Nations Unies

CCPR/C/125/D/2313/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 avril 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2313/2013 * , **

Communication présentée par :

Evgeny Osincev (non représenté par un conseil)

Au nom de :

Evgeny Osincev

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

19 août 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 décembre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

15 mars 2019

Objet :

Privation du droit à un procès équitable ; détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Procès équitable ; détention arbitraire ; conditions de détention ; assistance d’un avocat ; traitements cruels et inhumains

Article(s) du Pacte :

7, 9, 10 et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Evgeny Osincev, de nationalité kirghize, né en 1964. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kirghizistan le 7 janvier 1995. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 4 juin 2009, l’auteur a été convoqué dans les bureaux de la police financière kirghize à Bichkek. Il a rencontré un enquêteur, E., qui lui a dit avoir quelques questions à lui poser de manière informelle. À 20 heures, après trois heures d’interrogatoire informel, l’enquêteur a déclaré qu’il allait commencer à l’interroger officiellement. L’auteur a alors refusé de répondre à d’autres questions et demandé un avocat. Sa demande a été rejetée et l’enquêteur l’a informé qu’une plainte avait été déposée contre lui et que la police disposait d’éléments suffisants pour le mettre en détention immédiatement. Lorsque l’auteur a demandé à prendre connaissance de la plainte, l’enquêteur a refusé et lui a répondu qu’il l’interrogeait en tant que témoin et qu’il n’avait pas à lui présenter de documents. L’auteur a ensuite été menotté et soumis à des pressions psychologiques et physiques visant à lui faire signer un procès-verbal d’interrogatoire, ce qu’il a refusé de faire. Vers 22 heures, il a commencé à se sentir mal et a demandé un médecin ou des médicaments, mais sa demande a été rejetée. Il a ensuite été transféré dans un lieu de détention temporaire, où il a été détenu jusqu’au 6 juin 2009. Il n’a pas eu accès à un avocat et a été privé de tout contact avec sa famille. Pendant sa détention du 4 au 6 juin, il n’a été nourri qu’une seule fois, le 5 juin 2009.

2.2Le 6 juin 2009, à 9 heures, l’auteur a de nouveau été interrogé par la police financière à Bichkek. Il n’a été informé ni de l’objet de l’enquête ni de la nature et de l’origine des accusations qui auraient été portées contre lui, et il a de nouveau subi des pressions psychologiques et physiques. À 17 heures, il a été conduit au bureau d’un juge du tribunal du district Pervomaïsky à Bichkek. À ce moment-là, l’enquêteur a dit au juge que l’auteur était accusé de fraude et lui a demandé d’autoriser sa détention provisoire pour une période de deux mois. L’auteur n’a pas été autorisé à parler au juge et a été rapidement emmené dans le couloir, tandis que l’enquêteur restait dans le bureau du juge. Peu après, l’enquêteur est sorti du bureau et a informé l’auteur que le juge avait autorisé sa détention pour deux mois mais ne lui a pas donné de copie de la décision. L’auteur fait observer qu’en dépit des dispositions de l’article 110 du Code de procédure pénale, aucun avocat ou procureur n’était présent à cette audience.

2.3Le 8 juin 2009, l’auteur a été transféré au centre de détention provisoire (SIZO) no 1 à Bichkek et placé en quarantaine pour deux semaines. Pendant sa quarantaine, il n’a pas été autorisé à contacter sa famille ou un avocat et il a passé dix-huit jours au secret. Pendant toute cette période, il a été privé de draps de lit, de vêtements de rechange et d’articles d’hygiène personnelle tels que savon, brosse à dents et dentifrice, et il n’a pas pu avoir accès à une douche. Il était détenu avec 27 autres personnes dans une cellule de quarantaine prévue pour 16 personnes, équipée de quatre matelas et deux couvertures seulement. Le 22 juin, il a été transféré dans une cellule ordinaire qui offrait de meilleures conditions mais qui était également surpeuplée. Il était détenu avec 13 autres personnes dans une cellule d’une capacité de huit personnes. Les détenus devaient dormir à tour de rôle, et la lumière dans la cellule était constamment allumée.

2.4Le 26 juin 2009, l’auteur a pu contacter son avocat pour la première fois ; l’enquêteur n’a toutefois pas permis à l’avocat d’accéder à certaines pièces du dossier avant le 10 juillet. L’avocat a pu former un recours contre la détention de l’auteur le 8 juillet. Le 10 juillet, il a porté plainte auprès du procureur de la ville de Bichkek contre l’enquêteur pour avoir soumis l’auteur à un interrogatoire illégal et avoir refusé de lui accorder l’accès à un avocat le 4 juin.

2.5Le 24 juillet 2009, le tribunal municipal de Bichkek a annulé la décision prise le 6 juin par le tribunal du district Pervomaïsky de placer l’auteur en détention pour une période de deux mois et ordonné son assignation à résidence. Le tribunal a considéré que l’enquêteur n’avait produit aucun élément prouvant que l’auteur avait tenté de se soustraire ou de faire obstacle à l’enquête, et que l’auteur avait un lieu de résidence permanent, qu’il avait établi son identité et qu’il s’était vu refuser l’assistance d’un conseil entre le 4 et le 6 juin.

2.6Le 28 juillet 2009, l’enquêteur a accusé l’auteur d’un nouveau chef, celui d’extorsion, alors qu’il n’y avait pas eu d’enquête officielle sur cette infraction ni de plainte officielle pour extorsion visant l’auteur. Le même jour, l’enquêteur a officiellement clos l’enquête et renvoyé l’affaire devant les tribunaux.

2.7En août 2009, le tribunal du district Sverdlovsky a été saisi de l’action pénale contre l’auteur et le procès a été fixé à septembre 2009. Toutefois, la victime présumée de l’infraction et ses témoins ne se sont pas présentés aux audiences. Le 31 mai 2010, l’auteur a officiellement demandé au tribunal d’émettre un mandat d’amener visant la victime et ses témoins. La demande a été acceptée. Toutefois, au lieu de délivrer un mandat, le tribunal a renvoyé l’affaire au parquet, lui ordonnant de veiller à ce que la victime et les témoins soient présents pendant le procès et indiquant qu’il n’avait pas reçu de preuve de la culpabilité de l’auteur.

2.8En août 2010, le parquet a renvoyé l’affaire devant le tribunal du district Sverdlovsky, mais le dossier n’a pas été confié au même juge. Le 14 octobre, l’auteur a été reconnu coupable de fraude et d’extorsion et condamné à quatre ans d’emprisonnement dans un centre de détention à régime souple. L’auteur affirme que le tribunal n’a pas examiné l’allégation concernant les pressions physiques et psychologiques qu’il aurait subies, bien que celle-ci soit reflétée dans le verdict, ni l’allégation selon laquelle il avait été privé de l’assistance d’un conseil pendant plus d’un mois après son arrestation. Il affirme également qu’il a présenté au tribunal de première instance des preuves à l’appui de son alibi pour les dates auxquelles la fraude aurait été commise, mais que le tribunal y a vu une tentative d’échapper à la peine.

2.9Le 20 décembre 2010, la chambre pénale du tribunal municipal de Bichkek a rejeté le recours en cassation de l’auteur et confirmé la condamnation prononcée par le tribunal du district Sverdlovsky. La juridiction de cassation n’a pas informé l’auteur de la date et du lieu de l’audience et a fondé sa décision uniquement sur des communications écrites.

2.10Le 6 décembre 2011, la Cour suprême du Kirghizistan a rejeté la demande de réexamen aux fins de contrôle de l’auteur et confirmé les décisions des juridictions inférieures.

2.11En août 2012, l’auteur a déposé une plainte auprès du Procureur général, demandant la réouverture du dossier en raison de nouvelles circonstances et affirmant qu’il pouvait prouver son innocence. Le 28 septembre, le Procureur général a rejeté la plainte. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les pressions psychologiques et physiques auxquelles il a été soumis les 4 et 6 juin 2009 pendant qu’il était sous la garde de la police financière à Bichkek constituent des traitements cruels, inhumains et dégradants au sens de l’article 7 du Pacte.

3.2Il affirme être victime d’une violation de l’article 9 du Pacte en raison de son arrestation et de sa détention arbitraires du 4 juin au 24 juillet 2009. Il fait valoir que le Code de procédure pénale n’autorise la détention avant jugement que dans les cas où la peine prévue pour l’infraction commise dépasse trois ans d’emprisonnement ; or il a été accusé de fraude, infraction qui emporte une peine maximale de trois ans d’emprisonnement. En outre, les personnes soupçonnées d’infractions économiques, comme la fraude, ne peuvent en aucun cas être placées en détention provisoire. L’auteur affirme également qu’il n’a pas été informé des charges retenues contre lui et qu’il n’a pas reçu copie de la décision rendue par le tribunal du district Pervomaïsky le 6 juin 2009, autorisant sa détention pendant deux mois, ce qui l’a empêché d’exercer son droit de recours jusqu’au 8 juillet.

3.3L’auteur affirme qu’il a été détenu au secret du 4 au 22 juin 2009, dans des conditions qui constituent une violation de l’article 10 du Pacte.

3.4Enfin, l’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte ont été violés en ce que : a) les tribunaux n’ont pas été impartiaux et n’ont pas tenu compte de son alibi, la procédure avant le procès a été entachée de nombreux vices et aucune preuve directe ne le liait aux infractions alléguées ; b) la procédure judiciaire a excédé un délai raisonnable puisqu’elle a duré plus d’un an, période au long de laquelle il était assigné à résidence ; c) il s’est vu refuser l’assistance d’un conseil jusqu’au 26 juin 2009 alors qu’il en avait fait la demande dès son premier interrogatoire, le 4 juin.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 17 février 2014, l’État partie précise qu’au moment des faits, la Constitution kirghize prévoyait que toute personne détenue devait être présentée à un juge dans un délai de quarante-huit heures. L’auteur a donc été présenté à un juge du tribunal du district Pervomaïsky dans le délai prévu par la loi.

4.2En ce qui concerne la détention de l’auteur, l’État partie fait observer que l’auteur a mal interprété l’article 110 du Code de procédure pénale et que les personnes soupçonnées d’infractions économiques peuvent être placées en détention, à moins qu’elles ne versent la caution prévue par la loi. Toutefois, les documents soumis par l’auteur ne permettent pas de déterminer si celui-ci a versé une telle caution. L’État partie précise que, dans des cas exceptionnels, l’article 110 du Code de procédure pénale autorise la détention provisoire de personnes accusées d’infractions pour lesquelles la peine maximale prévue est de trois ans d’emprisonnement, si l’une des conditions suivantes est remplie : le suspect n’a pas de domicile permanent, ou son identité n’a pas été établie, ou il a tenté d’échapper aux autorités de police ou aux tribunaux.

4.3L’État partie affirme en outre que, conformément à sa Constitution et aux instruments internationaux qu’il a signés, chacun a droit à ce que sa condamnation soit réexaminée par une juridiction supérieure. Il constate qu’en l’espèce, l’auteur est passé par toutes les instances du système judiciaire interne et a épuisé tous les recours disponibles. Il fait observer en outre que si l’auteur estime que les droits qu’il tient de la Constitution ont été violés par une loi nationale, il peut saisir la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de la République kirghize pour qu’elle examine la constitutionnalité de ladite loi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 2 mai 2014, l’auteur répond aux observations de l’État partie. Il souligne qu’au moment de son arrestation, le 6 juin 2009, l’article 110 du Code de procédure pénale interdisait la détention provisoire des auteurs d’infractions pour lesquelles la peine prévue ne dépassait pas trois ans d’emprisonnement. La possibilité d’une libération sous caution a été introduite par une modification du 7 août 2009.

5.2L’auteur affirme que, bien que la décision du tribunal du district Pervomaïsky en date du 6 juin 2009 autorisant sa mise en détention indique qu’il avait un avocat à l’audience, aucun avocat ou procureur n’était en réalité présent. Il ajoute qu’il n’a pas reçu copie de la décision du tribunal du district Pervomaïsky ou de la décision du procureur l’inculpant officiellement, en violation du droit interne. Il a évoqué ces violations au cours de son procès. Toutefois, le tribunal s’est rangé du côté de l’enquêteur, qui a déclaré que des copies des deux documents avaient été remises à l’auteur.

5.3L’auteur affirme en outre qu’il a demandé à la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de déclarer les articles 384 et 387 du Code de procédure pénale inconstitutionnels en ce qu’ils violaient le droit à une protection judiciaire, seul le parquet pouvant rouvrir le dossier dans une affaire pénale sur la base de nouveaux éléments. Il fait valoir que, puisque la Constitution prévoit une protection judiciaire des droits et libertés de chacun, les tribunaux nationaux devraient eux aussi pouvoir rouvrir le dossier lorsqu’il existe de nouveaux éléments de preuve dans une affaire pénale, étant donné que l’accusation n’a aucun intérêt à le faire lorsqu’elle a déjà obtenu une déclaration de culpabilité. Le 7 février 2014, sa requête a été rejetée et les articles 384 et 387 du Code de procédure pénale ont été déclarés constitutionnels.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme avoir été maltraité par la police financière les 4 et 6 juin 2009. Comme l’indique notamment le jugement rendu par le tribunal du district Sverdlovsky le 14 octobre 2010, l’auteur a soulevé ce grief auprès des autorités nationales, et l’État partie ne l’a pas contesté. Le Comité note que le tribunal n’a pas renvoyé l’affaire pour complément d’enquête. Il relève toutefois que les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte sont de nature générale et ne sont étayés par aucune preuve médicale. Compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité n’est pas en mesure de conclure que l’auteur a été soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Faute de précisions ou d’informations complémentaires à ce sujet de la part de l’auteur, le Comité considère que les griefs que l’auteur tire de l’article 7 n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note des griefs de l’auteur concernant sa détention au secret du 4 au 22 juin 2009, les conditions dans lesquelles il a été détenu dans le centre de détention provisoire (SIZO) no 1 à Bichkek et la durée excessive de son procès, qui a dépassé un an. Il relève cependant qu’à aucun moment ces griefs n’ont été soulevés devant les juridictions nationales. En conséquence, cette partie de la communication, qui soulève des questions au regard des articles 10 et 14 (par. 3 c)) du Pacte, est déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant le manque d’impartialité des tribunaux nationaux et l’iniquité de son procès. Il relève, en particulier, que l’auteur conteste la condamnation qui a été prononcée à son endroit et l’évaluation qui a été faite de son alibi et des éléments de preuve matériels et dénonce les nombreux reports d’audience dus à la non-comparution de la victime et des témoins. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreur ou qu’elles ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs manqué à son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’espèce, les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’appréciation des éléments de preuve et l’audition des témoins par le tribunal avaient un caractère arbitraire ou représentaient un déni de justice. Il considère donc que le grief que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare par conséquent irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les autres griefs, qui soulèvent des questions au regard des articles 9 (par. 1, 2 et 4) et 14 (par. 3 d)) du Pacte, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs tirés de l’article 9 par l’auteur, qui affirme avoir été détenu arbitrairement du 4 juin au 24 juillet 2009, date à laquelle la question de sa détention a fini par être examinée par le tribunal municipal de Bichkek. Il relève qu’au moment de son arrestation, l’auteur n’était soupçonné que d’une seule infraction emportant une peine maximale de trois ans d’emprisonnement, alors que l’article 110 du Code de procédure pénale n’autorisait la détention avant jugement que si la peine maximale prévue pour l’infraction commise dépassait trois ans (par. 3.2). Il prend aussi note de l’observation de l’État partie selon laquelle dans des cas exceptionnels la détention provisoire de personnes accusées d’infractions pour lesquelles la peine prévue est inférieure à trois ans est autorisée si l’une des conditions suivantes est remplie : le suspect n’a pas de domicile permanent, ou son identité n’a pas été établie, ou il a tenté d’échapper aux autorités de police ou aux tribunaux (par. 4.2). Il relève toutefois que le tribunal municipal de Bichkek a par la suite établi que l’auteur avait une résidence permanente, que son identité avait été établie et qu’il n’avait pas tenté de se soustraire ou de faire obstacle à l’enquête (par. 2.5). Le Comité considère dès lors que, en l’espèce, la décision autorisant la détention de l’auteur n’était pas conforme à la législation nationale et était donc arbitraire. Il conclut que, dans ces circonstances et en l’absence d’informations ou d’explications pertinentes de l’État partie, les faits tels qu’ils sont présentés constituent une violation des droits reconnus à l’auteur par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

7.3Le Comité note en outre que l’auteur affirme que l’État partie ne l’a pas informé sans délai des raisons de son arrestation et de sa détention, en violation des dispositions du paragraphe 2 de l’article 9 du Pacte, et ne lui a pas fourni une copie de la décision du 6 juin 2009 par laquelle le tribunal du district Pervomaïsky a autorisé sa détention pour deux mois, l’empêchant ainsi de former un recours contre cette mesure jusqu’au 8 juillet 2009, en violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte (par. 2.1, 2.2 et 2.4). Il constate que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur dès lors qu’elles sont suffisamment étayées. Par conséquent, il considère que, dans les circonstances de l’espèce, les faits tels qu’ils ont été présentés par l’auteur constituent une violation des droits garantis aux paragraphes 2 et 4 de l’article 9 du Pacte.

7.4Le Comité prend note en outre du grief que tire l’auteur du paragraphe 3 d) de l’article 14, selon lequel la police financière de l’État lui a refusé l’assistance d’un conseil au moment de sa mise en détention le 4 juin 2009 puis devant le tribunal du district Pervomaïsky le 6 juin 2009 (par. 2.1 et 2.2). Il prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle il n’a été autorisé à contacter son avocat que le 26 juin 2009, soit vingt-deux jours après son placement effectif en détention, et son avocat n’a pu obtenir des copies du dossier et contester la légalité de sa détention qu’à ce moment-là (par. 2.3 et 2.4). Il relève qu’il a déjà été établi par la décision du 24 juillet 2009 du tribunal municipal de Bichkek et par l’enquête interne du Ministère de la justice en 2012 que l’avocat nommé dans la décision du 6 juin 2009 du tribunal du district Pervomaïsky n’était présent à aucun interrogatoire ou audience et a signé les documents post factum (par. 2.2 et 2.5). En l’absence d’observation pertinente de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que le droit de l’auteur à la défense, consacré par le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, a été violé.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1, 2 et 4) et 14 (par. 3 d)) du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés un recours utile sous la forme d’une réparation intégrale. Par conséquent, en l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à Evgeny Osincev une indemnisation appropriée. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans toutes ses langues officielles.