Nations Unies

CCPR/C/122/D/2628/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mai 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2628/2015 * , **

Recommandation proposée par le Groupe de travail

Communication présentée par :

Rebeca Elvira Delgado Burgoa (représentée par un conseil, Zambrana Sea)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

État plurinational de Bolivie

Date de la communication :

8juin 2015

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3juillet 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28mars 2018

Objet :

Interdiction faite à une ancienne députée de se porter candidate à une charge de maire

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter des communications ; défaut de fondement des griefs ; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond :

Droit d’être élu et droit d’accéder à des fonctions publiques ; interdiction de la discrimination ; garanties d’une procédure régulière

Article(s) du Pacte :

2 (par.1 à 3), 14 (par.1), 25 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par.2b))

1.1L’auteure de la communication est Rebeca Elvira Delgado Burgoa, de nationalité bolivienne, née en 1966. Elle se déclare victime d’une violation par l’État plurinational de Bolivie des droits consacrés aux articles 2 (par. 1 à 3), 14 (par. 1), et 25 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 12 novembre 1982.

1.2Le 22 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie, qui souhaitait que la question de la recevabilité soit examinée séparément de celle du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Après avoir occupé plusieurs charges politiques, notamment le poste de délégué présidentiel du département de Cochabamba et celui de Vice-Ministre de la coordination gouvernementale, en 2008, l’auteure s’est portée candidate aux élections générales tenues le 6 décembre 2009 en tant que tête de liste du Mouvement vers le socialisme (MAS − « Movimiento al Socialismo-Instrumento político por la Soberanía de los pueblos ») pour le département de Cochabamba. Après la large victoire remportée par le MAS, la première Assemblée législative plurinationale a été constituée pour la période 2010-2015, et l’auteure a été nommée chef de file des élus du département de Cochabamba. L’auteure a en outre occupé la présidence du Parlement andin en 2011-2012, et la présidence de la Chambre des députés de l’État plurinational de Bolivie en 2012-2013.

2.2En tant que Présidente de la Chambre des députés, l’auteure a critiqué l’ingérence de l’exécutif dans l’élaboration du projet de loi relatif à la confiscation de biens en faveur de l’État et fait remarquer que certaines dispositions de ce texte étaient inconstitutionnelles, provoquant des tensions au sein du MAS. Ces tensions se sont aggravées lorsque l’auteure a critiqué un arrêt par lequel le Tribunal constitutionnel plurinational a déclaré constitutionnelle la candidature du Président Evo Morales à un troisième mandat. L’auteure a alors été vivement critiquée au sein du MAS et exclue des réunions du parti. Néanmoins, elle a continué à dénoncer certains actes du pouvoir exécutif et à demander que les autorités enquêtent sur plusieurs affaires de corruption et, notamment, sur le «réseau d’extorsion». Le Vice-Président Álvaro García a alors publiquement demandé qu’elle soit «politiquement coulée» parce qu’elle n’arrêtait pas de critiquer le processus de changement.

2.3Le 28avril 2014, l’organe électoral plurinational a convoqué des élections générales pour le 12décembre 2014. Les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale (députés et sénateurs) ont été autorisés à se présenter en vue d’une réélection pour 2015-2020, alors qu’ils avaient pourtant tous résidé à La Paz, siège du Parlement, pendant la législature précédente. Si l’article 149 de la Constitution dispose que les candidats à l’Assemblée législative plurinationale doivent avoir résidé de façon permanente dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter pendant les deux années précédant immédiatement le scrutin, l’organe électoral plurinational a néanmoins estimé que les députés et les sénateurs résidaient de manière permanente dans le département constituant leur circonscription, et non à La Paz, où ils exerçaient leurs activités parlementaires.

2.4Les articles 285.I et 287.I de la Constitution exigent également que les candidats aux organes exécutifs, aux conseils et aux assemblées de gouvernements autonomes aient résidé pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter.

2.5Le 30 octobre 2014 a été promulguée la loi électorale transitoire no 587 sur les élections locales de 2015. Ce texte disposait que les règles concernant la composition des organes élus et l’éligibilité des candidats aux élections locales du 29 mars 2015 seraient les mêmes que pour les élections précédentes, tenues le 4 avril 2010. Le 14 novembre 2014, le Tribunal électoral suprême a publié la circulaire no 52/2014, dans laquelle il précisait que pour justifier de leur résidence dans tel ou tel département, les candidats devaient produire une déclaration faite devant notaire et une attestation d’inscription sur les listes électorales locales. En décembre 2014 le règlement régissant l’élection des autorités politiques départementales, régionales et municipales (élections locales de 2015) a été adopté ; il confirmait les conditions énoncées dans la circulaire no 52/2014.

2.6L’auteure explique que, comme il était de notoriété publique que plusieurs membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS avaient l’intention de se présenter aux élections locales de 2015 comme candidats aux fonctions de maire de diverses municipalités importantes, le 18 décembre 2014, le Tribunal électoral suprême a publié la circulaire no 71/2014, par laquelle il interdisait aux députés et aux sénateurs de la législature 2010-2015 de faire acte de candidature à des charges locales, à l’exception de celles de gouverneur et de député départemental.

2.7Le 18 décembre 2014 également, la Chambre des sénateurs et la Chambre des députés ont séparément publié des déclarations par lesquelles elles s’opposaient à la circulaire no 71/2014 au motif qu’elle enfreignait l’article 26 de la Constitution, qui garantit le libre exercice des droits politiques.

2.8Le 29 décembre 2014, l’auteure a présenté sa candidature, sur la liste de l’alliance politique Frente Único, au poste de maire de la province de Cercado (département de Cochabamba). Pour justifier de sa résidence, elle a produit une déclaration faite devant notaire et une attestation d’inscription sur les listes électorales municipales, en application des dispositions de la loi électorale transitoire no 587 et de la circulaire no 52/2014, ainsi qu’une attestation de la police. Le 13 janvier 2015, le Tribunal électoral du département de Cochabamba a rendu la décision no 09/2015, par laquelle, sur le fondement de la circulaire no 71/2014, il interdisait à l’auteure de faire acte de candidature au motif qu’elle avait été députée pendant la législature précédente.

2.9L’auteure a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal électoral suprême, qui l’a déboutée par la décision no 93/2015 du 19 janvier 2015 au motif qu’elle ne satisfaisait pas à la condition selon laquelle elle devait avoir résidé de façon permanente à Cochabamba pendant au moins les deux années précédant le scrutin fixée à l’article 285.I de la Constitution.

2.10L’auteure précise que, selon l’article 11 de la loi no 18 relative à l’organe électoral plurinational, la décision du Tribunal électoral suprême n’était pas susceptible de recours et les recours internes avaient donc été épuisés. Cela étant, le 28 janvier 2015, elle a formé un recours en amparo constitutionnel contre les décisions no 09/2015 et no 93/2015. Le 29 janvier 2015 la première chambre civile du Tribunal départemental de justice de La Paz, siégeant en qualité de tribunal des garanties, a rendu une ordonnance dans laquelle il constatait des problèmes de forme et des problèmes relatifs aux données personnelles de l’auteure. Une fois ces problèmes réglés, le 4 février 2015, il a rendu une nouvelle ordonnance, jugeant que le recours en amparo était nul et non avenu parce que l’auteure n’avait pas fourni d’informations concernant son état civil. L’intéressée a introduit un nouveau recours, et le tribunal a fixé plusieurs audiences, mais les autorités de Cochabamba n’en ont pas été dûment informées, ce qui a entraîné de nouveaux reports. Ensuite, les fonctionnaires du tribunal chargés de leur transmettre le dossier par courrier ont gardé l’argent destiné à payer les frais de port, ce qui a encore causé des retards. Enfin, le 9 mars 2015, le tribunal s’est réuni et a adopté la décision no 08/2015, rejetant l’amparo au motif que, pendant les deux années précédant le scrutin, l’auteure avait résidé de façon temporaire à La Paz. Le tribunal a de surcroît estimé que la circulaire no 71/2014 avait simplement pour fonction de rappeler les règles aux organisations politiques et ne restreignait pas les droits des tiers.

2.11L’auteure souligne que, en application des articles 41 à 43 de la Constitution, le Tribunal des garanties a vingt-quatre heures pour faire connaître sa décision au Tribunal constitutionnel plurinational, qui dispose à son tour de cinquante jours pour confirmer ou annuler cette décision. Or, à la date de la présentation de la communication au Comité, le Tribunal constitutionnel n’avait toujours pas statué.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que, en interdisant aux députés et aux sénateurs de se porter candidats à certaines charges locales, la circulaire no 71/2014 outrepasse les dispositions de la Constitution. D’après elle, la condition selon laquelle les candidats doivent avoir résidé de manière permanente pendant deux ans dans la circonscription dans laquelle ils souhaitent être élus, établie aux articles 285.I et 287.I, vise à éviter que les personnes n’ayant aucune connaissance de la situation d’une circonscription donnée briguent des charges d’élu, et non à empêcher les membres de l’Assemblée plurinationale − obligés de se déplacer à La Paz dans le cadre de leur mandat − d’être candidats à d’autres charges dans une circonscription qu’ils représentent déjà. En publiant la circulaire no 71/2014, le Tribunal électoral suprême a restreint les droits politiques, et ce, alors qu’il n’est pas habilité à interpréter la Constitution ni à légiférer. L’auteure signale que, après avoir été élue députée du département de Cochabamba aux élections générales de 2009, pendant toute la législature 2010-2015 elle a fait la navette entre La Paz, où elle passait la semaine pour exercer ses fonctions parlementaires, et Cochabamba, sa résidence permanente, où elle séjournait les week-ends et les semaine où se tenaient sur place des réunions qu’elle présidait en tant que chef de file de son groupe politique. Par conséquent, tant l’adoption de la circulaire no 71/2014 que le recours à celle-ci pour l’empêcher de se porter candidate au poste de maire aux élections du 29 mars 2015 constituent une violation du droit consacré par l’article 25 b) du Pacte.

3.2L’auteure se déclare victime d’un traitement discriminatoire par rapport aux députés et sénateurs de la législature 2010-2015 qui ont résidé à La Paz pendant cette période et ont pu se porter candidats  : a) aux élections générales du 12 octobre 2014, au cours de laquelle ont été élus les membres de la législature 2015-2020 (voir par. 2.3) ; b) aux élections du 29 mars 2015, aux cours desquelles ont été élus les gouverneurs et les députés départementaux − fonctions exclues de l’interdiction sans aucune justification alors que ce sont les plus élevées au niveau local ; c) aux fonctions représentatives locales du département de La Paz qui ont eu lieu le 29 mars 2015. Elle soutient que la circulaire avait pour objectif d’exclure du processus électoral les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale qui, comme elle, étaient dissidents du MAS, et ce, en raison de leur position ou opinion politique, en violation des articles 25 c) et 26 du Pacte.

3.3L’auteure allègue aussi que les dispositions de la circulaire no 71/2014 n’étaient ni raisonnables ni objectives car elles empêchaient les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale de faire acte de candidature à certaines charges locales, mais pas à d’autres (gouverneur et député départemental), ce qui était injustifié. Par conséquent l’interdiction qui lui a été faite de briguer la fonction de maire ne reposait pas sur des critères objectifs et raisonnables et a constitué une violation de l’article 25 a) et b), lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 1, et l’article 26 du Pacte.

3.4L’auteure ajoute que la condition de résidence fixée dans la Constitution et d’autres règles de droit interne est déraisonnable et discriminatoire. Selon elle, le fait de lui avoir interdit de se porter candidate à la charge de maire parce qu’elle ne remplissait pas cette condition a constitué une violation supplémentaire des articles 25 et 26 du Pacte.

3.5L’auteure affirme que l’organe électoral plurinational, composé des tribunaux électoraux départementaux et du Tribunal électoral suprême, n’est pas indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, ce qui est contraire aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Ce manque d’indépendance s’est manifesté par l’avantage donné aux candidats du MAS, dont certains adversaires n’ont pas pu se présenter aux élections locales de mars 2015 parce qu’ils représentaient des partis qui avaient été privés de la personnalité juridique avait été supprimée. L’auteure ajoute que, avant les élections, le Président Evo Morales et le Vice-Président Álvaro García ont publiquement menacé les habitants de certaines communes de ne pas financer des travaux publics s’ils ne votaient pas pour les candidats du MAS. L’organe électoral plurinational aurait dû saisir le parquet de cette affaire pour qu’une enquête pénale soit ouverte mais il n’a rien fait. De son côté le Bureau du Défenseur du peuple a fait paraître, le 27 mars 2015, un communiqué dans lequel il exprimait sa préoccupation face au manque de transparence, d’efficacité, de sérieux et de sens des responsabilités dont l’organe électoral plurinational avait fait preuve dans le contexte des élections du 29 mars 2015. Le manque d’indépendance du Tribunal électoral suprême s’explique par le fait que ce tribunal est composé de personnes étroitement liées au MAS, dont le Vice-Président, nommé directement par le Président Evo Morales, et trois autres juges, qui ont tous approuvé la décision no 93/2015 par laquelle l’auteure a été déclarée inéligible.

3.6L’auteure affirme que le Tribunal électoral suprême a aussi manqué d’impartialité car les juges se sont publiquement exprimés à six reprises sur l’issue du recours plusieurs jours avant de rendre leur décision et ont de surcroît adopté la circulaire no 71/2014, qui nuisait aux intérêts des candidats dissidents du MAS et favorisait ceux des candidats fidèles au parti.

3.7L’auteure fait remarquer que le Tribunal électoral suprême et le tribunal départemental de justice de La Paz ont interprété les dispositions internes de façon arbitraire étant donné que la Constitution (art. 285.I et 287.I) et la circulaire no 52/2014 exigent que les candidats résident de manière permanente − et non temporaire − dans leur circonscription pendant les deux années précédant immédiatement le scrutin.

3.8L’auteure affirme que, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le tribunal qui a statué sur son recours en amparo n’a pas non plus été indépendant et impartial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et a subi les ingérences du pouvoir exécutif, qui s’immisce régulièrement dans les affaires de l’appareil judiciaire, comme l’ont relevé le Comité et d’autres organes internationaux. En outre, le tribunal a mis quarante jours pour se prononcer alors que l’article 129 de la Constitution exige un examen immédiat et une décision dans un délai de quarante-huit heures. L’auteure signale que trois autres membres de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS qui ont été interdits de participation aux élections locales de 2015 ont aussi vu leur recours examiné tardivement en raison de prétendus vices de forme. La décision de rejet de l’amparo a été rendue sept jours seulement avant le remplacement des candidats et dix jours avant le 29 mars 2015, jour du scrutin. De surcroît, même si le Tribunal constitutionnel plurinational avait fini par annuler la décision relative au recours en amparo, cela n’aurait servi à rien étant donné que les élections avaient déjà eu lieu au moment où il s’est prononcé.

3.9L’auteure soutient que le fait que le Tribunal constitutionnel n’avait toujours pas statué sur la décision portant rejet de l’amparo à la date de la soumission de la communication au Comité alors que le délai légal était dépassé constitue un manquement à l’obligation de diligence énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, au droit à un recours utile garanti au paragraphe 3 de l’article 2, et à l’obligation de l’État partie de prendre des mesures effectives pour permettre à l’auteur d’exercer ses droits politiques établie au paragraphe 2 de l’article 2.

3.10À titre de mesures de réparation, l’auteure demande : a) une mesure de satisfaction, à savoir la reconnaissance publique du tort causé, ainsi qu’une indemnisation couvrant les dépenses engagées pour sa candidature et sa campagne électorale, le coût des déplacements effectués à La Paz aux fins des démarches administratives et judiciaires liées à la procédure et les honoraires des conseils qui l’ont représentée devant les organes nationaux et internationaux ; b) l’abrogation ou la révision des dispositions législatives qui empêchent les membres de l’Assemblée plurinationale de se porter candidats à des charges locales ; c) l’abrogation des dispositions de la Constitution et de la loi électorale qui subordonnent l’exercice des droits politiques à une condition de résidence ; d) l’adoption d’un texte législatif garantissant des recours rapides, opportuns et utiles contre les décisions de l’organe électoral plurinational attentatoires aux droits politiques ; e) la mise en place d’un mécanisme de nomination des membres du Tribunal électoral suprême et des tribunaux électoraux de département fonctionnant de manière transparente et garantissant l’indépendance et l’impartialité des institutions concernées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 3 septembre 2015 l’État partie objecte que la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Premièrement, l’auteure aurait dû présenter un recours en amparo constitutionnel contre la circulaire no 71/2014 du Tribunal électoral suprême, et non contre les décisions qui l’ont empêchée de se porter candidate au poste de maire lors des élections de 2015. En n’attaquant pas cette circulaire par la voie de l’amparo l’auteure a manifesté son acceptation de ce texte. Deuxièmement, le recours en amparo que l’auteure a formé à tort contre la décision no 95/2015 du Tribunal électoral suprême n’a pas été définitivement tranché, le Tribunal constitutionnel ne s’étant pas encore prononcé sur la décision par laquelle le Tribunal des garanties a rejeté l’amparo. Troisièmement, l’auteure aurait pu soumettre ses griefs de discrimination à la juridiction pénale ou à la juridiction administrative sur le fondement de la loi no 45, du 8 octobre 2010 relative à la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination.

4.2L’État partie allègue un abus du droit de présenter des communications au motif que le Comité n’a pas compétence pour ordonner aux États parties de prendre des mesures de réparation telles celles demandées par l’auteure, d’autant que ces mesures vont au-delà de ce qui est prévu par les mécanismes subsidiaires de protection des droits de l’homme. En particulier, les dépenses engagées par l’auteure dans le cadre de la campagne électorale et après résultent de la négligence de l’intéressée et leur responsabilité ne saurait être attribuée à l’État partie. Pour ce qui est des dispositions législatives dont la révision est demandée, l’État partie fait observer qu’elles ont été adoptées pendant que l’auteure siégeait à l’Assemblée et que l’intéressée ne s’est pas élevée contre leur adoption.

4.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que le grief tiré de l’article 26 du Pacte n’est pas suffisamment étayé. D’une part, pour arguer d’une violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination énoncé à l’article 26, d’autres droits protégés par le Pacte doivent avoir été enfreints − il n’est pas possible d’alléguer seulement une violation de l’article 26. D’autre part, l’auteure n’a pas démontré qu’elle avait fait l’objet d’un traitement défavorable par rapport à celui dont avaient bénéficié d’autres personnes dans des situations comparables, ni qu’elle avait été traitée de manière arbitraire ou déraisonnable. La circulaire no 71/2014 n’était pas discriminatoire puisqu’elle s’appliquait sans distinction à tous les membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale.

4.4L’État partie souligne que la condition de résidence vise à assurer que les personnes qui aspirent à représenter les intérêts d’une population régionale ou municipale ont une connaissance directe de la situation socioéconomique de leurs administrés, ce qui ne peut pas être le cas des membres de l’Assemblée législative plurinationale, dont le mandat exige qu’ils résident à La Paz. Si la circulaire no 71/2014 établit une distinction entre les charges départementales et les charges municipales, c’est parce que les circonscriptions départementales sont constituées de plusieurs communes et il serait impossible pour les candidats de résider dans chacune. Par contre, la condition de résidence se justifie pour les représentants municipaux, qui doivent avoir établi une relation étroite avec les administrés, ce qui n’est possible que s’ils ont résidé sans interruption dans la commune pendant au moins deux années. Rien n’empêche la personne qui a été titulaire d’un mandat à l’Assemblée plurinationale de se porter par la suite candidate à une charge départementale étant donné que, pendant leur mandat, les député et les sénateurs représentent le département.

4.5L’État partie signale que la nomination du Vice-Président du Tribunal électoral suprême est régie par les dispositions de la Constitution (art. 172) et de la loi no 18 relative à l’organe électoral plurinational (art. 13).

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une communication du 5 octobre 2015 l’auteure répond que le recours en amparo constitutionnel prévu par l’article 129 de la Constitution n’est ouvert qu’en cas de dommage ou préjudice direct pour la personne concernée. D’après la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, l’amparo ne peut pas être utilisé pour contester une norme in abstracto étant donné que cela reviendrait à dénoncer une action ou une omission concernant une situation juridique générale qui ne porte pas concrètement et directement préjudice au requérant et est donc sans conséquence pour lui. Partant, la circulaire no 71/2014 ne peut pas faire l’objet d’un recours en amparo. L’auteure insiste sur le fait que les recours internes ordinaires ont été épuisés lorsqu’elle a interjeté appel devant le Tribunal électoral suprême et ajoute que, en tout état de cause, puisque le Tribunal constitutionnel ne s’est toujours pas prononcé sur le rejet de l’amparo, la procédure d’examen de son recours est excessivement longue et a dépassé le délai légal. Pour ce qui est du recours prévu par la loi no 45, l’auteure signale que l’article 12 de ce texte dispose que les personnes qui ont subi des actes de racisme ou de discrimination peuvent saisir les instances constitutionnelles, administratives, disciplinaires ou pénales. La loi n’impose donc pas d’épuiser les recours de toutes les juridictions. L’auteure a choisi de saisir le tribunal électoral, ce qui était la solution la plus appropriée car l’action pénale n’aboutit pas au rétablissement des droits politiques, mais à la détermination de la responsabilité pénale et à sanction des responsables.

5.2L’auteure soutient que le principe selon lequel les victimes doivent obtenir réparation intégrale du préjudice subi est un principe fondamental du droit international des droits de l’homme et que les mesures de réparation qu’elle demande, comme une indemnisation, le remboursement des frais de justice et la révision de la législation, sont des mesures couramment prescrites par le Comité. En ce qui concerne la révision de la législation, l’auteure signale qu’elle aurait certes pu mettre en question la constitutionnalité d’une règle de droit, mais elle n’aurait pas pu contester la condition de résidence car celle-ci est prévue dans la Constitution.

5.3L’auteure affirme que l’État partie confond la nature du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte avec celle de l’article 26. Si le paragraphe 1 de l’article 2 ne peut être invoqué que conjointement avec d’autres dispositions, ce n’est pas le cas de l’article 26, qui consacre un droit à part entière. En l’espèce, l’auteure allègue une violation de l’article 26, lu seul et conjointement avec l’article 25. Elle insiste sur le fait qu’elle a bénéficié d’un traitement défavorable par rapport à d’autres membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale pendant qu’ils se trouvaient dans la même situation qu’elle.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une communication du 29 février 2016 l’État partie signale que, en décembre 2014, le Tribunal électoral suprême a adopté un règlement (voir par. 2.5) qui l’habilitait à régler, par voie de circulaire, des aspects techniques et fonctionnels de l’administration et du déroulement des élections locales de 2015. La circulaire no 71/2014 n’est autre qu’un instrument strictement fonctionnel venant préciser le champ d’application des règles constitutionnelles.

6.2L’État partie soutient que les États parties ont toute latitude pour introduire dans leur législation des limites et des restrictions à l’exercice des droits consacrés par le Pacte, sous réserve qu’elles soient conformes aux principes de légalité et de proportionnalité. L’obligation constitutionnelle faite aux candidats d’avoir résidé de façon permanente pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter obéit à la nécessité d’assurer la légitimité et la compétence des représentants du peuple, qui doivent avoir une relation particulière, permanente et privilégiée avec leurs administrés. L’État partie signale que plusieurs pays de la région ont adopté des dispositions comparables. La condition de résidence vise à garantir que les élus peuvent défendre les intérêts de ceux qu’ils représentent parce qu’ils ont une connaissance directe de la situation sociale, culturelle et économique locale. Les charges municipales sont très différentes des charges départementales et nationales car elles exigent une relation de proximité particulière avec la population.

6.3L’État partie souligne que la possibilité qu’a le Président de la République de nommer un juge du Tribunal électoral suprême est reconnue par la Constitution et par la loi (voir par. 4.5) et ne compromet nullement l’impartialité et la compétence de l’organe électoral plurinational. C’est l’Assemblée législative qui élit les six autres juges.

6.4L’État partie fait remarquer que l’auteure a introduit deux recours en amparo. Le premier ayant été rejeté pour des questions de forme qui n’ont pas été rectifiées en temps opportun, le 18 février 2015, l’auteure a présenté un nouveau recours, qui a été jugé recevable le 23 février 2015 et examiné le 9 mars 2015. La décision de rejet a été renvoyée d’office devant le Tribunal constitutionnel plurinational qui, le 6 octobre 2015, a confirmé la décision attaquée. Le Tribunal a estimé que la partie directement touchée par la circulaire no 71/2014 était l’alliance politique Frente Único et que c’était celle-ci, et non l’auteure, qui avait qualité pour former le recours en amparo constitutionnel. Toutefois, quand l’alliance a appris que l’auteure était frappée d’inéligibilité, elle l’a remplacée par un autre candidat.

6.5L’État partie soutient que la charge de la preuve incombe à la personne qui se dit victime de discrimination et que, en l’espèce, l’auteure n’a fourni aucun élément probant à l’appui de ses griefs, qui ne sont que des suppositions dénuées de fondement. L’auteure compare sa situation de candidate à la charge de maire d’une commune à deux situations complétement différentes, à savoir celle des candidats à la réélection à un nouveau mandat à l’Assemblée plurinationale et celle des candidats à des charges départementales. La situation des membres de l’Assemblée plurinationale qui se sont portés candidats à des charges dans le département de La Paz n’est pas non plus comparable à celle de l’auteur étant donné que ces personnes candidats remplissaient la condition de résidence.

6.6L’État partie affirme qu’il s’est toujours acquitté de l’obligation d’adopter des normes de droit compatibles avec le Pacte et de garantir des recours utiles et rapides devant la juridiction électorale et la juridiction constitutionnelle.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une communication du 9 mai 2016 l’auteure avance que l’obligation faite aux candidats d’avoir résidé pendant deux ans dans la circonscription qu’ils souhaitent représenter, faite à l’article 285.I de la Constitution, s’applique aux candidats à tous les organes exécutifs autonomes, non seulement aux niveaux municipal et régional, mais aussi au niveau départemental. La seule différence concerne l’âge des candidats (qui doivent avoir 21 ans au moins pour pouvoir exercer des fonctions municipales et 25 ans au moins pour pourvoir exercer des fonctions départementales ou régionales). L’auteure ajoute que l’argument de l’État partie selon lequel les représentants municipaux ont une relation particulière avec leurs administrés est déraisonnable et contraire à la Constitution.

7.2L’auteure signale qu’avant de publier la circulaire no 71/2014, le Tribunal électoral suprême avait déjà adopté la circulaire no 52/2014 qui devait régir les élections locales de 2015 et expliquait comment les candidats pouvaient justifier du fait qu’ils avaient résidé de manière permanente pendant deux années dans la circonscription qu’ils souhaitaient représenter. La circulaire no 71/2014 a été adoptée plus tard, avec pour seul objectif d’empêcher les membres de l’Assemblée plurinationale dissidents du MAS de se présenter aux élections en introduisant des critères d’éligibilité non prévus dans la Constitution. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, elle n’a donc pas qu’un caractère technique et fonctionnel.

7.3En ce qui concerne la condition de résidence prévue dans la Constitution, l’auteure fait observer que dans les États d’Amérique latine cités par l’État partie ne l’imposent pas seulement pour les élections autres que les municipales. Quoi qu’il en soit, elle insiste sur le fait que cette condition est déraisonnable et discriminatoire. De plus, la circulaire no 71/2014 a entraîné une application arbitraire et sélective de cette condition car elle concernait uniquement certaines charges déterminées et certaines élections (celles de mars 2015), restriction qui n’existait pas lors des élections précédentes.

7.4L’auteure rappelle que l’article 25 a) du Pacte exige que toute restriction à un droit soit apportée par un texte législatif alors que, en l’espèce, ses droits ont été restreints par voie de circulaire administrative, norme de rang inférieur à une loi.

7.5L’auteure affirme que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte exige non seulement que les tribunaux soient impartiaux, mais aussi qu’ils apparaissent comme tels à un observateur neutre. Or, tous les juges de la chambre du Tribunal électoral suprême saisie de l’appel interjeté contre la décision d’inéligibilité dont elle a fait l’objet avaient été nommés en raison de leur relation étroite avec le parti au pouvoir. L’auteure fait observer que l’une des juges de ce tribunal a ultérieurement admis devant des journalistes que le Tribunal avait commis une erreur lorsqu’il avait reconnu la validité de la circulaire no 71/2014 et décidé d’empêcher d’anciens membres de l’Assemblée plurinationale de se présenter aux élections locales.

7.6L’auteure relève que l’État partie n’a pas commenté les allégations relatives au manque d’indépendance et d’impartialité du Tribunal constitutionnel. Elle signale que tous les candidats concernés par la circulaire no 71/2014 ont formé des recours et que ces recours ont été rejetés par la juridiction électorale et par la juridiction constitutionnelle. Elle ajoute que le Tribunal constitutionnel a manqué de cohérence puisqu’il a rejeté son recours en amparo au motif que c’était le groupe politique dont elle était la candidate qui avait qualité pour agir alors que, dans le cas du député Eduardo Maldonado, déclaré lui aussi inéligible, il a rejeté le recours en amparo justement au motif que c’était le groupe politique du candidat qui l’avait introduit et non l’intéressé lui-même.

7.7Enfin, l’auteure souligne que le Tribunal constitutionnel a rendu sa décision au bout de deux cent dix jours − le 6 octobre 2015 −, cinquante jours après le délai légal et une fois que les élections locales avaient eu lieu, et que cette décision lui a été notifiée le 29 mars 2016 seulement. En outre, elle conteste l’argument de l’État partie selon lequel le retard pris dans la procédure en première instance est dû au fait qu’elle a tardé à rectifier des vices de forme. Elle signale que le Tribunal des garanties a estimé qu’avant de se prononcer sur le fond, il devait attendre l’issue de l’appel interjeté devant le Tribunal électoral suprême, alors que ce n’était pas nécessaire, sachant qu’il ressort de la jurisprudence constitutionnelle que l’action en amparo permet qu’il soit fait exception au principe de subsidiarité et peut être engagée avant la fin de la procédure d’appel puisque, en cas de préjudice imminent irréparable, comme en l’espèce, les droits doivent être immédiatement protégés.

Observations supplémentaires des parties

8.Le 6 novembre 2016, l’État partie a fait parvenir des observations, dans lesquelles il répète ses arguments concernant la recevabilité et le fond de la communication. Il signale que la circulaire no 71/2014 avait pour objet de rappeler aux candidats l’obligation de résidence imposée par la Constitution et n’établissait aucune de distinction entre les dissidents politiques et les partisans du pouvoir en place. Il insiste sur le fait que la commune se différencie des autres entités administratives car, étant plus petite, elle exige de ses représentants qu’ils aient des liens étroits avec leurs administrés et une connaissance directe de la situation locale.

9.Dans une réponse du 10 mars 2017, l’auteure souligne que les observations supplémentaires de l’État partie n’apportent aucun élément nouveau et réitère ses allégations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés parce que (voir par. 4.1) : a) l’auteure aurait dû former un recours en amparo contre la circulaire no 71/2014, et non contre les décisions du tribunal électoral qui l’ont empêchée d’être candidate au poste de maire lors des élections de mars 2015 ; b) le Tribunal constitutionnel ne s’était pas encore prononcé sur le recours en amparo lorsque la communication a été présentée ; c) l’auteure aurait dû soumettre ses griefs de discrimination à la juridiction pénale ou à la juridiction administrative, sur le fondement de la loi no 45, relative à la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination. Le Comité note toutefois que l’auteure soutient, et l’État partie ne conteste pas, que d’après l’interprétation du Tribunal constitutionnel, l’amparo ne peut pas viser une norme in abstracto car le requérant doit avoir subi un dommage ou un préjudice direct (voir par. 5.1). Il note également que, par jugement du 6 octobre 2015, le Tribunal constitutionnel a confirmé la décision de rejet de l’amparo et, par conséquent, la voie constitutionnelle a été épuisée (voir par. 6.4 et 7.7). Enfin, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel la loi no 45 invoquée par l’État partie n’exige pas l’épuisement des recours offerts par toutes les juridictions et saisir la juridiction électorale était la solution la plus appropriée pour obtenir réparation pour une violation des droits politiques (voir par. 5.1). Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication représente un abus du droit de présenter des communications parce que le Comité n’a pas compétence pour accorder les mesures de réparation demandées et, en tout état de cause, certaines de ces mesures sont destinées à remédier les conséquences de la négligence de l’auteur (voir par. 4.2). Le Comité fait remarquer que, conformément à la procédure établie par le Protocole facultatif, il a compétence pour déterminer les mesures que l’État partie doit prendre afin de réparer les violations du Pacte constatées et d’empêcher qu’elles se reproduisent. Rien n’interdit aux auteurs de communications de demander telle ou telle mesure de réparation, le Comité n’étant pas lié par leur demande. En outre, le Comité est d’avis que la question de savoir si l’auteure a été négligente dans les procédures engagées devant les juridictions internes est étroitement liée au fond de l’affaire. Par conséquent, il estime que l’article 3 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

10.4L’État partie a fait valoir que le grief de violation de l’article 26 du Pacte n’était pas suffisamment étayé parce que l’article 26 ne pouvait pas être invoqué seul et l’auteure n’avait pas donné d’exemples de situations comparables à la sienne venant démontrer qu’elle avait effectivement été victime d’un traitement discriminatoire (par.4.3). Le Comité rappelle que l’article 26 du Pacte vient certes réaffirmer la garantie énoncée au paragraphe 1 de l’article 2, mais consacre aussi un droit à part entière. De surcroît, le Comité estime que l’auteure a avancé des arguments suffisant à démontrer qu’elle avait été traitée défavorablement par rapport aux autres candidats aux élections locales de 2015 (voir par. 3.2 à 3.8). Selon lui, ses allégations doivent être examinées au fond.

10.5Le Comité constate que l’auteure argue que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé car l’organe électoral plurinational a manqué d’indépendance et d’impartialité (voir par. 3.5 à 3.7). Il note toutefois que les décisions de cet organe dont l’auteure tire argument concernent des affaires différentes de l’espèce et n’ont rien à voir avec l’interdiction de se porter candidate à la charge de maire aux élections locales de 2015. Le Comité estime que l’auteure n’a pas démontré en quoi la composition du Tribunal électoral suprême avait empêché les juges de faire preuve de toute l’indépendance voulue pour statuer sur son recours, ni en quoi le mode de nomination des membres du Tribunal électoral suprême ne permettait pas de garantir l’indépendance des juges. Enfin, le Comité constate que les déclarations que les juges du Tribunal électoral suprême ont faites avant de rendre la décision no 93/2015, par lesquelles ils ont approuvé la teneur de la circulaire no 71/2014, étaient générales et ne concernaient pas expressément la question de l’éligibilité de l’auteure. Par conséquent, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité en ce qu’elle n’a pas démontré que le Tribunal électoral suprême n’avait pas bénéficié de toute l’indépendance voulue, que ce soit en droit ou en pratique. Partant, il déclare ce grief irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité note que l’auteure argue que le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte a été violé car le tribunal saisi du recours en amparo a subi les ingérences du pouvoir exécutif, ce qui a porté atteinte à son indépendance (voir par. 3.10). Il constate toutefois que l’auteure n’a fourni aucun élément venant expressément étayer cette allégation. En conséquence, il estime que ce grief n’est pas suffisamment étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 2, paragraphes 2 et 3, du Pacte du fait que le Tribunal constitutionnel plurinational a rendu sa décision alors que le délai fixé par la loi était dépassé (voir par. 2.10, 2.11, 3.8 et 3.9), le Comité rappelle qu’il est établi dans sa jurisprudence que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées seules dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication incompatible avec les dispositions du Pacte et irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.8Le Comité estime toutefois que les griefs tirés des articles 25 et 26 du Pacte, concernant l’inéligibilité de l’auteure à la charge de maire lors des élections de 2015, ainsi que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, concernant le manque d’indépendance et d’impartialité de la juridiction constitutionnelle saisie du recours en amparo, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité ; il les déclare recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité prend note des griefs fondés sur l’article 25 du Pacte, selon lesquels l’auteure a été empêché de se porter candidate à la charge de maire de la province Cercado (département de Cochabamba) par la circulaire no 71/2014 prise par le Tribunal électoral suprême ; ladite circulaire interdisait aux membres de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale d’être candidats aux élections municipales et régionales de 2015, mais pas aux élections départementales, ce qui n’était pas justifié ; cette interdiction était dénuée de fondement légal et s’écartait de l’interprétation de la loi et de la pratique en vigueur jusqu’alors, étant donné que, si les articles 149, 285.I et 287.I de la Constitution imposent à tout candidat à des charges parlementaires et exécutives d’avoir résidé de façon permanente dans la circonscription qu’il souhaite représenter pendant les deux années précédant le scrutin, l’organe électoral plurinational a conclu que la résidence était établie par l’inscription sur les listes électorales de la circonscription en question et par une déclaration faite devant notaire ; selon l’interprétation donnée jusqu’alors par le Tribunal électoral suprême lui-même, la résidence permanente des membres de l’Assemblée plurinationale était le département qu’ils représentaient et non La Paz, où ils exerçaient leurs activités parlementaires ; en introduisant cette interdiction, le Tribunal électoral suprême a outrepassé ses pouvoirs, étant uniquement habilité à régler par voie de circulaire des questions techniques, et restreint de façon illégale et injustifiée le droit de l’auteure de se porter candidate à la charge qu’elle briguait (voir par. 2.3 à 2.6 et 3.1 à 3.4).

11.3L’État partie a soutenu que la circulaire no 71/2014 était un instrument technique et fonctionnel qui visait simplement à rappeler l’obligation imposée par la Constitution d’avoir résidé dans la circonscription de candidature pendant les deux années précédant immédiatement le scrutin (voir par. 4.4 et 6.1). Le Comité Toutefois, sans se prononcer sur l’interprétation et l’application de la législation interne, le Comité constate que la circulaire no 71/2014 a empêché plusieurs députés et sénateurs de la législature 2010-2015 de l’Assemblée plurinationale de se présenter aux élections de 2015 comme candidats aux fonctions de conseiller municipal, entre autres. Le Comité constate également que la circulaire susmentionnée a interdit à l’auteure de se porter candidat à la charge de maire car elle avait été députée au cours de la législature précédente. Par conséquent, il estime que la circulaire no 71/2014 et les décisions prises par les organes électoraux en application de ce texte qui ont frappé l’auteure d’inéligibilité, ont restreint le droit de l’intéressée se porter candidate aux élections locales du 29 mars 2015.

11.4Le Comité doit donc déterminer si cette restriction était justifiée. Il rappelle que l’exercice des droits reconnus à l’article 25 du Pacte, y compris le droit d’être candidat à des élections, ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, raisonnables et objectifs.

11.5L’État partie a fait valoir que la condition de résidence fixée dans la Constitution s’expliquait par la nécessité de garantir que les élus ont une connaissance directe de la situation socioéconomique et culturelle de leurs administrés, ce qui est particulièrement important pour les élus municipaux, qui doivent entretenir des liens étroits avec la localité qu’ils représentent (voir par. 4.4 et 6.2). Cela étant, le Comité constate que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’auteure aurait cessé de connaître la situation socioéconomique et culturelle de la localité dont elle est originaire, qu’elle représente et où elle réside habituellement parce qu’elle avait été députée pendant la législature précédente et s’était donc régulièrement rendue à La Paz pour assister aux séances parlementaires, d’autant qu’elle retournait à Cochabamba, son lieu de résidence habituelle, les week-ends et les semaines où se tenaient dans cette ville des réunions qu’elle présidait en sa qualité que chef de file de son groupe politique (voir par. 3.1). L’État partie n’a pas non plus avancé d’arguments convaincants permettant de démontrer que les charges municipales et régionales étaient à ce point différentes des charges nationales et départementales qu’une distinction aussi importante et non prévue par la Constitution ni par la loi se justifiait (voir par. 2.3 à 2.5). Enfin, le Comité note que, d’après les allégations de l’auteure, que l’État partie n’a pas contestées, cette interprétation a été introduite pour la première fois dans la circulaire no 71/2014 aux fins des élections municipales de 2015 et n’existait pas lors des élections municipales antérieures (voir par. 2.6 et 7.3). À la lumière de ce qui précède, il estime que la décision de déclarer l’auteure inéligible, fondée sur la circulaire no 71/2014, ne reposait pas sur des critères raisonnables et objectifs clairement énoncés dans la loi. Par conséquent l’interdiction de se porter candidate à la charge de maire en 2015 a constitué pour l’auteure une restriction injustifiée des droits consacrés par l’article 25 du Pacte et une violation de cette disposition.

11.6Ayant conclu à l’existence d’une violation de l’article 25 du Pacte, le Comité n’examinera pas séparément le grief de violation de l’article 26 à raison des mêmes faits.

11.7Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles la procédure d’amparo a été excessivement longue, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’auteure soutient en particulier que ses recours en première et deuxième instance ont été tranchés en dehors du délai légal, l’arrêt du Tribunal constitutionnel plurinational ayant été rendu alors que les élections avaient déjà eu lieu, qu’elle n’a pas été dûment informée des dates de plusieurs audiences de première instance, ce qui entraîné des reports répétés, et qu’elle a été déboutée au motif que le recours aurait dû être introduit par le groupe politique « Frente Único » alors que, dans le cas d’un autre parlementaire frappé d’inéligibilité par application de la circulaire no 71/2014, le même tribunal avait débouté l’intéressé au motif qu’il aurait dû introduire le recours lui-même et non par l’intermédiaire de son groupe politique (voir par. 2.10, 2.11, 3.8, 3.9, 7.6 et 7.7).

11.8Le Comité rappelle que la rapidité de la procédure est un élément important du procès équitable et que les retards que ne justifient ni la complexité de l’affaire ni la conduite des parties portent atteinte au principe du procès équitable consacré par le paragraphe 1 de l’article 14. En l’espèce, le Comité note que l’État partie a expliqué les retards dans la procédure de première instance engagée devant la juridiction constitutionnelle par la négligence de l’auteure, qui aurait tardé à rectifier des vices de forme (voir par. 6.4). L’auteure signale, quant à elle, que plusieurs audiences ont été reportées, d’abord parce qu’elles n’avaient pas été dûment notifiées aux autorités de Cochabamba, puis parce que le dossier n’avait pas été transmis auxdites autorités, et que le Tribunal des garanties avait estimée qu’il devait attendre la décision du Tribunal électoral suprême avant de se prononcer, en violation de la jurisprudence constitutionnelle (voir par. 2.10 et 7.7). Le Comité note que l’État partie n’a apporté aucune information venant contredire les allégations de l’auteure ou justifier que le recours en amparo ait été tranché en dehors du délai légal. L’État partie n’a pas non plus expliqué pourquoi le Tribunal constitutionnel plurinational s’était prononcé sur la révision de la décision relative au recours en amparo avec un retard d’autant plus surprenant que le recours a finalement été rejeté pour une question de forme (voir par. 6.4). À la lumière de ce qui précède, le Comité estime que les retards indus dont la procédure d’amparo a souffert ont constitué une violation de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 25 du Pacte.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il doit assurer une réparation complète aux individus dont les droits ont été violés. En l’espèce, l’État partie doit, entre autres mesures, offrir à l’auteure une indemnisation adéquate couvrant les coûts de représentation devant les organes nationaux et internationaux. Il a également l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment en veillant à ce que la loi électorale et son application soient conformes à l’article 25 du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.