Nations Unies

CCPR/C/126/D/2416/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2416/2014 * , **

Communication présentée par :

Bakytgul Suleymenova (représentée par un conseil, Bakhytzhan Toregozhina)

Victime(s) présumée(s)  :

L’auteure

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

10 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 10 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 juillet 2019

Objet :

Arrestation, déclaration de culpabilité au titre d’une infraction administrative ; infliction d’une amende pour organisation d’une manifestation collective non autorisée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Liberté d’association ; liberté d’expression ; droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

14, 19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5

1.L’auteure de la communication est Bakytgul Suleymenova, de nationalité kazakhe, née en 1959. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 1er octobre 2013, 200 personnes environ, parmi lesquelles se trouvait l’auteure, se sont rendues à Astana où elles se sont rassemblées devant le siège du Gouvernement pour remettre au Président du Kazakhstan une pétition dénonçant des problèmes de logement ainsi que des pratiques malhonnêtes en matière de services bancaires et de crédits. Ce rassemblement était organisé par l’association « Leave housing to people », qui avait informé les autorités de sa tenue par Internet et par télégramme.

2.2Le même jour, deux représentants du Gouvernement (dont le premier Vice-Ministre du développement régional) se sont adressés à la foule en promettant d’annoncer la décision des autorités avant le déjeuner. La foule est restée, dans le calme, aux abords du siège du Gouvernement. À 16 heures, aucun membre du Gouvernement n’étant apparu, elle s’est mise à scander « Nazarbayev, à l’aide! ». La police a alors commencé à arrêter des manifestants et à les emmener dans les différents services du Ministère de l’intérieur à Astana.

2.3L’auteure faisait partie des personnes appréhendées et elle a été traduite le jour même devant le Tribunal administratif interdistrict spécial d’Astana, qui l’a reconnue coupable de participation à une manifestation collective non autorisée, sur le fondement de la loi surla procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, rassemblements, défilés, piquets et manifestations pacifiques et du paragraphe 3 de l’article 373 du Code des infractions administratives, et elle a été condamnée à une amende de 18 520 tenge (environ 50dollars).

2.4Le 3 octobre 2013, l’auteure a fait appel de la décision du Tribunal administratif spécial devant le Tribunal municipal d’Astana, mais elle a été déboutée le 21 octobre 2013.

2.5Par la suite, l’auteure a déposé deux plaintes : l’une auprès du Parquet d’Astana, le 22 janvier 2014, et l’autre auprès du Bureau du Procureur général, le 14 mars 2014, aux fins de réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision rendue le 1er octobre 2013. Elle a été déboutée par le Parquet d’Astana le 24 février 2014, puis par le Bureau du Procureur général le 24 avril 2014 et dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Les autorités étaient informées qu’un groupe de personnes remettraient une pétition au Président, mais elles ont ignoré le rassemblement prévu et n’ont pas communiqué avec la foule comme il aurait fallu. D’après l’auteure, l’exercice du droit de s’adresser au Président et d’appeler son attention sur des questions sociales ne saurait être considéré comme illégal. Le rassemblement qui s’est tenu aux abords du siège du Gouvernement était pacifique et ne constituait pas une menace pour la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ni pour les droits et libertés d’autrui. De plus, la foule a été invitée à attendre la décision dans le voisinage du siège du Gouvernement. Pourtant, aucune suite n’a été donnée à ses demandes, la police a procédé à des arrestations brutales et les manifestants arrêtés se sont vu infliger des amendes ou ont fait l’objet de mesures d’internement administratif.

3.2L’auteure affirme que la condamnation et la sanction administrative dont elle a fait l’objet étaient fondées sur le fait qu’elle aurait organisé un rassemblement public sans autorisation des autorités locales. Elle soutient que, eu égard aux circonstances, sa condamnation constitue une restriction à l’exercice de la liberté de réunion qui lui est garantie. Elle estime que cette restriction est contraire à l’article 21 du Pacte.

3.3L’auteure soutient que, selon la jurisprudence du Comité, les restrictions imposées à la liberté de réunion doivent s’inscrire dans les limites autorisées par l’article 21 du Pacte. Elle affirmeque ni les autorités de police ni les autorités judiciaires n’ont justifié les restrictions imposées à sa liberté de réunion et que, par conséquent, les sanctions administratives prononcées contre elle constituent une limitation injustifiée de son droit à la liberté de réunion tel qu’il est garanti par l’article 21 du Pacte.

3.4L’auteure prie le Comité de demander instamment à l’État partie : de faire en sorte que les personnes responsables de la violation de ses droits aient à répondre de leurs actes et de l’indemniser du préjudice moral qu’elle a subi ; de veiller à ce que les restrictions indûment imposées à la liberté de réunion et à la liberté d’expression soient levées et à mettre la législation applicable en conformité avec le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte ; de garantir que l’organisation de réunions pacifiques et l’expression par chacun de son opinion ne donnent pas lieu à des sanctions.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 28 janvier 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité, affirmant que la communication est irrecevable et dénuée de fondement au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie affirme que l’article 40 du Code des infractions administratives prévoit une procédure exceptionnelle au titre de laquelle l’auteure aurait pu demander au Procureur général d’engager devant la Cour suprême une procédure de contrôle juridictionnel des décisions administratives rendues dans son dossier. L’auteure, qui ne s’est pas prévalue de cette procédure, n’a donc pas épuisé toutes les voies de recours internes.

4.2L’État partie rappelle que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte font l’objet de certaines restrictions. Il explique que l’exercice de la liberté de réunion pacifique n’est pas interdit au Kazakhstan, mais qu’une certaine procédure doit être suivie pour organiser un rassemblement. L’État partie renvoie aux articles 2, 7 et 10 de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, rassemblements, défilés, piquets et manifestations pacifiques, en vertu desquels : les organisateurs sont tenus de demander à cet effet une autorisation aux autorités administratives locales ; les autorités locales peuvent interdire toute manifestation collective dont l’objectif est illégal ou dont la tenue constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publics ; les autorités locales peuvent subordonner la tenue de ce type d’événement à des conditions supplémentaires. L’auteure, n’ayant pas obtenu l’autorisation requise, a été sanctionnée pour n’avoir pas respecté la procédure d’organisation d’un rassemblement.

4.3L’État partie affirme que les juridictions internes ont examiné avec soin les griefs de l’auteure, qui soutient qu’elle n’a commis aucun acte illicite, et qu’elles les ont jugés infondés. Elles ont tenu compte des circonstances de l’espèce et estimé que la sanction appliquée n’excédait pas les limites fixées au paragraphe 3 de l’article 373 du Code des infractions administratives.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 3 février 2015, l’auteure a contesté le bien-fondé des observations formulées par l’État partie. Elle soutient qu’elle a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, puisqu’elle a même déposé auprès du Bureau du Procureur général une requête en vue de saisir la Cour suprême aux fins de mettre en œuvre la procédure de contrôle, tout en sachant qu’il ne s’agissait pas d’un recours utile. Elle souligne que l’argument avancé par l’État partie sur ce point n’est pas convaincant.

5.2D’après l’auteure, s’il affirme que les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte sont garantis au Kazakhstan et ne peuvent être restreints que dans des circonstances données, l’État partie n’a pas justifié la nécessité de sa condamnation à une amende.

5.3L’auteure déclare que les juridictions saisies n’ont pas été impartiales, n’ont pas pris ses requêtes en considération et ont méconnu les dispositions du Pacte, en violation de l’article 14 de celui-ci.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 17 avril 2015, l’État partie a présenté ses observations concernant le fond de la communication. Il a affirmé qu’il n’y avait pas eu en l’espèce de violation des droits garantis à l’auteure par les articles 14, 19 et 21 du Pacte. Il a également répété son argumentation concernant l’irrecevabilité.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 22 mai 2015, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle affirme qu’au regard des obligations internationales contractées par l’État partie, toute restriction apportée à la liberté de réunion doit être proportionnée et appliquée compte tenu des circonstances propres à chaque espèce, que l’intervention des autorités dans l’organisation de manifestations publiques doit être réduite au minimum et que les mesures visant à écourter de force un rassemblement ne devraient être prises qu’en dernier ressort. L’auteure affirme que l’État partie passe outre à ces principes et les enfreint.

7.2L’auteure rappelle les observations du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d’association dans lesquelles il est dit que la loi est l’expression de la volonté générale et a donc pour but de servir le peuple. L’état de droit suppose que les individus sont libres d’exercer leurs droits fondamentaux sans autorisation préalable des autorités publiques (A/HRC/29/25/Add.2, par. 91).

7.3L’auteure réaffirme également les griefs qu’elle tire de la violation de ses droits au titre de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité relève que l’auteure affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes. Il relève également que, d’après l’État partie, elle n’a pas demandé au Procureur général d’engager une procédure de contrôle devant la Cour suprême et n’aurait donc pas épuisé les recours internes. Le Comité observe à cet égard que, les 22 janvier et 14 mars 2014, l’auteure a introduit deux demandes de contrôle juridictionnel auprès du Bureau du Procureur général. Ces demandes ont été rejetées par le Parquet municipal d’Astana le 24 février 2014 et par le Bureau du Procureur général le 24 avril 2014. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès d’une juridiction ou du ministère public d’une demande de contrôle visant des décisions de justice passées en force de chose jugée et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge ou du procureur constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’espèce, le Comité note que l’État partie n’a pas démontré que des demandes introduites au titre de la procédure de contrôle juridictionnel avaient déjà abouti dans des affaires portant sur la liberté d’expression et de réunion. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les droits qu’elle tient de l’article 14 du Pacte ont été violés en raison de la partialité dont a fait preuve le tribunal lorsqu’il a examiné son affaire, et parce qu’il a statué « à charge ». Toutefois, en l’absence de tout autre élément utile dans le dossier à cet égard, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, il estime que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs soulevés au titre du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note que, d’après l’auteure, en lui infligeant une amende administrative pour avoir participé à une manifestation pacifique, l’État partie a violé son droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion. L’auteure soutient qu’elle a été arrêtée au cours d’une manifestation pacifique organisée en réaction « directe et immédiate » à l’absence de décision des autorités concernant une pétition dénonçant des violations des droits relatifs au logement, alors qu’une décision avait été promise. L’État partie soutient que l’auteure a été arrêtée pour avoir participé à une manifestation publique non autorisée.

9.3Le Comité note que la sanction infligée à l’auteure pour avoir exprimé ses opinions en participant à une manifestation publique a porté atteinte au droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, qui doivent toutefois être prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il affirme que ces libertés sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions apportées à leur exercice doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteure tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

9.4Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser un rassemblement pacifique dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public ciblé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées par la loi ; b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion pacifique des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent s’efforcer d’en faciliter l’exercice et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte et de démontrer qu’elle ne constitue pas un obstacle disproportionné à l’exercice de ce droit.

9.5Le Comité observe que l’obligation d’avertir à l’avance les autorités ou de demander une autorisation pour la tenue d’une manifestation publique, lorsqu’une telle autorisation est accordée automatiquement, ne constitue pas en soi une violation de l’article 21, pour autant qu’elle soit appliquée dans le respect des dispositions du Pacte. En même temps, la tenue de réunions ne devrait pas, en principe, être soumise à un régime d’autorisation accordant aux autorités toute latitude pour autoriser ou non un rassemblement (CCPR/C/MAR/CO/6, par. 45 et 46 ; CCPR/C/GMB/CO/2, par. 41 et 42). En tout état de cause, en cas de notification préalable ou de demande d’autorisation, les procédures ne devraient pas être excessivement contraignantes. Même dans le cas d’un rassemblement pour lequel il n’y a eu ni notification préalable ni demande d’autorisation, toute restriction au droit à la liberté de réunion pacifique doit être justifiée au regard de la deuxième phrase de l’article 21.

9.6Le Comité relève que, d’après l’auteure, ni les autorités administratives, ni les tribunaux de l’État partie n’ont justifié l’amende administrative qui lui a été infligée pour sa participation à un rassemblement pacifique quoique non autorisé. Il observe d’autre part que, selon l’État partie, la restriction en cause a été imposée à l’auteure conformément au Code des infractions administratives et aux dispositions de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de réunions, rassemblements, défilés, piquets et manifestations pacifiques. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’obligation de demander une autorisation vise à protéger l’ordre public ainsi que les droits et libertés des autres citoyens. Toutefois, il relève à ce sujet l’argument de l’auteure selon lequel, s’il se peut que la restriction imposée ait été licite au regard du droit interne, son interpellation et sa condamnation n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique aux fins de la poursuite des objectifs légitimes invoqués par l’État partie. L’auteure affirme en outre que la manifestation à laquelle elle a participé en réaction à un problème important − l’indifférence des autorités à l’égard de problèmes liés au logement ainsi que des pratiques malhonnêtes en matière de services bancaires et de crédits − était pacifique et n’a causé aucun danger ou dommage aux personnes ou aux biens.

9.7Le Comité constate que l’État partie s’est uniquement fondé sur les dispositions de la loi relative aux manifestations publiques, conformément à laquelle il faut, pour organiser une manifestation, présenter une demande dix jours à l’avance et obtenir l’autorisation des autorités administratives locales, ce qui, en soi, restreint déjà le droit de réunion pacifique. Pour être conformes au Pacte, les restrictions imposées au droit en question, même lorsqu’elles sont autorisées par la législation nationale, doivent aussi répondre aux critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Le Comité observe que l’État partie n’a pas démontré que l’amende administrative infligée à l’auteure à raison de sa participation à une manifestation pacifique était nécessaire, dans une société démocratique, pour atteindre un objectif légitime ou qu’elle était proportionnée à un tel objectif au regard des conditions rigoureuses prévues par la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Pour ces motifs, le Comité conclut que l’État partie a commis une violation de l’article 21 du Pacte.

9.8De même, compte tenu de la restriction imposée à la liberté d’expression de l’auteure, et en l’absence de toute information utile de la part de l’État partie démontrant que la restriction imposée était conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, le Comité conclut que les droits garantis à l’auteure par le paragraphe 2 de l’article 19 ont été violés.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteure une indemnisation adéquate et lui rembourser tous frais de justice engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’à l’avenir, des violations analogues ne se produisent pas. À ce propos, le Comité rappelle que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, l’État partie devrait réviser sa législation de façon à garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par l’article 21 du Pacte, notamment du droit d’organiser et de tenir des rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.