions d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés titulaires d’un permis de séjour laissant apparemment à désirer en Italie.

3.3L’auteure affirme par conséquent que leur expulsion vers l’Italie leur ferait courir un risque réel de préjudice irréparable en les exposant, elle et surtout son fils, à un traitement inhumain et dégradant du fait qu’ils vivraient dans la rue, dans le dénuement et sans perspective de trouver une solution humanitaire durable, ce qui est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

3.4L’auteure ajoute que, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le principe du pays de premier asile ne devrait s’appliquer que « si les demandeurs d’asile, lorsqu’ils sont renvoyés dans ce pays, sont autorisés à y rester et s’ils sont traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues jusqu’à ce qu’une solution durable leur soit offerte ». L’auteure soutient, en s’appuyant sur un rapport concernant la situation des réfugiés en Italie, que le système d’accueil des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie n’est pas conforme aux normes fondamentales en matière de droits de l’homme. Elle s’appuie en outre sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que l’État partie n’a pas montré qu’elle ne courrait pas un risque réel d’être exposée à des traitements inhumains et dégradants si elle était renvoyée en Italie.

Renseignements complémentaires communiqués par l’auteure

4.1Le 8 juillet 2016, l’auteure a informé le Comité que son permis de séjour italien était venu à expiration.

4.2À l’appui de ses griefs, l’auteure invoque les observations générales du Comité no 20 (1992) relative à l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (par. 9) et no 31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 12), qui rappellent que les États parties ne doivent pas expulser quelqu’un dans un pays tiers s’il existe dans ce pays des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Elle fait observer que « si un État partie prend une décision concernant une personne sous sa juridiction, dont la conséquence nécessaire et prévisible est que les droits de cette personne en vertu duPacte seront violés sous une autre juridiction », l’État partie lui-même commet une violation duPacte.

4.3L’auteure dit que lorsqu’il a déterminé le risque qu’il soit porté atteinte à ses droits au titre de l’article 7 du Pacte en cas de renvoi en Italie, l’état partie aurait dû prendre en considération sa vulnérabilité particulière. Elle souligne qu’elle est une mère célibataire et que son expulsion aurait des répercussions non négligeables sur la vie de son enfant. À cet égard, l’auteure renvoie à l’arrêt Tarakhelc. Suisse de la Cour européenne des droits de l’homme, qui se lit comme suit : « Cette exigence de “protection spéciale” pour les demandeurs d’asile est d’autant plus importante lorsque les personnes concernées sont des enfants, eu égard à leurs besoins particuliers et à leur extrême vulnérabilité ». L’auteure invoque à ce propos les constatations que le Comité a récemment adoptées dans l’affaire Jasinc. Danemark, où il a considéré que le renvoi d’une mère célibataire sans abri ni moyens de subsistance du Danemark en Italie, même si celle-ci avait obtenu dans ce pays une protection subsidiaire, constituait une violation de l’article 7 du Pacte.

4.4L’auteure affirme que le système d’accueil italien destiné aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires d’une protection internationale est insuffisant et n’est pas conforme aux normes fondamentales en matière de droits de l’homme. D’après les rapports disponibles, des centaines de migrants, dont des demandeurs d’asile, vivent dans des bâtiments désaffectés, notamment dans des villes comme Rome, et ont un accès limité aux services publics. En raison du manque de structures d’accueil et de logements, nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés en Italie vivent dans la rue et ne reçoivent qu’occasionnellement de la nourriture et un abri offerts par des églises et des organisations non gouvernementales. L’auteure insiste surtout sur le fait que les personnes renvoyées qui avaient obtenu une protection internationale et bénéficié du système d’accueil lorsqu’elles sont arrivées pour la première fois en Italie n’ont plus droit d’être hébergées dans les centres d’accueil. Le Service jésuite des réfugiés, dans son rapport annuel pour 2013, a fait observer qu’il y avait un vrai problème pour les personnes qui ont été renvoyées en Italie et à qui avait déjà été accordée une forme de protection. Celles qui ont quitté volontairement avant le terme prévu l’un des centres d’accueil auxquels elles pouvaient accéder à leur arrivée ne peuvent plus prétendre retourner dans de tels centres. La plupart de ceux qui squattent des bâtiments désaffectés à Rome sont dans ce cas. L’auteure souligne que le manque de places dans les centres d’accueil est un problème majeur, en particulier pour les personnes renvoyées qui, comme elle-même, ont déjà bénéficié d’une protection internationale ou subsidiaire.

4.5L’auteure affirme en outre qu’elle court, ainsi que son enfant, un risque réel, personnel et prévisible de se retrouver sans abri s’ils sont renvoyés en Italie. Elle rappelle que les autorités italiennes ne lui ont fourni aucune aide lorsqu’elle était enceinte et à la rue, et que les réfugiés en Italie rencontrent de sérieux obstacles pour accéder à des soins de santé. À cet égard, l’auteure dit que si elle était renvoyée en Italie, elle n’aurait pas accès aux services de santé de base indispensables pour son jeune enfant.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 11 avril 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la présente communication, affirmant pour l’essentiel que l’article 7 du Pacte ne serait pas violé si l’auteure et son enfant étaient expulsés vers l’Italie. Il n’a pas contesté la recevabilité de la communication.

5.2Tout d’abord, l’État partie donne des précisions sur la décision de la Commission de recours des réfugiés, en date du 12 février 2016, rejetant la demande d’asile de l’auteure. Il dit qu’il approuve cette décision, considérant que l’auteure aura droit à une protection financière et sociale adéquate si elle est renvoyée en Italie où elle avait obtenu un permis de séjour avant son départ pour le Danemark. Il met en avant les conclusions de la Commission selon lesquelles la plupart des déclarations de l’auteure correspondent à des faits, sauf celles indiquant qu’elle avait contacté les autorités italiennes au sujet des violences qu’elle aurait subies. Sur ce point, la Commission a considéré que les déclarations de l’auteure étaient incohérentes.

5.3L’État partie décrit ensuite la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, qu’il considère comme étant un organe indépendant et quasi judiciaire, ainsi que le fondement juridique de ses décisions. Il dit que la Commission est chargée non seulement d’examiner les faits de l’espèce et de faire ressortir les informations s’y rapportant, mais aussi de fournir la documentation de base nécessaire, notamment des informations sur la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile ou dans le premier pays d’asile.

5.4L’État partie renvoie d’autre part aux constatations récemment adoptées par le Comité, qui a considéré qu’« en l’absence d’élément indiquant que les décisions de la Commission étaient manifestement déraisonnables ou arbitraires concernant les allégations de l’auteur, le Comité ne peut pas conclure que les renseignements dont il dispose montrent que l’expulsion de l’auteur […] l’exposerait à un risque réel de traitement contraire à l’article 7 du Pacte ». Dans le cas à l’examen, l’État partie fait observer que l’auteure n’a pas montré dans sa communication que la Commission avait fait une évaluation arbitraire ou commis une erreur manifeste ou un déni de justice lorsqu’elle avait conclu que l’Italie était un premier pays d’asile sûr.

5.5L’État partie reconnaît qu’il convient, lorsqu’on examine si un pays peut servir de pays de premier asile, de considérer les aspects socioéconomiques de la situation car les demandeurs d’asile doivent être traités conformément aux normes internationales fondamentales en matière de droits de l’homme. Toutefois, on ne saurait selon lui exiger que les demandeurs d’asile aient des conditions de vie absolument identiques à celles des nationaux du pays concerné.

5.6L’État partie fait observer qu’un permis de séjour en Italie sert de document de voyage et permet à son titulaire de travailler, de prétendre au regroupement familial et de bénéficier des régimes généraux d’assistance sociale, de soins de santé, de logements sociaux et d’éducation. Il note que la durée de validité des permis de séjour a récemment été prolongée à cinq ans et peut être renouvelée lors d’une nouvelle entrée sur le territoire par l’autorité qui a délivré le permis. Ses autorités ont contacté l’ambassade du Danemark en Italie pour s’assurer que les réfugiés reconnus comme tels et les personnes bénéficiant d’une protection pourraient obtenir le renouvellement de leur permis de séjour et ne seraient pas considérés au regard du droit italien comme des demandeurs d’asile. Le 8 février 2008, l’ambassade a confirmé que les réfugiés reconnus comme tels et les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire pouvaient demander le renouvellement de leur permis de séjour une fois rentrés en Italie, même si leur permis était venu à expiration après leur entrée au Danemark.

5.7Par ailleurs, l’État partie renvoie à un rapport publié en 2016 par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés, d’où il ressort qu’en Italie « les bénéficiaires d’une protection sont placés sur un pied d’égalité avec les citoyens italiens en ce qui concerne les droits sociaux et l’accès aux prestations sociales ». L’État partie fait observer qu’à ce propos l’auteure n’a produit aucun élément prouvant qu’elle avait contacté les autorités ou que les autorités avaient refusé de l’aider, notamment eu égard à sa grossesse.

5.8L’État partie souligne que l’auteure a vécu en Italie pendant plus de six ans. Elle a travaillé dans le secteur informel quelques années et a pu louer une chambre dans un appartement au cours de cette période. Rien n’indique donc que l’auteure ne pourrait pas retrouver du travail afin de subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant.

5.9L’État partie renvoie d’autre part à la décision d’irrecevabilité prise par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c.Pays-Bas et Italie concernant le traitement des demandeurs d’asile, des personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire en Italie et des personnes renvoyées en Italie dans le cadre du Règlement Dublin. Compte tenu des rapports établis par les organisations gouvernementales et non gouvernementales, la Cour a considéré que, « si la situation générale et les conditions de vie en Italie des demandeurs d’asile, des réfugiés acceptés et des étrangers ayant obtenu un permis de séjourà des fins de protection internationale ou à des fins humanitaires peuvent révéler quelques défaillances […] il n’est pas établi qu’elles font ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien et des structures destinées aux demandeurs d’asile en tant que personnes appartenant à un groupe particulièrement vulnérable, comme c’était le cas dans M. S. S. c.Belgique et Grèce ». La Cour a fait observer qu’une personne bénéficiant d’une protection subsidiaire en Italie reçoit un permis de séjour de trois ans renouvelable qui lui donne droit au travail, à un document de voyage pour étrangers, au rapprochementfamilial et au bénéfice des dispositifs généraux en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation. De même, un étranger peut demander le renouvellement de son permis de séjour venu à expiration. Dans l’affaire en question, laCour a considéré que les allégations de la requérante étaient manifestement mal fondées et donc irrecevables, et que la requérante pouvait être renvoyée en Italie.

5.10Dans le cas à l’examen, l’auteure a invoqué les conclusions de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M. S. S.c. Belgique et Grèce (2011), mais l’État partie fait observer que l’arrêt de la Cour dans l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c.Pays-Bas et Italie (2013) est plus récent et concerne précisément la situation en Italie. Par conséquent, l’État partie répète que, comme la Cour l’a souligné, toute personne bénéficiant d’une protection subsidiaire en Italie reçoit un permis de séjour de trois ans renouvelable, qui lui donne notamment droit au travail, à un document de voyage pour étrangers, au rapprochementfamilial et au bénéfice des dispositifs généraux en matière d’aide sociale, de soins médicaux, de logement social et d’éducation.

5.11L’État partie affirme en outre que l’absence d’assistance sociale ou financière ne suffit généralement pas à déclencher le seuil minimal pour l’application de l’article 7 du Pacte. En ce qui concerne les constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Jasinc. Danemark,l’État partie rappelle qu’il existait des circonstances extraordinaires, à savoir que l’auteure souffrait d’une forme grave d’asthme et avait besoin d’un traitement. Dans le cas présent, l’auteure a dit être en possession d’une carte de santé italienne. L’État partie rappelle en outre que, d’après les déclarations de l’auteure, elle-même et son enfant étaient en bonne santé. Par conséquent, la décision du Comité dans l’affaire Jasin c. Danemark ne saurait être invoquée comme un précédent pour déterminer si la présente communication fait ou non apparaître l’existence d’une violation de la part de l’État partie.

5.12L’État partie relève par ailleurs que l’auteure n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’elle et son enfant courraient un risque réel, personnel et prévisible d’être soumis à des traitements ou peines inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers l’Italie.

5.13Par conséquent, l’État partie conclut que l’auteure cherche à utiliser le Comité comme une instance d’appel afin qu’il réexamine les circonstances factuelles de sa demande d’asile. En fait, l’auteure conteste tout simplement les décisions nationales et ne fait état d’aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni d’aucun facteur de risque que la Commission de recours des réfugiés aurait omis de prendre dûment en compte. L’État partie fait valoir que le Comité devrait plutôt accorder un poids considérable aux faits établis par la Commission, qui est mieux placée pour évaluer les circonstances factuelles de l’affaire.

Commentaires de l’auteure concernant les observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 20 novembre 2017, l’auteure a fait part de nouveaux commentaires sur les observations de l’État partie. Elle rappelle que son permis de séjour italien a expiré et qu’elle avait alors rencontré de grandes difficultés pour le faire renouveler. Elle dit en outre craindre de ne pas pouvoir faire enregistrer son fils, qui est né au Danemark et n’a ni certificat d’inscription à l’état civil ni permis de séjour en Italie.

6.2L’auteure rappelle qu’elle a vécu en Italie dans des conditions extrêmement précaires. Elle a sollicité l’assistance des autorités locales italiennes à plusieurs reprises mais n’avait reçu aucune aide en matière sociale ou d’hébergement et avait dû se débrouiller seule pour trouver un logement. Sa situation est à présent très différente puisqu’elle n’est plus seule et doit s’occuper de son fils, ce qui la desservira lorsqu’il s’agira de trouver du travail.

6.3L’auteure affirme en outre que les personnes bénéficiant d’une protection en Italie vivent pour la plupart dans des conditions précaires. Elle s’appuie sur un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés en 2016 indiquant qu’il est parfois difficile pour les personnes ayant un statut de protection en Italie de trouver un logement et d’avoir accès à une assistance sociale. Ce rapport indique également que la plupart des réfugiés finissent par vivre dans des squats ou dans la rue, où ils sont exposés au danger et à la violence, et conclut que les conditions de vie dans les squats ne conviennent pas aux jeunes enfants et présentent un risque pour leur développement.

6.4Selon l’auteure, l’État partie n’a pas cherché à obtenir des autorités italiennes l’assurance que l’auteure et son fils seraient pris en charge, comme dans l’affaire Jasinc. Danemark (par. 8.9). À cet égard, elle fait observer que le Comité a constaté également des violations dans les affaires Hashi c. Danemark et Ahmed c. Danemark et que son cas présente des circonstances similaires puisqu’elle est une mère célibataire avec un enfant, qu’elle a déjà connu des difficultés en Italie et que son permis de séjour a expiré.

6.5Enfin, l’auteure dit que son expulsion vers l’Italie aurait comme conséquence prévisible qu’elle n’aura droit à aucune assistance en matière d’intégration ou à un logement. Cela les exposera, elle et son fils mineur, à un risque réel de traitement inhumain et dégradant, y compris des menaces pour leur intégrité personnelle et le risque de se retrouver sans abri et dans le dénuement.

Observations complémentaires de l’État partie sur les commentaires de l’auteure

7.1 Le 4 juin 2018, l’État partie, rappelant les observations qu’il avait formulées le 11 avril 2017, a signalé que les observations complémentaires de l’auteure, en date du 20 novembre 2017, n’avaient apporté aucune nouvelle information sur la situation personnelle de l’auteure et de son fils,. Il a également indiqué que la Commission de recours des réfugiés savait que le Comité avait conclu, dans un certain nombre de cas concernant le Danemark, que les décisions de la Commission relatives au renvoi en Italie d’auteurs ayant des enfants mineurs constituaient une violation du Pacte. Toutefois, de l’avis de la Commission, ces conclusions du Comité ne pouvaient pas conduire à une issue différente dans le cas présent. L’État partie soutient que l’évaluation par la Commission de la situation d’auteurs ayant des enfants mineurs devant être transférés en Italie est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

7.2L’État partie affirme que, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la « pratique effective » de l’Italie est conforme aux obligations juridiques internationales du pays. Il estime que ni le récit de l’auteure de ce qu’elle a vécu en Italie ni les informations générales disponibles ne font apparaître qu’il y a des motifs sérieux de croire que, si elle était expulsée vers l’Italie, l’auteure courrait un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. L’État partie a donc estimé que l’Italie pouvait encore servir de pays de premier asile à l’auteur et que l’expulsion de l’auteure vers l’Italie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a épuisé tous les recours internes utiles dont elle disposait. En l’absence d’objection de la part de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont satisfaites.

8.4Comme le Comité considère que les griefs que l’auteure tire de l’article 7 sont par ailleurs fondés, il les déclare recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle si elle était renvoyée en Italie, accompagnée de son fils de 3 ans, en application du principe du Règlement Dublin concernant le « premier pays d’asile », cette expulsion les exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. L’auteure fonde ses arguments notamment sur la manière dont elle a été concrètement traitée après avoir obtenu un permis de séjour en Italie en 2009 ; sa vulnérabilité particulière en tant que mère célibataire avec un jeune enfant ; les conditions générales de vie dans les structures d’accueil des demandeurs d’asile en Italie ; l’impossibilité pour les bénéficiaires d’une protection internationale d’avoir accès à des services financiers et sociaux dans le cadre du programme italien d’intégration, comme cela ressort de différents rapports. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteure selon lequel elle et son fils se retrouveraient sans abri, dans le dénuement, privés d’accès aux soins de santé et menacés dans leur sécurité personnelle, comme en témoigne l’expérience qu’elle a déjà vécue en Italie. Il prend note en outre de ses observations indiquant que son permis de séjour au titre de la protection subsidiaire est venu à expiration et qu’elle craint, si elle est renvoyée en Italie, de ne pas pouvoir le renouveler étant donné les difficultés qu’elle avait rencontrées pour se le voir délivrer. L’auteure craint également de ne pas pouvoir en obtenir un pour son fils, qui est né au Danemark, dont la naissance n’est pas enregistrée en Italie et qui n’a pas de permis de séjour dans ce pays.

9.3Le Comité renvoie à son observation générale no 31, dans laquelle il rappelle l’obligation qui est faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte. Le Comité a établi qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité renvoie également à sa jurisprudence, rappelant qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation menée par l’État partie et qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il est établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

9.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure selon laquelle, ayant obtenu une protection subsidiaire des autorités italiennes en 2009, assortie notamment d’un permis de séjour d’une validité de trois ans, elle a dû quitter le centre d’asile ; elle n’a pas pu bénéficier d’examens médicaux en Italie alors qu’elle était enceinte (voir par. 2.5) ; bien qu’elle ait demandé l’aide des autorités locales, elle n’a reçu aucune assistance sociale ni aide au logement et s’est retrouvée sans abri ni moyens de subsistance. Le Comité constate que l’auteure a déjà fait l’expérience de l’insécurité et de la violence caractéristiques des conditions de vie des demandeurs d’asile sans abri en Italie.

9.5Le Comité note que l’auteure s’est fondée sur différents rapports concernant la situation générale des demandeurs d’asile et des réfugiés en Italie, qui soulignent le manque chronique de places dans les structures d’accueil destinées aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires d’une protection internationale. Il prend note en particulier des observations de l’auteure disant que ceux qui, comme elle, avaient obtenu une forme de protection et bénéficié des structures d’accueil lorsqu’ils étaient en Italie, n’ont plus droit d’être hébergés dans les centres publics d’accueil pour demandeurs d’asile (voir par. 6.3), doivent vivre dans des abris de fortune et sont souvent confrontés à la misère. Le Comité prend note des observations de l’auteure selon lesquelles les personnes renvoyées rencontrent aussi de grandes difficultés à accéder à des installations sanitaires et à de la nourriture en Italieet que nul ne devrait être renvoyé sans garanties spécifiques de logement décent.

9.6Le Comité prend note d’autre part de la conclusion de la Commission de recours des réfugiés selon laquelle l’Italie devrait être considérée comme le premier pays d’asile en l’espèce, ainsi que de la position de l’État partie pour qui, si le premier pays d’asile est tenu de traiter les demandeurs d’asile selon les normes fondamentales en matière de droits de l’homme, il n’est pas obligé de leur accorder les mêmes conditions sociales et le même niveau de vie qu’à ses nationaux (voir par. 5.5). Le Comité relève que l’État partie a aussi invoqué une décision de la Cour européenne des droits de l’homme déclarant que, si la situation en Italie montrait quelques défaillances, elle ne faisait pas ressortir une incapacité systémique à offrir un soutien et des structures pour les demandeurs d’asile (voir par. 5.9).

9.7Le Comité rappelle que les États parties doivent, lorsqu’ils examinent une plainte contestant la décision de renvoyer une personne de leur territoire, accorder une attention suffisante au risque réel et personnel que courrait l’intéressé en cas d’expulsion. En particulier, toute appréciation du risque que la personne soit exposée à des conditions constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant en violation de l’article 7 du Pacte doit se fonder non seulement sur une évaluation de la situation générale existant dans le pays d’accueil mais aussi sur les circonstances individuelles de la personne en question. Ces circonstances incluent les facteurs contribuant à la vulnérabilité de la personne et pouvant rendre intolérable pour certains une situation qui serait tolérable pour la plupart. Il convient également de prendre en compte, pour les cas examinés dans le cadre du Règlement Dublin, de l’expérience qu’ont déjà vécue dans le premier pays d’asile les personnes qui y sont renvoyées, qui peut faire apparaître les risques particuliers auxquels elles seraient susceptibles d’être exposées et donc faire de leur retour dans le premier pays d’asile une expérience particulièrement traumatisante pour elles.

9.8Le Comité prend note des informations communiquées à l’État partie par les autorités italiennes en 2008 indiquant qu’un étranger ayant obtenu un permis de séjour en Italie avec le statut de réfugié ou ayant bénéficié d’une protection peut demander le renouvellement de son permis de séjour lorsqu’il retourne en Italie. Mais le Comité considère que ces informations ne suffisent pas à garantir que les autorités italiennes procéderont au renouvellement du permis de séjour de l’auteure si celle-ci est renvoyée en Italie ni qu’elles délivreront également un permis de séjour à son enfant.

9.9Le Comité note en outre les affirmations de l’auteure selon lesquelles, bien qu’ayant déjà obtenu un permis de séjour en Italie, elle aurait dans ce pays des conditions de vie intolérables. À cet égard, le Comité relève que l’État partie n’explique pas en quoi le fait de bénéficier d’un permis de séjour renouvelable protégerait l’auteure et son enfant, si elle était renvoyée en Italie, contre les difficultés exceptionnelles et le dénuement qu’elle avait déjà connus en Italie.

9.10Prenant note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteure, qui avait bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, aurait en principe droit au même niveau de protection subsidiaire aujourd’hui, le Comité retient aussi les affirmations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées par l’État partie, concernant les conditions de vie précaires qu’elle a connues en Italie où, faute de ressources financières, elle a été obligée de vivre dans un immeuble désaffecté avec d’autres réfugiés pendant environ un an dans un climat d’insécurité marqué par la violence liée à la consommation de stupéfiants et d’alcool. Le Comité prend note également des allégations de l’auteure disant qu’elle a même été agressée sexuellement et frappée. Les informations dont dispose le Comité indiquent que les personnes se trouvant dans une situation analogue à celle de l’auteure finissent souvent par vivre dans la rue ou dans des conditions précaires et dangereuses qui sont particulièrement inadaptées pour les jeunes enfants.

9.11Vu ce qui précède, le Comité considère que l’État partie n’a pas évalué comme il se doit l’expérience personnelle passée de l’auteure en Italie et les conséquences prévisibles de son renvoi forcé dans ce pays, ni pris dûment en considération la vulnérabilité particulière de l’auteure, mère célibataire d’un enfant de trois ans ayant déjà vécu sans abri et dans le dénuement en Italie, et qu’il s’est fondé sur les informations générales fournies par les autorités italiennes sans vérifier si l’auteure aurait effectivement accès à une assistance financière, médicale et sociale. Bien qu’elle puisse théoriquement prétendre au renouvellement de son permis de séjour au titre de la protection subsidiaire en Italie, rien n’indique que, dans la pratique, elle pourra effectivement trouver un logement et pourvoir à ses besoins et à ceux de son enfant sans l’assistance des autorités italiennes, en particulier parce que c’est une mère célibataire qui doit s’occuper de son enfant. L’État partie n’a pas non plus cherché à obtenir des autorités italiennes l’assurance que l’auteure et son fils seraient pris en charge dans des conditions compatibles avec leur situation de demandeurs d’asile ayant droit à une protection temporaire et avec les garanties prévues à l’article 7 du Pacte. En particulier, l’État partie n’a pas demandé à l’Italie de s’engager : a) à renouveler le permis de séjour de l’auteure au titre de la protection subsidiaire et à délivrer un permis de séjour à son enfant ; b) à accueillir l’auteure et son fils dans des conditions adaptées à l’âge de ce dernier et à la situation de vulnérabilité de la famille, leur permettant ainsi de rester en Italie.

9.12Par conséquent, le Comité considère que le renvoi de l’auteure et de son fils en Italie, dans les circonstances particulières où celle-ci se trouve et sans les garanties susmentionnées, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte par l’État partie.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteure et de son fils vers l’Italie sans garanties effectives constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, qui dispose que les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de procéder à un examen des griefs de l’auteure, compte tenu des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, des présentes constatations du Comité et de la nécessité d’obtenir de l’Italie les garanties énoncées au paragraphe 9.11 ci-dessus. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteure et son fils vers l’Italie tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans la langue officielle de l’État partie et à les diffuser largement.

Annexe I

Opinion conjointe (dissidente) d’Ilze Brands-Kehris, Sarah Cleveland, Christof Heyns et Yuval Shany

1.Nous sommes au regret de ne pas pouvoir souscrire à l’avis de la majorité des membres du Comité, qui a conclu que le renvoi de l’auteure en Italie constituerait une violation du Pacte par le Danemark.

2.Au paragraphe 9.3 des présentes constatations, le Comité rappelle que « c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice ». Les faits en question étaient sensiblement différents de ceux de l’espèce, qui ne justifient pas la même conclusion juridique. Dans l’affaire Jasin c. Danemark, l’auteure se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulièrement, qui faisait qu’il lui était quasiment impossible d’affronter les difficultés exceptionnelles qui l’attendaient si elle était expulsée vers l’Italie: mère célibataire de trois enfants en bas âge, qui souffrait elle-même d’un asthme grave et avait besoin de médicaments, elle s’était vu refuser à deux reprises l’accès aux soins médicaux et elle avait vécu dans la rue, sans abri et sans ressources, après avoir été renvoyée en Italie où le système d’aide sociale ne lui avait été d’aucun secours. Dans ces circonstances exceptionnelles, le Comité avait estimé que, sans garanties spécifiques d’assistance sociale, l’Italie ne pouvait pas être considérée comme un « pays sûr » où renvoyer l’auteure et ses enfants.

3.En l’espèce, il n’est pas contesté que l’auteure, qui a un enfant, peut prétendre au renouvellement de son permis de séjour et qu’elle bénéficie d’une protection subsidiaire en Italie, où elle a résidé plus de six ans, a trouvé un emploi et a été en mesure de louer un appartement pendant plusieurs années. Il n’a pas été fait état de problèmes de santé dont elle ou son fils souffrirait et elle possède une carte d’assurance santé italienne (voir par. 5.8 et 5.11).

4.Même si nous considérons qu’un renvoi en Italie placerait sans doute l’auteure et son fils dans une situation plus difficile que celle qui est la leur au Danemark, nous ne disposons d’aucune information indiquant que leur sort serait différent de celui d’autres demandeurs d’asile arrivés en Europe ces dernières années. Nous ne sommes pas non plus en mesure de conclure, sur la base des informations versées au dossier que les difficultés auxquelles l’auteure sera exposée risquent d’atteindre le niveau exceptionnel de gravité et d’irréparabilité qui constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

5.Dans ces circonstances, nous ne pouvons pas conclure que la décision des autorités danoises d’expulser les auteurs vers l’Italie a été arbitraire, résulté d’une erreur manifeste ou constitué un déni de justice se traduisant par une violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, même si nous regrettons que les autorités danoises n’aient pas demandé des assurances à l’Italie avant de décider d’expulser l’auteure, nous ne considérons pas qu’une telle décision soit contraire au Pacte en l’occurrence.

Annexe II

1.Opinion individuelle (concordante) d’Olivier de Frouville

1.Ces constatations s’inscrivent dans la lignée d’une jurisprudence du Comité des droits de l’homme désormais bien établie, qui concerne les renvois de personnes demandant le statut de réfugié ou bénéficiant d’une protection subsidiaire entre deux pays de l’Union européenne. Toutes les affaires présentées au Comité concernent un seul État partie, le Danemark. Dans une majorité de cas le pays de renvoi est l’Italie. Le Comité a fixé un certain nombre de principes applicables à ces affaires à partir de ses constatations dans l’affaire Jasin c. Danemark,adoptées le 22 juillet 2015. Ces principes sont acceptés par la majorité au sein du Comité, mais l’application à certains cas d’espèce continue de diviser ses membres.

2.Conformément à sa jurisprudence générale en matière d’éloignement du territoire, le Comité accorde un poids considérable à l’appréciation par les autorités nationales d’un risque réel et personnel de préjudice tel qu’envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité considère qu’il appartient généralement aux organes de l’État d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence de ce risque, à moins que cette évaluation ne soit clairement arbitraire ou ne soit constitutive d’un déni de justice.

3.Par ailleurs, pour ces affaires en particulier, le Comité a défini quatre éléments d’appréciation. Le premier élément concerne la situation dans le pays de renvoi s’agissant de l’accueil et de la prise en charge des demandeurs d’asile ou des personnes bénéficiant de la protection subsidiaire. Le deuxième élément a trait à l’expérience passée des personnes concernées dans le pays de renvoiet par conséquent au traitement auquel ces personnes peuvent s’attendre en cas de retour dans ce pays. Le troisième élément porte sur la situation de vulnérabilité dans laquelle l’auteur se trouve au moment de l’examen de la demande par le Comité, situation à laquelle participe le fait d’être responsable d’enfants mineurs, dont l’intérêt supérieur doit être dûment pris en compte dans la décision. Enfin, le quatrième et dernier élément est la question de savoir si l’État partie a ou non cherché à obtenir de la part de l’État de renvoi des assurances que les personnes concernées seront prises en charge dans des conditions compatibles avec leur situation mais aussi, lorsque les auteurs sont accompagnés d’enfants mineurs, qu’ils soient accueillis dans des conditions adaptées à l’âge des enfants et à la situation de vulnérabilité de la famille, sans les exposer à un risque de refoulement indirect.

4.Lorsque le Comité parvient à la conclusion que l’appréciation des autorités nationales est clairement arbitraire, il juge qu’il y aurait violation si l’État partie renvoyait les auteurs sans demander d’assurances telles que spécifiées par le Comité dans les motifs de ses constatations. Autrement dit, il s’agit toujours d’une violation potentielle, que l’État partie pourrait éviter en procédant à une demande d’assurances personnalisées, selon les conditions fixées par le Comité. Il faut remarquer que, malheureusement, depuis que le Comité est saisi de ce type d’affaires, le Danemark n’a jamais formulé de telles demandes.

5.J’estime que le Comité a correctement appliqué sa jurisprudence dans le cas d’espèce qui lui est soumis. Au titre des conditions dans le pays, le Comité prend note des différents rapports présentés par l’auteure et mentionnés dans les paragraphes 4.4 et 6.3, dont il ressort que les personnes qui retournent en Italie alors qu’elles y ont déjà reçu une forme de protection n’ont pas droit à un hébergement dans les structures d’accueil et qu’il n’existe pas de procédure légale pour identifier les personnes en situation de vulnérabilité. Des rapports plus récents montrent qu’il n’y a pas eu d’amélioration à cet égard et qu’au contraire, des problèmes systémiques persistent.

6.L’expérience passée de l’auteure est malheureusement comparable à celle d’autres cas que le Comité a eu à examiner : après avoir reçu son permis de séjour, l’auteure a dû vivre dans des conditions d’extrême précarité et d’insécurité et cela pendant plusieurs années, jusqu’à ce qu’elle attende un enfant et se décide à quitter l’Italie pour le Danemark. Son permis de séjour en Italie est venu à expiration en juillet 2016 (par. 4.1) L’auteure se trouverait particulièrement vulnérable si elle devait retourner en Italie, en tant que mère isolée d’un enfant en bas-âge né au Danemark, avec des risques réels et prévisibles pour leur santé et pour leur vie, sans pouvoir compter sur la protection des autorités italiennes.

7.Enfin, on ne peut pas considérer que l’État partie ait pris toutes les mesures pour prévenir les risques prévisibles de dommage, à partir du moment où aucune demande d’assurances personnalisées n’a été adressée à l’Italie quant à la prise en charge de l’auteure et de son enfant à leur arrivée.

8.En définitive, les autorités nationales n’ont pas pris en compte de manière satisfaisante la situation personnelle de l’auteure et de son enfant au regard de la situation générale des personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire en Italie et de l’expérience passée de l’auteure dans ce pays. La décision est donc clairement arbitraire et il est justifié que le Comité constate une violation potentielle de l’article 7 en cas de retour sans demande d’assurance.