Nations Unies

CCPR/C/126/D/2773/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2773/2016 * , ** , ***

Recommandation proposée par le Groupe de travail

Communication présentée par :

Bholi Pharaka (représenté par TRIAL International)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Népal

Date de la communication :

11 mai 2016

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 juin 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

15 juillet 2019

Objet :

Travail des enfants et travail forcé ; arrestation arbitraire et torture d’un enfant autochtone ; procès équitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication

Question(s) de fond :

Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; interdiction du travail forcé ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; droit à un procès équitable ; respect de la dignité inhérente à l’être humain ; droit de l’enfant à une protection spéciale ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 7, 8 (par. 3 a)), 9, 10, 14 et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Bholi Pharaka, de nationalité népalaise, né en 1997 et membre de la communauté autochtone tharu. Il affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis aux articles 2, 7, 8 (par. 3 a)), 9, 10, 14 et 24 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 mai 1991. L’auteur est représenté par TRIAL International.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur dit que les faits décrits dans sa communication doivent être appréhendés dans le contexte d’un usage généralisé et systématique de la détention arbitraire et de la torture au Népal, en particulier à l’égard des enfants, généralement en toute impunité. D’autres facteurs doivent également être pris en considération, à savoir que les conditions de détention sont dans l’ensemble inhumaines et dégradantes et que les pratiques du travail des enfants et du travail forcé, pourtant officiellement interdites dans le pays, se répandent, touchant surtout les communautés autochtones.

2.2En 2007, alors que l’auteur avait 9 ans, sa famille, qui se trouvait dans une situation financière extrêmement précaire, l’a envoyé à Katmandou pour travailler comme domestique. Il a d’abord travaillé dans une famille au sein de laquelle les conditions de travail lui permettaient de fréquenter régulièrement l’école et qui lui versait un salaire modeste en échange des services rendus. Mais en 2010, on l’a envoyé travailler comme domestique pour la famille d’un officier de l’armée népalaise et, dans ce cadre, il ne lui était plus possible d’aller à l’école. Âgé de 14 ans, il était obligé de travailler tous les jours de 4 heures du matin à 10 heures du soir : il devait préparer les repas, s’occuper de la cuisine, du ménage, du nettoyage, des courses et de la lessive, accueillir les visiteurs et faire des massages de pieds. Ni l’auteur ni sa famille n’ont jamais été rémunérés pour ce travail.

2.3Lorsqu’il était au service de cette famille, l’auteur a souvent été soumis à des violences physiques et psychologiques. En juillet 2012, incapable de supporter plus longtemps cette situation, il s’est enfui de la maison et est rentré chez lui dans son village. La fille du propriétaire de la maison de l’officier de l’armée népalaise a alors porté plainte contre lui, l’accusant d’avoir volé de l’or et d’autres objets précieux. Pour faire revenir l’auteur à Katmandou, la police a arrêté son oncle maternel et l’a soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, le menaçant de mort, jusqu’à ce qu’il promette de ramener son neveu dans la capitale.

2.4Le 14 août 2012, accompagné de son oncle, l’auteur est allé à Katmandou, au commissariat de police de Katmandou, où il a vu le commissaire adjoint. Il a été arrêté et placé en détention avec des adultes. Il n’a pas été informé des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui. En présence du commissaire adjoint, l’auteur a été torturé le jour de son arrestation et les jours suivants. On l’a frappé sur tout le corps et on lui a assené des coups de tuyau en plastique sur la plante des pieds (un type de torture qu’on appelle falanga) et tiré les cheveux. On voulait lui faire avouer qu’il avait volé de l’or et d’autres objets dans la maison où il travaillait et lui faire dire où il avait caché ces biens. Enfin, il a été forcé de signer de ses empreintes des documents qu’on ne l’a pas autorisé à lire et où il avouait être impliqué dans le vol.

2.5Le 19 août 2012, l’auteur a comparu devant le Bureau d’administration du district de Katmandou, qui a ordonné son maintien en détention pour atteinte à l’ordre public. Âgé de 14 ans à l’époque, il aurait plutôt dû, conformément à la législation nationale, comparaître devant un juge pour mineurs du tribunal de district. Devant le Bureau d’administration du district, la police l’a présenté par erreur comme étant âgé de 18 ans. Le Bureau a ensuite approuvé à trois reprises la prolongation de sa détention. L’auteur n’a jamais été représenté dans ces procédures.

2.6L’auteur a été détenu au commissariat de Katmandou du 14 août au 6 septembre 2012, dans des conditions inhumaines et dégradantes. Il était obligé de rester debout dans une cellule bondée, avec 12 autres personnes. Les détenus partageaient une latrine située tout près de la cellule, qui dégageait une odeur pestilentielle et qu’ils devaient nettoyer à tour de rôle. Pendant sa détention, l’auteur n’a pu se doucher que deux fois et était nourri un jour sur deux. La nourriture était de piètre qualité et était préparée dans des conditions antihygiéniques

2.7Pendant qu’il était détenu au commissariat de Hanumandhoka, l’auteur a été torturé tous les jours. Il était conduit dans une salle d’interrogatoire, où huit policiers le torturaient. Ils l’ont allongé sur une table, les jambes attachées à la table, et l’ont frappé de coups de bâton sur la plante des pieds (falanga). Ils l’ont aussi giflé, l’ont frappé sur la nuque, lui ont fouetté le dos et la taille et lui ont administré des décharges électriques sous les ongles.

2.8Le 6 septembre 2012, il a finalement été accusé d’« atteinte à l’ordre public ». Il a alors pu s’entretenir avec un avocat pour la première fois depuis son arrestation. Le Bureau d’administration du district de Katmandou a ordonné sa remise en liberté sous caution (le montant de la caution a été fixé à 1 000 roupies népalaises (environ 8,60 dollars). L’auteur est resté en détention car ni lui ni sa famille n’avaient les moyens de payer la caution.

2.9Le 8 septembre 2012, comparaissant devant le tribunal de district de Katmandou, l’auteur a expressément déclaré avoir été torturé et a demandé un examen médical. Il a été examiné par un médecin, qui a constaté des écorchures sur son avant-bras, de la fièvre et un état général dépressif. Cependant, aucune enquête n’a été ouverte en vue de déterminer les causes de son état. Le 11 septembre 2012, le grand-père de l’auteur a porté plainte auprès du tribunal de district de Katmandou, déclarant expressément que l’auteur avait été torturé et détenu dans des conditions inhumaines et demandant qu’il soit examiné par un médecin. Un examen médical a certes été réalisé, mais aucune enquête approfondie, diligente, indépendante et impartiale n’a jamais été menée au sujet des allégations de l’auteur. Le même jour, l’auteur a dénoncé auprès de la Commission nationale des droits de l’homme les violations dont il avait fait l’objet, mais cette dernière n’a pris aucune mesure.

2.10Le 30 septembre 2012, l’auteur a été formellement inculpé de vol et traduit devant le tribunal de district de Katmandou qui, constatant qu’il était mineur, a autorisé sa remise en liberté sous caution et fixé le montant de la caution à 10 000 roupies népalaises (environ 86 dollars). N’ayant pas les moyens de payer la caution, non plus que sa famille, l’auteur a été transféré dans un centre pénitentiaire pour mineurs, dans l’attente de l’issue de la procédure. Le 1er octobre 2012, il a été transféré à la maison de correction pour mineurs de Sano Thimi (Bhaktapur). Dans cet établissement, il était détenu dans une cellule surpeuplée, dans laquelle il était forcé de rester presque toute la journée. Il a été libéré le 25 juin 2013, sur décision de la Cour suprême du Népal.

2.11Le 15 octobre 2012, l’oncle de l’auteur a déposé une requête auprès de la préfecture de police de Naxal (Katmandou) dénonçant la torture subie par son neveu. Il n’a jamais reçu de réponse et aucune mesure n’a jamais été prise pour enquêter sur les faits allégués.

2.12Le 21 mai 2013, le représentant légal de l’auteur a déposé une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême du Népal en vue d’obtenir la libération immédiate de l’auteur. Le 25 juin 2013, la Cour suprême a rendu une décision par laquelle elle ordonnait la remise en liberté de l’auteur et dans lequel elle a déclaré que la décision de maintenir un mineur en détention au seul motif qu’il ne pouvait pas payer la caution demandée était illégale et contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant consacré dans les traités internationaux et dans la législation nationale.

2.13Le 1er décembre 2013, le père de l’auteur a déposé une requête auprès du tribunal de district de Katmandou en vertu de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture, portant sur la torture infligée à son fils et sur sa détention illégale, par laquelle il réclamait des réparations et demandait que des poursuites soient engagées contre les responsables. Cependant, le tribunal a refusé ce même jour d’enregistrer la plainte, prétendant qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai de trente‑cinq jours fixé pour signaler un cas de torture.

2.14Le 10 juin 2014, le tribunal de district de Katmandou a reconnu l’auteur coupable de vol d’objets précieux (à savoir, un ordinateur portable) et l’a condamné à une peine d’emprisonnement d’un mois et à une amende de 4 000 roupies népalaises (environ 34,40 dollars). Il a écarté les accusations de vol portant sur d’autres objets. L’auteur étant mineur, la peine a été réduite de moitié en vertu de l’article 113) de la loi relative aux enfants. Compte tenu de ce que l’auteur avait déjà passé neuf mois et dix-neuf jours en détention, le tribunal a considéré qu’il ne serait pas maintenu en détention et qu’il ne paierait pas l’amende. Faute de moyens financiers, l’auteur n’a pas pu faire appel du jugement.

2.15Le 27 août 2015, le représentant légal de l’auteur a voulu faire enregistrer un procès-verbal introductif auprès du commissariat de Katmandou pour déclencher une enquête et des poursuites contre les personnes qui avaient soumis l’auteur mineur au travail forcé. La police a oralement refusé d’enregistrer le procès-verbal, faisant valoir qu’elle n’avait jamais été saisie auparavant de telles plaintes et qu’un tel cas devait être signalé au du Bureau du travail. Le même jour, le représentant de l’auteur a demandé au bureau du préfet de district d’ordonner l’enregistrement par la police du procès-verbal introductif concernant le travail des enfants et le travail forcé, mais le bureau a, lui aussi, refusé oralement de faire enregistrer la plainte, invoquant des raisons similaires. Le 13 septembre 2015, le représentant de l’auteur a tenté de déposer une plainte auprès du Bureau du travail de Katmandou pour demander que les personnes qui avaient soumis l’auteur à la pratique du travail des enfants et au travail forcé soient traduites en justice et demander réparation pour le préjudice subi. Le chef du Bureau du travail a refusé d’enregistrer la plainte, prétendant qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai d’un an prévu par la loi portant interdiction et réglementation du travail des enfants.

2.16Le 24mars 2016, le représentant de l’auteur a déposé deux requêtes auprès de la Cour suprême du Népal, l’une portant sur le travail, notamment le travail forcé auquel l’auteur avait été soumis alors qu’il était un enfant, l’autre sur la torture dont il avait été soumis. Cependant, l’agent de la section des requêtes de la Cour suprême a refusé oralement d’enregistrer ces deux requêtes, arguant qu’elles n’avaient aucune chance d’aboutir. Il a refusé de signifier ce refus par écrit. Le même jour, le représentant de l’auteur a cherché à contester le refus d’enregistrement des deux requêtes auprès du greffier adjoint du service des requêtes de la Cour suprême du Népal, mais celui-ci a lui aussi indiqué qu’aucune des plaintes ne serait enregistrée parce que le délai de prescription était dépassé et a refusé de fournir une copie écrite de sa décision et des raisons qui la motivaient.

2.17Du fait de la torture, des mauvais traitements et des sévices qui lui ont été infligés, l’auteur souffre de séquelles physiques et psychologiques, notamment de troubles du sommeil, de maux de tête incessants, de cauchemars et de dépression.

2.18En ce qui concerne l’épuisement des recours internes disponibles, l’auteur dit que dans son cas, les recours offerts par la législation de l’État partie ne se sont pas révélés utiles. Malgré les tentatives répétées que lui-même et sa famille ont faites depuis septembre 2012 pour obtenir que les responsables des faits de torture, de mauvais traitements, de travail des enfants et de travail forcé qui ont été commis soient dûment poursuivis et sanctionnés et pour se voir accorder une réparation adéquate, les autorités népalaises n’ont offert aucun recours utile. Les autorités népalaises, y compris la Cour suprême du Népal, ont notamment refusé, à plusieurs occasions, d’enregistrer les plaintes déposées par le représentant de l’auteur.

2.19L’auteur affirme qu’à ce jour, les responsables des graves infractions commises à son égard n’ont toujours pas été punis et qu’il n’a obtenu ni indemnisation ni réparation pour les préjudices subis. Il ajoute qu’en raison des lacunes de la législation nationale, il n’a aucune chance d’avoir accès à la justice ou d’obtenir réparation.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les articles 7 et 10, lus conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte, du fait de la torture et des mauvais traitements auxquels on l’a soumis pour tenter de lui faire avouer son implication dans le vol d’or et d’objets précieux et du fait de conditions de détention inhumaines.

3.2L’auteur affirme également qu’il y a eu violation des articles 7 et 10, lus conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1) du Pacte, puisque les autorités de l’État partie n’ont pas mené une enquête approfondie, impartiale, indépendante et effective pour donner suite à ses allégations ni poursuivi et sanctionné les responsables. Il n’a pas obtenu une indemnisation adéquate ni une réparation intégrale pour les préjudices qu’il a subis.

3.3L’auteur soutient en outre qu’il y a eu une violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2), du Pacte, du fait que les autorités de l’État partie n’ont pas adopté les mesures législatives voulues pour donner effet aux droits consacrés par le Pacte et pour éliminer du cadre législatif relatif à la torture les éléments qui sont toujours en contradiction avec les obligations internationales de l’État partie.

3.4L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 9 (par. 1, 3 et 5), lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) et l’article 24 (par. 1) du Pacte car il a fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires. Il n’a pas été informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette dernière, ni été informé dans le plus court délai de l’accusation portée contre lui. Les autorités de l’État partie n’ont pas mené une enquête effective, indépendante, impartiale et approfondie pour donner suite à ses allégations et il n’a pas obtenu la moindre réparation pour les préjudices subis.

3.5L’auteur affirme aussi être victime d’une violation de l’article 14 (par. 2 et 3 a), b) et g)), lu conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte, parce qu’il n’a pas bénéficié des garanties d’un procès équitable, puisqu’il n’a pas été présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ; il n’a pas été informé, dans le plus court délai, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre lui ; il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et n’a pas pu communiquer avec le conseil de son choix. En outre, il a été forcé de témoigner contre lui‑même et à signer des aveux sous la contrainte.

3.6L’auteur affirme en outre être victime d’une violation de l’article 8 (par. 3 a)), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et l’article 24 (par. 1) du Pacte, car les autorités de l’État partie n’ont pas adopté les mesures nécessaires pour empêcher qu’il soit soumis à la pratique du travail des enfants et au travail forcé et pour mener d’office une enquête effective, indépendante, impartiale et approfondie ; elles n’ont pas non plus poursuivi ni sanctionné les responsables, et ne lui ont pas accordé une réparation adéquate pour les préjudices subis. Ces violations sont aggravées du fait que l’auteur était un enfant au moment des faits et, qu’à ce titre, il avait droit à des mesures spéciales de protection, que l’État n’a pas prises.

3.7L’auteur affirme que les enfants autochtones ont de tout temps été marginalisés et victimes de discriminations au Népal. Toutes les violations qu’il dénonce sont donc aggravées par le fait qu’il était à l’époque un jeune garçon autochtone et avait droit, à ce titre, à une protection spéciale de l’État partie en vertu de l’article 24 (par. 1) du Pacte, puisqu’il était exposé au risque de subir des formes croisées de discrimination.

3.8L’auteur demande au Comité d’inviter l’État partie à faire en sorte que l’auteur obtienne une réparation intégrale pour les préjudices subis, couvrant les préjudices matériels et moraux et comprenant des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction, y compris la restauration de sa dignité et de sa réputation, et des garanties de non-répétition.

3.9L’auteur prie également le Comité de demander à l’État partie : a) d’enquêter sur les faits de l’espèce en vue de poursuivre tous les responsables des violations commises contre lui, d’une manière proportionnée à la gravité des infractions, et de suspendre ou démettre de leurs fonctions les policiers soupçonnés de ces violations pendant la durée de l’enquête ; b) de veiller à ce que qu’il reçoive des soins médicaux et psychologiques à titre gratuit ; c) de lui accorder une indemnité pour frais d’études au cas où il souhaiterait poursuivre des études techniques ou universitaires ; d) de reconnaître la responsabilité internationale du Népal et de lui présenter des excuses officielles lors d’une cérémonie publique ; e) de veiller à ce qu’il obtienne sans tarder une réparation juste et suffisante, proportionnée à la gravité des violations dont il a été victime, notamment pour les préjudices physiques, psychiques et moraux subis et les possibilités perdues en matière d’emploi et d’éducation ; f) de préciser quelles sont les autorités internes expressément chargées de mettre en œuvre chaque mesure de réparation ; g) de traduire en népalais les constatations du Comité et de les publier au Journal officiel.

3.10L’auteur demande en outre au Comité d’inviter l’État partie à prendre les mesures d’ordre général ci-après, en tant que garanties de non-répétition : a) ériger la torture en infraction pénale conformément à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; b) modifier la législation prévoyant un délai abusivement restrictif de trente-cinq jours pour signaler les faits de torture ; c) rendre obligatoire la présentation d’un mandat d’arrêt au moment de l’arrestation, avec indication des motifs de l’arrestation ; d) mettre en place des programmes éducatifs sur le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire à l’intention de tous les membres de la police népalaise et de la magistrature et de toutes les personnes susceptibles d’être impliquées dans la garde et/ou le traitement de personnes privées de liberté ; e) prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les détenus aient accès, dans tous les centres de détention du pays, à une alimentation, des soins médicaux et des conditions d’hygiène suffisants, conformément aux normes internationales.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des observations en date du 18 septembre 2017, l’État partie affirme que les allégations de l’auteur « ne reposent pas sur des faits ni sur la réalité ».

4.2L’État partie dit que la fille de l’employeur de l’auteur a déposé contre ce dernier un procès-verbal introductif pour vol de plusieurs d’objets précieux qui lui appartenaient et que l’auteur a alors été arrêté légalement par la police de Ratnapark, à Katmandou. L’État partie déclare que l’auteur a reconnu sa culpabilité dans les déclarations qu’il a faites devant le Procureur général, avouant en particulier avoir reçu de son voisin 2 000 roupies népalaises (environ 17,20 dollars) en échange des biens volés.

4.3L’État partie réfute toute allégation selon laquelle des actes de torture ont été commis pendant l’enquête policière sur l’affaire. Il souligne que dès que l’auteur a signalé qu’il avait été torturé et a demandé à être examiné par un médecin, le tribunal de district de Katmandou, qui jugeait l’affaire de vol dont il était accusé, a ordonné un examen médical, lequel a été effectué par le département de médecine légale de l’hôpital universitaire Tribhuvan, à Maharajgunj. Le rapport d’expertise du 13 septembre 2012 n’a pas fait apparaître qu’il y ait eu une quelconque agression physique ou lésion suspecte et il n’y a été fait état d’aucune morbidité psychiatrique notable. Le rapport médical présenté devant le tribunal de district ne comportant pas d’élément montrant qu’il y ait eu un quelconque acte de torture commis contre l’auteur, le tribunal n’a donc pris aucune décision au sujet des allégations de torture. L’État partie affirme que si l’auteur n’était pas satisfait de la décision du tribunal de district, il aurait dû se pourvoir devant la cour d’appel de Patan. Or il n’a pas fait appel de la décision du tribunal de district de Katmandou. L’État partie déclare que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles et que, par conséquent, la communication est irrecevable.

4.4L’État partie indique que l’auteur a dans un premier temps été placé dans une maison de correction pour mineurs sur ordre du tribunal de district de Katmandou, puis remis en liberté sur ordre de la Cour suprême du Népal. La Cour suprême a invoqué les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’observation générale no 10 (2007) du Comité des droits de l’enfant sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour mineurs. Elle a en outre déclaré que les dispositions du préambule de la loi de 1992 relative aux enfants imposaient à l’État l’obligation juridique de protéger le développement physique, psychique et intellectuel des enfants et que, par conséquent, il n’était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant accusé d’être placé dans une maison de correction pour mineurs. L’État partie ajoute que le tribunal de district a ensuite reconnu l’auteur coupable de vol d’un ordinateur portable et d’autres objets et l’a condamné à un mois d’emprisonnement et à une amende de 4 000 roupies népalaises (environ 34,40 dollars). Il indique que la peine de prison et le montant de l’amende ont été réduits, en application du paragraphe 3 de l’article 11 de la loi de 1992 relative aux enfants.

4.5L’État partie note d’autre part que, bien que le tribunal de district de Katmandou ait déjà examiné l’allégation de torture lorsqu’il s’est prononcé sur l’affaire de vol, l’auteur a déposé une plainte distincte pour torture et réclamé réparation devant le tribunal de district après expiration du délai prévu à cet effet. Le tribunal a refusé d’enregistrer cette plainte en vertu de l’article 5 de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture, qui dispose qu’une victime peut déposer une requête en réparation dans un délai de trente-cinq jours à compter de la date à laquelle elle a été torturée ou remise en liberté, et il a décidé que la plainte était irrecevable au regard du paragraphe 3 de l’article 15 de son règlement intérieur.

4.6L’État partie souligne que « s’agissant de l’indemnisation réclamée à l’employeur », l’auteur n’a pas exercé le recours avant l’expiration du délai de l’action pénale. La plainte qu’il a déposée auprès du Bureau du travail n’a pas été enregistrée car le délai établi par le paragraphe 2 de l’article 20 de la loi sur le travail des enfants, qui est d’un an à compter de la date de la commission de l’infraction, était expiré. L’État partie fait observer que l’auteur avait le droit de porter plainte pour atteinte à cette loi. Il souligne que les recours dont disposait l’auteur n’étaient pas épuisés après le refus d’enregistrement de sa plainte. L’auteur aurait pu se pourvoir contre ce refus auprès du tribunal du travail, puis invoquer la compétence extraordinaire de la Cour suprême.

4.7S’agissant des requêtes déposées par l’auteur devant la Cour suprême pour actes de torture et au titre de la loi sur le travail des enfants, l’État partie dit qu’il est très difficile de croire que l’agent de la section des requêtes et le secrétaire adjoint de la Cour suprême aient refusé d’enregistrer ces requêtes. Il fait observer que si l’auteur avait véritablement voulu saisir la Cour suprême, il aurait pu tout d’abord s’adresser au greffier et, si celui-ci lui avait opposé un refus, recourir contre ce refus devant la Cour suprême, conformément au paragraphe 3 de l’article 27 du Règlement intérieur de la Cour.

4.8Selon l’État partie, après examen approfondi des documents soumis par l’auteur dans la présente communication, rien n’indique que l’auteur ait suivi les procédures judiciaires établies. Le processus judiciaire au Népal est indépendant, systématique, solide et institutionnalisé. L’État partie fait valoir qu’au Népal, il existe des procédures appropriées et adéquates pour dire le droit et rendre la justice et que l’auteur n’a suivi aucune de ces procédures. L’État partie affirme que la saisine du Comité des droits de l’homme en dernier ressort, alors que les recours internes n’ont pas été épuisés, constitue un abus de la procédure de plainte prévue par le Protocole facultatif, et, par conséquent, que la communication est irrecevable.

4.9L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours judiciaires disponibles dans le pays. Il affirme que l’allégation de l’auteur concernant le refus d’enregistrement de ses plaintes ne repose pas sur des faits ni sur la réalité. L’État partie répète que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles dans les délais et qu’il donne l’impression d’avoir recherché la juridiction qui lui serait le plus favorable. Par conséquent, l’État partie déclare que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.10En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie considère que, comme l’auteur n’a pas épuisé dans les délais tous les recours disponibles, toutes ses allégations devraient être rejetées.

4.11L’État partie indique qu’il existe au Népal plusieurs textes juridiques permettant de protéger les enfants de la torture et des mauvais traitements. Il cite en particulier : a) l’article 4 de la loi sur le travail des enfants, qui dispose que nul ne peut faire travailler un enfant contre son gré en usant de la persuasion ou de déclarations trompeuses ou en le soumettant à des influences ou à des menaces quelles qu’elles soient, ou par la contrainte ou d’autres moyens ; b) l’article 14 de la loi sur les affaires dans lesquelles l’État est partie poursuivante, qui dispose que les membres de la police qui enquêtent sur une infraction peuvent arrêter une personne s’il existe un motif raisonnable de suspecter qu’elle a participé à l’infraction et doivent informer l’intéressé de la raison de son arrestation ; c) le projet de loi relatif à la torture et aux traitements cruels, inhumains ou dégradants, actuellement examiné par le Parlement, qui vise à modifier le Code pénal national, qui érige la torture en infraction passible de peines conformément à la Convention contre la torture et qui dispose que les auteurs d’actes de torture sont punis d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement ou/et d’une peine d’amende de 50 000 roupies népalaises (environ 500 dollars) et que les victimes ont le droit d’être indemnisées à concurrence de 500 000 roupies népalaises (environ 5 000 dollars).

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des commentaires en date du 9 novembre 2017, l’auteur relève qu’il a fallu plus d’un an à l’État partie pour faire part de ses observations sur la communication à l’examen, ce qui montre, là encore, l’indifférence du Népal vis-à-vis des vives souffrances qu’il a endurées.

5.2S’agissant de l’argument de l’État partie concernant le non-épuisement des recours internes, l’auteur rappelle que le Comité a clairement établi que les recours internes doivent être épuisés dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à l’auteur et ont objectivement une chance d’aboutir. L’auteur affirme qu’aucune des voies de recours invoquées par l’État partie dans ses observations ne satisfait à ces conditions. Il déclare que tous les recours qu’il a exercés pour obtenir justice et réparation se sont avérés inutiles.

5.3L’auteur répète qu’en effet, comme l’a indiqué l’État partie, il n’a pas fait appel de la décision du tribunal de district de Katmandou qui a conclu qu’il ne devait pas être maintenu en détention ni payer d’amende. Il fait valoir que lui-même et sa famille n’avaient pas les moyens financiers de faire appel à cause de leur indigence, attestée par le fait qu’ils n’avaient même pas pu verser la caution demandée pour sa remise en liberté. L’auteur fait référence à l’avis consultatif OC-11/90 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans lequel celle-ci a indiqué que si une personne qui souhaite demander la protection de la loi pour faire valoir des droits conclut que sa situation financière l’en empêche parce qu’elle n’a pas les moyens de payer un défenseur ou les coûts de procédure, elle fait l’objet d’une discrimination du fait de sa situation financière et, par conséquent, elle ne bénéficie pas d’une égalité de protection de la loi. La Cour a mis en relief que tout État qui ne met pas gratuitement un défenseur à la disposition des indigents ne peut donc pas, par la suite, faire valoir que des voies de recours internes adéquates existent mais qu’elles n’ont pas été épuisées. Elle a conclu que s’il peut être prouvé qu’un indigent a, en droit ou dans les faits, besoin de conseils juridiques pour protéger réellement un droit et que son indigence l’empêche d’obtenir ces conseils, il n’est pas nécessaire qu’il épuise les recours internes. De plus, l’auteur fait valoir qu’un recours contre la décision du tribunal de district n’aurait pas conduit à l’ouverture d’une enquête sur ses allégations de torture et de travail forcé ni à une réparation des préjudices subis. Il affirme qu’en l’espèce, un tel recours était ineffectif.

5.4L’auteur dit que c’est seulement en 2015 qu’il a pu dénoncer le travail forcé auquel il a été soumis et demander réparation. Il affirme qu’il ne pouvait pas le faire avant. Il a d’abord été soumis au travail forcé et à des violences physiques et psychologiques jusqu’en juillet 2012, date à laquelle il s’est enfui et est rentré dans son village. Ensuite, en août 2012, il a été arbitrairement privé de sa liberté et, lorsqu’il a été libéré, le délai pour porter plainte, abusivement limité à un an par la loi sur le travail des enfants, avait expiré, le privant de recours utile. L’auteur répète que, compte tenu de l’extrême gravité des infractions que sont la soumission d’un enfant au travail et le travail forcé, un délai d’un an pour porter plainte rend ce recours inutile. Il ajoute qu’il a vécu de nombreuses années dans la peur et l’indigence, sans pouvoir recourir aux services gratuits d’un avocat qualifié (jusqu’à ce que l’organisation non gouvernementale TRIAL International soit informée de son cas et accepte de prendre en charge les frais de justice internes).

5.5L’auteur fait remarquer que dans ses observations, l’État partie omet de mentionner qu’avant de tenter de déposer une plainte auprès du Bureau du travail, qui a refusé d’enregistrer ladite plainte, il avait cherché, le 27 août 2015, à faire enregistrer par la police un procès-verbal introductif afin de déclencher une enquête sur son affaire et des poursuites contre les personnes qui l’avaient soumis à la pratique du travail des enfants et au travail forcé. La police ayant refusé d’enregistrer ce procès-verbal introductif, il a saisi le jour même le bureau du préfet de district d’une plainte afin d’obtenir cet enregistrement, mais le bureau a lui aussi refusé d’enregistrer sa plainte. L’auteur rappelle en outre qu’il a également tenté d’invoquer, en septembre 2017, la compétence extraordinaire de la Cour suprême, mais que ce moyen n’a pas non plus constitué un recours utile.

5.6S’agissant de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur a déposé sa demande de réparation pour torture après l’expiration du délai de prescription de l’action pénale, qui est de trente-cinq jours, l’auteur rappelle que le Comité a lui-même considéré que ce délai était en soi incompatible avec la gravité de l’infraction, et il demande au Comité d’appliquer en l’espèce sa jurisprudence bien établie.

5.7L’auteur constate que l’État partie ne conteste d’aucune façon le fait que les autorités népalaises concernées n’ont jamais enquêté sur ses allégations de torture, après toutes les tentatives qu’il a faites pour qu’une enquête soit ouverte et des poursuites intentées contre les responsables.

5.8L’auteur relève que l’État partie estime qu’il est « difficile de croire » que la Cour suprême ait refusé d’enregistrer ses plaintes, et il est profondément troublé de constater qu’il laisse aussi entendre que ses allégations sont « fausses ». L’auteur rappelle qu’il a fourni, à l’appui de sa communication, des copies des requêtes qu’il avait voulu faire enregistrer auprès de la Cour suprême, et qu’il a aussi indiqué l’identité des membres de la Cour suprême qui avaient refusé de les enregistrer. Au lieu d’insinuer purement et simplement que ses allégations étaient fausses, le Népal aurait dû les réfuter par de solides arguments, expliquer pourquoi les membres en question avaient refusé d’enregistrer ses plaintes et, s’il y avait lieu, ouvrir une enquête à cet égard. L’auteur fait observer qu’il incombe à l’État partie d’offrir un recours utile et que, en l’espèce, le dépôt d’une requête auprès de la Cour suprême s’est révélé impossible, et donc ineffectif. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il aurait pu saisir la Cour suprême d’un recoure contre la décision du greffier, conformément au paragraphe 3 de l’article 27 du Règlement intérieur de la Cour, l’auteur fait observer que : a) cet article dispose que « le greffier indique par écrit la raison pour laquelle il refuse d’enregistrer la requête » mais n’évoque pas la possibilité d’un recours ; b) en dépit de ses demandes, il n’a jamais pu obtenir par écrit les motifs du refus d’enregistrement de sa requête. Par conséquent, il ne voyait pas comment il aurait pu passer outre le refus oral du greffier et du secrétaire adjoint de la Cour suprême de faire entendre sa cause, et il a été privé de tout recours utile.

5.9S’agissant du fond de la communication, l’auteur relève que l’État partie prétend que ses allégations ne reposent ni sur des faits, ni sur la réalité. Or il fait valoir que le Népal a seulement contesté son affirmation selon laquelle il avait été soumis à la torture et que, par conséquent, tous les autres faits sont incontestés et devraient être considérés comme tels par le Comité.

5.10L’auteur affirme que ce que dit l’État partie de ses allégations de torture est inexact. Il souligne que la teneur du rapport de l’examen médical effectué par le département de médecine de l’hôpital universitaire Tribhuvan diffère des affirmations de l’État partie selon lesquelles il «n’a pas été fait état de morbidité psychiatrique notable» dans ce rapport et que celui-ci ne «comportait pas d’élément montrant qu’il y ait eu un quelconque acte de torture commis contre [lui]». Il souligne que le rapport médical attestait qu’il avait des écorchures sur son avant-bras droit, de la fièvre et qu’il était dans un état général dépressif.

5.11L’auteur relève que l’État partie ne conteste pas son affirmation selon laquelle les autorités qui ont été informées de ses allégations de torture n’ont pas ouvert d’enquête. Le Népal reconnaît donc qu’aucune enquête n’a été menée pour donner suite à ses allégations de torture et demande au Comité de déclarer une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1) du Pacte.

5.12L’auteur note avec satisfaction que le Parlement népalais a adopté un nouveau code pénal national qui érige la torture en infraction passible de peines. Il relève toutefois qu’au moment de soumettre ses commentaires ce nouveau code n’était pas entré en vigueur et que celui-ci n’a pas d’effet rétroactif et ne peut donc pas être pris en compte s’agissant de son affaire. L’auteur fait observer que le fait que le Népal s’apprête à faire appliquer un nouveau code pénal ne fait que prouver ce qu’il dit, à savoir qu’il n’existe pas au Népal de cadre législatif approprié pour combattre la torture, d’où une violation de l’article 7 du Pacte, lu isolément et conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte. L’auteur ajoute que la peine maximale d’emprisonnement de cinq ans et/ou d’amende de 500 dollars pour une personne reconnue coupable de torture, peine prévue par le nouveau Code pénal, ne saurait être considérée comme proportionnée à la gravité de l’infraction et, par conséquent, demeure contraire au droit international et aux normes internationales.

5.13Enfin, l’auteur reprend ses arguments concernant la recevabilité et le fond de la communication et rappelle les mesures de réparation qu’il demande, lesquelles constitueraient des orientations pour l’État partie et renforceraient le degré d’application des constatations qui seront adoptées en l’espèce par le Comité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les recours internes n’ont pas été épuisés car : a) l’auteur n’a pas fait appel de la décision du tribunal de district de Katmandou ; b) l’auteur n’a pas respecté le délai légal fixé pour le dépôt de ses plaintes pour torture, soumission d’enfant au travail et travail forcé ; c) il est « difficile de croire » l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’enregistrement de ses requêtes devant la Cour suprême a purement et simplement été refusé, et celle-ci « ne repose ni sur des faits ni sur la réalité ».

6.4Le Comité note d’un autre côté que l’auteur prétend que les recours offerts par la législation de l’État partie n’étaient ni utiles ni disponibles dans son cas et n’avaient aucune chance d’aboutir puisque, malgré ses tentatives répétées pour saisir la justice et demander réparation pour torture, soumission d’enfant au travail et travail forcé, les autorités népalaises ont tout simplement refusé ne serait-ce que d’enregistrer ses plaintes.

6.5Le Comité prend note en particulier du grief de l’auteur selon lequel il n’a pas pu faire appel de la décision du tribunal de district de Katmandou en date du 10 juin 2014, par laquelle le tribunal a conclu qu’il ne devait pas être maintenu en détention ni payer d’amende et qu’il n’avait pas demandé l’ouverture d’une enquête sur ses allégations de torture parce qu’il n’avait pas les moyens de se faire assister d’un avocat et de payer les frais liés à la procédure. Le Comité rappelle qu’en principe des considérations d’ordre financier ordinaires et des doutes non étayés quant à l’efficacité d’un recours interne ne dispensent pas automatiquement les auteurs d’épuiser les voies de recours. Notant toutefois qu’en l’espèce, l’auteur et sa famille n’avaient déjà pas les moyens de payer le montant de la caution fixé par le tribunal de district de Katmandou dans sa décision du 30 septembre 2012, raison pour laquelle il avait été envoyé dans une maison de correction pour mineurs, le Comité ne pense pas qu’il s’agisse de considérations d’ordre financier ordinaires. Selon lui, l’auteur a montré que la formation d’un pourvoi contre la décision du 10 juin 2014 aurait entraîné pour lui une charge financière trop lourde compte tenu de sa situation économique et qu’il n’a pas bénéficié des services gratuits d’un avocat pour exercer et épuiser ce recours, ce qui rendait celui-ci indisponible, et ce, alors même qu’il était mineur à ce moment-là et méritait une protection spéciale de l’État partie.

6.6Le Comité note aussi que l’auteur : a) a soulevé ses griefs de torture devant le tribunal de district de Katmandou sans qu’aucune enquête s’ensuive ; b) a porté plainte pour torture auprès de la police de Naxal sans qu’aucune réponse ne soit donnée ni aucune mesure prise ; c) a déposé, en vertu de la loi sur l’indemnisation des victimes de torture, une requête en réparation qui a été rejetée pour non-respect du délai de prescription de l’action pénale, fixé à trente-cinq jours ; d) a tenté de déposer un procès-verbal introductif auprès du commissariat de police de Katmandou et auprès du préfet de district pour avoir été soumis à la pratique du travail des enfants et au travail forcé, dont l’enregistrement lui a été refusé, et a recouru contre ce refus auprès du préfet de district, recours qui a également été rejeté ; e) a tenté de déposer, en vertu de la loi sur le travail des enfants, une requête en réparation auprès du Bureau du travail de Katmandou, ce qui lui a été refusé pour non‑respect du délai d’un an ; f) a tenté de faire enregistrer deux requêtes auprès de la Cour suprême, qui ont toutes deux été rejetées oralement pour cause de soumission tardive, sans qu’un refus écrit ne lui soit signifié. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un délai de prescription de trente-cinq jours fixé pour demander réparation pour des faits de torture est excessivement court et sans commune mesure avec la gravité et la nature de l’infraction. Le Comité prend note de ce que l’auteur ne conteste pas qu’il n’a pas pu porter plainte dans le délai prescrit d’un an pour avoir été soumis à la pratique du travail des enfants et au travail forcé étant donné qu’à l’époque, outre qu’il était mineur, il avait, après avoir subi des violences physiques et psychologiques puis s’être enfui, été arbitrairement placé en détention et que, lorsqu’il avait été libéré, une année s’était déjà écoulée. L’auteur a aussi fait valoir qu’il avait vécu de nombreuses années dans la peur et l’indigence et sans pouvoir bénéficier de l’assistance gratuite d’un avocat qualifié. Ces facteurs l’ont empêché de chercher à obtenir de l’aide. Le Comité note ensuite que l’auteur a fourni des copies de ses requêtes à la Cour suprême et que l’État partie n’a pas sérieusement contesté que celui‑ci n’avait pas reçu notification écrite du refus de la Cour suprême d’enregistrer ses requêtes. Par conséquent, sachant que l’auteur a tenté à plusieurs reprises d’accéder à la justice et d’obtenir justice, et compte tenu des limitations juridiques et pratiques auxquelles il s’est heurté dans l’État partie quand il a tenté de déposer des requêtes tendant à demander l’ouverture d’une enquête pour les faits de torture et de travail des enfants et travail forcé dont il a été victime et d’obtenir réparation, ainsi que des obstacles qu’il a rencontrés pour faire enregistrer ces requêtes auprès de la Cour suprême, le Comité considère que les recours en question n’étaient ni utiles ni ouverts à l’auteur.

6.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.8Le Comité prend note également de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de présenter une communication (voir par. 4.8 ci-dessus). Il fait cependant observer que le simple fait que l’État partie et l’auteur soient en désaccord sur certains faits et sur l’application du droit ne constitue pas en soi un abus du droit de déposer une communication. En l’absence de toute autre information au dossier, le Comité considère que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte, le Comité constate qu’ils sont insuffisamment étayés et qu’ils se fondent sur l’absence de garanties pendant sa détention et avant tout procès. Le Comité considère donc que ces griefs devraient être examinés au regard de l’article 9 du Pacte.

6.10Tous les autres critères de recevabilité ayant été satisfaits, le Comité déclare la communication recevable s’agissant des violations des articles 2 (par. 3), 7, 8, 9, 10 et 24 (par. 1) du Pacte qui y sont dénoncées, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, à savoir que pendant qu’il était détenu et interrogé par la police, alors qu’il était âgé de 14 ans, il a été soumis à des actes de torture : on l’a notamment frappé à coups de poings sur tout le corps, on lui a assené des coups de tuyau en plastique sur la plante des pieds (falanga) et administré des décharges électriques sous les ongles, et il a été détenu dans des conditions inhumaines marquées par le surpeuplement, l’absence de soins médicaux et une hygiène et une alimentation de piètre qualité. Le Comité note que l’État partie nie que l’auteur ait été torturé en arguant seulement que le rapport médico-légal du 13 septembre 2012 produit devant le tribunal de district de Katmandou ne faisait état d’aucune espèce d’agression physique ou de lésion et ne révélait pas de morbidité psychiatrique notable, raison pour laquelle le tribunal n’avait pas donné suite aux allégations de torture. Le Comité note toutefois aussi que l’auteur a donné une description crédible des tortures subies et fourni une copie du rapport médico-légal en question, qui fait état d’écorchures sur son avant-bras, de fièvre et d’un état général dépressif. Par conséquent,le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte.

7.3À la lumière de ce qui précède, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 10 du Pacte.

7.4Le Comité prend note du grief de l’auteur concernant le fait que les autorités de l’État partie n’ont pas mené une enquête approfondie, impartiale, indépendante et effective sur ses allégations de torture. Il relève que l’État partie n’a pas contesté les allégations de l’auteur selon lesquelles le tribunal de district de Katmandou et la préfecture de police de Naxal n’avaient pas ouvert d’enquête sur ses plaintes pour torture. Le Comité considère que l’État partie n’a donné aucune explication pour réfuter les affirmations de l’auteur, ni mené les enquêtes nécessaires pour donner suite à ses allégations de torture.

7.5Le Comité prend note du grief de l’auteur concernant le fait que l’État partie n’a pas adopté les mesures législatives nécessaires pour donner effet aux droits consacrés dans le Pacte et remédier aux lacunes de son cadre législatif relatif à la torture. Il prend note aussi de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le délai de prescription de trente-cinq jours prévu par la législation nationale, qui l’a empêché de déposer sa demande de réparation pour torture, n’est pas proportionné à la gravité de l’infraction. Le Comité note, d’autre part, que les motifs invoqués par les autorités népalaises pour refuser d’enregistrer les plaintes de l’auteur se fondaient sur ce même délai de prescription de trente-cinq jours. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un délai de prescription aussi court en cas de violations aussi graves est sans commune mesure avec la gravité et la nature de l’infraction. Le Comité note aussi que, au moment où il a soumis ses observations, l’État partie a indiqué qu’il allait modifier sa législation relative à la torture afin d’ériger la torture en infraction passible de peines (voir par. 4.11 ci-dessus) ; il relève également qu’en 2018, l’État partie a modifié son Code pénal, notamment l’article 167 concernant l’incrimination et la définition de la torture, établissant, pour le dépôt des plaintes relatives à des faits de torture, un délai de prescription de six mois à compter du jour de la commission des actes de torture ou, si la personne était privée de liberté, du jour où elle a été libérée, et punissant ces actes d’une peine maximale d’emprisonnement de cinq ans et/ou d’une amende de 500 dollars. Le Comité considère que ces nouvelles dispositions n’ayant pas d’effet rétroactif, elles ne sont donc pas pertinentes dans le cas de l’auteur, et que le nouveau délai de prescription et les sanctions imposées en cas de torture ne sont toujours pas proportionnés à la gravité de l’infraction.

7.6Eu égard à ce qui précède, le Comité conclut que le fait que l’État partie n’ait pas mené d’enquête pour donner suite aux allégations de torture formulée par l’auteur, compte tenu en particulier de ce qu’il s’agissait d’un enfant, et le fait que le délai de prescription de l’action pénale en réparation pour des actes de torture fixé par la loi népalaise en vigueur au moment des faits a empêché l’auteur d’accéder à un recours utile, ont tous deux violé les droits que l’auteur tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et 24 (par. 1) du Pacte.

7.7Ayant constaté une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par.1) du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs de l’auteur dénonçant une violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2) du Pacte.

7.8Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, à savoir qu’il a fait l’objet d’une arrestation et d’une détention arbitraires quand il était mineur et qu’il n’a pas été informé, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci, ni informé sans délai de l’accusation portée contre lui. L’auteur a affirmé également qu’il avait été privé de liberté du 14 août au 6 septembre 2012 sans être informé des faits qui lui étaient reprochés ni pouvoir communiquer avec un conseil jusqu’à cette dernière date. L’État partie a simplement déclaré que l’arrestation de l’auteur s’est faite dans le respect des garanties juridiques, sans fournir d’autres précisions ou d’éléments à l’appui. Le Comité considère que l’auteur a présenté une description cohérente et détaillée des faits relatifs à son arrestation et à sa privation de liberté, qui n’a pas été contestée par l’État partie. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte.

7.9Compte tenu de cette dernière conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 9, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

7.10Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles entre 2010, lorsqu’il avait 14 ans, et 2012, il a été forcé de travailler comme domestique pour une famille de Katmandou tous les jours de 4 heures du matin à 10 heures du soir. Il a ainsi passé près de deux ans à s’occuper de la cuisine, du ménage, de l’entretien de la maison, des courses et de la lessive pour toute la famille, à accueillir les visiteurs et à faire des massages de pieds, sans être autorisé à aller à l’école et sans être du tout rémunéré. L’auteur dit aussi qu’il a été soumis par la famille à des violences psychologiques et physiques jusqu’à ce qu’il décide de s’enfuir, en juillet 2012.

7.11Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’office une enquête effective, indépendante, impartiale et approfondie sur les faits qu’il dénonce, ni poursuivi ni puni les responsables, et qu’elles ne lui ont pas accordé une réparation adéquate pour les préjudices subis. Le Comité constate également que l’État partie n’a pas contesté les allégations de l’auteur selon lesquelles la police et le préfet de district ont refusé d’enregistrer des procès-verbaux introductifs qui auraient permis de déclencher une enquête et des poursuites à l’égard des personnes qui l’avaient soumis à la pratique du travail des enfants et au travail forcé. Il observe en outre que l’État partie n’a toujours pas mené d’enquête sur ses allégations concernant de telles pratiques. Le Comité est d’avis que l’auteur a présenté une description crédible des faits quant à ce à quoi il été soumis quand il était domestique et à l’impossibilité pour lui d’aller à l’école dans ces circonstances. Par conséquent, le Comité considère que le fait que l’État partie n’a pas protégé de ces abus l’auteur, âgé à l’époque de 14 ans, ni mené la moindre enquête pour donner suite à ses allégations, sachant en particulier qu’il était un enfant, constitue une violation des droits garantis à l’article 8 (par. 3), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24, (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie de l’article 7, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1), de l’article 8 (par. 3), lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1) et de l’article 9, lu seul et conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a notamment l’obligation d’accorder une réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a)d’enquêter sur les faits en cause et de veiller à ce que les responsables soient sanctionnés d’une manière proportionnée à la gravité des infractions et, si nécessaire, de suspendre ou de démettre de leurs fonctions les policiers soupçonnés de ces infractions pendant la durée de l’enquête ; b)de dispenser gratuitement des soins médicaux et psychologiques, si nécessaire ; c)d’offrir à l’auteur une réparation effective et de prendre en sa faveur des mesures de satisfaction appropriées pour les violations subies, notamment de lui fournir un soutien éducatif, selon qu’il convient ; d)de faire en sorte que l’auteur obtienne sans délai une réparation juste et adéquate, proportionnée à la gravité des violations subies, y compris la fourniture d’un soutien éducatif, selon qu’il convient ; e)d’indiquer quelles sont les autorités nationales expressément chargées de mettre en œuvre chacune des mesures de réparation. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. Il devrait en particulier veiller à l’élimination des obstacles juridiques, pratiques et administratifs qui empêchent les victimes de torture et les personnes soumises à la pratique du travail des enfants et au travail forcé de déposer des plaintes et d’obtenir l’ouverture d’enquêtes à leur sujet, ainsi que d’accéder effectivement à la justice et à des réparations, y compris en modifiant sa législation et les délais de prescriptions afin de les rendre conformes aux normes internationales et en incriminant la torture et l’esclavage en prévoyant des peines et des réparations qui soient proportionnées à la gravité de ces infractions et conformes aux obligations que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion conjointe (concordante) de Tania María Abdo Rocholl, Arif Bulkan, Hernán Quezada Cabrera et Hélène Trigroudja

1.La présente opinion ne porte pas sur la décision du Comité sur le fond, que nous appuyons pleinement, mais sur les réparations accordées à l’auteur, qui a été victime de graves violations du Pacte lorsqu’il était un enfant. Dans sa demande de réparations, l’auteur a demandé, entre autres, « des excuses officielles … présentées lors d’une cérémonie publique » (voir le paragraphe 3.9). Cependant, le Comité, à la majorité de ses membres, a accordé certaines des mesures demandées, mais a refusé d’ordonner à l’État partie de présenter des excuses publiques à l’auteur. Notre désaccord porte sur ce refus, car, en l’espèce, nous considérons que des excuses publiques sont pleinement justifiées, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

2.Nous rappelons d’emblée que les excuses publiques ont été reconnues par l’Assemblée générale comme une mesure de réparation efficace, nécessaire et complémentaire dans les cas de violations graves et massives des droits de l’homme. Fait plus important encore, les excuses publiques sont également prévues par les Directives concernant les mesures de réparation demandées en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques adoptées par le Comité des droits de l’homme en 2016, qui prévoient aussi que lorsqu’il décide de mesures de réparation, le Comité devrait prendre en considération la position des parties (CCPR/C/158, par. 4). Nous soulignons que, dans la communication, l’auteur a expressément demandé des excuses publiques, demande que l’État partie n’a pas contestée et à laquelle il n’a pas répondu de quelque autre manière. En outre, il est indiqué dans les Directives que le Comité peut demander aux États parties de présenter des excuses publiques, en particulier dans les cas de violations graves ou systématiques, lorsque le préjudice ne peut pas être intégralement réparé par de seules mesures de restitution ou d’indemnisation (par. 11 e)). Il est à noter que l’énumération des critères proposés n’est pas cumulative, mais disjonctive.

3.Ordonner la présentation d’excuses est une mesure de réparation qui existe de longue date et qui ne prête pas à controverse dans le système interaméricain des droits de l’homme. Cette mesure est motivée par un certain nombre de raisons qui servent des fins à la fois symboliques et pratiques. Lorsque la violation des droits de l’homme est commise à grande échelle, des mesures individuelles peuvent être difficiles, voire impossibles à prendre ; en pareilles circonstances, des excuses publiques peuvent contribuer à remédier à des préjudices collectifs. Plus encore, étant donné que certaines violations des droits de l’homme peuvent entraîner des pertes qui ne peuvent être quantifiées et donc réparées par une simple compensation monétaire, des excuses pourraient être le moyen le plus efficace, sinon le seul, d’apaiser le chagrin, la douleur et la colère ressentis par les victimes. Ces considérations ont incontestablement orienté les lignes directrices sur les mesures de réparation, dans lesquelles le Comité a expressément indiqué qu’il considérait que des excuses étaient opportunes dans les cas de violations graves ou systématiques, lorsque le préjudice ne pouvait pas être intégralement réparé par de seules mesures de restitution ou d’indemnisation. Comme nous le montrons ci-après, les faits de l’espèce remplissent le critère de la violation grave comme celui de la violation systématique.

4.En l’espèce, le critère de la gravité est rempli pour trois raisons. Tout d’abord, l’auteur était un enfant lorsqu’il a été torturé et maltraité par des agents de l’État. Il était également un enfant lorsqu’il a été victime de travail forcé. Bien que ces faits aient été commis par des particuliers, le Comité a estimé que l’État n’avait pas empêché cette grave violation et n’en avait pas protégé l’auteur, et qu’il en était donc lui-même comptable. En outre, en vertu de l’article 24 du Pacte, l’État a l’obligation particulière de protéger les droits des enfants, obligation que justifie l’extrême vulnérabilité des enfants, en particulier quand, comme c’est le cas en l’espèce, ils vivent dans des situations d’extrême pauvreté. Le deuxième facteur de gravité est le fait que les autorités de l’État n’ont ouvert aucune enquête et n’ont pas sanctionné les responsables des violations des droits absolus protégés par les articles 7 et 8 du Pacte qui ont été commises. Comme cela a été décrit dans la communication, et comme l’a souligné le Comité, malgré la tentative de la famille de l’auteur de porter plainte pour les actes de torture commis par des policiers et pour le travail forcé auquel celui-ci a été soumis par des particuliers, les autorités judiciaires ont systématiquement refusé de mener toute enquête sur les faits. Le troisième facteur de gravité est le fait que le délai de prescription de l’action en réparation pour ces infractions est contraire à l’obligation qu’a l’État de lutter contre l’impunité, en particulier en ce qui concerne des violations aussi graves, comme l’a estimé le Comité (voir par. 7.5 et 7.6).

5.S’agissant de l’autre critère énoncé dans les lignes directrices sur les mesures de réparation, plusieurs éléments indiquent que les violations subies par l’auteur constituent un problème systématique dans l’État partie. Le Comité des droits de l’homme (CCPR/C/NPL/CO/2, par. 10 et 11) et le Comité contre la torture (A/67/44, annexe XIII) ont tous deux, dans leurs observations finales sur les rapports périodiques de l’État partie, exprimé de vives préoccupations quant aux allégations de recours généralisé à la torture, au climat d’impunité qui règne en ce qui concerne les actes de torture et à l’absence dans le droit interne de disposition réprimant la torture. Le Comité des droits de l’homme s’est également déclaré préoccupé par le fait que le travail des enfants et les pratiques traditionnelles de servitude pour dettes sont encore répandus dans certaines régions de l’État partie (CCPR/C/NPL/CO/2, par. 18). Malgré ces exhortations répétées de divers organes conventionnels, et bien que ces problèmes profondément enracinés aient été expressément soulevées dans la communication (voir par. 2.1), l’État partie n’a fourni aucune information montrant qu’il a pris des mesures législatives et autres pour y remédier. C’est donc le caractère généralisé de ces problèmes, conjugué au contexte d’impunité dans lequel ils s’inscrivent, qui font que ce critère du caractère systématique du problème est rempli et qui constitue une raison impérieuse de recommander à l’État partie de présenter des excuses publiques à l’auteur pour les violations extrêmement graves dont il a été victime dans son enfance.

6.En conclusion, nous rappelons qu’un des facteurs justifiant des excuses publiques est l’insuffisance des réparations accordées pour remédier à certains types d’injustice. Les vives souffrances endurées par l’auteur pendant une partie importante de son enfance relèvent sans aucun doute de cette catégorie. Nous doutons qu’une somme d’argent quelle qu’elle soit puisse compenser les nombreuses années de travail forcé qu’il a endurées ou la perte de son enfance, ou réparer les graves préjudices psychologiques qu’un tel traumatisme prolongé a de fortes chances d’entraîner. Compte tenu de ce qui précède, nous estimons que ce cas se prête éminemment à une reconnaissance par l’État partie du fait qu’il n’a pas protégé l’auteur, par la présentation d’excuses publiques à l’intéressé.