Nations Unies

CCPR/C/122/D/2490/2014/Rev.1

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 octobre 2018

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2490/2014 * , ** , ***

Communication présentée par :

Vivian Maritza Hincapié Dávila (représentée par Germán Eduardo Gómez Remolina, Elkin de Jesús Betancur Ramírez et Carlos Rodríguez Mejía)

Au nom de :

Vivian Maritza Hincapié Dávila

État partie :

Colombie

Date de la communication :

15 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

6 avril 2018

Objet :

Droit de faire appel d’un jugement de condamnation rendu en seconde instance

Question(s) de procédure :

Abus du droit de présenter une communication ; défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit de faire réexaminer la peine prononcée par une juridiction supérieure ; droit à un recours utile ; présomption d’innocence

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 9, 14 (par. 2 et 5), 23 et 24

Article(s) du Protocole facultatif :

3

1.1L’auteure de la communication, présentée le 15 novembre 2013, est Vivian Maritza Hincapié Dávila, de nationalité colombienne, née le 11 septembre 1981. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, de l’article 9, des paragraphes 2 et 5 de l’article 14, et des articles 23 et 24 du Pacte. Elle affirme que l’État partie a également violé les droits garantis aux paragraphes 2 et 5 de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. L’auteure est représentée par des conseils. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 23 février 2017, en vertu de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accueillir la demande de mesures provisoires que l’auteure avait faite en date du 29 janvier 2017 en vue d’obtenir sa remise en liberté.

Exposé des faits

2.1Le 10 juin 2002, l’auteure avait été invitée par son fiancé, R. C., à passer la nuit dans la propriété d’un « ami », située dans la municipalité de Virginia (département de Risaralda). Elle explique qu’elle avait fait la connaissance de R. C. un mois avant les faits et que R. C. était venu la chercher chez elle dans une voiture où se trouvait aussi F. R. qui, d’après l’auteure, n’avait absolument pas l’air d’être là contre son gré. Après s’être aimablement présentées, les trois personnes étaient parties dans l’idée de passer un moment agréable ensemble à la campagne. Le même jour, l’un des groupes d’action unifiée pour la défense de la liberté personnelle (GAULA), groupes d’élite de l’Armée nationale colombienne, est entré dans la propriété et a libéré F. R., qui y était séquestré.

2.2Le 12 juin 2002, le procureur a délivré contre l’auteure un mandat d’arrestation pour commission probable de l’infraction d’enlèvement. Un recours contre cette décision a été formé devant le troisième parquet délégué auprès du Tribunal supérieur de Pereira. Le recours a été rejeté le 26 juillet 2002. Le 6 mars 2003, le parquet spécialisé no 1 a inculpé l’auteure d’enlèvement pour rançon en concours avec l’infraction de port illégal d’armes, inculpation confirmée le 11 avril 2003 par le deuxième parquet délégué auprès du Tribunal supérieur de Pereira. Le 24 décembre 2003, le juge unique du Tribunal pénal spécialisé de Pereira a prononcé l’acquittement. Il a considéré que l’auteure n’avait pas accompli d’acte concret dans l’exécution de l’enlèvement et qu’elle avait toujours eu un rôle passif. Il a précisé qu’à aucun moment l’auteure n’avait été « chargée de la surveillance ou de la garde de l’intéressé », et qu’elle n’avait pas apporté d’« appui concret dans l’enlèvement ». S’il reconnaissait par ailleurs que l’auteure savait que F. R. avait été enlevé et qu’elle avait menti pendant le procès pour protéger son fiancé, le juge considérait que son comportement ne correspondait à aucune des infractions pénales imputées aux autres inculpés, c’est-à-dire enlèvement pour rançon et port illégal d’armes.

2.3Les condamnés et le parquet ont fait appel de la décision du juge unique du Tribunal pénal spécialisé de Pereira auprès de la chambre pénale du Tribunal supérieur de la circonscription judiciaire de Pereira. Le 4 mars 2004, le Tribunal a annulé le jugement de première instance acquittant l’auteure, qu’il a déclarée coupable d’enlèvement pour rançon en concours avec l’infraction de port illégal d’armes et condamnée à une peine de vingt-huit ans et six mois de réclusion et à une amende de 5 000 mensualités (salaire minimum). Le Tribunal a fait valoir que l’état de flagrance était caractérisé − l’auteure se trouvait dans la même pièce que R. C. et F. R. quand le GAULA avait libéré ce dernier − et que, par simple déduction logique, elle avait connaissance des activités liées à l’enlèvement. Le Tribunal a également considéré que plusieurs éléments démontraient sa responsabilité en tant que coauteure de l’infraction d’enlèvement pour rançon ; en effet, comme il était mentionné, elle avait accompagné R. C. à la propriété pour surveiller F. R. et, d’après un témoignage, elle aurait dit que, si la rançon demandée n’était pas versée, la vie de F. R. était en danger. Pour ce qui est du port illégal d’armes, le Tribunal a déclaré que, d’après une jurisprudence bien établie, quiconque fait partie d’un groupe de personnes qui « accomplissent conjointement un acte illicite » tombe sous le coup de la qualification pénale retenue, même s’il n’avait pas d’armes en sa possession.

2.4L’auteure a formé un pourvoi en cassation contre la décision du Tribunal supérieur, alléguant une erreur de fait car sa simple présence sur les lieux, en qualité d’« accompagnante », ne suffisait pas pour qu’elle soit reconnue coupable d’enlèvement pour rançon, infraction définie comme le fait de « se saisir d’une personne, de la soustraire, la retenir ou la cacher contre sa volonté » (art. 169 du Code pénal). Elle ajoutait que le fait qu’elle ait dit à F. R. : « Procure-toi l’argent, tu t’éviteras des ennuis » ne prouve pas sa participation à l’enlèvement mais montre qu’elle s’inquiétait pour F. R.

2.5Le 4 mai 2005, la Cour suprême de justice a déclaré le pourvoi irrecevable, considérant que les conditions de forme fixées par la loi pour la présentation d’un tel recours n’étaient pas remplies. Entre autres choses, l’auteure n’avait pas exposé ni étayé dûment les raisons pour lesquelles elle estimait que la juridiction de second degré avait commis une erreur de fait dans son jugement de condamnation du 4 mars 2004. La Cour a également considéré que l’auteure n’avait pas montré que cette juridiction avait interprété faussement ou déformé les preuves apportées au procès pénal, outre qu’elle avait confondu deux des modalités possibles de l’erreur de fait, pour lesquelles les moyens à faire valoir sont différents.

2.6Le 26 mars 2007, l’auteure a formé une action en protection constitutionnelle (acción de tutela ) auprès de la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice. Elle alléguait que le droit à un procès équitable et le droit à la liberté avaient été violés du fait du jugement de seconde instance, qui n’avait pas été dûment motivé. Elle contestait en outre l’appréciation de la preuve faite par le Tribunal, l’estimant erronée, et affirmait qu’ainsi le Tribunal avait commis une action irrégulière ouvrant droit à un recours (vía de hecho ). Le 12 avril 2007, la chambre a rejeté l’action en protection, rappelant que l’auteure avait eu la possibilité de défendre les droits qui d’après elle avaient été violés, avec le pourvoi en cassation qu’elle avait exercé. La chambre a ajouté que l’action en protection ne permettait pas de rouvrir une procédure judiciaire achevée, à moins qu’il n’y ait eu violation des garanties d’un procès équitable, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Elle a considéré en outre que le recours avait été formé en dehors d’un délai raisonnable, étant donné qu’il avait été déposé le 26 mars 2007, que le jugement qui faisait l’objet de l’action en protection datait du 4 mars 2004 et que la décision de rejet du pourvoi en cassation exercé contre ce jugement avait été rendue le 4 mai 2005, près de deux ans avant la date à laquelle l’action en protection avait été introduite. Le 7 mai 2007, la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice a déclaré par une ordonnance la nullité des actes de la chambre de cassation pénale concernant l’action en protection, parce qu’elle avait déjà traité de l’affaire quand elle avait déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par l’auteure contre le jugement de condamnation.

2.7À une date non précisée, l’auteure a déposé auprès de la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice une action en protection constitutionnelle contre la chambre de cassation pénale, contre la chambre pénale du Tribunal supérieur de Pereira et contre le juge unique du Tribunal pénal spécialisé de Pereira. Le 22 mai 2007, la chambre de cassation civile a rejeté le recours, considérant que la décision de la chambre de cassation pénale, en date du 4 mai 2005, qui déclarait irrecevable le pourvoi en cassation, avait mis fin à la procédure judiciaire, laquelle ne pouvait pas être rouverte, même par la voie de l’action en protection, puisque le jugement avait été prononcé par l’organe le plus élevé de la juridiction ordinaire.

2.8Le 15 février 2008, l’auteure a présenté une autre action en protection constitutionnelle, cette fois devant la chambre juridictionnelle disciplinaire du Conseil régional de la magistrature de Risaralda, pour violation du droit à la liberté, du droit à un procès équitable et des droits de la défense. Cette action a été déclarée irrecevable le 29 février 2008 parce qu’elle n’avait pas été présentée dans un délai raisonnable, étant donné que la décision de la Cour suprême de justice qui avait mis fin à la procédure pénale engagée contre l’auteure avait été rendue deux ans et dix-huit jours avant le dépôt du recours. Le Conseil régional de la magistrature de Risaralda a constaté que, avant de présenter son action, l’auteure avait tardé près de huit mois à compter de la décision de rejet de la première action en protection présentée devant la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice (rendue le 22 mai 2007). Le 10 mars 2008, l’auteure a formé un recours contre cette décision auprès de la chambre juridictionnelle disciplinaire du Conseil de la magistrature, reprenant les arguments qu’elle avait avancés dans l’action en protection présentée le 15 février 2008 et signalant que la décision attaquée n’avait pas tranché le fond de l’affaire. Le 23 avril 2008, le Conseil supérieur de la magistrature a rejeté l’action en protection au motif qu’elle n’avait pas été engagée dans les délais prévus puisqu’elle avait été présentée sept jours après la notification et non dans les trois jours suivant celle-ci, comme l’exige la loi.

2.9Le 29 février 2012, l’auteure a présenté devant la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice une autre action en protection contre les décisions du juge unique du Tribunal pénal spécialisé de Pereira, de la chambre pénale du Tribunal supérieur de Pereira et de la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice, pour déni de justice. Le 13 avril 2012, la chambre a déclaré l’action irrecevable au motif que la procédure constitutionnelle avait pris fin avec sa propre décision du 22 mai 2007, qu’elle a ordonné à l’auteure de respecter. L’auteure a attaqué cette décision devant la chambre de cassation civile elle-même qui, le 27 avril 2012, a réaffirmé sa décision précédente et rejeté le recours.

2.10L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a commis une violation des droits consacrés par les articles 2 (par. 2 et 3), 9, 14 (par. 2 et 5), 23 et 24 du Pacte. De plus, d’après elle, l’État partie a commis une violation des droits garantis par les paragraphes 2 et 5 de l’article 14, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

3.2En ce qui concerne la violation de la présomption d’innocence, consacrée au paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, l’auteure souligne que toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie, règle qui n’a pas été respectée dans son cas puisqu’elle a été condamnée par le tribunal de second degré sur le fondement des preuves que le juge de première instance avait retenues pour l’acquitter, sans que de nouvelles preuves soient produites en seconde instance. Par conséquent, le jugement de condamnation prononcé par la juridiction de seconde instance ne repose sur aucune preuve. L’auteure ajoute que, dans le jugement de condamnation, le tribunal n’explique pas quelles erreurs le juge de première instance avait commises en prononçant l’acquittement, et ne précise pas comment il a apprécié les preuves versées au dossier pour conclure à sa responsabilité dans les infractions qui lui étaient imputées. Elle signale aussi que ce jugement a enfreint des règles de droit en vigueur quand il a été rendu, règles qui imposaient de motiver tout jugement touchant aux droits fondamentaux. De plus, le jugement de condamnation ne contient pas d’argument pour lever le doute en faveur de l’auteure.

3.3L’auteure ajoute que le jugement contient une imprécision qui démontre la négligence du tribunal de seconde instance, « l’absence de fondement de la décision et l’absence d’analyse » ; en effet, il est fait mention dans l’exposé des motifs d’un certain A. R., qui n’était pas partie au procès, ce qui indique, d’après l’auteure, que le Tribunal supérieur s’est limité à faire « un copier-coller » d’un extrait d’un jugement rendu dans une autre affaire.

3.4Concernant la violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’auteure affirme que le jugement par lequel elle a été condamnée à vingt-huit ans et six mois de réclusion n’a pas été examiné par une juridiction supérieure au sens du Pacte. Elle renvoie à l’affaire Gómez Vázquez c . Espagne, dans laquelle le Comité a conclu que l’impossibilité de faire examiner intégralement en cassation la déclaration de culpabilité et la peine a constitué un manquement aux garanties prévues par le paragraphe 5 de l’article 14, étant donné que le réexamen ne portait que sur des points de forme ou de droit. Elle renvoie également à l’observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle le Comité déclare : « Le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, établi au paragraphe 5 de l’article 14, fait obligation à l’État partie de faire examiner quant au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. Une révision qui concerne uniquement les aspects formels ou juridiques du verdict sans tenir aucun compte des faits n’est pas suffisante en vertu du Pacte. » (par. 48). L’auteure cite aussi le paragraphe 47 de l’observation générale : « Il y a violation du paragraphe 5 de l’article 14 non seulement lorsque la décision rendue en première instance est définitive mais également lorsqu’une déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction d’appel ou une juridiction statuant en dernier ressort après que l’acquittement a été prononcé en première instance, conformément au droit interne, ne peut pas être réexaminée par une juridiction supérieure. ».

3.5En ce qui concerne la violation conjointe du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’auteure affirme que les deux dispositions sont étroitement liées et que, en commettant une violation du paragraphe 5 de l’article 14, l’État partie a également violé le droit à un recours utile puisqu’il a manqué à son obligation d’offrir une voie de recours effective qui permette la révision sur le fond du jugement de seconde instance. De plus, elle affirme que le droit de faire réexaminer le jugement de condamnation a également été violé du fait que le jugement de seconde instance n’était pas motivé.

3.6L’auteure considère que, même si la Constitution consacre le principe du double degré de juridiction, le droit colombien n’offre aucun recours qui permette de réexaminer intégralement un jugement de condamnation prononcé en seconde instance puisque seuls sont ouverts contre un tel jugement le pourvoi en cassation et le recours en révision, qui sont des recours extraordinaires. Ces recours ne sont accueillis que pour des motifs très limités énoncés dans la loi et ils ne permettent pas une révision complète du jugement de condamnation. L’auteure fait référence à des décisions de la Cour suprême de justice, qui a souligné que le pourvoi en cassation n’était pas un moyen permettant de poursuivre le débat sur les points de fait et de droit comme le permettrait une instance supplémentaire, ajoutée aux procédures ordinaires, mais qu’il s’agissait d’une instance unique, qui part de l’hypothèse que la procédure a pris fin avec le jugement de seconde instance. L’auteure ajoute que le pourvoi en cassation est par nature limité puisque, comme l’a déclaré la Cour suprême, la Cour ne peut pas compléter, ajouter, préciser des points ou rectifier des insuffisances ou des erreurs soulevées dans la demande, tandis que cet empêchement n’existe pas pour les recours ordinaires. Pour ce qui est du recours en révision, l’auteure déclare qu’il s’agit également d’un recours extraordinaire, qui ne vise pas à réexaminer un jugement de condamnation mais qui applique la chose jugée à des faits postérieurs, ce qui lui fait perdre tout fondement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 1er juin 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il soutient que la communication doit être déclarée irrecevable étant donné que le Comité ne peut pas agir comme un organe de quatrième instance et que, étant manifestement dénuée de fondement, elle constitue un abus du droit de plainte.

4.2L’État partie affirme que les juridictions nationales ont rendu leurs décisions en appliquant le droit interne. Ainsi la Constitution et la loi no 600 (2000) (art. 191), en vigueur au moment des faits, prévoient le droit de contester toute décision de justice. Un appel peut donc être interjeté par la personne condamnée quand il s’agit d’un jugement de condamnation, ou par le parquet quand il s’agit d’une relaxe ou d’un acquittement. L’État partie fait référence à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, dont il ressort que l’appel est conçu pour que le juge du second degré − ad quem − examine la question sur laquelle il a été statué et corrige les vices ou erreurs de droit que le juge a quoa pu commettre dans la procédure ou le jugement. Il précise que la Cour a confirmé l’effectivité en matière pénale de la voie d’appel contre des jugements de relaxe ou d’acquittement, étant entendu qu’il s’agit d’une instance supplémentaire du procès pénal. Par conséquent, dans le cas de l’auteure, le recours formé contre le jugement de première instance par le parquet et par les condamnés était conforme au droit, et a eu pour résultat qu’elle a été condamnée en seconde instance.

4.3L’État partie affirme en outre que l’auteure a eu la possibilité d’attaquer le jugement de condamnation par la voie du recours extraordinaire en cassation et rappelle que son pourvoi a été rejeté le 4 mai 2005 par la Cour suprême parce que les moyens d’argumentation n’étaient pas corrects. Cette décision a clôturé définitivement la procédure pénale puisqu’elle émanait de l’organe le plus élevé de l’ordre judiciaire. De plus, l’auteure disposait de l’action en protection constitutionnelle pour contester les décisions qui lui étaient défavorables, et a fait usage de cette voie de recours.

4.4Pour ces raisons, l’État partie considère que la communication reflète fondamentalement le refus de l’auteure d’accepter les décisions rendues par les juridictions nationales conformément au droit et vise à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel (de quatrième instance) et examine les procédures judiciaires conduites en matière pénale. Or le Comité n’a pas compétence pour examiner les décisions des juridictions internes légitimement constituées et établies par la Constitution, ni pour apprécier les faits, les preuves et les orientations de l’enquête dans un procès mené par les tribunaux nationaux. L’État partie affirme que, comme il a été démontré, les organes judiciaires qui ont traité l’affaire ont agi dans le strict respect des dispositions pénales en vigueur au moment des faits. De plus, l’auteure a pu exercer les recours qu’elle a jugés utiles.

4.5L’État partie soutient en outre que la communication constitue un abus du droit de présenter une plainte. Il rappelle que, d’après le Comité, une communication peut être déclarée irrecevable soit parce que son auteur présente délibérément des informations peu claires, soit parce qu’il s’est écoulé beaucoup de temps entre les faits et l’envoi de la plainte.

4.6L’auteure a abusé du droit de présenter des communications parce que son allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte ne correspond pas à la réalité « factuelle et procédurale » ; tout au long de la procédure pénale, toutes les garanties judiciaires énoncées dans la législation ont été respectées, y compris le droit à un défenseur et le droit d’exercer des recours, toutes les voies internes ayant été épuisées par l’auteure. L’État partie rappelle que le Comité a établi que l’État a certes l’obligation de faire examiner quant au fond un jugement de condamnation et que cet examen ne doit pas être limité aux seuls aspects formels, mais qu’un nouveau procès ou une nouvelle audience ne sont pas nécessaires. Il faut seulement que le juge du second degré analyse a) les allégations portées contre la personne déclarée coupable, b) les preuves qui ont été produites, et c) les moyens d’appel, et que l’analyse de ces trois éléments conduise à conclure qu’il y avait suffisamment de preuves à charge pour justifier une condamnation. En l’espèce, la décision du Tribunal supérieur de Pereira, en date du 4 mars 2004, était fondée sur ces trois éléments, et alléguer une violation de la présomption d’innocence constitue un abus du droit de plainte.

4.7L’État partie considère en outre que, étant donné que le Comité a interprété le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte comme signifiant que l’État doit garantir l’accès effectif aux procédures d’appel disponibles, dans le cas d’espèce cette disposition n’a pas été violée puisque l’accès effectif aux voies de recours a été garanti. La procédure pénale n’a pas pris fin avec le jugement du Tribunal supérieur de Pereira et l’auteure a eu au contraire la possibilité d’abord de se pourvoir en cassation puis de présenter plusieurs actions en protection constitutionnelle. Par conséquent, il est évident que le droit colombien prévoit plusieurs recours judiciaires et que l’auteure les a exercés pour contrer le jugement de seconde instance. L’État partie considère que l’abus de présenter des communications est également constitué par le fait que l’auteure allègue qu’elle n’a pas disposé de recours utile pour attaquer ce jugement, affirmation totalement contraire à la « réalité factuelle et procédurale ». Un autre point est que les recours ont été rejetés pour des motifs imputables à l’auteure.

4.8L’État partie considère aussi que l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité parce que l’auteure se borne à déclarer que le Tribunal supérieur de Pereira n’a pas examiné les preuves, sans avancer le moindre argument à ce sujet. De même, l’État partie estime que l’allégation de violation du paragraphe 5 de l’article 14 n’a pas été suffisamment étayée puisque l’auteure ne fait qu’affirmer que le pourvoi en cassation ne garantit pas l’exercice du droit à recours sans expliquer avec précision pourquoi ce recours n’est pas un recours utile, son unique argument étant que dans la cassation seuls les aspects de forme sont examinés. Enfin, l’État partie considère que l’allégation de violation du droit à un recours utile, consacré au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, n’est pas étayée puisque l’auteure a bien eu accès à toutes les voies de recours ouvertes, jusqu’à l’action en protection constitutionnelle, pour contester les décisions judiciaires.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Par lettre du 8 septembre 2015, l’auteure a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité. Elle affirme que la communication satisfait aux critères de recevabilité fixés dans le Protocole facultatif. Elle relève que, dans ses observations, l’État partie n’a pas rappelé que la Cour constitutionnelle avait établi qu’il n’existait dans l’ordre juridique colombien aucun recours judiciaire utile pour attaquer les jugements de condamnation rendus en seconde instance contre des personnes relaxées ou acquittées en première instance, et elle renvoie à l’arrêt C-792-14, déclarant inconstitutionnelles plusieurs dispositions du Code de procédure pénale en vigueur (loi no 906, de 2004). Dans cet arrêt, la Cour soutient que le droit de contester une décision de justice est déterminé non pas par le stade de la procédure auquel le jugement est rendu mais par la teneur de celui-ci. Ce droit peut donc être exercé contre un jugement de condamnation rendu en seconde instance. La Cour déclare également que le pourvoi en cassation ne satisfait pas aux normes constitutionnelles du droit de recours, s’agissant des jugements de condamnation rendus en seconde instance. En ce qui concerne le recours en révision et l’action en protection constitutionnelle, la Cour considère que ce ne sont pas des recours utiles pour attaquer de telles décisions judiciaires.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie, qui affirme que l’auteure cherche à obtenir que le Comité agisse comme un organe d’appel et procède à un examen des procédures, l’auteure répond qu’elle ne demande pas au Comité d’apprécier les faits et les preuves de l’affaire car elle sait bien que le Comité n’a pas pour fonction de réexaminer les décisions des juridictions nationales. Si elle a exposé dans sa communication les faits de la cause et les preuves produites, c’était pour démontrer qu’en seconde instance la régularité de la procédure n’avait pas été garantie.

5.3En ce qui concerne l’argument selon lequel la communication constitue un abus du droit de plainte, l’auteure répond que l’État partie aurait dû informer le Comité de l’arrêt dans lequel la Cour constitutionnelle (arrêt C-792-14) a déclaré qu’il n’existe aucun recours utile permettant de contester un jugement de condamnation rendu en seconde instance, comme l’exige le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’auteure ajoute que l’État partie n’a pas informé le Comité que la Cour constitutionnelle avait exhorté le Congrès de la République à légiférer, dans un délai d’un an à partir de la notification de l’arrêt, afin que soit garanti sans restriction le droit de contester tous les jugements de condamnation, ce qui n’a toujours pas été fait. L’auteure considère par conséquent que l’État partie est mal placé pour l’accuser d’abus de droit alors que lui-même ne s’acquitte pas de ses obligations internationales en vertu du Pacte.

5.4L’auteure conclut que l’affirmation selon laquelle la communication n’est pas suffisamment étayée n’a aucun fondement étant donné que les arguments présentés plus haut démontrent non seulement que la communication est dûment étayée mais aussi qu’elle est légitime et qu’elle est même appuyée par la Cour constitutionnelle de l’État partie.

Observations de l’État partie concernant le fond

6.1Dans une note du 2 décembre 2015, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond de la communication. Il réaffirme que toutes les procédures contre l’auteure ont été conduites dans le respect du droit interne, notamment de la Constitution et de la législation pénale en vigueur au moment des faits.

6.2L’État partie affirme aussi de nouveau que l’auteure cherche à faire jouer au Comité le rôle d’un organe d’appel et à obtenir qu’il examine les procédures judiciaires conduites par la justice pénale, et il réaffirme qu’il n’appartient pas au Comité de réexaminer les décisions des juridictions internes. À ce sujet, l’État partie souligne que ce n’est pas parce que les recours formés par l’auteure n’ont pas été accueillis que le Pacte a été violé. Ces observations sont faites compte tenu de la jurisprudence du Comité dont il ressort que, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des juridictions internes a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, il n’y a pas violation du Pacte. Par conséquent, étant donné que la procédure pénale menée contre l’auteure a été strictement conforme à la législation en vigueur au moment des faits et que dans leurs décisions les juridictions nationales ont donné une interprétation raisonnable des textes, il n’y a pas lieu de prétendre que la procédure a été arbitraire ou qu’un déni de justice a été commis.

6.3En ce qui concerne les allégations de violation du paragraphe 5 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie réaffirme que la loi relative à la procédure pénale en vigueur au moment des faits prévoyait l’existence d’un recours en appel conçu pour attaquer les jugements de première instance, même les jugements de relaxe ou d’acquittement. Il réaffirme aussi que, étant donné que le Comité a interprété le paragraphe 5 de l’article 14 comme signifiant que, dans le cas où le droit interne prévoit d’autres voies de recours, l’État doit garantir l’accès effectif à celles-ci, il apparaît que les dispositions du Pacte ont été dûment respectées puisque l’auteure a pu former un pourvoi en cassation et une action en protection constitutionnelle.

6.4L’État partie répète les arguments qu’il a exposés pour montrer que la communication constitue un abus du droit de plainte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1En date du 29 février 2016, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle réaffirme que la communication satisfait à tous les critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif (art. 2, 3 et 5) et dans le Règlement intérieur du Comité (art. 96). Elle réaffirme également qu’elle ne demande pas au Comité d’agir comme une quatrième instance mais d’examiner la violation des droits qu’elle tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

7.2En ce qui concerne l’abus du droit de plainte que, d’après l’État partie, la communication constituerait, l’auteure répond qu’il est faux de dire que le fait qu’elle affirme qu’il n’existe pas en droit colombien de recours utile contre les jugements de condamnation rendus en seconde instance est contraire à la « réalité factuelle et procédurale ». Elle déclare de nouveau que cette affirmation est tout à fait vraie et qu’elle a de plus été confirmée par la Cour constitutionnelle de l’État partie. De même, en réponse à l’État partie qui affirme que dans son cas le pourvoi en cassation était un recours utile, l’auteure continue de soutenir le contraire et renvoie à ce sujet à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Elle conclut donc que l’argument de l’État partie est totalement dénué de fondement.

7.3L’auteure mentionne également la question de l’épuisement des recours internes. Elle souligne que cette condition est remplie puisqu’elle a formé plusieurs recours, dont aucun n’était utile. On ne peut donc pas exiger que des recours qui n’étaient pas disponibles soient épuisés.

7.4L’auteure demande au Comité d’ordonner à l’État partie de faire engager un nouveau procès pénal, qui sera conduit dans le respect de toutes les garanties énoncées dans le Pacte et dans la Constitution (art. 250.4), c’est-à-dire suivant une procédure orale, publique, dans le respect du principe d’immédiateté de la preuve et du débat contradictoire, en audience unique.

Renseignements supplémentaires des parties

L’État partie

8.1Dans des notes du 22 avril 2016 et du 31 janvier 2017, l’État partie a fait parvenir des renseignements supplémentaires, reprenant ses arguments précédents. Concernant le pourvoi en cassation, il insiste sur le fait que c’était bien un recours utile dans le cas de l’auteure, et il renvoie à la décision du Comité dans l’affaire J. J. U. B. c . Espagne. Dans cette affaire, l’auteur alléguait une violation du paragraphe 5 de l’article 14 parce qu’il n’avait pas eu la possibilité de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la peine par une juridiction supérieure. Sa communication avait été déclarée irrecevable parce que, même si le seul recours que l’auteur avait pu former était un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, celui-ci avait exposé « les critères qui avaient servi à définir la peine, qu’il [avait] approuvée et jugée adéquate et proportionnelle à la gravité des faits ».

8.2L’État partie affirme en outre que, indépendamment du fait que le pourvoi en cassation soit ou non un recours utile, l’auteure avait bénéficié de toutes les garanties judiciaires consacrées par le droit interne, et il rappelle que l’auteure avait même pu former plusieurs actions en protection constitutionnelle. Il ajoute qu’il ne peut pas être tenu pour responsable des erreurs commises par les avocats de l’auteure, erreurs auxquelles est dû le rejet du pourvoi en cassation et de toutes les actions en protection qui ont été présentées.

8.3L’État partie réaffirme que la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de plainte et ajoute qu’elle a été soumise au Comité près de six ans après l’épuisement de tous les recours internes, ce qui est contraire au Protocole facultatif et au Règlement intérieur du Comité.

L’auteure

9.1En date du 13 juin 2016, l’auteure a fait parvenir des renseignements supplémentaires et a répété ses arguments. En réponse à l’argument de l’État partie qui affirme que le Comité a considéré que le pourvoi en cassation répondait aux critères du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, l’auteure objecte que l’État partie tente d’opposer la jurisprudence du Comité à celle de la Cour constitutionnelle. Elle estime qu’il n’existe pas d’opposition, d’autant plus que, dans son arrêt C-792 de 2014, la Cour constitutionnelle fonde précisément son raisonnement notamment sur le paragraphe 5 de l’article 14. L’auteure renvoie aussi à l’affaire Pérez Escolar c . Espagne, dans laquelle le Comité a certes conclu que le pourvoi en cassation était un recours utile mais parce que le juge avait analysé toutes les irrégularités dénoncées par le demandeur, en étudiant en détail les faits, les preuves et les normes sur le fondement desquelles la peine avait été prononcée. L’auteure conclut que, pour le Comité comme pour la Cour constitutionnelle de Colombie, l’important est que le jugement de condamnation fasse l’objet d’un réexamen approfondi indépendamment de la nature du recours formé, ce qui dans son cas n’a pas eu lieu.

9.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie, qui affirme qu’il y a abus du droit de plainte parce que la communication a été présentée longtemps après l’épuisement des recours internes, l’auteure rappelle que, après le rejet de son pourvoi en cassation, elle a tenté de faire valoir ses droits en présentant plusieurs actions en protection qui ont toutes été rejetées pour différents motifs. Elle ajoute que, étant donné qu’incontestablement l’État partie n’offre aucun recours contre un jugement condamnatoire de seconde instance, il est difficile de comprendre pourquoi elle est accusée d’abuser du droit de plainte, alors que l’État partie ne s’acquitte pas de ses obligations internationales.

9.3L’auteure ajoute qu’il y a également eu violation des droits qu’elle tient du paragraphe 3 de l’article 2 parce que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour donner effet au droit de faire examiner par une juridiction supérieure le jugement de condamnation prononcé par la juridiction de second degré, alors que la Cour constitutionnelle avait donné au législateur l’ordre de mettre en place un recours qui permette un tel réexamen, ce qui n’a toujours pas été fait. L’auteure affirme en outre que, dans ces circonstances, sa détention est arbitraire, en violation de l’article 9 du Pacte.

9.4L’auteure allègue aussi que sa privation arbitraire de liberté a entraîné pour ses deux enfants mineurs une violation des droits qu’ils tiennent des articles 23 et 24 du Pacte, en ce qu’ils sont privés des soins de leur mère, laquelle est de plus chef de famille.

9.5Enfin, l’auteure demande au Comité d’ordonner à l’État partie de l’indemniser des préjudices matériels et moraux causés par les violations exposées plus haut, selon une procédure brève et rapide. Elle demande en outre qu’il soit ordonné à l’État partie, à titre de réparation : a) d’assurer à l’auteure et à ses enfants une prise en charge psychosociale pour les conséquences de la séparation qu’ils sont obligés de subir ; b) de présenter des excuses à l’auteure, ses enfants et sa famille pour avoir bafoué le droit à la liberté, à la présomption d’innocence et à un recours judiciaire utile permettant de faire réexaminer un jugement condamnatoire de seconde instance ; c) de mettre en place, comme garantie de non‑répétition, un recours judiciaire utile contre tout jugement de condamnation rendu en première ou en seconde instance, ou en premier et dernier ressort, dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision du Comité. Elle demande en outre qu’il soit donné aux personnes dont le droit de contester un jugement condamnatoire a été violé la possibilité d’être jugées de nouveau, dans un procès oral, public et impartial conduit dans le respect de toutes les garanties.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que la communication constitue un abus du droit de plainte au sens de l’article 3 du Protocole facultatif parce que l’auteure a saisi le Comité près de six ans après avoir épuisé les recours internes (par. 8.3). Il prend note également des allégations de l’auteure, qui objecte que, comme l’État partie n’offre aucun recours contre un jugement condamnatoire de seconde instance, on peine à comprendre pourquoi il l’accuse d’abuser du droit de plainte alors qu’à l’évidence, lui-même ne s’acquitte pas de ses obligations internationales, en particulier celles découlant du paragraphe 5 de l’article 14 (par. 9.2).

10.4Le Comité rappelle que, si aucun délai n’est fixé pour la présentation de communications en vertu du Protocole facultatif, conformément à l’article 96 c) de son règlement intérieur, « [e]n principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire ». Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence, dont il ressort qu’il y a abus du droit de présenter une communication quand il s’est écoulé une période exceptionnellement longue entre les faits de la cause ou l’épuisement des recours internes et la présentation de la communication, sans justification suffisante.

10.5Dans la présente affaire, le Comité note que le juge unique du Tribunal pénal spécialisé de Pereira a acquitté l’auteure par jugement du 24 décembre 2003 et que, sur appel du parquet et des condamnés, le Tribunal supérieur de Pereira a annulé le jugement et a prononcé un jugement de condamnation contre l’auteure le 4 mars 2004. Il note aussi que l’auteure a formé un pourvoi en cassation contre le jugement du Tribunal supérieur de Pereira auprès de la Cour suprême de justice, qui l’a rejeté le 4 mai 2005.

10.6Le Comité fait observer que, après le rejet du pourvoi en cassation, l’auteure a engagé plusieurs actions en protection. Cependant, toutes ces actions ont été rejetées pour des motifs de forme ou parce qu’elles n’avaient pas été présentées dans un délai raisonnable.

10.7Le Comité note en particulier que, le 26 mars 2007, l’auteure a engagé une action en protection constitutionnelle contre le jugement de seconde instance, action rejetée par la chambre pénale de la Cour suprême de justice le 12 avril 2007, cette procédure ayant ensuite été annulée le 7 mai 2007 parce que la chambre en question avait déjà traité de l’affaire quand elle avait déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par l’auteure contre le jugement de condamnation. Le Comité relève que l’auteure a engagé une autre action en protection constitutionnelle devant la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice, qui l’a déboutée le 22 mai 2007 au motif que la décision par laquelle la chambre de cassation pénale avait, le 4 mai 2005, déclaré irrecevable le pourvoi en cassation contre le jugement de condamnation avait mis un terme à la procédure judiciaire puisqu’elle avait été prononcée par l’organe le plus élevé de la juridiction ordinaire (par. 2.7). L’auteure a engagé auprès de différentes autorités judiciaires d’autres actions en protection, qui ont été déclarées irrecevables le 29 février 2008, le 23 avril 2008 et le 13 avril 2012.

10.8Par conséquent, le Comité estime, comme il est indiqué dans l’arrêt du 22 mai 2007, que la décision définitive dans le cadre de la procédure pénale contre l’auteure est la décision du 4 mai 2005 de la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice qui déclarait irrecevable le pourvoi en cassation. Le fait que l’auteure ait formé de nouvelles actions en protection après cette décision n’est pas pertinent aux fins de la procédure devant le Comité. En outre, le Comité note que l’auteure n’a pas donné de motif expliquant pourquoi elle n’avait pas présenté sa communication au Comité avant 2013. En l’absence d’explication et étant donné que les faits de la cause se sont déroulés entre 2004, année du jugement de condamnation, et 2005, année de l’arrêt de la Cour suprême de justice déclarant irrecevable le pourvoi en cassation, le retard de plus de huit ans mis à présenter la communication n’a pas été suffisamment justifié et constitue un abus du droit de plainte.

10.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les autres arguments de l’État partie et de l’auteure en ce qui concerne la recevabilité et conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.

Annexe

[Original : français]

Opinion individuelle (dissidente) d’Olivier de Frouville

1.Le Comité fait ici une application inexacte de la notion d’abus du droit de présenter des communications et de l’article 96 c) de son règlement intérieur. Il retient comme dernière décision interne définitive la décision prise par la Cour suprême de justice le 4 mai 2005 rejetant le pourvoi en cassation de l’auteure. Le Comité reconnaît pourtant qu’après cette décision de 2005, l’auteure n’est pas restée inactive sur le plan interne, loin de là, puisqu’elle a engagé de multiples actions en protection constitutionnelle (amparo) devant différentes instances, dont la dernière en date fut déclarée irrecevable le 13 avril 2012. Mais le Comité prend le parti de négliger ces recours dans l’application de l’article 96 c), au motif que toutes ces actions ont été rejetées pour des motifs de forme ou parce qu’elles n’avaient pas été présentées dans un délai raisonnable (par. 10.6). De tels motifs et une telle décision sont sans précédent dans la jurisprudence du Comité.

2.Le Comité prend généralement en compte toute forme de démarche judiciaire ou administrative, y compris celles qui ne sont pas considérées par lui comme des « recours utiles » aux fins de l’application de la condition d’épuisement des voies de recours internes.

3.La décision prise dans la présente espèce par le Comité revient à faire jouer contre l’auteure les recours que celle-ci a essayé d’exercer dans l’ordre interne avant de se pourvoir devant le Comité. Il se peut que ces recours aient été effectivement inutiles ; il se peut qu’à cet égard l’auteure ait été mal conseillée. Il n’en reste pas moins que l’État partie lui-même défend le caractère utile des recours en protection constitutionnelleet adopte à cet égard une argumentation contradictoire lorsqu’il propose au Comité de prendre en compte la décision de 2005 comme dernière décision définitive. À partir du moment où l’État partie lui-même affirmait que ces recours n’étaient pas vains, on voit mal à quel titre le Comité estime ne pas devoir en tenir compte.

4.J’estime par conséquent que l’auteure a correctement justifié, au sens de l’article 96 c), pourquoi elle a attendu huit ans avant de soumettre sa communication au Comité.

5.Sur le fond, la communication révélait à n’en pas douter une violation de l’article 14, paragraphe 5, du Pacte. L’auteure cite à cet égard l’observation générale no 32 (2007) du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable (par. 47) et l’affaire Gómez Vázquez c. Espagne(CCPR/C/69/D/701/1996). Par ailleurs, l’auteure a informé le Comité, malheureusement en vain, que la Cour constitutionnelle colombienne était en accord avec sa jurisprudence, ayant déclaré inconstitutionnelles plusieurs dispositions du Code de procédure pénale et enjoint au législateur d’instaurer un droit de recours effectif pour toute personne condamnée, y compris en appel (par. 5.1 et 5.3).

6.Rappelons que l’auteure a été condamnée à une peine de vingt-huit ans de prison : les enjeux de cette affaire étaient loin d’être uniquement juridiques et abstraits.

7.Une fable de Kafka met en scène un homme qui cherche à avoir accès à la loi, mais un gardien l’empêche de franchir le pas de la porte qui y mène. L’homme cherche par tous les moyens à entrer, sans succès, et finit par passer sa vie au seuil de la porte. Alors que l’homme s’apprête à mourir, il s’étonne que personne d’autre n’ait tenté de s’approcher de la loi : « personne d’autre que toi n’avait le droit d’entrer ici, car cette entrée n’était faite que pour toi », lui répond le gardien avant de fermer la porte. Le droit international des droits de l’homme, et le Comité qui en est un des interprètes, ont été conçus pour ouvrir les portes de la loi à tous, en particulier aux plus vulnérables et aux plus marginalisés, pour qui la loi reste souvent un idéal lointain, un rai de lumière sous la porte. Il est important que, dans son interprétation du Pacte, le Comité demeure fidèle à cette promesse.