Nations Unies

CCPR/C/128/D/2689/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 juin 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2689/2015 * , * *

Communication présentée par :

M. Z. (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

17 novembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

13 mars 2020

Objet :

Procès équitable ; accès à un avocat ; mauvais traitements ; licenciement d’un professeur d’université ; présomption d’innocence

Question ( s ) de procédure :

Aucune

Question ( s ) de fond :

Fondement des griefs

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 14, 15, 17, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est M. Z., de nationalité ouzbèke, née en 1969. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 2 (par. 3), 6, 7, 14, 15, 17, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 28 décembre 1995. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 27 novembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a informé l’auteure qu’il avait décidé de ne pas demander l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 94 de son règlement intérieur.

Exposé des faits

2.1Le 9 juin 2014, l’auteure, professeure de français à l’Université d’État de Boukhara, a vu arriver son étudiante, N. B., qui lui a remis une enveloppe. Quelques minutes plus tard, elle a été arrêtée par la police parce qu’elle était soupçonnée d’avoir reçu un pot-de-vin s’élevant à 200 dollars des États-Unis et a été inculpée sur le fondement de l’article 214 du Code pénal ouzbek. Elle dit qu’elle a reçu lecture de ses droits mais que, étant en état de choc, elle n’a rien compris.

2.2L’auteure affirme que, selon le Code de procédure pénale ouzbek, l’enquêteur est tenu de mettre la personne détenue en contact avec un avocat de la défense et d’informer sa famille de sa détention. En l’espèce, l’enquêteur n’a pas fourni d’avocat à l’auteure et n’a pas informé ses proches. L’auteure signale que l’enquêteur a relevé ses empreintes digitales en présence de témoins, mais en l’absence d’un avocat.

2.3L’auteure a été amenée au Bureau du Procureur régional de Boukhara. Elle affirme que l’enquêteur l’a insultée et lui a demandé 20 000 ou 30 000 dollars É.-U. pour mettre fin aux poursuites. L’enquêteur a ensuite commencé à l’interroger, en l’absence d’avocat. L’auteure a demandé qu’on lui fournisse un avocat et qu’on lui permette d’appeler sa famille et d’aller aux toilettes ; ses demandes ont été ignorées. Elle a été menacée de violences physiques et de sanctions pénales plus sévères si elle ne coopérait pas. L’enquêteur a également menacé de lui injecter certaines substances pour la faire avouer. L’interrogatoire a débuté entre midi et 12 h 30, mais ce n’est qu’à environ 18 heures que l’auteure a été autorisée à aller aux toilettes.

2.4Plus tard dans la soirée, un avocat est arrivé mais il n’a montré aucun intérêt pour l’affaire, et l’auteure n’a pas pu le rencontrer en privé. Il n’est resté que 10 minutes et a insisté pour que l’auteure signe le procès-verbal de l’interrogatoire. Lorsque l’auteure a commencé à lire celui-ci, l’enquêteur lui a dit, en hurlant, qu’elle n’était pas dans une bibliothèque. L’auteure s’est donc sentie harcelée et a signé le procès-verbal, qui comprenait un aveu.

2.5L’auteure croit que c’est la direction de l’Université qui est à l’origine de son arrestation. Elle dit n’avoir jamais eu de problèmes avec la direction de l’Université, jusqu’à ce qu’un nouveau doyen de faculté prenne ses fonctions en 2012. Le nouveau doyen avait de l’animosité envers elle, l’humiliait publiquement devant ses pairs et l’a menacée de licenciement. Incapable de supporter les insultes, l’auteure a demandé à son mari de soumettre une plainte au recteur de l’Université, dans laquelle il critiquait les méthodes du doyen nouvellement nommé et l’accusait de discrimination, disait qu’il imposait des travaux physiques lourds à l’auteure, en dehors des heures de travail, au lieu de mobiliser des enseignants masculins. Il demandait au recteur de mener une enquête interne et d’imposer des sanctions disciplinaires au doyen.

2.6L’auteure soutient qu’après l’ouverture de la procédure pénale, elle a continué à travailler. Pour la forcer à quitter son poste, la direction de l’Université a entamé une campagne de harcèlement. L’Université a mené sa propre enquête interne et conclu que les actes de l’auteure étaient contraires à l’article 100 du Code du travail ouzbek. En conséquence, l’auteure a été démise de ses fonctions le 12 septembre 2014.

2.7Le 27 octobre 2014, le tribunal pénal de Boukhara a condamné l’auteure sur le fondement de l’article 214 du Code pénal et lui a infligé une amende équivalente à 25 fois le salaire minimum, soit 2 402 625 sum (environ 1 010 dollars). Le tribunal a conclu que l’auteure avait commis une infraction pénale en extorquant une rémunération en échange d’un travail faisant directement partie de ses fonctions officielles. Il a dit que l’auteure avait été nommée directrice de thèse de N. B. dont elle devait, à ce titre, superviser et encadrer la préparation de la thèse. Dans le cadre du travail de supervision, l’auteure a demandé 200 dollars en échange de la préparation de la thèse, rédigée par elle. Le 9 juin 2014, l’auteure a reçu 200 dollars de N. B. Le tribunal a tenu compte des arguments de l’auteure selon lesquels N. B. n’avait ni les compétences ni l’expérience nécessaires pour rédiger sa thèse, et qu’elle a donc elle-même contribué à la rédaction d’une thèse de 60 pages. L’auteure ajoute que, bien qu’elle n’ait cessé de clamer son innocence et de demander une enquête plus approfondie sur l’affaire, le tribunal a conclu que sa culpabilité avait été pleinement établie sur la base des dépositions de la victime et des témoins, des conclusions de l’analyse chimique, de l’enregistrement vocal et d’autres moyens de preuve concordants. L’auteure estime que le tribunal n’était ni indépendant ni impartial, et s’inquiète de la forte influence que le Bureau du Procureur exerce sur les institutions de l’État, et en particulier sur le pouvoir judiciaire.

2.8Le 5 décembre 2014, la cour d’appel de Boukhara a rejeté l’appel formé par l’auteure. Elle a tenu compte des arguments de l’auteure selon lesquels l’extorsion d’argent n’avait pas été prouvée et que N. B. lui avait volontairement remis 200 dollars. Elle a évalué tous les éléments de preuve dont elle disposait et a statué néanmoins en défaveur de l’auteure. Elle a également déclaré que l’infraction pénale commise par l’auteure relevait de la décision du Sénat de l’Oliy Majlis d’Ouzbékistan relative à l’amnistie, et l’a donc dispensée de payer l’amende.

2.9Le 17 janvier 2015, le tribunal pénal de la région de Boukhara a rejeté l’appel que l’auteure avait porté devant la Cour suprême d’Ouzbékistan. En réponse aux allégations de l’auteure selon lesquelles des violations flagrantes de la procédure pénale avaient entaché l’enquête, les droits de la défense ne lui avaient pas été clairement expliqués et l’affaire avait été fabriquée de toutes pièces par des responsables de l’Université, la Cour a considéré que l’auteure avait bien reçu des explications sur ses droits de recours devant les organes chargés de l’application des lois.

2.10À une date non précisée, l’auteure a déposé un recours devant la Chambre des affaires criminelles de la Cour suprême d’Ouzbékistan et devant le Président de la Cour suprême contre les décisions rendues par les juridictions inférieures. Elle a affirmé, entre autres arguments, que le procès n’avait pas été impartial, que sa culpabilité n’avait pas été établie et que son droit à une assistance juridique avait été violé. Les deux recours ont été rejetés, respectivement le 24 février et le 29 juin 2015. Dans sa décision, le Vice‑Président de la Cour suprême a dit que, sur la base des éléments du dossier, le tribunal inférieur avait correctement apprécié les éléments de preuve, qualifié les actes de l’auteure et prononcé la peine ; l’auteure avait été informée de ses droits à l’assistance juridique pendant l’enquête préliminaire et avait été représentée par deux avocats différents.

2.11L’auteure soutient qu’elle a déposé plusieurs plaintes auprès du Bureau du Procureur de la ville de Boukhara et du Bureau du Procureur général de l’Ouzbékistan,. Le 23 février 2015, elle a rencontré un procureur qui lui a parlé très grossièrement et lui a dit qu’elle n’obtiendrait jamais réparation pour ses plaintes. Quelques jours plus tard, elle a tenté, en vain, de déposer une nouvelle plainte auprès du Bureau du Procureur.

2.12L’auteure dit qu’entre avril et mai 2015, la vidéo de son arrestation par les forces de l’ordre a été diffusée plusieurs fois sur la télévision régionale, ce qui l’a discréditée et humiliée. Elle ajoute que depuis lors, son état de santé s’est dégradé.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 2 (par. 3), 6, 7, 14, 15, 17, 19 et 26 du Pacte.

3.2L’auteure affirme que les droits qu’elle tient de l’article 14 (par. 3) ont été violés en ce qu’elle a été jugée avec un retard excessif, que le tribunal lui a refusé le droit à l’assistance d’un défenseur de son choix et le droit d’interroger un témoin pendant le procès.

3.3L’auteure soutient que, en la licenciant de l’Université avant que le tribunal n’ait prononcé son jugement, l’État partie a violé le droit à la présomption d’innocence qu’elle tient de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

3.4L’auteure prie le Comité de demander à l’État partie de procéder à un examen judiciaire en bonne et due forme de ses griefs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 janvier 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il indique que le 27 octobre 2014, le tribunal pénal de Boukhara a déclaré l’auteure coupable d’avoir violé l’article 214 du Code pénal et lui a infligé une amende équivalente à 25 fois le salaire minimum en Ouzbékistan, soit 2 402 625 sum.

4.2Le 5 décembre 2014, la cour d’appel de Boukhara a rejeté l’appel formé par l’auteure. En vertu d’une loi d’amnistie, l’auteure a été dispensée de payer l’amende.

4.3L’État partie fait observer que le tribunal a constaté que l’auteure, professeure à la faculté de philologie romano-germanique de l’Université d’État de Boukhara, avait extorqué 200 dollars à N. B., en échange d’une aide dans le cadre de la défense de la thèse de cette dernière. L’auteure a été arrêtée par des agents des forces de l’ordre le 9 juin 2014, au moment où elle recevait l’argent. Le même jour, le Bureau du Procureur de Boukhara a engagé une procédure pénale contre elle sur le fondement de l’article 214 du Code pénal. L’auteure a été interrogée en qualité de suspect et a reconnu avoir reçu 200 dollars de N. B.

4.4Le 11 juin 2014, le dossier pénal a été transmis au Département de l’intérieur de la ville de Boukhara pour la poursuite de l’enquête. Dans le cadre de l’enquête, N. B. a reçu le statut de victime ; elle a témoigné contre l’auteure en affirmant que, le 7 juin 2014, cette dernière lui avait demandé 200 dollars en échange de la réussite lors de la soutenance de sa thèse. N. B. a porté plainte contre l’auteure au Bureau du Procureur de la ville de Boukhara.

4.5Le 12 août 2014, la procédure pénale ouverte contre l’auteure sur le fondement de l’article 214 du Code pénal a été portée devant le tribunal.

4.6L’État partie fait observer que la culpabilité de l’auteure a été pleinement établie par le rapport de l’opération spéciale menée par les forces de l’ordre, des enregistrements vidéo, des preuves matérielles, le rapport de l’analyse chimique, les témoignages et d’autres éléments matériels en lien avec l’affaire.

4.7L’État partie fait aussi observer que l’enquête judiciaire n’a pas permis de révéler la moindre violation des règles de la procédure pénale et des droits et des intérêts légitimes de l’auteure et qu’aucune méthode d’enquête non autorisée n’a été employée.

4.8L’État partie conclut que les griefs de l’auteure sont infondés.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 21 mars 2016, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Elle fait observer que, le 11 mars 2016, sa mère est décédée. Très affectée par cette perte, elle n’a pas été en mesure de traduire en russe tous les griefs auxquels elle a fait référence dans sa communication, en raison de dépenses imprévues.

5.2L’auteure soutient que les témoins et la victime de l’espèce ont témoigné sous la pression et que les tribunaux nationaux ont rejeté de multiples requêtes de sa part au cours de la procédure, en violation du Code de procédure pénale ouzbek. Dans ce contexte, elle répète qu’elle n’est pas d’accord sur l’appréciation des éléments de preuve qu’a faite le tribunal parce qu’elle était biaisée en faveur de la victime, et que, partant, les droits qu’elle tient de l’article 14 du Pacte ont été violés.

5.3L’auteure affirme que son droit à une assistance juridique pendant l’interrogatoire, envisagé par l’article 14 (par. 3) du Pacte, a été violé. Elle répète qu’elle a été maltraitée par l’enquêteur, qui l’a menacée de violences physiques et lui a parlé très grossièrement.

5.4L’auteure soutient que le procès a eu lieu avec un retard excessif, en violation de l’article 14 (par. 3) du Pacte, et que l’État n’a pas respecté son droit à la présomption d’innocence, en violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte. Elle demande la révocation de l’ordonnance par laquelle l’Université de Boukhara l’a licenciée.

5.5L’auteure prie une nouvelle fois le Comité de demander à l’État partie de procéder à un examen judiciaire en bonne et due forme de ses griefs, d’annuler les jugements et de lui offrir un recours utile.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale du 12 mai 2016, l’État partie a répondu aux commentaires de l’auteure. Il rejette ses allégations et réaffirme qu’elle a été appréhendée par des agents des forces de l’ordre le 9 juin 2014 lorsqu’elle a reçu de l’argent de N. B. L’État partie conclut que la culpabilité de l’auteure a été pleinement établie et que le tribunal s’est fondé, pour rendre son jugement, sur son appréciation d’enregistrements vidéo, de preuves matérielles, du rapport de l’analyse chimique, des témoignages et d’autres éléments matériels en lien avec l’affaire.

6.2L’État partie a répété les arguments qu’il avait déjà avancés et conclut que les griefs de l’auteure sont sans fondement.

Nouveaux commentaires de l’auteure

7.1L’auteure a soumis une série de nouveaux commentaires. S’agissant de son licenciement, elle fournit des copies des réponses reçues de diverses institutions publiques, dont le Bureau du Procureur de la région de Boukhara, le Conseil de la Fédération des syndicats d’Ouzbékistan, le Conseil de la Fédération des syndicats de la région de Boukhara et le Ministère ouzbek de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire spécialisé d’Ouzbékistan, dans lesquelles il est indiqué que le licenciement de l’auteure par l’Université était conforme au Code du travail.

7.2L’auteure fait observer qu’en juillet 2017, lors d’une réunion au Bureau du Procureur de la ville de Boukhara, elle a été informée de la décision de l’Université d’État de Boukhara de l’employer comme enseignante de langue et littérature russes. Elle a accepté l’offre à titre temporaire, car il n’y avait pas de poste vacant à la faculté de philologie romano-germanique de l’Université.

7.3Dans la communication qu’elle a soumise le 15 août 2018, l’auteure fait observer qu’à partir du 23 septembre 2017, elle a commencé à travailler comme enseignante de français.

Nouvelles observations de l’État partie

8.1Dans une note verbale du 6 décembre 2016, l’État partie a soumis de nouvelles observations, dans lesquelles il répète ses arguments antérieurs. Il fait observer que le Département de l’intérieur de la ville de Boukhara a mené, avec l’aide d’experts, une enquête approfondie, et a refusé d’engager une procédure pénale contre le doyen de l’Université. La légalité de cette décision a été examinée et aucun élément justifiant son annulation n’a été trouvé.

8.2Dans une note verbale du 3 février 2017, l’État partie affirme, au sujet des allégations de torture et de mauvais traitements soulevées par l’auteure, que dans le contexte des poursuites pénales, aucune violation de la procédure pénale ou des droits ou intérêts légitimes de l’auteure n’a été constatée.

8.3Dans une note verbale du 31 juillet 2017, l’État partie revient sur le licenciement de l’auteure ainsi que sur les réponses reçues à ce sujet du Bureau du Procureur de la ville de Boukhara et du Conseil de la Fédération des syndicats. Il fait observer qu’aucune des deux institutions n’a jugé ce licenciement illégal. S’agissant du réemploi de l’auteure, l’État partie fait observer que, pour donner suite à la réponse reçue du Ministère de l’enseignement supérieur et de l’enseignement secondaire spécialisé, le 3 juillet 2017, l’auteure a été engagée comme enseignante de langue et littérature russes à l’Université d’État de Boukhara. Conformément à cette décision, l’auteure devait commencer à travailler le 26 août 2017, jusqu’à l’organisation d’un concours.

8.4Par une note verbale du 25 octobre 2018, l’État partie a informé le Comité que, par ordonnance du recteur de l’Université d’État de Boukhara, l’auteure était employée au département de langues étrangères.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité note que l’auteure dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles et que l’État partie ne conteste pas la recevabilité de la communication pour ce motif. Le Comité considère donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

9.4Le Comité prend note aussi de l’allégation de l’auteure selon lequel l’État partie a violé l’article 2 (par. 3) du Pacte, en ne lui offrant aucun recours utile suite à ses plaintes. Le Comité renvoie à sa jurisprudence, selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne peuvent être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il estime par conséquent que les griefs soulevés par l’auteure au titre de l’article 2 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité note également que l’auteure allègue des violations des droits qu’elle tient des articles 6, 15, 17, 19 et 26 du Pacte, sans toutefois fournir d’informations ou de précisions à l’appui de ces allégations. En l’absence d’autres renseignements utiles dans le dossier, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.6L’auteure a également allégué que l’État partie avait violé l’article 7 du Pacte en se rendant complice des sévices inhumains et dégradants dont elle avait été victime. Pour étayer ce grief, elle a affirmé qu’après son arrestation le 9 juin 2014, l’enquêteur l’avait menacée de violences physiques et de sanctions pénales plus sévères si elle ne coopérait pas, et elle n’avait pas été autorisée à aller aux toilettes pendant plus de cinq heures. Le Comité note également que l’État partie a fait observer, dans sa réponse du 3 février 2017, qu’aucun fait de torture ou de mauvais traitements n’avait pu être établi dans le cas de l’auteure. Le Comité constate qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas fourni suffisamment d’informations pour étayer ces griefs particuliers. Il considère donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.7Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles le tribunal n’a pas été indépendant et impartial, des violations flagrantes de la procédure pénale ont entaché l’enquête, son droit à une assistance juridique ne lui a pas été clairement expliqué, sa demande d’interroger un témoin pendant le procès a été rejetée, le tribunal n’a pas correctement apprécié les éléments de preuve et était biaisé en faveur de la victime et l’enquête et le procès ont eu lieu avec un retard excessif. Il constate que, selon l’État partie, les tribunaux ont apprécié les éléments de preuve comme il convient, correctement qualifié les actes de l’auteure et prononcé la peine appropriée.

9.8Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve, ainsi que l’application de la législation nationale dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Les documents dont le Comité est saisi ne font apparaître aucun élément démontrant que les procédures judiciaires concernant l’auteure ont été entachées de telles irrégularités. Le Comité note en outre que la durée de l’enquête et du procès − soit quatre mois − ne saurait être considérée comme un retard excessif. En conséquence, le Comité considère que l’auteure n’a pas étayé les griefs qu’elle tire de l’article 14 (par. 1 et 3) et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.9Enfin, le Comité prend note du grief de l’auteure selon qui l’État partie, en la licenciant de l’Université d’État de Boukhara sans attendre l’issue de la procédure judiciaire en cours, a violé son droit d’être présumée innocente que lui confère l’article 14 (par. 2) du Pacte. Le Comité constate que l’auteure a été licenciée de l’Université en vertu de dispositions du droit du travail national, qui régit les relations entre employeurs et employés, et qui est en dehors du champ d’application du Pacte. À cet égard, le Comite fait observer qu’en soi la décision d’un employeur de prendre des mesures disciplinaires sur la base d’informations crédibles contre un employé soupçonné d’avoir commis une infraction pénale avant que les poursuites pénales soient achevées n’est pas incompatible avec la présomption d’innocence qui relève en premier lieu du fonctionnement de la justice pénale nationale. Il considère donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.