Nations Unies

CCPR/C/124/D/2668/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 mars 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2668/2015*,** , ***

Communication présentée par:

Tiina Sanila-Aikio (représentée par un conseil, Martin Scheinin)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie:

Finlande

Date de la communication:

2 octobre 2015(date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 novembre 2015 (non publiée sous forme de document) et décision concernant la recevabilité adoptée le 28 mars 2017 (CCPR/C/119/D/2668/2015)

Date des constatations:

1er novembre 2018

Objet:

Droit de vote aux élections du Parlement sâme

Question(s) de procédure:

Qualité de victime ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond:

Droit à l’autodétermination ; non-discrimination ; droits politiques ; droits des minorités

Article(s) du Pacte :

1, 25, 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif:

1 et 2

1.1L’auteure de la communication est Tiina Sanila-Aikio, de nationalité finlandaise, née le 25 mars 1983. Elle présente la communication en son nom et au nom du peuple sâme de Finlande, en sa qualité de Présidente du Parlement sâme de Finlande et avec l’autorisation du comité exécutif de cet organe. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Finlande le 23 mars 2012. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2L’auteure affirme que, dans une décision de 2011, la Cour administrative suprême de l’État partie s’est écartée de l’interprétation consensuelle de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme qui détermine qui peut s’inscrire sur la liste des électeurs du Parlement sâme, et qu’elle a, le 30 septembre 2015, accueilli 93 demandes dont le Parlement sâme avait estimé que les auteurs ne remplissaient pas les conditions requises pour pouvoir voter ; les intéressés ont ensuite été autorisés à voter. L’auteure avance que cette décision a porté atteinte à la capacité des Sâmes de se faire entendre au sein de leur Parlement et à la faculté effective dudit Parlement de représenter le peuple sâme lorsque l’État partie prend d’importantes décisions pouvant avoir des incidences sur les terres, la culture et les intérêts des Sâmes. Elle affirme que cette immixtion illégale de l’État partie dans l’exercice par le peuple sâme de son droit de déterminer qui a le droit de participer à l’élection de son Parlement constitue une violation de l’article premier du Pacte et ôte de son effet aux droits politiques de l’auteure et au vote du peuple sâme, en violation du droit de participer à la vie politique que les Sâmes tiennent de l’article 25 du Pacte. L’auteure affirme en outre que les décisions concernant la question de savoir si telle ou telle personne pouvait ou non être inscrite sur les listes électorales étaient arbitraires, ce qui constitue une violation de l’article 26 du Pacte. Enfin, elle avance que, puisque le Parlement sâme joue un rôle essentiel dans la protection du droit des Sâmes à leur propre vie culturelle et à leur propre langue et a été institué par l’État partie pour permettre d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé du peuple sâme dans les affaires pouvant avoir des incidences sur ses intérêts, cette dilution des voix des Sâmes constitue une violation de l’article 27 du Pacte.

1.3Le 2 novembre 2015, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accéder à la requête de l’auteure qui souhaitait qu’il demande en urgence à l’État partie de surseoir à la nomination des nouveaux membres du Parlement sâme tant que le Comité n’aurait pas examiné la communication au fond.

1.4Le 28 mars 2017 le Comité, en application de l’article 93 de son règlement intérieur, a déclaré la communication recevable en ce qu’elle semblait soulever des questions au regard des articles 25, 26 et 27 du Pacte. Il a également considéré que l’auteure, appartenant au peuple autochtone sâme et membre du Parlement sâme dont elle était la Présidente élue, pouvait être touchée en tant qu’individu par les décisions de la Cour mentionnées dans la décision concernant la recevabilité. Il a considéré en outre que le grief de violation de l’article premier du Pacte avancé par l’auteure était irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif mais que le Comité pouvait interpréter l’article premier, selon les circonstances, pour déterminer s’il y avait eu violation des droits garantis dans les deuxième et troisième parties du Pacte. Le Comité a demandé aux deux parties de lui faire parvenir des informations complémentaires concernant le fond de la communication. Pour en savoir plus sur les faits, les griefs de l’auteure, les observations des parties concernant la recevabilité et la décision du Comité à ce propos, se reporter à l’affaire Sanila-Aikioc. Finlande (CCPR/C/119/D/2668/2015).

Observations de l’État partie sur le fond

2.1En date du 4 mai 2016, l’État partie a fait parvenir ses observations sur le fond de la communication. Il réaffirme que la loi sur le Parlement sâme donne une définition des Sâmes. En 2012, le Ministère de la justice a créé un groupe de travail qu’il a chargé d’élaborer une proposition de révision de cette loi. Selon le mémorandum du groupe de travail, l’objectif général de la révision était d’améliorer les conditions préalables à l’autonomie culturelle des Sâmes et le fonctionnement de leur Parlement. Une proposition de loi fondée sur les propositions du groupe de travail, contenant notamment des dispositions portant révision de la définition, a été soumis au Parlement finlandais en septembre 2014. La définition proposée avait l’appui du Parlement sâme. Pendant les débats en commission parlementaire il est apparu que le Parlement finlandais ne l’approuverait pas. Comme la question de la définition était la partie la plus importante de la proposition de loi, le Gouvernement a décidé, le 12 mars 2015, de retirer le texte. Le Ministère de la justice compte en soumettre un nouveau au Parlement national.

2.2L’État partie indique que, en 2009, dans ses observations finales sur le rapport de la Finlande valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a rappelé qu’à son avis l’approche de l’État partie, s’agissant de la définition des personnes susceptibles d’être considérées comme Sâmes et pouvant donc tomber sous le coup de la législation en faveur des Sâmes, tels que définis par la loi sur le Parlement sâme et par l’interprétation spécifique de la Cour administrative suprême, était trop restrictive. En 2012, dans ses observations finales sur le rapport de la Finlande valant vingtième à vingt-deuxième rapports périodiques, le même Comité a noté que la Cour administrative suprême s’était certes fondée sur ses précédentes observations finales dans sa décision de 2011 définissant qui est un Sâme et par conséquent est habilité à élire les membres du Parlement sâme, mais que la définition adoptée ne prenait pas suffisamment en considération les droits que le peuple sâme tenait de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment leur droit à l’autodétermination (art. 3), leur droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions (art. 33) et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture (art. 8). Le Comité a donc recommandé à l’État partie de prendre dûment en considération, dans le choix des critères sur la base desquels un Sâme est habilité à voter pour élire les membres du Parlement sâme, le droit des Sâmes à l’autodétermination concernant leur statut en Finlande, leur droit de décider eux-mêmes de leur appartenance au peuple sâme et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée.

2.3En ce qui concerne la définition de Sâmes, le Gouvernement respecte le critère fondamental du sentiment d’appartenance (auto-identification) pour déterminer si un individu ou un groupe d’individus est autochtone, au sens notamment du paragraphe 2 de l’article premier de la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (no 169) de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Il respecte également le droit du Parlement sâme de choisir ses membres selon les coutumes et les traditions sâmes. En conséquence, des mesures ont été prises pour protéger l’identité des Sâmes et leur droit de préserver et développer leur culture et leur langue, en commun avec les autres membres de leur groupe. Ces mesures sont conformes au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’article 26 du Pacte.

2.4L’État partie rappelle l’observation générale no 25 (1996) sur la participation aux affaires publiques etle droit de vote (par. 2), dans laquelle le Comité indique que les droits reconnus aux citoyens par l’article25 du Pacte sont liés au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, mais ils en sont distincts. Le droit de choisir la forme de constitution ou de gouvernement prévu au paragraphe1 de l’article premier est conféré aux peuples en tant que tels. L’article25 en revanche traite du droit des citoyens à titre individuel de participer aux processus qui représentent la direction des affaires publiques. En tant que droits individuels, ils peuvent être invoqués au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

2.5Étant donné que l’article 25 porte sur le droit des individus de participer aux processus qui constituent la direction des affaires publiques, l’État partie souligneque le droit de vote aux élections du Parlement sâme est prévu par la loi. À cet égard, le Gouvernement a pris des mesures pour faire en sorte que toutes les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs puissent exercer ce droit.

2.6Le vote aux élections repose en principe sur des listes électorales officielles. La loi sur le Parlement sâme prévoit toutefois une procédure par laquelle une personne peut, en déposant une demande de rectification, obtenir son inscription sur les listes électorales, si elle estime que c’est à tort qu’elle n’y figure pas. En dernier recours il peut être fait appel de la décision devant la Cour administrative suprême. L’article 26 d) de la loi prévoit donc que toute personne qui justifie d’une décision de justice favorable et présente celle‑ci à la Commission électorale avant le dépouillement ou au bureau de vote le jour des élections, est autorisée à voter. Pour pouvoir être inscrit sur les listes électorales, l’intéressé doit aussi remettre à la Commission électorale ou aux membres du bureau de vote la décision ou une copie certifiée de cette décision.

2.7L’État partie rappelle ses arguments concernant la recevabilité. Il conclut qu’en l’espèce il n’y a pas eu de violation du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

3.1En date du 28 novembre 2016, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle réaffirme que les décisions rendues par la Cour administrative suprême le 30 septembre 2015 ont porté atteinte aux droits qu’elle-même et les autres membres du peuple autochtone sâme tiennent de l’article26, lu seul et conjointement avec l’article premier du Pacte. Il ressort d’une analyse approfondie des 182 décisions rendues par la Cour le 30 septembre 2015, faisant droit à la demande d’inscription sur la liste électorale de 93 personnes et déboutant les autres, que la Cour n’a tenu aucun compte des critères expressément prévus par l’article3 de la loi sur le Parlement sâme et qu’elle a appliqué son propre critère vague d’« appréciation générale», ce qui a créé une situation d’illicéité, d’imprévisibilité, d’arbitraire et finalement de discrimination puisque des cas identiques ont reçu un traitement différent et des cas différents un traitement identique. Ainsi, par leur caractère arbitraire, ces décisions ont porté préjudice non seulement aux personnes qui, par suite d’une différence de traitement, ont vu leur demande rejetée, mais aussi à l’auteure et à l’ensemble des Sâmes, ce qui compromet la capacité du Parlement sâme de représenter le peuple autochtone sâme et chacun de ses membres et constitue une violation de l’article 26, lu conjointement avec l’article premier du Pacte.

3.2Les grands principes inscrits dans la loi sur le Parlement sâme montrent que le bon fonctionnement du Parlement et sa capacité de représenter de façon exacte l’opinion du peuple autochtone sâme sont essentiels pour garantir le respect par l’État partie des articles 25 et 27 du Pacte. Le Parlement est un instrument important qui permet aux Sâmes de jouir, individuellement et collectivement, des droits consacrés par ces articles et d’exercer lesdits droits. L’article 9 de la loi, en particulier, impose à toutes les autorités l’obligation de négocier avec le Parlement sâme sur de très nombreuses questions qui concernent les Sâmes en tant que peuple autochtone ou sur les nouveaux projets qu’il est envisagé de mener sur le territoire sâme. Les décisions récentes de la Cour constituent donc une violation de ces dispositions. En enfreignant les articles 25, 26 et 27, l’État partie a aussi porté atteinte au droit du peuple sâme à l’autodétermination, garanti à l’article premier du Pacte.

3.3Dans sa composition actuelle, le Parlement sâme continue de défendre les droits et les intérêts des Sâmes, mais il est souvent ralenti ou entravé dans son travail par des dissensions internes qui ne peuvent être réglées qu’au prix de beaucoup de temps et d’efforts et qui concernent très souvent les relations avec l’État finlandais et la conduite à tenir face aux interventions incessantes de celui-ci sur le territoire des Sâmes et aux incidences de ces actes sur leurs moyens de subsistance. C’est ainsi que le Parlement sâme n’a pas pu empêcher le Gouvernement et le Parlement finlandais d’adopter une nouvelle loi sur l’Agence gouvernementale de la foresterie, au mépris des préoccupations exprimées par les Sâmes et sans que ceux-ci aient voix au chapitre à l’avenir.

3.4Le nouveau projet de traité entre la Finlande et la Norvège concernant la frontière qui longe le fleuve Teno pose le même type de problème. Les Sâmes ont été dans une large mesure écartés des négociations entre les deux Gouvernements, alors qu’ils pêchent le saumon dans ce fleuve depuis des temps immémoriaux. Cette activité a toujours constitué le principal moyen de subsistance de la population locale, et fait partie de sa culture et de son mode de vie. C’est autour d’elle que tournent l’organisation sociale, le cycle de travail hebdomadaire et annuel, la coopération de part et d’autre de la frontière, l’artisanat, les arts et le folklore. Le projet est présenté comme visant la conservation des ressources en saumon, alors qu’en réalité il aboutirait à priver le peuple autochtone sâme de son droit ancestral de pêcher dans ce fleuve. Il empêcherait définitivement une grande partie des Sâmes de continuer de pratiquer la pêche traditionnelle actuellement autorisée tout en permettant aux vacanciers de prendre une quantité excessive de poissons. C’est là un autre exemple concret des effets que les décisions rendues par la Cour le 30 septembre 2015 ont, non seulement sur la vie de l’auteure et des autres membres du Parlement sâme, mais aussi sur celle de tous les Sâmes de Finlande.

3.5La consultation qu’a tenue la Cour administrative suprême avec le comité exécutif du Parlement sâme avant de rendre ses décisions du 30 septembre 2015 était de pure forme. En septembre 2015, le Parlement sâme avait reçu près de 200 demandes simultanées de personnes qui souhaitaient être inscrites sur les listes électorales. La Cour ne lui avait donné que trois à cinq jours ouvrables pour donner sa réponse. Le comité exécutif a fait de son mieux pour évaluer chaque demande en s’efforçant de déterminer si les conditions de l’article 3 de la loi sur le Parlement étaient remplies. L’avis et les arguments du Parlement sâme n’ont toutefois eu aucune influence sur les conclusions de la Cour qui, au lieu d’être fondées sur une appréciation correcte des faits et une bonne interprétation de la loi sur le Parlement sâme, reposaient dans la plupart des cas sur ce que la Cour a appelé une « appréciation générale » et une « interprétation de la loi respectueuse des droits de l’homme », n’étaient justifiées par aucun élément de fait ni de droit, et ne faisaient référence ni au Pacte, ni aux droits des peuples autochtones, ni à aucun droit de l’homme en particulier.

3.6La présente affaire trouve son origine dans l’application extensive faite, en particulier par la Cour administrative suprême, de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme. En ce qui concerne les élections de 2011 au Parlement sâme, la Cour s’est écartée de la lettre de la loi, inscrivant sur les listes électorales des personnes qui ne satisfaisaient à aucun des critères objectifs énoncés à l’article 3 en sus du critère subjectif qu’est le sentiment d’appartenance à la communauté. Ces décisions ont donné lieu à une recommandation du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui, en 2012, a demandé à la Finlande d’accorder plus de poids à l’autodétermination des Sâmes dans les décisions concernant l’inscription sur les listes électorales. Elles ont aussi donné lieu à des négociations entre le Gouvernement et le Parlement sâme. Une solution satisfaisante pour les Sâmes a été trouvée en 2013 et un projet de loi y relatif a été présenté au Parlement national en septembre 2014. Ce texte n’a pas reçu le soutien nécessaire, en grande partie à cause des pressions exercées par la majorité non sâme dans les régions les plus septentrionales de la Finlande. C’est ainsi que la Cour a pu continuer à appliquer extensivement l’article 3 au-delà de sa lettre.

3.7L’auteure ne conteste pas que la Cour soit en principe compétente pour contrôler l’application de l’article 3 de la loi par les organes compétents du Parlement sâme. Toutefois, pour être compatible avec le Pacte, le contrôle juridictionnel des décisions de ces organes ne devrait porter que sur les cas d’arbitraire ou de discrimination. Or, la Cour n’a établi dans aucun des 93 cas dont elle était saisie que le refus d’autoriser l’inscription des demandeurs sur les listes électorales était arbitraire ou discriminatoire.

3.8L’auteure ajoute que la décision rendue par la Cour le 13 janvier 2016 constitue une nouvelle violation des droits qu’elle et les autres membres du peuple sâme tiennent des articles 25 et 27 du Pacte, lus seuls et conjointement avec son article premier. Cette décision a affaibli la capacité du Parlement sâme de défendre les droits et les intérêts du peuple autochtone sâme, y compris le droit de l’auteure et des autres Sâmes d’avoir leur propre vie culturelle, en commun avec les autres membres de leur groupe. À la suite de cette décision, le Parlement sâme a en outre dû prendre à sa charge les frais de justice engagés par les 27 personnes qui avaient contesté la décision d’organiser de nouvelles élections, soit 11 645 euros, ce qui a lourdement grevé son budget, déjà très modeste.

Explications supplémentaires apportées par l’État partie

4.1Par des notes verbales datées du 27 juillet 2017, du 29 novembre 2017 et du 12 juillet 2018, l’État partie a fait parvenir des explications supplémentaires, comme l’avait demandé le Comité. Il réaffirme que l’auteure n’a pas montré en quoi elle avait été directement touchée par les décisions de la Cour administrative suprême. Tout électeur doit être libre de voter pour le candidat de son choix, et l’État partie ne manquera jamais de respecter les résultats d’élections honnêtes et démocratiques au Parlement sâme. En outre, l’État partie ne prendra jamais position au sujet d’éventuelles dissensions internes au sein du Parlement sâme.

4.2Trois communications portant sur la même question sont actuellement pendantes devant des organes conventionnels : deux devant le Comité des droits de l’homme et une devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. L’autre communication dont le Comité des droits de l’homme est saisi est présentée au nom de 25 personnes, dont deux députés au Parlement sâme. Celle pendante devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a été présentée au nom des membres du Conseil sâme et de 23 autres personnes, dont deux députés au Parlement sâme.

4.3L’article 14 de la loi sur le Parlement sâme dispose que celui-ci nomme une commission électorale. Selon l’article 26 de la loi (modifié en 2002), toute personne qui estime que c’est à tort qu’elle ne figure pas sur les listes électorales peut demander à la Commission électorale de procéder en urgence à son inscription sur la liste. Cette décision est susceptible de recours devant le comité exécutif du Parlement sâme. En vertu de l’article 26 b) (modifié en 2002), les décisions du bureau exécutif peuvent être contestées devant la Cour administrative suprême dans les quatorze jours suivant la date à laquelle l’intéressé en a reçu notification. La Cour contrôle la légalité et l’uniformité des décisions rendues.

4.4Il est indiqué dans un rapport récent du Cabinet du Premier Ministre que les décisions rendues par la Cour administrative suprême en 2011 et 2015 donnaient effet à la recommandation formulée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans ses observations finales concernant les neuvième, dixième et dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques de la Finlande, tendant à ce que l’auto-identification des individus soit mieux prise en considération dans la définition des Sâmes.

4.5La loi sur le Parlement sâme énonce l’obligation faite aux autorités publiques de négocier avec le Parlement sâme en son article 9, qui est libellé comme suit :

1)Les autorités négocient avec le Parlement sâme pour toutes mesures d’importance et de vaste portée qui pourraient, directement et de manière spécifique, avoir des conséquences pour la situation des Sâmes en tant que peuple autochtone et qui concernent les questions suivantes sur le territoire sâme :

1)La planification communautaire ;

2)L’administration, l’utilisation, la location à bail et l’attribution des terres domaniales, des zones protégées et des zones sauvages ;

3)Les demandes de licences pour les concessions minières ou les demandes de brevets ;

4)Les modifications législatives ou administratives concernant des activités traditionnelles de la culture sâme ;

5)Le développement de l’enseignement du sâme et de l’enseignement dans cette langue à l’école et de son utilisation dans les services sociaux et les services de santé ;

6) Toute autre question portant sur la langue et la culture sâmes ou le statut des Sâmes en tant que peuple autochtone.

2)Pour s’acquitter de son obligation de négociation, l’autorité compétente prend des dispositions afin de donner au Parlement sâme la possibilité d’être entendu et de débattre. Si cette possibilité n’est pas saisie, l’autorité publique n’est en aucune manière empêchée de poursuivre le projet.

4.6Le 8 novembre 2017,le Ministère de la justice a nommé une commission chargée d’élaborer un certain nombre d’amendements à la loi sur le Parlement sâme. La commission était guidée dans ses travaux par les droits fondamentaux et les obligations découlant de la Constitution de la Finlande, des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels la Finlande est partie et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle a également tenu compte du texte de la convention sâme nordique, en cours de négociation, et de la Convention de l’OIT concernant les peuples indigènes et tribaux. Certains des amendements proposés par la commission portent sur des modifications du droit de voter aux élections du Parlement sâme. La disposition pertinente telle que modifiée exigerait, comme le font les critères appliqués actuellement, à la fois un consentement subjectif et la réunion de plusieurs conditions objectives : le sâme doit être la langue maternelle de l’intéressé(e) ou d’au moins un de ses parents, grands‑parents ou arrière-grands-parents, ou au moins un des parents de l’intéressé(e) doit être inscrit sur les listes électorales. Le texte proposé reprend largement la disposition correspondante de la future convention sâme nordique. Un autre amendement fait l’obligation aux autorités de l’État de coopérer et de négocier avec le Parlement sâme sur certaines questions susceptibles d’avoir des incidences sur la situation des Sâmes ce qui, toutefois, ne signifierait pas que le Parlement sâme aurait un droit de veto sur les décisions d’autres organes.

4.7Il est également proposé de modifier les procédures d’inscription sur les listes électorales, notamment d’allonger le délai imparti dans le cadre de ces procédures, de façon à laisser suffisamment de temps pour étudier les demandes et éventuellement les demandes de réexamen des décisions par la commission électorale. Un comité d’examen indépendant et autonome, constitué d’un président ayant une formation juridique et de autres trois membres, serait chargé d’examiner les décisions de la commission électorale en cas de recours. Les décisions du comité d’examen seraient susceptibles de recours auprès de la Cour administrative suprême. L’objectif est de faire en sorte que les amendements qu’il est proposé d’apporter à la loi sur le Parlement sâme entrent en vigueur en temps opportun avant les prochaines élections à ce Parlement, prévues en 2019. Le Parlement sâme n’a pas encore étudié le projet de texte et le Gouvernement ne fera rien sans son accord.

Explications complémentaires apportées par l’auteure

5.1Dans des lettres des 23 février et 28 juillet 2017, et des 13 avril et 3 août 2018, l’auteure a répondu à la demande de précisions du Comité.

5.2L’auteure souligne tout d’abord qu’elle a soumis la communication en son nom propre et au nom des membres du peuple autochtone sâme de Finlande, comme le comité exécutif du Parlement sâme l’y a autorisée. Cette autorisation répond aux critères établis dans la jurisprudence du Comité dans l’affaire B ande du lac Lubicon c. Canada. L’auteure demande donc au Comité de prendre en considération les dimensions individuelle et collective de l’affaire, et de reconnaître son droit de représenter toutes les personnes appartenant à son groupe.

5.3Le fait que d’autres communications aient été présentées par un autre particulier au sujet de la même conduite de l’État partie ne saurait l’empêcher d’exercer son droit de soumettre une communication ou de représenter d’autres membres de son groupe.

5.4Le Comité ayant déclaré la communication recevable, l’auteure modifie sa demande de réparation effective et demande que cette réparation consiste : a) à faire des excuses publiques pour les violations du droit de l’auteure et du peuple autochtone sâme de ne pas faire l’objet de discrimination, de participer à la vie politique et d’avoir leur propre culture, interprété à la lumière du droit à l’autodétermination ; b) à interrompre immédiatement les processus législatifs ou administratifs et les procédures de conclusion de traités en cours qui auraient des incidences majeures sur les droits et intérêts du peuple autochtone sâme, et dans lesquels le consentement préalable, libre et éclairé de celui-ci n’a pas été obtenu ; c) à procéder sans délai à une modification de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme, tendant à arrêter une définition des critères à remplir pour être inscrit sur les listes électorales du Parlement sâme qui permette l’exercice par le peuple sâme de son droit à l’autodétermination et qui restreigne le contrôle juridictionnel externe par les tribunaux nationaux des décisions prises par des organes du Parlement sâme, contrôle qui doit se limiter aux cas de décisions arbitraires ou discriminatoires ; d) à rembourser au Parlement sâme les frais de justice qu’il a pris à sa charge à la suite de la décision du 13 janvier 2016 ; e) à rembourser les frais de justice engagés par le Parlement sâme lui-même dans le cadre de la procédure concernant les questions touchant les élections de 2015.

5.5L’auteure fait valoir que l’État partie ne renvoie pas aux observations finales les plus récentes formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, dans lesquelles celui-ci a estimé que les arrêts de la Cour administrative suprême n’avaient pas dûment pris en considération le droit à l’autodétermination du peuple sâme.

5.6Pour ce qui est de la révision de la loi sur le Parlement sâme qui a été entreprise, la proposition actuelle est satisfaisante pour les Sâmes. Le processus permettrait de répondre partiellement aux griefs de violations du Pacte qui ont été formulés par l’auteure, mais ne mettrait pas fin aux effets continus de ces violations. En exposant les propositions de modification de cette loi, l’État partie reconnaît d’ailleurs implicitement que l’interprétation de l’actuel article 3 de la loi faite par la Cour administrative suprême était contraire au Pacte. En outre, la moitié des membres du comité de rédaction ne sont pas sâmes et appartiennent à des partis politiques dont l’électorat est principalement constitué de Finlandais non sâmes, alors que seuls les Sâmes devraient se prononcer sur la question. De plus, une disposition transitoire a été introduite dans le projet actuel, ce qui repousse l’entrée en vigueur des modifications au moins jusqu’en 2020. Par conséquent, le projet actuel ne garantit pas le consentement préalable, libre et éclairé du peuple sâme, qui est une condition préalable prévue dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et auquel le Comité renvoie dans sa jurisprudence. Les Sâmes se trouvent donc placés devant un dilemme : l’article 3 de la loi ne sera modifié que s’ils acceptent l’amendement proposé, mais cette proposition n’est pas conforme aux règles internationales concernant le consentement préalable, libre et éclairé. En outre, il y a déjà eu dans le passé une tentative infructueuse de révision de la loi et rien ne garantit que cette fois la proposition sera acceptée.

5.7En réponse à la question du Comité concernant l’appréciation faite par la Cour dans ses 93 décisions et l’interprétation qu’elle fait de la définition du Sâme donnée dans la loi sur le Parlement sâme, l’auteure renvoie à un certain nombre de décisions de la Cour administrative suprême. Dans le premier exemple que cite l’auteure, le Parlement sâme avait rejeté la demande de l’intéressée parce que celle-ci ne répondait pas aux critères objectifs énoncés à l’article 3 de la loi en question. La Cour a convenu que ces critères n’étaient pas remplis, mais elle a considéré que l’intéressée avait démontré un attachement fort à la langue et à la culture sâmes. Elle a conclu que, selon une appréciation générale, l’intéressée devait être considérée comme une Sâme. L’auteure donne aussi l’exemple de deux frères qui avaient la même histoire familiale.Pour l’un, le recours avait abouti selon la logique de l’« appréciation générale», alors que pour l’autre il avait été rejeté. La seule différence entre les deux recours était la description par les requérants de leur sentiment d’appartenance au peuple sâme. Les évaluations de la Cour reposent donc sur l’auto‑identification de chaque individu en tant que Sâme, ce qui constitue une immixtion dans le droit du peuple sâme à l’autodétermination et une entrave à la volonté des Sâmes d’obtenir une application de la loi prévisible et cohérente. L’auteure insiste sur le fait que deux de ces arrêts ont été publiés dans la base de données du Ministère de la justice consacrée aux documents juridiques, FINLEX, ce qui signifie qu’ils sont considérés comme un précédent faisant autorité. Elle renvoie également au rapport d’un projet de recherche commandé par le Gouvernement finlandais, dans lequel les auteurs constatent que, dans certains arrêts, la Cour administrative suprême aboutit à des conclusions différentes alors que les cas sont identiques, et qu’il ne saurait lui incomber de déterminer qui est Sâme en Finlande, puisqu’elle a pour principale fonction de contrôler la légalité des décisions.

5.8En ce qui concerne la question du Comité sur les conséquences que les décisions de la Cour administrative suprême ont eu pour le fonctionnement du Parlement, l’auteure rappelle ses arguments précédents. Il n’est pas possible d’évaluer avec précision les conséquences de l’inscription de nouveaux électeurs puisque le scrutin est secret, mais on peut avancer, selon une estimation prudente, qu’au moins deux membres du Parlement sâme doivent leur élection à la modification des listes électorales. Dans sa composition actuelle, le Parlement sâme est aussi plus divisé, de sorte que certains membres ont pour priorité l’autodétermination et les droits du peuple autochtone sâme tandis que d’autres veulent faire des compromis avec l’État finlandais et le reste de la population finlandaise. De plus, cette tendancefreine l’engagementde plus en plus marqué dont font preuve les jeunes femmes sâmes telles que l’auteure.

5.9En réponse à la question du Comité concernant la foresterie et les autres activités d’exploitation commerciale, l’obligation de consultation avec le Parlement sâme qui est imposée par l’article 9 de la loi sur le Parlement sâme n’est pas suffisante pour satisfaire aux normes internationales actuelles reflétées dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans la jurisprudence du Comité. Des garanties nécessaires ont été supprimées dans la nouvelle loi sur l’Agence gouvernementale de la foresterie. Les décisions de la Cour administrative suprême contribuent à favoriser une absence de considération à l’égard du Parlement sâme, et les autorités nationales méconnaissent de plus en plus leur obligation de consultation. Cette tendance est égalementillustrée par l’annonce faite en mars 2018 par le Ministre des transports de son projet de construire une ligne de chemin de fer jusqu’à l’océan Arctique, qui traverserait les terres d’élevage de rennes des Sâmes et détruirait donc leur mode de vie, les Sâmes ayant été « entendus » mais nullement consultés sérieusement.

5.10Pour ce qui est de la question du Comité concernant les négociations avec la Norvège sur la pêche au saumon dans le fleuve Teno, le nouveau traité bilatéral a été signé entre les deux pays mais le Parlement sâme a été exclu des négociations. Celles-ci en étaient à une phase décisive pendant la période où le Parlement était affaibli par les décisions de la Cour administrative suprême. L’incertitude qui a suivi l’élection a porté directement atteinte à la capacité du Parlement d’intervenir avec succès. Le nouveau traité aura des conséquences négatives pour les activités de pêche et la culture des Sâmes en Finlande. La Commission constitutionnelle du Parlement finlandais et le contrôleur de la légalité, organe interne du Gouvernement, ont tous deux conclu que le Parlement sâme n’avait pas été dûment consulté. Le Parlement national a approuvé le traité par une majorité de 111 voix sur 200 députés, dont aucun n’est Sâme. Cette absence de consultation constitue une violation distincte des droits que l’auteure et ses collègues députés au Parlement sâme tiennent des articles 25 et 27 du Pacte, à la lumière de l’article premier.

5.11Quant à la question du Comité au sujet de l’incidence des décisions de la Cour administrative suprême sur ses droits culturels et linguistiques, l’auteure rappelle les arguments qu’elle a avancés dans sa communication initiale. Elle ajoute qu’elle est elle‑même pêcheuse de saumons et éleveuse de rennes ; les activités fondées sur la nature qu’elle mène sont restées un élément constitutif de son identité et de sa culture sâmes, à titre individuel. Elle considère que transmettre aux générations suivantes sa connaissance des méthodes d’élevage de rennes et de pêche des Sâmes est une part importante de son identité.

Délibérations du Comité

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité note que, d’après l’auteure, les décisions de la Cour administrative suprême ont constitué une violation des articles 25 et 27 du Pacte, puisqu’elles empêchent l’auteure de prendre part à des élections périodiques honnêtes et ont des incidences négatives sur son droit et celui des autres Sâmes d’utiliser leur langue et d’avoir leur propre culture, en commun avec les autres membres de leur groupe. Selon l’auteure, ces décisions ont créé une situation d’illicéité et d’arbitraire et produit une division plus profonde au sein du Parlement sâme, qui est devenu moins efficace pour promouvoir et défendre les droits du peuple sâme. Le Comité note aussi que, d’après l’État partie, la procédure de réexamen par la Cour est prévue par la loi, en totale conformité avec l’article 25 du Pacte et dans le respect du droit de tout électeur de voter librement pour le candidat de son choix.

6.3Le Comité note que l’État partie dit respecter sans réserve le critère de l’auto‑identification pour déterminer qu’un individu est autochtone, conformément aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Il note aussi que, d’après l’auteure, l’État partie ne tient pas compte dela partie dans laquelle ce même Comité relève avec préoccupation que la définition adoptée par la Cour administrative suprême ne prend pas suffisamment en considération le droit du peuple sâme de décider de sa propre identité ou appartenance conformément à ses coutumes et traditions, ni son droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de sa culture reconnus aux articles 33 et 8, respectivement, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

6.4Le Comité note qu’un processus de révision de la loi sur le Parlement sâme est en cours et que la proposition porte notamment sur les critères appliqués pour déterminer qui a le droit de vote. Il prend également note des allégations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées, indiquant que les modifications apportées à la loi précitée ne pourraient pas entrer en vigueur avant 2020 et ne pourraient constituer qu’une réparation partielle des préjudices subis puisqu’elles ne mettraient pas fin aux effets des violations alléguées. L’auteure voit dans le fait même que l’État partie a souhaité modifier cette loi une reconnaissance implicite de la violation du Pacte.

6.5Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no25 (1996) sur la participation aux affaires publiques etle droit de vote, toutes les conditions s’appliquant à l’exercice des droits de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, de voter et d’être élu au cours d’élections périodiques honnêtes, devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables. Il rappelle aussi sa jurisprudence dans l’affaire Lovelace c. Canada  , à savoir qu’il pouvait dans certains cas être nécessaire de définir la catégorie de personnes appartenant à un peuple autochtone afin de préserver la survie et le bien-être de l’ensemble d’une minorité. Dans l’affaire Kitok c. Suède  , le Comité a considéré qu’une limitation des droits d’un individu appartenant à une minorité doit reposer sur une justification raisonnable et objective et faire la preuve de sa nécessité pour la survie et le bien-être de la minorité dans son ensemble.

6.6Le Comité rappelle en outre que, selon les dispositions de l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions et le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs procédures. L’article 9 prévoit que les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté́ ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée, et qu’aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit. Conformément au paragraphe 1 de l’article 8 de la Déclaration, les autochtones, peuples et individus ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

6.7Dans ce contexte, le Comité note que, conformément à l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme, est Sâme aux fins de l’obtention du droit de vote à l’élection du Parlement toute personne qui se considère comme Sâme et satisfait en outre aux conditions suivantes : a) le sâme doit être sa langue maternelle ou celle d’au moins un de ses parents ou grands‑parents ; b) l’intéressé doit descendre d’une personne inscrite sur un registre foncier, un registre fiscal ou un registre de l’état civil en tant que Lapon des montagnes, Lapon des forêts ou Lapon vivant de la pêche ; ou c) au moins un de ses parents doit avoir été ou avoir pu être inscrit sur les listes électorales pour l’élection de la délégation sâme ou du Parlement sâme. Le Comité note également qu’il n’est pas contesté par les parties que la Cour administrative suprême n’a pas retenu les éléments objectifs dans une majorité de cas.

6.8Le Comité rappelle son observation générale no23 (1994) relative aux droits des minorités, notamment son observation concernant l’exercice des droits culturels, à savoir que la culture se manifeste sous de nombreuses formes, y compris un certain mode de vie associé à l’utilisation des ressources naturelles, en particulier dans le cas des populations autochtones. Ces droits peuvent porter sur l’exercice d’activités traditionnelles telles que la pêche ou la chasse et sur la vie dans les réserves protégées par la loi. L’exercice de ces droits peut exiger des mesures positives de protection prescrites par la loi et des mesures garantissant la participation effective des membres des communautés minoritaires à la prise des décisions les concernant. Le Comité relève en outre que l’article 27 du Pacte, interprété à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de l’article premier du Pacte, consacre le droit inaliénable des peuples autochtones de déterminer librement leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique, social et culturel. L’article premier du Pacte et les obligations correspondantes concernant son application sont mutuellement liés à d’autres dispositions du Pacte et aux règles du droit international.

6.9Le Comité note que, d’après l’État partie, l’auteure n’a pas montré en quoi elle avait été directement touchée par les décisions de la Cour administrative suprême. Il note aussi que l’auteure lui a demandé de prendre en considération les dimensions individuelle et collective de l’affaire. À ce sujet, il rappelle son observation générale no 23 (par. 9), dans laquelle il affirme que la protection de ces droits au titre de l’article 27 du Pacte vise à assurer la survie et le développement permanent de l’identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées, contribuant ainsi à enrichir l’édifice social dans son ensemble. Il fait observer que ces droits doivent par conséquent être protégés en tant que tels et ne doivent pas être confondus avec d’autres droits individuels conférés conformément au Pacte à tous et à chacun. De plus, bien que les droits consacrés à l’article 27 soient des droits individuels, leur respect dépend néanmoins de la mesure dans laquelle le groupe minoritaire maintient sa culture, sa langue ou sa religion. Le Comité rappelle en outre que, dans le préambule de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, il est indiqué que les peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples. À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que, dans le contexte des droits des peuples autochtones, les articles 25 et 27 du Pacte ont une dimension collective et que certains de ces droits ne peuvent être exercés qu’en commun avec d’autres. Les droits de participer à la vie politique dont se prévaut une communauté autochtone dans le contexte de l’autodétermination interne au titre de l’article 27, lu à la lumière de l’article premier du Pacte, et en vue de la préservation du droit des membres de la communauté d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle ou d’employer leur propre langue, ne sont pas exercés uniquement à titre individuel. Par conséquent, pour examiner la question du préjudice subi individuellement, dans le contexte de la communication, le Comité doit prendre en considération la dimension collective de ce préjudice. En ce qui concerne la dilution des voix d’une communauté autochtone dans le contexte de l’autodétermination interne, le préjudice subi directement par un groupepeut porter préjudice à chacun des individus du groupe. L’auteure est membre d’une communauté autochtone et tous ses griefs sont liés à ses droits en cette qualité.

6.10Le Comité prend note du grief de l’auteure, qui affirme que, compte tenu du mandat du Parlement sâme, le fonctionnement effectif de celui-ci et sa capacité de représenter avec exactitude l’opinion des Sâmes sont essentiels pour que l’État partie mette en œuvre les articles 25 et 27 du Pacte, et que le Parlement sâme est un instrument important pour permettre aux Sâmes de jouir individuellement et collectivement des droits protégés par ces articles et d’exercer ces droits. Il note que le Parlement sâme a notamment pour pouvoirs et obligations de protéger la langue et la culture sâmes, de s’occuper de toutes questions liées au statut de peuple autochtone des Sâmes, d’agir comme le représentant du peuple sâme au niveau national et international dans des affaires relevant de ses attributions et d’être consulté par toutes les autorités sur toutes sortes de questions qui concernent les Sâmes en tant que peuple autochtone ou au sujet de nouveaux projets dans le territoire sâme. Le Comité estime donc que le Parlement sâme constitue l’institution par laquelle l’État partie garantit la participation effective des Sâmes, en tant que membres d’une communauté autochtone, aux décisions les concernant. Par conséquent, le respect par l’État partie des obligations énoncées à l’article 27 du Pacte dépend du rôle réel que joue le Parlement sâme dans la prise de décisions qui touchent le droit des Sâmes d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle ou d’employer leur propre langue. Le processus électoral concernant le Parlement sâme doit donc garantir la participation effective des personnes concernées au processus d’autodétermination interne, qui est nécessaire à la survie et au bien-être de la communauté autochtone dans son ensemble. Conformément à l’article 25 du Pacte, le Comité considère également que les restrictions imposées au droit des membres de la communauté autochtone sâme à une représentation effective au Parlement sâme doivent avoir une justification raisonnable et objective et être compatibles avec les autres dispositions du Pacte, y compris le principe d’autodétermination interne relatif aux peuples autochtones.

6.11Dans la présente espèce, l’auteure est Sâme et Présidente du Parlement sâme et, en cette qualité, elle participe activement au processus électoral. Le Comité relève que, d’après les observations de l’auteure, qui n’ont pas été contestées, les décisions de la Cour administrative suprême, à partir de 2011, s’écartent de l’interprétation consensuelle de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme retenue pour déterminer qui peut s’inscrire sur les listes électorales en vue des élections à ce Parlement. En particulier, la Cour n’a pas exigé dans la majorité des cas qu’il soit satisfait à au moins un des critères objectifs, et a au contraire procédé à une « appréciation générale » et examiné si le sentiment d’appartenance d’une personne au peuple sâme était « forte », portant ainsi atteinte à la capacité du peuple Sâme d’exercer, par l’intermédiaire du Parlement sâme, une dimension essentielle de l’autodétermination des Sâmes en déterminant qui est Sâme. Le Comité estime que les décisions de la Cour administrative suprême ont porté atteinte au droit de l’auteure et de la communauté sâme à laquelle elle appartient de participer au processus électoral concernant l’institution par laquelle l’État partie entend garantir l’effectivité de l’autodétermination interne et le droit des membres du peuple autochtone sâme à leur propre langue et leur propre culture. Le Comité considère en outre que, en s’écartant ainsi de l’interprétation consensuelle de la loi régissant l’inscription sur les listes électorales du Parlement sâme, la Cour n’a pas fondé sa décision sur des critères raisonnables et objectifs. En conséquence, il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteure tient de l’article 25, lu seul et conjointement avec l’article 27, tel qu’interprété à la lumière de l’article premier du Pacte.

6.12Ayant conclu à une violation de l’article 25, lu seul et conjointement avec l’article 27 du Pacte, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les autres griefs de violation du Pacte.

7.Compte tenu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 25, lu seul et conjointement avec l’article 27 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de revoir l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme pour faire en sorte que les critères relatifs à l’exercice du droit de vote aux élections du Parlement sâme soient définis et appliqués de façon à respecter le droit du peuple sâme à l’autodétermination interne, conformément aux articles 25 et 27 du Pacte. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles, notamment en veillant à ce que qu’elles soient accessibles aux membres de la communauté autochtone sâme.

Annexe

Opinion individuelle (concordante) d’Olivier de Frouville

1.Je suis en accord avec la conclusion à laquelle parvient le Comité dans cette affaire, à savoir qu’il y a eu violation de l’article 25, lu seul et en conjonction avec l’article 27, interprétés à la lumière de l’article premier du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques.

2.J’estime toutefois que le Comité n’a pas correctement motivé sa décision sur la recevabilité adoptée séparément le 28 mars 2017. Dans cette décision, le Comité constatait qu’en présentant la communication en son nom propre, l’auteure le saisissait en sa qualité de membre du peuple autochtone sâme et de membre du Parlement sâme, dont elle était la Présidente. Il était d’avis qu’en tant que telle, elle pourrait être personnellement concernée par tous problèmes relatifs au fonctionnement du Parlement et aux élections législatives. De même, un peu plus loin dans la même décision, le Comité relevait que les décisions des institutions de l’État finlandais qui influaient sur la composition du Parlement sâme et sur l’égalité de représentation des Sâmes pouvaient avoir des répercussions sur le droit des membres de la communauté sâme d’avoir leur propre vie culturelle et d’utiliser leur langue avec les autres membres du groupe, ainsi que sur leur droit à l’égalité devant la loi. La décision de recevabilité reposait donc sur le constat de l’existence d’un double lien de causalité : entre les jugements de la Cour administrative suprême et la composition et le fonctionnement du Parlement sâme, d’une part ; entre la composition et le fonctionnement du Parlement sâme et les droits des membres du peuple sâme en vertu de l’article 27 du Pacte, d’autre part. Or les arguments développés par l’auteure ne venaient pas clairement étayer ce double lien de causalité et la décision du Comité restait tout aussi évasive. Elle ne démontrait pas en quoi l’application du principe d’auto-identification avait véritablement affecté de manière significative la composition du corps électorale et encore moins affecté la composition ou le fonctionnement du Parlement sâme. Et aucun exemple concret n’était donné pour démontrer que, dans un cas particulier, ces changements dans la composition du corps électoral avaient eu une incidence sur les droits que les membres du peuple sâme tenaient de l’article 27. Le Comité n’expliquait donc pas clairement en quoi l’auteure pouvait se prétendre « victime » de violations de ses droits tirés des articles 25, 26 ou 27 du Pacte.

3.Les constatations adoptées ultérieurement par le Comité dans une autre affaire connexe − Klemetti Käkkäläjärvi et consorts . c. Finlande − permettent toutefois remédier a posteriori à ce défaut de motivation. D’abord, dans cette affaire, le Comité se recentre sur les griefs tirés par les auteurs de l’article 25 du Pacte. L’affaire concerne en effet, avant tout, le droit de prendre part à la direction des affaires publiques des membres du peuple sâme, en tant qu’ils appartiennent à un peuple autochtone − ce qui justifie par ailleurs pleinement que l’article 25 soit lu en conjonction avec l’article 27, mais aussi avec l’article premier du Pacte. Ce qui est en cause ici, c’est le droit des Sâmes de décider de leur propre identité ou appartenance, conformément à leurs coutumes et traditions, ainsi que leur droit de déterminer les structures et leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures, droits qui sont reconnus par l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les décisions de la Cour administrative suprême ont effectivement eu un impact important sur cette capacité du peuple de régler collectivement sa composition et, par la suite, sur son droit de prendre part à la direction des affaires publiques par l’intermédiaire de représentants élus au sein d’un organe constitué. Et cela d’autant plus qu’avec ces décisions, la Cour n’a pas correctement appliqué la législation nationale, qui mettait pourtant en avant clairement un critère objectif d’appartenance, tel que voulu par les Sâmes eux-mêmes. En n’appliquant pas ce critère et en lui substituant un critère d’auto-identification, dont elle se faisait elle-même l’interprète au cas par cas, la Cour a restreint les droits des Sâmes d’exercer leur droit à la participation aux affaires publiques dans le contexte des institutions ayant vocation à garantir leurs droits en tant que membres d’un peuple autochtone, tels que garantis à l’article 27 du Pacte.

4.Par ailleurs, les constatations adoptées dans l’affaire Klemetti Käkkäläjärvi et consorts c. Finlande viennent expliciter le lien de causalité existant entre les décisions de la Cour administrative suprême et les droits politiques des Sâmes. Dans ces constatations, le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’application du critère d’auto‑identification pourrait potentiellement conduire à l’inclusion dans le corps électoral de 512 000 personnes non reconnues comme Sâmes par le Parlement sâme. Le Comité note également l’allégation inquiétante, non contestée par l’État partie, selon laquelle des organisations anti-Sâmes feraient campagne et aideraient des personnes non-Sâmes à soumettre des demandes pour être reconnues en tant que Sâmes et incluses dans le corps électoral, compte tenu des enjeux économiques sous-jacents. Ces perspectives justifient à mon sens la qualité de « victime », au moins potentielle, des 22 auteurs reconnus comme tels par le Comité.

5.Les mêmes considérations s’appliquent à l’auteure de la présente communication, non en tant que Présidente du Parlement sâme, mais en tant qu’électrice et élue au Parlement, et plus simplement en tant que membre du peuple Sâme, dont le droit à la participation aux affaires publiques se trouve violé par l’application que la Cour administrative suprême a fait de la loi sur le Parlement sâme.