Nations Unies

CCPR/C/128/D/2367/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 juillet 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2367/2014 * , ** , ***

Communication présentée par :

Evgeny Bryukhanov (représenté par Svetlana Bryukhanova)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

28 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

12 mars 2020

Objet :

Détention et mauvais traitements

Question(s) de procédure :

Abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Torture ; arrestation et détention arbitraires ; conditions de détention ; droit à un procès équitable − droit d’interroger les témoins, droit à l’assistance d’un avocat

Article(s) du Pacte :

7, 9, 10, 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g)) et 15 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.L’auteur de la communication est Evgeny Bryukhanov, de nationalité russe, né en 1980. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9 et 10, 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g)) et 15 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur est représenté.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 21 août 2010, l’auteur a été arrêté pour agression sexuelle sur sa belle-fille mineure. Après son arrestation, des accusations concernant huit autres agressions sexuelles ont été portées contre lui. L’auteur affirme avoir été battu et privé de nourriture et de sommeil pendant sa garde à vue. Au cours de l’enquête préliminaire, qui s’est étendue du 21 août au 20 octobre 2010, l’auteur n’a pu s’entretenir avec un conseil qu’une seule fois, le 1er octobre 2010. Une avocate − K. B. K. − avait certes été désignée au titre de l’aide juridictionnelle, mais, selon l’auteur, elle n’a assisté à aucun des interrogatoires. Sa signature a cependant été ajoutée a posteriori sur les procès-verbaux. Le 20 octobre 2010, l’auteur a pu prendre connaissance du dossier de la procédure pénale engagée contre lui, en l’absence de son avocate. L’auteur a donc été dans l’incapacité de porter plainte concernant les multiples violations des règles de procédure commises contre lui.

2.2L’auteur affirme que, même s’il a signé une lettre d’aveux, le tribunal n’aurait pas dû retenir ses aveux comme éléments de preuve. Il soutient qu’il a été conduit au commissariat par des policiers, et qu’aucun avocat n’était présent. En outre, en vertu de la législation nationale, les tribunaux ne doivent pas considérer comme des éléments de preuve recevables des aveux extorqués à un suspect par la violence. L’auteur affirme que l’enquêteur, S. M. B., l’a « littéralement roué de coups » pour qu’il signe des aveux.

2.3Le 31 mars 2011, le tribunal du district Pravoberejny de Magnitogorsk a reconnu l’auteur coupable et l’a condamné à une peine de treize ans d’emprisonnement. Le 26 avril 2011, l’auteur a formé un recours en cassation auprès du tribunal régional de Tcheliabinsk pour violation de la loi pénale et de la loi relative à la procédure pénale. Il a également fait valoir qu’on l’avait roué de coups lors de son arrestation dans le but de lui extorquer des aveux de culpabilité. Le 10 octobre 2010, la juridiction de cassation a rejeté le recours de l’auteur. Elle a rejeté les allégations de violences formulées par l’auteur au motif que celui-ci n’en avait pas parlé auparavant, par exemple lors de son interrogatoire en présence de son avocat, et a conclu que les aveux de l’auteur étaient spontanés.

2.4Le 18 octobre 2011, l’auteur a demandé au tribunal régional de Tcheliabinsk de réexaminer au titre de la procédure de contrôle les jugements rendus par le tribunal de district et par le tribunal régional, demande qui a été rejetée le 20 mars 2012. À une date non précisée, l’auteur a contesté cette décision auprès du Président du tribunal régional, qui l’a débouté le 21 juin 2012, confirmant la décision contestée. À des dates non précisées, l’auteur a saisi la Cour suprême et son Président de demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle ; ces demandes ont été rejetées le 15 août 2012 et le 25 mars 2013 respectivement.

2.5Entre le 21 août et le 1er novembre 2010, des médias ont relaté l’affaire, sans divulguer l’identité de l’auteur mais en le présentant comme un pédophile qui avait abusé de sa belle-fille. Le 17 novembre 2010, la chaîne TVC-U a diffusé un documentaire produit par la société audiovisuelle TV-IN qui s’intitulait « Le beau-père violeur », dans lequel les enquêteurs affirmaient que l’auteur avait abusé de sa belle-fille. Cette information a été diffusée avant même le début du procès. À une date non précisée, l’auteur a déposé une plainte auprès du procureur du tribunal du district Pravoberejny de Magnitogorsk, demandant l’ouverture d’une enquête pénale contre les collaborateurs de TV-IN pour diffamation et divulgation d’informations confidentielles. Le 4 février 2011, le chef de la police du Ministère de l’intérieur a décidé de ne pas ouvrir d’enquête et déclaré à ce sujet que le documentaire ne divulguait aucune information confidentielle et que les collaborateurs de TV-IN avaient agi dans le respect de la loi.

2.6L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles, et observe que la question sur laquelle porte la communication n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les coups et les mauvais traitements qui lui ont été infligés pendant sa détention constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

3.2L’auteur affirme aussi que ses aveux ont été obtenus en violation de la loi relative à la procédure pénale en ce que la représentante légale de la victime, c’est-à-dire de sa belle-fille, a également été entendue en tant que témoin pendant le procès. Il fait également valoir que l’enquête a révélé plusieurs autres irrégularités, toutes constituant des violations du droit à un procès équitable qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte. En outre, le Président du tribunal aurait dû se récuser étant donné qu’il avait eu connaissance des articles que les journaux avaient publiés sur l’auteur ou les avait lus, et qu’il ne pouvait donc pas être considéré comme impartial.

3.3Renvoyant à l’affaire Gridin c . Fédération de Russie, l’auteur affirme que la manière dont il a été dépeint par les médias et les déclarations des enquêteurs ont porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence, en violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

3.4L’auteur affirme que le fait qu’il n’ait pas pu communiquer avec un avocat entre le 21 août 2010, date de son arrestation, et le 20 octobre 2010 constitue une violation de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte.

3.5L’auteur signale que la victime n’a pas été interrogée au procès et que l’un des principaux témoins à charge, L. M. A., a été interrogé pendant l’enquête mais n’a pas comparu au procès. En outre, plusieurs experts ont été interrogés et ont remis leurs conclusions pendant l’enquête mais n’ont pas été entendus lors du procès, leurs conclusions ayant simplement été lues afin de figurer dans les minutes. L’auteur affirme par conséquent que les autorités de l’État partie ont violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

3.6L’auteur affirme également que les faits susmentionnés soulèvent des questions au regard des articles 9, 10 et 15 (par. 1) du Pacte, sans toutefois étayer ses propos.

3.7Enfin, l’auteur demande au Comité de lui assurer une indemnisation équitable qui, compte tenu de la gravité des accusations portées contre lui, devrait s’élever à 1 million d’euros.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 16 juillet 2014, l’État partie affirme que l’auteur a été condamné à une longue peine de prison pour des actes de violence sexuelle répétés contre sa belle-fille, mineure de moins de 14 ans. L’auteur avait déjà fait l’objet d’une condamnation pour viol.

4.2Le jugement portant condamnation a été prononcé le 31 mars 2011 et a été confirmé par le tribunal régional de Tcheliabinsk le 10 octobre 2011. L’État partie affirme qu’aucune des violations alléguées par l’auteur n’a été commise. Le droit de celui-ci d’être défendu a été assuré à toutes les étapes de la procédure, y compris en deuxième instance.

4.3L’auteur a été arrêté le 21 août 2010 à 10 heures du matin, en présence de son avocate, K. B. K. Il a été informé de ses droits, et sa mère a été prévenue de sa détention. Le même jour, l’auteur a été interrogé en tant que suspect, en présence de son avocate. Toutes les autres mesures d’enquête, telles que les interrogatoires, se sont déroulées conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.

4.4Le 22 août 2010, un tribunal a décidé de placer l’auteur en détention provisoire. Cette détention a été prolongée à plusieurs reprises. Toutes les audiences concernant la détention provisoire de l’auteur se sont déroulées en présence de son avocat. Les allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été privé de nourriture, de sommeil et d’accès aux installations sanitaires pendant sa détention provisoire n’ont pas été confirmées. Le 27 août 2010, l’auteur a été transféré dans un centre de détention provisoire, où les cellules sont équipées de toilettes individuels, d’un accès à l’eau potable et d’ouvertures permettant une bonne aération, et où les détenus reçoivent trois repas par jour. L’auteur ne s’est pas plaint de ses conditions de détention, ni d’aucune autre forme de traitement dégradant.

4.5L’État partie reconnaît que l’auteur n’a pas toujours été informé en temps utile des décisions de faire procéder à des examens médico-légaux. Ce seul fait ne constitue toutefois pas un motif suffisant pour considérer que les résultats des examens sont nuls et irrecevables devant le tribunal. En outre, l’auteur n’a pas demandé que d’autres examens soient réalisés. Une fois l’enquête terminée, lui et son avocat ont eu accès au dossier de l’instruction, dont ils ont pu examiner les pièces de 9 heures à 13 h 30 le 20 octobre 2010. Le procureur a mis l’auteur en accusation le 29 octobre 2010, et l’affaire a été déférée au tribunal le jour même. Une copie de l’acte d’accusation, portant la signature de l’auteur, lui a été remise.

4.6L’auteur étant accusé d’infractions à caractère sexuel sur une personne mineure, les audiences se sont tenues à huis clos. L’auteur et son avocat y ont activement participé, cependant, et ont notamment pu produire des éléments de preuve et contester les conclusions du procureur. Les griefs formulés par l’auteur ont été rejetés par la juridiction de cassation, et une décision a été rendue le 10 octobre 2011.

4.7L’auteur ayant affirmé qu’il avait subi des violences et que des preuves avaient été falsifiées, les autorités de l’État partie ont procédé à un contrôle, à la suite de quoi elles ont décidé, le 9 août 2012, qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête pénale. L’auteur a formé un recours contre cette décision auprès du tribunal du district Pravoberejny de Magnitogorsk, qui l’a rejeté le 14 septembre 2012. Il a formé un autre recours, qui a été rejeté par le tribunal régional de Tcheliabinsk le 13 novembre 2012.

4.8La culpabilité de l’auteur a été établie uniquement sur la base de preuves produites pendant le procès. La victime a assisté à cinq audiences. Le fait qu’elle n’ait pas été présente aux quatre autres n’a pas porté préjudice à l’auteur, et la défense n’a d’ailleurs pas demandé des reports d’audience. La victime ayant refusé de témoigner, le procureur a donné lecture de la déposition qu’elle avait faite au cours de l’enquête. La victime a confirmé sans réserve sa déposition, mais a refusé de répondre aux questions de l’avocat de la défense ou du procureur.

4.9Les allégation de l’auteur selon lesquelles les médias ont influencé le Président du tribunal, P. I. P., sont pure conjecture et ne reposent pas sur des faits. L’avocat de la défense n’a pas demandé au juge de se récuser. Le juge P. I. P. ayant quitté ses fonctions, l’affaire a été déférée à la juridiction de cassation, et le Président du tribunal de district, E. A. K, qui a examiné les griefs de l’auteur au sujet des comptes rendus d’audience, a déposé contre lui une plainte pour outrage, qui n’a pas eu de suite.

4.10L’auteur affirme qu’il n’a pas été dûment informé de la date à laquelle l’audience de cassation aurait lieu et que cela l’a empêché de préparer sa défense. Le 13 mai 2011, il a écrit une lettre, mais il n’y demande pas à être présent à l’audience, mais à y être représenté par un avocat désigné à cet effet. Un avocat, L. Y. U., a été désigné et a participé à l’audience de cassation, le 10 octobre 2011. L’audience a été reportée à plusieurs reprises, mais chaque report a été notifié à l’auteur.

4.11La communication présentée par l’auteur est sans fondement, et les informations qu’elle contient ne font apparaître aucune violation du Pacte. Le fait que l’auteur ne soit pas satisfait de l’issue de son procès ne signifie en aucun cas que des violations ont été commises.

4.12En l’espèce, l’État partie estime que la communication présentée par l’auteur constitue un abus du droit de présenter des communications et une violation de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une lettre du 16 juillet 2014, l’auteur conteste les observations de l’État partie. En ce qui concerne sa précédente condamnation pour viol, il affirme qu’il a toujours clamé son innocence et qu’il a été libéré pour bonne conduite après avoir exécuté la moitié de sa peine.

5.2L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il a été assisté par un avocat à toutes les étapes de la procédure. À sa demande, K. B. K., l’avocate que l’État partie mentionne dans ses observations, a confirmé qu’il ne l’avait jamais engagée pour le représenter. En outre, l’auteur a soumis une lettre émanant du commissaire de police, dans laquelle il est indiqué que l’auteur a été conduit au commissariat à 1 heure du matin et non à 10 heures du matin, comme l’a affirmé l’État partie, le 21 août 2010. L’auteur affirme également qu’à ce moment-là il n’était pas accompagné d’un défenseur.

5.3L’auteur affirme aussi que, lorsqu’il a été transféré du centre de détention provisoire à un quartier d’isolement temporaire, son avocat n’était pas à ses côtés ; seul l’enquêteur S. M. B. était présent. Il fait la même affirmation au sujet des 19 et 20 octobre 2010, dates auxquelles l’auteur aurait soi-disant préparé sa défense avec son avocat, excepté que celui‑ci n’était pas présent. La présence de la signature de l’avocat ne prouve pas que celui‑ci ait été là, car la signature aurait pu être ajoutée a posteriori. En outre, le 6 octobre 2010, l’auteur a conclu avec K. O. N., un avocat indépendant, un accord autorisant ce dernier à le représenter, mais il n’a été autorisé à le rencontrer que douze jours plus tard, soit le 18 octobre 2010.

5.4L’auteur affirme en outre que sa garde à vue de vingt-trois heures au commissariat no 9 de Magnitogorsk a constitué une violation de ses droits. Placé dans une cellule sans nulle part où s’asseoir ou s’allonger excepté le sol en béton, il a été privé de nourriture, de sommeil et d’accès aux installations sanitaires, et son interrogatoire a duré de très longues heures. En outre, on l’a forcé à signer des aveux et d’autres documents de procédure, contre la promesse qu’il serait mieux traité, par exemple qu’il pourrait dormir sur un matelas.

5.5En ce qui concerne les allégations de la victime, l’auteur affirme que, s’il lui a été permis de contester les témoignages à charge, il n’a pas pu procéder au contre-interrogatoire du principal témoin à charge − la victime elle-même − car, à l’audience, il a seulement été donné lecture de ses déclarations. Un autre témoin important, L. M. A., a été entendu par le tribunal, mais le juge n’a pas permis qu’on l’interroge.

5.6L’auteur affirme en outre que son droit d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie a été violé lorsqu’il a été présenté à la télévision comme un « beau-père violeur ». L’auteur a demandé au Président du tribunal de se récuser, mais celui-ci a refusé.

5.7L’auteur a également demandé à être jugé par un jury, mais cette demande a également été rejetée. L’auteur souhaitait être jugé par ses pairs, gage selon lui d’un procès plus transparent et plus équitable, mais le tribunal a estimé qu’il n’y avait aucune raison d’accéder à sa demande, violant de ce fait son droit à un procès équitable.

Observations complémentaires

De l’État partie

6.1Dans des notes verbales datées des 13 février 2015, 30 juillet 2015 et 22 janvier 2016, l’État partie a réaffirmé sa position selon laquelle l’auteur a bénéficié de l’assistance d’un avocat dès son arrestation. Lorsqu’un défendeur n’a pas les moyens de s’assurer les services d’un avocat, un conseil est commis d’office pour le défendre, sans qu’un quelconque contrat ou accord doive être signé. L’auteur a communiqué une lettre de son conseil, K. B. K., dans laquelle celle-ci déclare simplement qu’aucun contrat n’a été signé. Au moment de son arrestation, l’auteur n’avait pas d’avocat ; c’est pourquoi il en a été commis un d’office. Le 21 août 2010, l’enquêteur chargé de l’affaire a donc désigné une avocate, K. B. K., pour le représenter, par ordonnance (no 1088). Le même jour, l’auteur a fait l’objet de deux interrogatoires, en présence de son avocate.

6.2Le 21 août 2010, comme en atteste le procès-verbal, un policier du commissariat no 9 a pris la déposition de l’auteur, venu de son plein gré avouer à la police que, le 20 août 2010, il était venu chercher sa belle-fille en voiture au domicile de sa belle-mère, qu’il l’avait emmenée dans une forêt, et qu’il l’avait violée. Une fois sa déposition faite, l’auteur a été immédiatement arrêté en tant que suspect et transféré à un centre de détention temporaire, en application de la loi relative à la procédure pénale. Lorsque l’auteur a été conduit au centre de détention, son corps ne présentait aucune lésion corroborant ses allégations selon lesquelles il avait été battu par les policiers. L’auteur a seulement informé le personnel médical qu’il était séropositif et qu’il avait des douleurs dans la poitrine. L’auteur ne s’est pas plaint d’avoir été torturé à ses compagnons de cellule ni à son avocate.

6.3Le 22 août 2010, le tribunal du district Pravoberejny de Magnitogorsk a décidé de maintenir l’auteur en détention en attendant qu’il soit jugé.

6.4En ce qui concerne son droit d’être assisté par un avocat, l’auteur a communiqué une lettre qui, selon lui, prouve qu’il n’a reçu la visite d’aucun conseil pendant sa détention temporaire, soit entre le 22 août 2010 et le 30 mars 2011. Pourtant, lorsque K. B. K., son avocate, a été interrogée le 24 juillet 2012, elle a confirmé avoir assisté aux interrogatoires. À l’époque, ni elle ni l’auteur n’ont déposé aucune plainte contre les policiers.

6.5Cherchant à tromper le Comité, l’auteur affirme que les autorités l’ont empêché de voir K. O. N., l’avocat qu’il avait engagé par contrat en date du 6 octobre 2010, avant le 18 octobre 2010. En réalité, le registre des visites, que l’auteur a lui-même fourni, montre que l’avocat a rencontré son client le 7 octobre 2010, dans les locaux du centre de détention temporaire. En outre, à l’audience du 14 octobre 2010 concernant la détention provisoire de l’auteur, celui-ci était représenté par K. O. N. D’après les informations que l’État partie a obtenues, K. O. N. et deux autres défenseurs ont rendu visite à l’auteur à neuf autres reprises. La durée des entretiens de l’auteur avec ses défenseurs n’était pas limitée. Le fait que K. O. N. ait décidé de ne pas voir son client plus souvent prouve que l’auteur a bénéficié de l’assistance voulue.

6.6En outre, l’auteur affirme que le traitement auquel il a été soumis pendant les vingt‑trois heures qu’il a passées en garde à vue au commissariat no 9 − placé dans une cellule sans nulle part où s’asseoir ou s’allonger excepté le sol en béton, et privé de nourriture − était inhumain. La lettre signée par le commissaire qu’il a présentée confirme toutefois qu’il n’a passé que deux heures au commissariat, entre 1 heure et 3 heures du matin, le 21 août 2010, et que, dans cet intervalle, il n’a déposé aucune plainte concernant ses conditions de garde à vue.

6.7Comme indiqué précédemment, les autorités de l’État partie ont ouvert une procédure de contrôle au titre des articles 144 et 145 de la loi relative à la procédure pénale, en réponse aux allégations de l’auteur selon lesquelles il avait subi des violences et avait été soumis à d’autres formes de traitement illégales pendant l’enquête. À l’issue de cette procédure, la décision a été prise, en date du 9 août 2012, de ne pas engager d’action pénale. Le 14 septembre 2012, le tribunal du district Pravoberejny de Magnitogorsk a confirmé la légalité de cette décision. La véracité des allégations de l’auteur est également contestée parce qu’à aucun moment − ni pendant sa garde à vue au commissariat, ni pendant l’enquête, ni devant le tribunal − il ne s’est plaint de n’avoir pu s’asseoir ou s’allonger ailleurs que sur le sol en béton de sa cellule et d’avoir été privé de nourriture et empêché d’aller aux toilettes. En outre, lorsqu’il a été interrogé le 14 mai 2012, l’auteur a déclaré qu’après son arrestation, il avait été conduit au commissariat no 9, alors que, d’après le registre des gardes à vue, il a été gardé à vue dans un bureau (le bureau no 39), non dans une cellule.

6.8Eu égard à l’article 31 de la loi relative à la procédure pénale en vigueur à l’époque, l’affaire n’aurait pas pu, contrairement à ce que l’auteur prétend, être jugée par un jury.

6.9L’auteur avait voulu intenter une action pénale contre les employés de la chaîne de télévision « TV-IN », mais sa plainte avait été rejetée le 4 février 2011. Le 22 décembre 2014, le procureur adjoint du tribunal du district Pravoberejny a annulé cette décision et demandé que les faits soient réexaminés. Les résultats d’un tel réexamen ne devraient pas, cependant, avoir d’incidence sur la régularité de son procès. L’auteur n’a pas demandé au juge de se récuser. En outre, L. M. A. n’a pas été citée en tant que témoin, mais en tant que professeur.

6.10La communication de l’auteur ne contient donc aucune information de nature à confirmer une quelconque violation du Pacte, ce qui peut être considéré comme un abus du droit de présenter des communications. Elle devrait donc être déclarée irrecevable.

6.11Contrairement à ce qu’il prétend, l’auteur n’a pas été reconnu coupable de plusieurs infractions, mais d’une seule et même infraction, sur le fondement de l’article 132 de la loi pénale en vigueur au moment des faits.

De l’auteur

7.1Le 13 février 2015, l’auteur a communiqué des observations complémentaires dans lesquelles il affirme que l’État partie a dénaturé ses propos. Par exemple, les autorités de l’État partie affirment que les informations consignées dans le registre d’écrou du centre de détention temporaire ne sont pas correctes et que la liste des personnes ayant rendu visite à l’auteur qui y figure est incomplète. L’auteur affirme au contraire qu’aucune visite n’a été omise dans le registre, qui indique par exemple qu’il a été transféré du centre de détention provisoire au centre de détention temporaire le 23 septembre 2010 à la demande d’un enquêteur, S. M. B., aux fins d’enquête. L’auteur a bien été conduit à un centre de détention temporaire, mais ni l’enquêteur, ni son avocat, ne sont venus. L’auteur affirme que cette situation s’est produite à plusieurs reprises, ce qui prouve qu’il y a eu violation de son droit d’être assisté par un avocat. La signature de l’avocat de l’auteur a été ajoutée sur plusieurs documents a posteriori. Les autorités de l’État partie n’ont apporté aucun élément prouvant qu’un avocat − K. B. K. − avait été désigné pour représenter l’auteur.

7.2Pour ce qui est des événements du 21 août 2010, l’auteur affirme qu’il a été conduit au commissariat de police à 1 heure du matin, où il est resté dans une cellule où il ne pouvait s’allonger ou s’asseoir qu’à même le sol pendant deux heures. À 3 heures du matin, il a été conduit au bureau no 39, où il a été interrogé pendant vingt heures et quarante-cinq minutes sans pouvoir manger ni se reposer. La police l’a gardé menotté à une chaise pendant toute la durée de l’interrogatoire, dans le but de le contraindre à signer un document, en l’absence de son avocat. La durée de l’interrogatoire − plus de vingt heures − constitue à elle seule un traitement inhumain. Il convient également de noter que la législation russe interdit la tenue d’interrogatoires la nuit, ainsi que l’emploi de la violence à l’égard des détenus.

7.3L. M. A., « professeur » ainsi que la désigne l’État partie, a témoigné à deux reprises au cours de l’enquête − les 7 et 15 septembre 2010. La défense n’a jamais pu l’interroger, alors qu’elle était inscrite sur la liste des témoins de l’accusation et que, pour l’auteur, sa présence à l’audience était par conséquent acquise sans qu’il soit besoin que la défense ne la requière expressément.

7.4Les autorités de l’État partie ne nient pas que les médias ont traité l’auteur de « pédophile » sans attendre le verdict ni le prononcé de la peine. Elles ont elles-mêmes déclaré publiquement que l’auteur était coupable, en violation des droits que celui-ci tient de la Constitution de la Fédération de Russie et du Pacte. L’auteur reconnaît que la loi relative aux procès avec jury a été adoptée après son procès, mais il maintient que le tribunal n’a pas agi dans le respect de la loi et qu’il aurait dû expliquer les raisons pour lesquelles un procès avec jury ne pouvait avoir lieu en l’espèce.

7.5L’auteur réaffirme qu’il n’a pas eu les moyens de préparer sa défense convenablement. Le 7 octobre 2010, il a été autorisé à s’entretenir avec l’avocat qu’il avait engagé, K. O. N., pendant seulement quarante minutes, ce qui ne leur a guère laissé le temps d’avoir une discussion de fond. L’auteur a revu son avocat le 14 octobre 2010, lorsque le tribunal a décidé de prolonger sa détention provisoire.

7.6Les autorités de l’État partie affirment en outre que l’auteur ne s’est à aucun moment plaint d’avoir été l’objet de violences ou de traitements inhumains. Si l’auteur n’a rien dit à ce sujet, c’est qu’il pensait que l’enquêteur ne ferait rien. L’examen préliminaire qui a abouti au refus, par les autorités, d’ouvrir une véritable enquête pénale, s’est fondé sur les témoignages de l’enquêteur, S. M. B., et d’un autre agent de police, P. A. V., autrement dit les personnes que l’auteur accusait de l’avoir maltraité. Cela n’aurait jamais dû être le cas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle la communication constitue un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 3 du Protocole facultatif, puisque l’auteur n’a pas dûment étayé ses allégations. Le Comité estime que rien dans les pièces qui lui ont été soumises n’indique que la communication ait été présentée de mauvaise foi, et que l’auteur a soumis l’ensemble des documents et des renseignements dont il disposait. Par conséquent, en l’espèce, le Comité ne considère pas que la communication constitue un abus du droit de présenter des communications au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes utiles disponibles. L’État partie n’ayant pas formulé d’objection à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

8.5Le Comité a pris note des griefs que l’auteur tire des articles 9, 14 (par. 1, concernant le droit d’être jugé par un jury) et 3 b)) et 15 (par. 1) du Pacte. En l’absence de toute autre information ou explication pertinente dans le dossier, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité note que l’auteur soutient que, le 21 août 2010, après avoir été conduit au commissariat de police no 9, il a été battu, placé dans une cellule où il ne pouvait s’allonger ou s’asseoir qu’à même le sol en béton et privé de nourriture et n’a pu ni dormir, ni aller aux toilettes. Toutefois, le Comité note également que l’État partie avance que, selon ses informations, l’auteur n’a pas langui dans une cellule mais a été conduit dans un bureau (le bureau no 39), où il a passé deux heures avant d’être transféré dans un centre de détention temporaire. Le Comité constate que les allégations de l’auteur ont été examinées par des tribunaux, qui les ont jugées peu crédibles, et que, dans sa communication, l’intéressé n’a pas démontré, ni même soutenu, que les décisions des tribunaux en question étaient arbitraires ou déraisonnables. Le Comité constate de surcroît que l’auteur n’a pas donné de détails concernant les violences qu’il aurait subies ; il n’a par exemple pas précisé de quelle manière il avait été battu, sur quelles parties du corps exactement il aurait été frappé, par quels policiers et combien, non plus qu’il a fait état de lésions dues aux coups reçus.

8.7Compte tenu des objections formulées par l’État partie à l’égard des allégations de l’auteur et des décisions rendues par les tribunaux, et étant donné que l’auteur n’a soumis aucun document venant étayer ses allégations ni démontré, ou même soutenu, que les décisions des tribunaux étaient arbitraires ou déraisonnables, le Comité conclut que ni les conditions dans lesquelles l’auteur a été détenu, ni le comportement de l’État partie à l’égard de l’intéressé ne sont constitutifs d’une violation des droits que l’intéressé tient des articles 7, 10 (par. 1) et 14 (par. 3 g)) du Pacte. Faute d’autres informations dans le dossier, il estime que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité note que l’auteur argue que son droit d’être présumé innocent a été violé du fait de la publication, par plusieurs organes de presse, d’articles concernant les poursuites engagées contre lui. Il note également que l’État partie soutient qu’aucune information confidentielle n’a été divulguée par les médias. Le Comité a passé en revue les articles en question et a pu constater que ni le nom de l’auteur, ni aucune autre donnée personnelle ou de nature à révéler son identité n’y figurait. Eu égard à la situation décrite par les parties et étant donné que les articles parus dans les médias ne mentionnent pas le nom de l’auteur, il ne saurait donc conclure que lesdits articles sont constitutifs d’une violation du droit que l’auteur tient de l’article 14 (par. 2) du Pacte. En conséquence, le Comité estime que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 14 (par.  3 e)) du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son droit d’appeler les témoins à la barre, d’obtenir leur comparution et de les interroger a été violé en ce qu’il n’a pas pu interroger les principaux témoins de l’accusation, à savoir la victime, le professeur de la victime, L. M. A., et les experts, qui ont tous témoigné contre lui au cours de l’enquête mais dont aucun n’a été appelé à la barre ni tenu à la disposition de la défense pour qu’elle puisse les interroger. Pour ce qui est du droit d’obtenir la comparution des témoins, de les interroger ou de les soumettre à un contre-interrogatoire, le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il a souligné que cette garantie est importante car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense. Il note toutefois aussi que le droit de l’accusé de faire interroger les témoins n’est pas absolu. Il se limite au droit d’appeler à la barre les témoins utiles pour la défense et d’interroger ou de contre-interroger les témoins à charge à un stade ou un autre de la procédure. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que le droit de l’auteur d’appeler les témoins à la barre peut être soumis à certaines restrictions lorsque cela est « justifié par la nécessité de protéger les droits de la victime », ce qui, en l’espèce, est particulièrement pertinent compte tenu du fait que la victime est mineure. Il prend note à cet égard de l’approche suivie par la Cour européenne des droits de l’homme, qui prend en considération les droits de la victime présumée et la nécessité d’éviter une revictimisation pour déterminer si l’accusé a ou non bénéficié d’un procès équitable.

9.3En l’espèce, le Comité note toutefois que si la victime, son professeur L. M. A. et des experts ont tous fait des déclarations à charge au cours de l’enquête préliminaire et il a été donné lecture de ces déclarations au procès afin qu’elles figurent dans le compte rendu d’audience, la défense n’a pas eu la possibilité d’interroger ou de contre-interroger les témoins. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucune explication de nature à justifier que les témoins − y compris les experts, qui ont fourni des preuves scientifiques importantes − n’aient pas été mis à la disposition de la défense pendant le procès. Il conclut donc, en l’absence d’explications de l’État partie à cet égard, par exemple concernant d’autres solutions que poser directement des questions à la victime en audience publique, qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

11.Conformément aux dispositions de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective. Il doit à ce titre assurer une réparation intégrale à toutes les personnes dont les droits au titre du Pacte ont été violés. L’État partie est notamment tenu d’assurer à l’auteur une indemnisation équitable et d’autres mesures de satisfaction pour les violations commises. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se reproduisent.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer une réparation effective lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Vasilka Sancin, José Manuel Santos Pais et Gentian Zyberi

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir nous joindre à la majorité des membres du Comité, qui, en l’espèce, a constaté une violation des droits reconnus à Evgeny Bryukhanov par l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

2.Les faits de l’espèce font apparaître que M. Bryukhanov a été arrêté en août 2010 pour agression sexuelle sur sa belle-fille mineure. Après son arrestation, des accusations concernant huit autres agressions sexuelles ont été portées contre lui (par. 2.1). L’auteur avait déjà été condamné pour un autre viol (par. 4.1 et 5.1). La belle-fille de l’auteur avait moins de 14 ans le jour de l’agression sexuelle. L’auteur a été déclaré coupable d’actes de violence sexuelle répétés contre la victime, qui était une enfant, et a été condamné à 13 ans d’emprisonnement (par. 2.3 et 4.1).

3.L’auteur reconnaît qu’il s’est avoué coupable mais fait valoir que le tribunal n’aurait pas dû admettre ses aveux comme éléments de preuve (par. 2.2). Malgré cela, il n’a jamais donné de précisions sur les coups qui lui auraient été infligés dans le but de le forcer à avouer. De plus, la juridiction de cassation a maintenu que les aveux de l’auteur étaient spontanés (par. 2.3). L’auteur n’a pas non plus contesté l’argument de l’État partie selon lequel, le 21 août 2010, comme en atteste le procès-verbal, un policier du commissariat no 9 a pris la déposition de l’auteur, venu de son plein gré avouer à la police que, le 20 août 2010, il était venu chercher sa belle-fille au domicile de sa belle-mère, l’avait emmenée dans une forêt, et l’avait violée (par. 6.2).

4.L’auteur et la victime étaient seuls au moment de l’agression sexuelle. Il n’y a pas eu d’autres témoins.

5.L’auteur fait valoir que la victime n’a pas été interrogée au procès et que l’un des principaux témoins à charge, L. M. A., a été interrogé pendant l’enquête mais n’a pas comparu au procès. En outre, plusieurs experts ont été interrogés et ont remis leurs conclusions pendant l’enquête mais n’ont pas été entendus lors du procès, leurs conclusions ayant simplement été lues afin de figurer dans les minutes (par. 3.5).

6.Le Comité a pris en considération les griefs de l’auteur selon lequel son droit d’appeler les témoins à la barre, d’obtenir leur comparution et de les interroger a été violé en ce qu’il n’a pas pu interroger les principaux témoins de l’accusation, à savoir la victime, L. M. A., le professeur de la victime et les experts, qui ont tous témoigné contre lui au cours de l’enquête mais dont aucun n’a été appelé à la barre ni tenu à la disposition de la défense pour qu’elle puisse les interroger (par. 3.5 et 9.2). Le Comité a aussi souligné à juste titre, cependant, que le droit de l’accusé de faire interroger les témoins n’est pas absolu. Il se limite au droit d’appeler à la barre les témoins utiles pour la défense et d’interroger ou de contre-interroger les témoins à charge à un stade ou un autre de la procédure. Le droit de l’auteur d’appeler les témoins à la barre peut être soumis à certaines restrictions lorsque cela est justifié par la nécessité de protéger les droits de la victime, ce qui, en l’espèce, est particulièrement pertinent compte tenu du fait que la victime, une enfant de moins de 14 ans, belle-fille de l’auteur, était mineure.

7.L’auteur étant accusé d’infractions à caractère sexuel sur une personne mineure, les audiences n’étaient pas publiques, mais l’auteur et son avocat y ont activement participé, et ont notamment pu produire des éléments de preuve et contester les conclusions du procureur (par. 4.6) ; ils n’ont donc pas été empêchés de présenter des arguments à décharge.

8.La victime a assisté à cinq audiences et le fait qu’elle n’ait pas été présente aux quatre autres n’a pas porté préjudice à l’auteur, et la défense n’a d’ailleurs pas demandé de reports d’audience et ne s’est pas plainte de l’absence de la victime. La victime ayant refusé de témoigner, le procureur a donné lecture de la déposition qu’elle avait faite au cours de l’enquête. La victime a confirmé sans réserve sa déposition, mais a refusé de répondre aux questions de l’avocat de la défense ou du procureur (par. 4.8). Il n’y a donc pas eu de violation du principe de l’égalité des armes, et le refus de la victime de témoigner est tout à fait compréhensible compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et de la nécessité d’éviter une revictimisation. Dans les affaires de viol sur mineur, l’article 14 (par. 3e)) ne saurait être interprété comme exigeant dans tous les cas que des questions soient posées directement à la victime par l’accusé ou par son conseil, dans le cadre d’un contre-interrogatoire ou par d’autres moyens.

9.L’auteur se plaint aussi qu’un autre témoin important, L. M. A., a été entendu par le tribunal, mais que le juge n’a pas permis qu’on l’interroge (par. 5.5). L’auteur lui-même indique, ce qui est contradictoire, que L. M. A. a été interrogée pendant l’enquête mais n’a pas comparu au procès (par. 3.5) ; on voit donc mal comment le juge pourrait avoir empêché que des questions lui soient posées. De plus, L. M. A. n’a pas été citée en tant que témoin, mais en tant que professeur (par. 6.9) et, en définitive, l’auteur n’a pas requis sa présence (par. 7.3), bien qu’il ait eu la possibilité de demander des reports d’audiences à cet effet. À cet égard, le jugement du tribunal montre que l’auteur n’a pas tenté d’appeler à la barre les témoins manquants ni de demander des reports d’audiences lorsque les témoins étaient absents ou n’ont pas témoigné. Il en va de même en ce qui concerne plusieurs experts qui ont remis leurs conclusions pendant l’enquête mais n’ont pas été entendus lors du procès, leurs conclusions ayant simplement été lues afin de figurer dans les minutes (par. 3.5).

10.L’auteur a donc eu la possibilité d’interroger la victime, les témoins et les experts pendant l’enquête (comme indiqué au paragraphe 9.2, le droit de l’accusé d’interroger ou de contre-interroger les témoins à charge à un stade ou un autre de la procédure) et a pu librement contester la déposition de la victime et celle de L. M. A., ainsi que les conclusions des experts, pendant le procès, puisqu’il en a été donné lecture afin qu’elles figurent dans les minutes. Par conséquent, il n’y a pas eu de restriction injustifiée des droits de l’auteur à la défense, étant donné, en particulier, que celui-ci n’a pas réagi à ces allégations de violation, alors qu’il aurait pu le faire.

11.Il ne suffit pas à un accusé de se plaindre de ne pas avoir pu interroger certains témoins. Encore faut-il qu’il étaye sa demande d’audition de témoins en en précisant l’importance et que cette audition soit nécessaire à la manifestation de la vérité et aux droits de la défense. L’auteur n’a pas convenablement expliqué pourquoi il importait que ces témoins, y compris la victime, soient interrogés ; en quoi le fait qu’il ne l’ait pas été avait une incidence négative pour lui ; ou pourquoi il n’avait pas réagi à ces allégations de violations au cours de la procédure. En règle générale, il revient aux juridictions nationales de décider de la nécessité ou de l’opportunité d’interroger un témoin, en particulier lorsque celui-ci est aussi vulnérable qu’en l’espèce, et c’est principalement à la législation nationale qu’il incombe de déterminer la recevabilité des éléments de preuve.

12.En conséquence, nous aurions conclu qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de violation des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.