Nations Unies

CCPR/C/125/D/2295/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

23 mai 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2295/2013 * , **

Communication présentée par :

Davron Abdurakhmanov (représenté par le conseil de l’ONG, « Freedom Now »)

Au nom de :

Salijon Abdurakhmanov

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

1er octobre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29 octobre 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

29 mars 2019

Objet :

Arrestation et détention du père de l’auteur à l’issue d’un procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés

Question(s) de fond :

Détention arbitraire ; procès équitable ; présomption d’innocence ; droit de recours ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 4), 14 (par. 1, 2 et 5), 19 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.L’auteur de la communication est Davron Abdurakhmanov, de nationalité ouzbèke, qui écrit au nom de son père, Salijon Abdurakhmanov, également citoyen ouzbek. Celui‑ci était, au moment de la communication, incarcéré en Ouzbékistan après avoir été déclaré coupable d’infractions liées à des stupéfiants. L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits que son père tient de l’article 9 (par. 1 et 4), de l’article 14 (par. 1, 2 et 5) et de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 28 décembre 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le père de l’auteur est journaliste et militant des droits de l’homme. Il est connu pour avoir exposé la corruption du Gouvernement et des violations des droits de l’homme au Karakalpakstan, une république autonome en Ouzbékistan. Il était le représentant du Karakalpakstan pour l’organisation de défense des droits de l’homme nommée « Comité pour la défense des droits de la personne ». En tant que membre de l’Union véritable des journalistes d’Ouzbékistan (Real Union of Journalists of Uzbekistan), le père de l’auteur a également plusieurs fois contribué au New York Times ainsi qu’à Radio Free Europe/Radio Liberty. L’auteur soutient qu’en Ouzbékistan, la justice pénale est utilisée pour réprimer les opposants politiques, le pouvoir exécutif contrôle pleinement le pouvoir judiciaire et il y a un manque de gouvernance démocratique. Selon lui, il est notoire que la police ouzbèke accuse les dissidents de possession de stupéfiants, d’extorsion et d’évasion fiscale afin d’empêcher qu’ils continuent à mettre au jour la corruption du Gouvernement et les violations des droits de l’homme.

2.2Le 7 juin 2008 vers 17 heures, la police de la circulation a arrêté le père de l’auteur dans son véhicule pour vérifier ses papiers d’identité. Après avoir examiné les documents, l’un des agents a affirmé que les chiens détecteurs de drogue avaient repéré une odeur de stupéfiants. L’agent a alors fouillé le véhicule et affirmé qu’il avait trouvé des petits sachets de marijuana et d’opium dans le coffre. Le père de l’auteur a été arrêté. L’auteur croit que les stupéfiants en question ont été placés dans la voiture de son père. Ce dernier a également été prié de faire un alcootest, qui s’est révélé positif. L’auteur admet que son père avait bu une petite quantité de bière plus tôt dans la journée, mais affirme que les autorités n’ont jamais procédé à un examen médico-légal approprié pour prouver qu’il était effectivement ivre.

2.3Le père de l’auteur a d’abord été accusé de possession illégale de stupéfiants sans intention de les vendre. Le 9 juin 2008, un test sanguin n’a pas révélé la présence de stupéfiants dans le sang. Le 10 juin 2008, le tribunal municipal de Nukus a ordonné son placement en détention provisoire. Le 17 juin 2008, la police a procédé à un examen chimico-légal des ongles, des doigts et de la bouche du père de l’auteur et y a trouvé des traces de marijuana. Cependant, celui-ci a expliqué qu’il avait touché le sachet de marijuana deux fois le jour de son arrestation, notamment quand le médecin légiste lui avait demandé de prendre une pincée de la substance dans le sachet et de la sentir pour confirmer que c’était bien de la marijuana. Il a par la suite demandé un examen médico-légal supplémentaire pour vérifier les traces de marijuana sur ses doigts. Les résultats des tests ont confirmé qu’il n’avait pas consommé de marijuana et que les traces sur ses doigts résultaient du contact avec la substance le jour de son arrestation. Le 12 juillet 2008, son avocat a demandé par écrit aux autorités qu’une analyse scientifique légale de la voiture de son client et des sachets de stupéfiants soit réalisée dans le cadre de l’enquête préliminaire. Le 4 août 2008, l’enquêteur E. N. a rejeté la demande.

2.4Après l’arrestation, lors de la perquisition du domicile du père de l’auteur, la police a également confisqué des matériels imprimés et audiovisuels relatifs à ses activités journalistiques et de défense des droits de l’homme. Elle a par exemple saisi une biographie du chef du parti d’opposition et a par la suite interrogé le père de l’auteur à ce sujet. L’avocat de ce dernier a déclaré que les autorités semblaient s’intéresser bien davantage au travail journalistique de son client qu’aux accusations liées à la consommation ou à la vente de stupéfiants.

2.5Le 2 août 2008, le procureur a requalifié les accusations portées contre le père de l’auteur en possession illégale de stupéfiants avec l’intention de les vendre. Selon l’auteur, ce changement est dû au fait que le test visant à établir la consommation de stupéfiants par son père était négatif. Les nouvelles accusations étaient beaucoup plus graves ; les infractions concernées pouvant emporter jusqu’à vingt ans d’emprisonnement.

2.6Le procès du père de l’auteur s’est ouvert le 12 septembre 2008 au tribunal du district de Takhtakupir (Karakalpakstan). Il a eu lieu dans une petite salle afin que, selon l’auteur, le public ne puisse pas y assister ; seuls des membres de la famille ont pu y assister. Lors d’une audience tenue le 9 octobre 2008, le procureur a diffusé une version sensiblement modifiée d’une vidéo réalisée sur les lieux de l’infraction présumée. Au cours du procès, la défense a demandé à plusieurs reprises que la version intégrale de la vidéo soit diffusée. Le père de l’auteur a également demandé qu’une analyse des empreintes digitales se trouvant sur sa voiture et sur les sachets de marijuana et d’opium soit réalisée, mais ses demandes ont été rejetées.

2.7Le 10 octobre 2008, le tribunal du district de Takhtakupir a déclaré le père de l’auteur coupable de possession de stupéfiants avec l’intention de les vendre et l’a condamné à dix ans de prison. Le 21 octobre 2008, l’intéressé a fait appel auprès de la Cour suprême du Karakalpakstan. Le 19 novembre 2008, la Chambre d’appel de la Cour suprême du Karakalpakstan a confirmé la décision rendue par la juridiction inférieure, sans toutefois motiver sa décision. En mai 2009, à la suite du nouveau processus de réexamen, les deux conseils du père de l’auteur ont été rayés du barreau. Le 17 mai 2011, son nouvel avocat a saisi la Cour suprême d’Ouzbékistan dans le cadre de la procédure de contrôle. Le 1er juin 2011, la Cour suprême d’Ouzbékistan a confirmé la déclaration de culpabilité mais n’a pas motivé sa décision sur le fond. Le 29 juillet 2011, une nouvelle plainte a été déposée devant la Cour suprême d’Ouzbékistan. Le 17 août 2011, celle-ci, dans une lettre d’une page, a une fois de plus confirmé le jugement de la juridiction inférieure. En août 2011, le père de l’auteur avait été reconnu coupable d’avoir enfreint les règles de la prison à deux occasions. L’auteur avance que le fait d’accuser les détenus d’enfreindre les règles pénitentiaires a pour but de les empêcher de bénéficier d’une amnistie.

2.8L’auteur demande au Comité de constater que l’État partie a violé les obligations imposées par le Pacte en ne garantissant pas un recours utile à son père, et d’exhorter l’État partie à introduire des garanties pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent. L’auteur affirme également que son père a épuisé tous les recours utiles dont il disposait.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que le droit de son père de ne pas être arrêté ou détenu arbitrairement, qui lui est garanti par les paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte, a été violé. Les violations du droit de son père à un procès équitable sont d’une gravité telle qu’elles confèrent à sa privation de liberté un caractère arbitraire.

3.2L’auteur invoque également une violation du paragraphe 1 de l’article 14 étant donné que les juridictions saisies de l’affaire en première instance, en appel et au titre de la procédure de contrôle n’ont pas empêché de graves erreurs de procédure et de fond qui, selon lui, révèlent leur partialité. Pour le prouver, l’auteur fait remarquer que les juridictions n’ont pas fait droit aux demandes de la défense de diffuser l’intégralité de l’enregistrement vidéo réalisé le jour de l’arrestation de son père. En revanche, une version sensiblement modifiée de la vidéo, raccourcie d’environ trois heures, a été projetée. L’auteur ajoute que le tribunal de première instance n’a tenu aucun compte des résultats de l’examen médico‑légal selon lesquels les traces de marijuana sur les doigts de son père résultaient de son contact avec la substance le jour de son arrestation. Ce tribunal n’a pas non plus fait droit aux multiples demandes de la défense aux fins d’examens médico-légaux supplémentaires. Des violations des droits procéduraux du père de l’auteur ont été signalées dans des requêtes adressées à la juridiction d’appel et à la juridiction chargée de la procédure de contrôle, mais aucune mesure n’a été prise sur ce point. L’auteur soutient en outre que les juridictions qui ont examiné le dossier de son père n’étaient pas indépendantes. L’affaire constituait un cas de persécution politique, et il n’existait aucun cas connu d’action engagée par le ministère public contre un membre de l’opposition politique, un journaliste indépendant ou un défenseur des droits de l’homme ayant abouti à un acquittement.

3.3L’auteur avance qu’il y a aussi eu violation des droits reconnus à l’article 14, dans la mesure où le droit de son père d’être présumé innocent n’a pas été respecté. Il explique que le tribunal a déclaré son père coupable de possession de stupéfiants avec l’intention de les vendre sans avoir aucunement exposé comment il avait été établi que son père tentait de vendre les substances en question. De plus, le tribunal de première instance a rejeté les demandes de la défense visant à ce que soient réalisées des analyses scientifiques en vue d’identifier les empreintes digitales relevées sur la voiture et les sachets de drogue ou pris en considération les résultats des examens médico-légaux qui démontraient l’innocence de l’intéressé.

3.4L’auteur soutient que son père a été victime d’une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte étant donné que les juridictions du second degré n’ont ni rendu de décisions dûment motivées ni examiné le fond des recours. L’auteur fait valoir que, dans sa décision du 19 novembre 2008, la Chambre d’appel n’a fait que répéter le raisonnement du tribunal de première instance, sans examiner le fond de ses délibérations ni les arguments soulevés par la défense. Il avance que la décision de la Cour suprême du 1er juin 2011 n’était pas non plus motivée au fond. Le 17 août 2011, la Cour suprême d’Ouzbékistan n’a à nouveau donné qu’une réponse d’une page, dénuée de raisonnement au fond selon l’auteur. Ce dernier soutient de surcroît que l’État partie a violé les droits que son père tire du paragraphe 5 de l’article 14, étant donné que son droit de faire examiner sa déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure n’a pas été respecté. L’auteur affirme que la Chambre d’appel n’a pas procédé à une « appréciation complète des éléments de preuve » utilisés au procès ni de la façon dont le tribunal de première instance a conduit l’affaire. Il soutient qu’elle s’est contentée de rappeler les faits de l’espèce.

3.5L’auteur soutient encore que le droit de son père à la liberté d’expression, garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, a été violé car, pendant la perquisition de son domicile, des matériels imprimés et audiovisuels relatifs à son travail de journaliste et à son action en faveur des droits de l’homme ont été saisis. De plus, l’arrestation, le procès et la condamnation de son père sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces constituaient une violation du droit à la liberté d’expression.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 4 janvier 2016, l’État partie a contesté les allégations de l’auteur. Il rappelle que le 10 octobre 2008, le tribunal du district de Takhtakupir a condamné le père de l’auteur à dix ans de prison. Selon le jugement, le 7 juin 2008, Salijon Abdurakhmanov a été arrêté dans la ville de Nukus alors qu’il conduisait un véhicule sous l’influence de l’alcool. Après inspection, les policiers ont trouvé 114,18 grammes de marijuana et 5,98 grammes d’opium dans sa voiture.

4.2Les accusations portées contre M. Abdurakhmanov ont été entendues en audience publique. Sa culpabilité a été démontrée et étayée par plusieurs témoignages, par les résultats de l’examen médico-légal, par la description de preuves matérielles et par d’autres éléments recueillis pendant l’enquête. Le 19 novembre 2008, la Cour suprême du Karakalpakstan a rejeté le recours formé par l’auteur.

4.3M. Abdurakhmanov n’a pas tiré les leçons de sa condamnation et a enfreint le règlement de la prison dans laquelle il purgeait sa peine. Il a, au moment de la communication, plusieurs violations de règles disciplinaires inscrites à son dossier et « ne semble pas avoir l’intention de changer de comportement ». Il a été déclaré coupable d’infractions qu’il a commises ; sa condamnation est sans lien avec ses activités journalistiques ou de défense des droits de l’homme.

4.4Les 12 et 20 mai 2016, l’État partie a encore fait savoir que M. Abdurakhmanov continuait d’enfreindre le règlement de la prison où il était détenu, ce qui le privait de la possibilité de bénéficier d’une libération anticipée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur le fond

5.1En réponse aux observations de l’État partie, l’auteur avance que, au lieu de répondre aux griefs précis qu’il a formulés au nom de son père, l’État partie a accusé ce dernier d’enfreindre les règles de sa détention et le règlement pénitentiaire, ce qui lui aurait valu des sanctions disciplinaires. L’État partie affirme que les accusations portées contre le père de l’auteur ont été entendues en « audience publique ». Bien que seuls ses proches aient été autorisés à entrer dans la petite salle d’audience, cet argument n’est pas pertinent puisque l’auteur n’argue pas que le droit de son père à un procès public a été violé.

5.2Dans la communication, l’auteur allègue, en revanche, que l’arrestation et la condamnation de son père constituaient une punition pour ses activités de journaliste indépendant et de défenseur des droits de l’homme. Dans sa réponse, l’État partie ne reconnaît ni ne nie que la police a saisi du matériel journalistique au domicile de son père après son arrestation, alors que ce matériel était manifestement sans rapport avec les accusations. Ces pratiques correspondent à la volonté de l’État partie d’emprisonner des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces.

5.3L’État partie ne précise pas les règles de détention et du règlement pénitentiaire que le père de l’auteur aurait enfreintes ; même sa famille n’a pas connaissance de cette information. Comme indiqué dans la communication initiale, accuser les prisonniers d’opinion d’avoir enfreint les règles pénitentiaires est une tactique couramment utilisée par l’État partie pour empêcher ces détenus de bénéficier d’une libération anticipée ou d’une amnistie. L’auteur soutient pour conclure que l’État partie n’a pas apporté de réponse précise et étayée à ses griefs.

5.4Le 4 octobre 2017, l’auteur a informé le Comité que son père avait été libéré le même jour, mais il lui a demandé de quand même rendre un avis.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel son père a épuisé tous les recours internes utiles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il a soulevés au titre des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, des paragraphes 1, 2 et 5 de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il déclare la communication recevable et procède à son examen sur le fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2S’agissant des allégations de l’auteur selon lesquelles son père a été arbitrairement arrêté et placé en détention en raison de ses activités de journaliste et de défenseur des droits de l’homme, en violation des droits que lui garantit le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, le Comité note que selon l’auteur, son père avait exposé la corruption du Gouvernement et des violations des droits de l’homme, avait contribué à des médias tels que le New York Times et Radio Free Europe/Radio Liberty, et était l’un des représentants de l’organisation de défense des droits de l’homme nommée « Comité pour la défense des droits de la personne ». Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence bien établie, la protection contre la détention arbitraire doit s’entendre au sens large et que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle également qu’il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression. Il prend note de l’argument de l’auteur, selon lequel son père a été arrêté et placé en détention, en violation de ses droits à un procès équitable, et a été expressément visé en raison de ses activités de défenseur des droits de l’homme et de journaliste.

7.3L’auteur soutient également que le procès de l’auteur n’a pas été équitable, parce que le tribunal de première instance n’a pas fait droit aux demandes des avocats de la défense aux fins de la diffusion de la version intégrale de l’enregistrement vidéo réalisé sur les lieux de l’infraction présumée d’une part, et d’examens médico-légaux supplémentaires, d’autre part. Il soutient en outre que le ministère public n’a pas établi l’intention de vendre des stupéfiants (qui ne figurait pas dans l’acte d’accusation initial dressé contre son père) et que la procédure engagée contre son père était un exemple de persécutions visant les membres de l’opposition, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. Le Comité constate que l’État partie n’a pas réfuté ses arguments. Il rappelle son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il dit que le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice garantit aussi l’égalité des armes. Cela signifie que toutes les parties à une procédure judiciaire ont les mêmes droits procéduraux, les seules distinctions possibles étant celles qui sont prévues par la loi et fondées sur des motifs objectifs et raisonnables n’entraînant pas pour le défendeur un désavantage ou une autre inégalité. Le Comité constate que, dans sa réponse, l’État partie n’a pas expliqué pourquoi la version intégrale de la vidéo réalisée sur les lieux de l’infraction présumée n’a pas été diffusée, pourquoi les examens médico-légaux supplémentaires ont été refusés, pourquoi les accusations initiales ont été modifiées et comment elles avaient été établies, et pourquoi le père de l’auteur a finalement été déclaré coupable de possession de stupéfiants avec l’intention de les vendre.

7.4Le Comité note également que l’État partie a saisi du matériel journalistique et interrogé le père de l’auteur sur ses activités de journaliste et de défenseur des droits de l’homme, et n’a aucunement justifié cette atteinte à sa liberté d’expression. Faute d’explications complémentaires de l’État partie, le Comité considère que l’auteur a établi que son père avait été arrêté, placé en détention, jugé et déclaré coupable en raison de ses activités de journaliste et de défenseur des droits de l’homme, et que les actes des autorités de l’État partie avaient pour but de l’intimider et de le réduire au silence.

7.5Dans les circonstances décrites par l’auteur, et faute d’explications pertinentes de l’État partie, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que le père de l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

7.6Le Comité note les allégations de l’auteur selon lesquelles la liberté d’expression de son père a été arbitrairement restreinte parce que les autorités, alors qu’elles menaient une enquête sur une affaire de stupéfiants, ont saisi des matériels imprimés et audiovisuels liés à son activité de journaliste et l’ont interrogé sur son travail de journaliste et de militant des droits de l’homme. Dans ses observations, l’État partie ne nie ni ne confirme que la saisie de matériel journalistique et les interrogatoires qui ont suivi avaient trait au travail du père de l’auteur en tant que journaliste et militant des droits de l’homme. Selon le Comité, les actes des autorités, quelle que soit leur qualification juridique, constituent une limitation des droits du père de l’auteur, en particulier du droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, consacré par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.7Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dont il ressort que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Ces libertés sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Il rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément fixées par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction de l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire. Le Comité rappelle également qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits consacrés par l’article 19 sont nécessaires et proportionnées. Il remarque que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont fourni d’explications quant à la saisie du matériel lié aux activités journalistiques du père de l’auteur. Le Comité considère que, dans ces circonstances, l’État partie n’a pas justifié les restrictions imposées au père de l’auteur au regard des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut donc que les droits que le père de l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

7.8Ayant constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, le Comité n’examinera pas séparément les autres griefs que l’auteur tire du paragraphe 4 de l’article 9 et des paragraphes 2 et 5 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des droits garantis à Salijon Abdurakhmanov par le paragraphe 1 de l’article 9, le paragraphe 1 de l’article 14 et le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de rembourser tous les frais de justice engagés par l’auteur et son père, de verser une indemnisation appropriée pour les violations subies et de rendre tout matériel journalistique confisqué. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.