Nations Unies

CCPR/C/126/D/2750/2016*

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 septembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2750/2016 * * , ** *

Communication présentée par :

María Eugenia Padilla García, Ricardo Ulises Téllez Padilla et María Eugenia Zaldívar Padilla, agissant en leur nom propre et au nom de Christian Téllez Padilla, fils et frère disparu (représentés par I(DH)EAS LitigioEstratégico en Derechos Humanos et par laCommission mexicaine pour la défense et la promotion des droits de la personne)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et Christian Téllez Padilla (fils et frère des auteurs)

État partie :

Mexique

Date de la communication :

10 novembre 2015

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 mars 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

15 juillet 2019

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9 et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication, datée du 10 novembre 2015, sont María Eugenia Padilla García, Ricardo Ulises Téllez Padilla et María Eugenia Zaldívar Padilla, de nationalité mexicaine, nés le 5 novembre 1960, le 1er mai 1985 et le 19 mars 1989, respectivement. Les auteurs agissent en leur nom propre et au nom de Christian Téllez Padilla, leur fils et frère, également de nationalité mexicaine, né le 24 juillet 1980 et disparu depuis le 20 octobre 2010. Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits que Christian Téllez Padilla tient du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Les auteurs se disent également victimes d’une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Ils allèguent par ailleurs une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 15 juin 2002. Les auteurs sont représentés.

1.2Le 17 novembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

Disparition de Christian Téllez Padilla

2.1Le 20 octobre 2010, Christian Téllez Padilla (qui, au moment des faits, était âgé de 30 ans et étudiait l’ingénierie industrielle à l’Université du Golfe du Mexique, Campus Poza Rica, État de Veracruz), au volant de son automobile, se rendait chez un mécanicien dans la ville de Poza Rica. Sa compagne, Aidée Galindres Basave, le suivait dans sa camionnette. Vers 15 h 30, à hauteur du pont Hueleque qui enjambe le boulevard Adolfo Ruiz Cortines, deux voitures de la police intermunicipale de Poza Rica-Tihuatlán-Coatzintla, dans lesquelles se trouvaient huit policiers, ont intercepté M. Téllez Padilla et, sous la menace de leurs armes, l’ont obligé à descendre de son véhicule et à monter dans une de leurs voitures. Celles-ci sont reparties et un des policiers a pris le volant du véhicule de M. Téllez Padilla. La compagne de M. Téllez Padilla a essayé de les suivre, mais les policiers se sont arrêtés pour lui demander ce qu’elle cherchait et deux agents à moto lui ont barré le passage.

2.2Mme Galindres s’est immédiatement rendue au siège de la police intermunicipale, où on lui a dit que M. Téllez Padilla ne s’y trouvait pas. Elle s’est ensuite rendue au Bureau d’enquête de l’État de Veracruz et au Bureau d’enquête fédéral, où elle a reçu la même réponse. Elle est alors allée au Bureau du Procureur de justice général de l’État de Veracruz, pour dénoncer la disparition, mais sa plainte n’a pas été acceptée parce que moins de quarante-huit heures s’étaient écoulées depuis la disparition. Mme Galindres a téléphoné au service d’urgence pour dénoncer la disparition mais on l’a de nouveau dirigée vers les services de la police intermunicipale. À son arrivée, on lui a dit que la personne qu’elle cherchait ne s’y trouvait pas.

2.3Le 21 octobre 2010 à la première heure, des proches de M. Téllez Padilla (sa mère, son frère et deux de ses oncles) sont arrivés à Poza Rica en provenance du District fédéral. Ils se sont rendus au siège de la police intermunicipale, où le coordonnateur adjoint, Javier Amador Mercado Guerrero, leur a dit que le nom de M. Téllez Padilla ne figurait pas dans les registres. Un des oncles de M. Téllez Padilla a été autorisé à entrer dans la zone où se trouvaient les détenus, mais malgré ses instances, le coordonnateur adjoint a refusé d’ouvrir une porte qui était fermée à clef.

Plaintes relatives à la disparition de Christian Téllez Padilla

2.4Le 21 octobre 2010, le Bureau du Procureur de justice général de l’État de Veracruz a finalement accepté de recevoir la plainte déposée par la mère de M. Téllez Padilla, ouvrant ainsi l’enquête préliminaire PZR4/495/2010. Cependant, rien n’a été fait pour retrouver M. Téllez Padilla au plus vite. Dans l’après-midi du même jour, la famille a trouvé le véhicule de M. Téllez Padilla dans un terrain vague et en a informé le Bureau du Procureur. L’expert dépêché sur place a touché le volant sans mettre de gants et a dit aux membres de la famille qu’il ne pouvait pas prélever les empreintes à cause de la poussière. Le 26 octobre 2010, Mme Galindres a été convoquée aux fins d’établir les portraits-robots des policiers (les auteurs affirment avoir demandé à consulter l’album photos des effectifs de la police pour pouvoir identifier les responsables).

2.5Le 22 octobre 2010, Mme Galindres a formé un recours en amparo pour privation illégale de liberté et détention au secret. Après avoir demandé des informations à la police intermunicipale, qui lui a répondu que M. Téllez Padilla n’avait pas été placé en détention, le juge a ordonné la suspension de la procédure le 3 novembre 2010. Après un an de suspension, le juge a considéré que le recours était nul et non avenu (conformément à la législation en vigueur au moment des faits).

2.6Le 26 octobre 2010, face à l’inaction des autorités de Poza Rica, les proches de M. Téllez Padilla se sont adressés à la Direction générale des enquêtes ministérielles à Xalapa, capitale de l’État de Veracruz, à la suite de quoi, une enquête préliminaire a été diligentée. Dans le cadre de cette procédure, ils ont pu examiner l’album photos des membres de la police intermunicipale et Mme Galindres a identifié Pablo García García (dont le portrait-robot avait été établi) ainsi que deux autres policiers (Marco Alfredo Castellanos López et Carlos Vicencio Santiago) comme étant parmi les responsables de la disparition. Dans le cadre de cette procédure, plusieurs personnes ont été interrogées qui ont toutefois indiqué n’avoir rien vu de particulier. On a dit aux proches de M. Téllez Padilla qu’il n’y avait pas de caméra de surveillance dans la zone concernée (ce qui n’était pas exact, mais, vu le temps qui s’était écoulé, les enregistrements avaient été effacés). Le 29 novembre 2010, Pablo García García a été convoqué pour être entendu. Dans sa déclaration du 6 décembre 2010, il a indiqué appartenir à la brigade cynophile et ne conduire ni voiture ni moto de police, ajoutant qu’il était en congé le jour des faits. Comme preuve, il a présenté un document signé par le coordonnateur général de la police intermunicipale (Juan Carlos Novoa Torres − qui a été impliqué dans un assassinat en 2014) ainsi que la page du 20 octobre du journal de la brigade cynophile, signé par le coordonnateur adjoint de la police intermunicipale, Javier Amador Mercado Guerrero.

2.7Par ailleurs, une autre plainte a été déposée le 22 novembre 2010 contre les trois policiers identifiés (Pablo García García, Marco Alfredo Castellanos López et Carlos Vicencio Santiago) auprès de l’Unité d’enquête spécialisée dans les cas d’enlèvement (Service de la criminalité organisée) du Bureau du Procureur général de la République, qui a donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire sur l’infraction de privation illégale de liberté constitutive d’enlèvement. Les auteurs de la communication ont collaboré activement avec les autorités, apportant divers éléments à l’enquête, y compris l’information selon laquelle le coordonnateur adjoint de la police intermunicipale, Javier Amador Mercado Guerrero, avait été placé en détention parce qu’il était soupçonné d’être le chef local de la bande criminelle organisée Los Zetas. Les auteurs affirment que Javier Amador Mercado Guerrero n’a été interrogé que neuf mois plus tard (le 22 octobre 2012) et que, comme il a nié les faits, aucune autre investigation n’a été menée sur la collaboration de la police intermunicipale avec la bande Los Zetas.

2.8Le 24 octobre 2014, les proches de M. Téllez Padilla ont déposé une autre plainte au Service chargé de la recherche et de la localisation des personnes disparues (créé le 21 juin 2013) qui relève du Bureau du Procureur général de la République. Cette plainte a donné lieu à l’établissement d’un rapport circonstancié, dans le cadre duquel des copies de toute la documentation pertinente ont été demandées. Dès réception des documents, le 16 avril 2015, une enquête préliminaire a été diligentée sur la base du rapport circonstancié. Même si une analyse de tous les appels effectués sur le téléphone de M. Téllez Padilla a permis de déterminer − en septembre 2015 − qu’un appel avait été émis de son portable quelques minutes après son arrestation et que, le 6 décembre 2010, un autre appel avait été effectué pour vérifier le solde de son compte, il a été impossible, vu le temps écoulé, d’obtenir davantage d’informations.

2.9Outres ces recours judiciaires, les auteurs ont également saisi la Commission des droits de l’homme de l’État de Veracruz (le 21 octobre 2010) et la Commission nationale des droits de l’homme (le 19 avril 2011) d’une plainte contre la police intermunicipale. Ces initiatives n’ont pas permis de retrouver M. Téllez Padilla.

2.10Les auteurs affirment que la disparition de Christian Téllez Padilla s’inscrivait dans un contexte de graves atteintes aux droits de l’homme qui faisait apparaître un lien manifeste entre des agents de l’État et la criminalité organisée, citant à l’appui les rapports de plusieurs instances internationales et régionales. Selon les auteurs, cette connivence entre la police et la criminalité organisée s’est traduite par une augmentation du nombre d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées dans tout le pays, de même que du nombre des plaintes relatives à l’impunité structurelle dont continuent de jouir les auteurs de tels actes ; telle est la situation dans l’État de Veracruz du fait de la présence de bandes criminelles organisées comme Los Zetas, le Cártel del Golfo et le Cártel de Jalisco Nueva Generación.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que la communication satisfait aux conditions de recevabilité compte tenu de l’exception prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. À cet égard, même si les recours utiles ont été formés, les procédures se sont éternisées et des éléments de preuve essentiels ont été perdus. Ainsi, les recours n’ont pas permis de déterminer les circonstances de la disparition de M. Téllez Padilla, le sort qui lui a été réservé ou l’endroit où il se trouve ; ils n’ont pas non plus permis que les responsables soient traduits en justice.

3.2En particulier, les auteurs citent la jurisprudence du Comité selon laquelle si les procédures de recours sont excessivement longues ou se révèlent inefficaces, rien ne s’oppose à l’examen de la communication. Ils soutiennent que la communication est recevable sur la base des quatre critères établis par les systèmes régionaux des droits de l’homme s’agissant de définir ce qui constitue un délai raisonnable aux fins de déterminer l’efficacité des recours. À ce propos, compte tenu de la complexité de l’affaire, les auteurs soutiennent également que, comme la police intermunicipale était impliquée, les enquêtes n’ont pas pu progresser. Quant à l’activité procédurale de la partie intéressée, les auteurs affirment qu’ils ont toujours collaboré à l’enquête et que ce sont eux qui ont apporté des éléments ouvrant de nouvelles pistes. S’agissant du comportement des autorités judiciaires, les auteurs affirment que les autorités ont entravé et vicié le déroulement de l’enquête d’abord en refusant leur plainte, puis en se contredisant sur l’existence de caméras de sécurité, en bâclant l’expertise du véhicule et en rendant impossible le prélèvement d’empreintes digitales, en retardant l’identification des policiers, en faisant établir un portrait-robot au lieu de montrer l’album photos des effectifs de la police et en retirant quatre photos une fois qu’elles ont accepté de le montrer, en laissant passer quarante-quatre jours avant de convoquer un des policiers identifiés et en accordant pleine valeur probante à un certificat signé par un membre de la police qui par la suite a été arrêté pour enlèvement. Enfin, en ce qui concerne le dernier critère, à savoir la mesure dans laquelle la situation juridique des intéressés est compromise, les auteurs rappellent que le fait de ne pas savoir où se trouve M. Téllez Padilla a de graves conséquences sur leur intégrité personnelle.

3.3Concernant les violations dénoncées en l’espèce, les auteurs affirment qu’il s’agit bien d’une disparition forcée puisque tous les éléments de cette infraction sont réunis :a) M. Téllez Padilla a été intercepté par des agents de la police intermunicipale ; b) les policiers l’ont obligé à sortir de son véhicule et à monter dans une voiture de police ; c) ses proches l’ont cherché sans relâche et les policiers ont nié qu’il était retenu dans leurs locaux. Les auteurs rappellent que la disparition forcée constitue une atteinte multiple et continue à plusieurs droits et affirment que l’État partie a violé les droits que M. Téllez Padilla tient du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. En outre, ils se disent également victimes d’une violation des droits énoncés à l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

3.4Quant à la violation du droit à la vie de M. Téllez Padilla, les auteurs soutiennent que les faits constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, étant donné les circonstances de la détention de M. Téllez Padilla et l’absence d’informations sur le sort qui lui a été réservé ou sur l’endroit où il se trouve.

3.5En ce qui a trait à la violation du droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les auteurs affirment que l’on peut présumer que M. Téllez Padilla a ressenti un profond désarroi et subi de graves souffrances, ainsi que des atteintes à son intégrité physique et mentale, sans compter que la disparition forcée constitue en elle-même une forme de torture. En outre, les auteurs soutiennent que les droits qu’ils tiennent eux-mêmes de l’article 7 du Pacte ont été violés, en raison de l’angoisse et des souffrances causées par leur quête de justice et par le fait qu’ils ne savent pas où se trouve leur parent, s’il est toujours vivant ou dans quelles conditions il est détenu.

3.6Les auteurs affirment également qu’il y a eu violation de l’article 9 du Pacte parce que M. Téllez Padilla a été arrêté sans mandat, qu’il n’a pas été informé des raisons de son arrestation, qu’aucune accusation n’a été portée contre lui et qu’il n’a pas comparu devant une autorité judiciaire pour contester la légalité de sa détention. Par ailleurs, les auteurs rappellent l’observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, selon laquelle « le transfert d’une personne contre son gré » (par. 5) constitue une forme de privation de liberté et que « [l]es disparitions forcées […] constituent également une forme particulièrement grave de détention arbitraire » (par. 17). Les auteurs citent également la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme à l’appui de la violation du droit à la liberté, parce que M. Téllez Padilla a été transféré dans un lieu inconnu et que sa détention n’a pas été consignée.

3.7Pour ce qui est de la violation du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, les auteurs invoquent les constatations du Comité pour étayer la violation des droits que M. Téllez Padilla tient de l’article 16, puisqu’il a été soustrait à la protection de la loi et que les autorités l’avaient en leur pouvoir quand il a été vu pour la dernière fois.

3.8Enfin, en l’absence d’enquête digne de ce nom, les auteurs affirment également qu’il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu seul et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 6 et les articles 7, 9 et 16 du Pacte. À cet égard, ils soutiennent que non seulement l’État n’a pas ouvert d’office une enquête indépendante, impartiale, sérieuse et exhaustive et efficace qui garantirait le droit à la vérité et respecterait le droit des membres de la famille de participer à la procédure (les auteurs rappellent qu’ils ont dû introduire un recours enamparo à cause des difficultés qu’ils ont eues pour obtenir copie du dossier et que l’État partie a déjà été mis en cause sur le plan international pour le même type d’affaire), mais qu’il a également fait obstacle à l’enquête. Les auteurs évoquent diverses déclarations internationales selon lesquelles la période qui suit immédiatement l’arrestation est cruciale pour recueillir des informations et éviter ainsi une disparition. Enfin, ils citent le paragraphe 15 de l’observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, selon lequel « [l]e fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte ».

3.9À titre de réparation, les auteurs demandent qu’il soit ordonné à l’État partie : a) de mener une enquête rapide, impartiale et exhaustive sur les faits ; b) de poursuivre les investigations sur le sort réservé à M. Téllez Padilla et le lieu où il se trouve, en respectant les normes internationales en la matière ; c) de les informer des résultats de l’enquête pénale et des recherches ; d) de libérer immédiatement M. Téllez Padilla, dans le cas où il serait encore en détention ; e) de poursuivre et de châtier les responsables ; f) d’accorder à M. Téllez Padilla, s’il est encore en vie, et à ses proches pleine réparation, à savoir une indemnisation adéquate et la réhabilitation nécessaire ; g) d’adopter des mesures pour empêcher que de telles violations ne se reproduisent.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 13 mai 2016, l’État partie a prié le Comité d’examiner la recevabilité séparément du fond et de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes, car ceux-ci étaient toujours pendants.

4.2Premièrement, l’État partie soutient que les enquêtes nécessaires ont été menées à la suite des plaintes dont ont été saisies les autorités de l’État de Veracruz. Ainsi, le portrait-robot de deux personnes a été dressé ; Pablo García García a été identifié comme étant l’un des responsables et il a été convoqué pour interrogatoire et mis en examen ; les procureurs généraux de 30 États de la République et du district fédéral ont été invités à faire procéder à des perquisitions ; il leur a été demandé de signaler toute enquête au terme de laquelle M. Téllez Padilla aurait été déclaré coupable ou interné dans l’un des centres de réadaptation sociale ou hospitalisé ; ils ont également été priés de diffuser une photo de M. Téllez Padilla sur le site Web et dans les médias ; un soutien psychologique a été demandé pour la mère et la compagne de M. Téllez Padilla ; les auteurs ont été informés que les enregistrements réalisés par les caméras de surveillance ont été automatiquement effacés quinze jours plus tard ; en 2012 et 2013, Mme Galindres ne s’est pas présentée aux rendez-vous qui lui avaient été fixés aux fins de l’identification des policiers ; depuis 2015, une récompense est offerte pour favoriser la localisation de M. Téllez Padilla.

4.3Deuxièmement, l’État partie fait observer que le Bureau du Procureur général de la République a lui aussi mené les enquêtes nécessaires. Ainsi, entre autres mesures, il a recueilli les dépositions de plusieurs personnes et connaissances de M. Téllez Padilla ; il a fait procéder à l’inspection du lieu de la disparition ; des recherches ont été menées dans des fosses clandestines ; un avis de recherche et de localisation a été adressé à 32 parquets ainsi qu’aux hôpitaux et aux institutions psychiatriques ; il a été demandé à l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) de lancer une alerte jaune ; le contexte dans lequel s’est produite la disparition a été analysé ; le témoignage de Javier Amador Mercado Guerrero, coordonnateur adjoint de la police intermunicipale, a été recueilli.

4.4L’État partie affirme qu’à la suite de ces mesures, des incidents violents ont opposé plusieurs groupes criminels à Poza Rica en octobre 2010 et des articles de presse dénonçant les agissements de la police intermunicipale ont été publiés. L’État partie soutient par ailleurs que Pablo García García « a prouvé, document officiel à l’appui », qu’au moment des faits « il était en congé », « qu’il ne savait ni utiliser ni conduire une moto » et « qu’il n’avait pas de cicatrice telle que décrite par la témoin oculaire lorsqu’elle avait donné le signalement du conducteur de la moto qui lui avait barré le passage ».

4.5Enfin, l’État partie soutient que l’enquête préliminaire restera en cours tant que les parquets saisis d’une demande de coopération n’auront pas communiqué les informations requises. Il soutient qu’il a suivi les protocoles de recherche, mais n’a trouvé aucune preuve tangible permettant d’identifier un responsable. En ce sens, il indique qu’« il n’est pas impossible que les auteurs de ces actes criminels soient des éléments chargés de l’application de la loi mais la participation d’un membre de la police intermunicipale n’a pu être établie ». Il conclut que « l’État mexicain a fait tout ce qu’il pouvait pour élucider les faits » et que les enquêtes menées et les efforts déployés ont été adéquats, raison pour laquelle l’État partie a rempli avec la diligence voulue son obligation légale d’enquêter.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 18 juillet 2016, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité, dans lesquels ils ont insisté sur le fait que, bien qu’ils aient fait tout leur possible pour épuiser les recours internes, ceux-ci n’ont pas été effectifs. Les auteurs soutiennent que les procédures en question ont subi des retards injustifiés et que, près de six ans après la disparition de M. Téllez Padilla, ils ignorent toujours tout de son sort et de l’endroit où il se trouve.

5.2Se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, les auteurs soutiennent que le refus qui leur a été opposé lorsqu’ils ont voulu porter plainte était contraire à l’obligation de l’État partie de diligenter sans tarder une enquête. De plus, ils affirment que les autorités n’ont pas mené d’enquête exhaustive, puisque l’on est toujours sans nouvelles de M. Téllez Padilla et que l’on ignore tout de son sort et de l’endroit où il se trouve, sans que les responsables aient été sanctionnés et sans aucune réparation. En conclusion, ils soutiennent que les enquêtes ont été conduites : a) sans la diligence voulue ; b) très tardivement, ce qui a causé la perte de preuves essentielles ; et c) avec de longues interruptions, ce qui a compromis l’efficacité des démarches entreprises et s’est traduit par un retard injustifié des investigations.

5.3En ce qui concerne la liste des mesures présentées par l’État partie, les auteurs réaffirment que certaines démarches qui étaient pourtant fondamentales pour atteindre les objectifs de l’enquête n’ont pas été entreprises. Une d’entre elles consistait à procéder à une inspection visuelle correcte du véhicule de M. Téllez Padilla afin de recueillir les empreintes et l’ADN d’un des responsables. Une autre mesure aurait été d’obtenir immédiatement une ordonnance judiciaire donnant accès aux caméras de sécurité du lieu de la disparition. De plus, la liste des appels effectués sur le téléphone portable de M. Téllez Padilla n’a été analysée que tardivement. Enfin, les auteurs font observer que les déclarations des deux autres policiers signalés par la témoin oculaire n’ont été recueillis que plus de quatre ans après la disparition.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 13 septembre 2016, l’État partie prie le Comité de déclarer qu’il n’a violé aucun des articles du Pacte.

6.2L’État partie réaffirme que des enquêtes ont été menées sans tarder après que les autorités ont eu connaissance de la disparition, le 21 octobre 2010. À ce propos, il s’inscrit en faux contre « la base factuelle présentée par Mme Galindres selon laquelle elle n’aurait pas été autorisée à porter plainte le 20 octobre 2010 ». L’État partie réaffirme également que les enquêtes ont été menées avec la diligence voulue, faisant valoir que l’obligation d’enquêter n’est pas une obligation de résultats mais de moyens, qui doit être interprétée de manière à ne pas imposer une charge disproportionnée aux autorités. L’État partie ajoute que l’enquête a été impartiale, puisque le Bureau du Procureur est un organe juridiquement indépendant de la police intermunicipale, et qu’elle a été exhaustive, puisque les autorités de l’État, comme les autorités fédérales, ont effectué toutes les investigations et toutes les démarches nécessaires.

6.3L’État partie énumère à nouveau toutes les mesures prises, précisant qu’en ce qui concerne les investigations entourant le véhicule, « on n’a trouvé aucune trace indiquant […] qu’il y aurait eu une empreinte distincte montrant que le véhicule a été utilisé par quelqu’un d’autre que la personne disparue ». L’État partie ajoute que d’autres agents ont fait des déclarations, outre les trois policiers identifiés et Javier Amador Mercado Guerrero, coordonnateur adjoint de la police intermunicipale, sans que leurs déclarations « ne permettent d’établir un lien probable entre les faits présumés ».

6.4Ainsi, l’État partie soutient que, non seulement la disparition de M. Téllez Padilla n’est pas imputable aux agents de l’État « puisque aucune preuve n’est venue étayer une telle affirmation », mais qu’au contraire certains éléments de preuve pointent vers des conclusions différentes, par exemple le fait qu’aucun des policiers n’a reconnu sa participation et qu’aucune des personnes interrogées n’a confirmé les faits. Ainsi, l’État partie affirme que sa responsabilité internationale ne saurait être engagée parce qu’il a apporté des éléments qui discréditent la version des auteurs.

6.5Enfin, l’État partie soutient également qu’il n’était pas possible d’affirmer que la disparition a eu lieu à la suite d’une omission de l’État. À ce propos, il fait observer qu’un État ne saurait être tenu responsable de toute une situation où le droit à la vie est menacé si, au moment des faits, ses autorités n’avaient pas connaissance de l’existence d’un risque réel et immédiat pour la vie de l’intéressé. L’État partie indique n’avoir reçu aucune plainte préalable de ce que M. Téllez Padilla se serait trouvé dans une situation de risque, et il n’a donc pas pu prévenir sa disparition.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans leurs commentaires du 20 janvier 2017, les auteurs affirment que les autorités étaient effectivement au courant de la disparition depuis le jour où elle s’est produite, puisque Mme Galindres a appelé la police ce jour-là, en utilisant le numéro d’urgence pour signaler la disparition de son compagnon, après s’être enquise de lui auprès de trois organes de l’État (la police intermunicipale, le Bureau d’enquête de Veracruz et le Bureau d’enquête fédéral). Les auteurs indiquent que l’appel en question a été consigné dans le dossier pénal. De plus, ils précisent que le refus du Bureau du Procureur de justice général de l’État de Veracruz de recevoir la plainte le 20 octobre 2010 a été consigné dans le dossier.

7.2Les auteurs insistent également sur le fait que, en dépit des déclarations invariées de la principale témoin oculaire, les investigations n’ont été ni rapides ni exhaustives, elles n’ont pas été menées avec la diligence voulue et ces retards se sont traduits par la perte ou l’altération de preuves essentielles et irremplaçables qui auraient permis d’établir ce qui s’est passé ainsi que l’identité des responsables. À ce propos, les auteurs rappellent que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a dit que c’est souvent dans les premières heures et les premiers jours suivant la privation de liberté que les abus sont commis, notamment les disparitions forcées ou involontaires. Or, aucun ordre n’a été donné pour que les locaux de la police intermunicipale fassent l’objet d’une perquisition ; aucune démarche n’a été entreprise pour obtenir des informations des caméras placées à l’endroit où le véhicule a été arrêté ; la première visite dans le lieu de détention a été effectuée le 27 octobre 2010, c’est-à-dire, sept jours après les faits ; l’agent du ministère public a reçu de la police les photos des agents le 27 octobre 2010 et la première convocation pour obtenir les déclarations de Pablo García García a été émise le 24 novembre 2010 (plus de deux mois après la disparition). De même, les auteurs indiquent qu’ils avaient demandé le 26 octobre 2010 que l’on vérifie dans les archives des bureaux du C4 (Centre de contrôle, de commandement, de communication et de calcul) s’il existait des enregistrements de caméras vidéo et que, n’ayant pas reçu d’information deux mois et dix-huit jours après, une nouvelle demande avait été déposée, à laquelle il a été répondu en janvier 2011 que « les enregistrements effectués par les caméras sont effacés par le système au bout de quinze jours ».

7.3Quant à l’identification de Pablo García García comme étant l’un des policiers qui conduisait la moto et aux allégations de l’État partie selon lesquelles il ne correspond pas à la description donnée, les auteurs soutiennent que, bien que l’avocat du policier ait indiqué que la description physique ne correspondait pas exactement à celle donnée par la témoin oculaire, aucune mesure n’a été prise pour faire la lumière sur cette divergence et la témoin n’a pas été convoquée à une parade d’identification, comme le prévoit le Code de procédure pénale. Une telle initiative aurait été des plus pertinentes puisque la témoin a été très péremptoire le 21 avril 2014, lorsqu’elle a identifié une nouvelle fois sur les photos Pablo García García comme étant l’un des policiers à moto qui lui avait barré le passage.

7.4Les auteurs insistent également sur le fait que le retard est particulièrement grave eu égard au contexte dans lequel s’est produite la disparition, car il ressort des déclarations versées au dossier qu’au moment de la disparition, il y avait des affrontements entre les autorités et des membres du gang des Los Zetas et que « les gens protestaient ». À ce propos, ils déplorent qu’aucune mesure n’a été ordonnée pour établir la véracité de la déposition de Pablo García García, qui a nié toute participation, mais l’un des documents qu’il a produits à l’appui a été signé par quelqu’un qui, par la suite, a été arrêté pour enlèvement et connivence avec la bande Los Zetas. De même, ils regrettent que, bien qu’ils aient fourni une copie des articles de presse indiquant qu’une opération de la police intermunicipale avait eu lieu à l’endroit des faits le même jour, ce n’est que plus de six ans plus tard (le 9 décembre 2016) que le Bureau du Procureur général de la République a recueilli, lors d’une visite d’inspection dans les bureaux de la police intermunicipale, les dépositions de policiers qui ont reconnu qu’effectivement une opération avait eu lieu ce jour-là.

7.5Les auteurs soutiennent également que l’État partie n’a pas nié la disparition de M. Téllez Padilla ; que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne et à celle du Comité, l’État partie n’a pas donné d’autre version qui expliquerait de manière satisfaisante et convaincante ce qui s’est produit ; et que les dénégations des membres de la police intermunicipale quant à la détention de M. Téllez Padilla ne prouvent pas qu’il n’ait pas été privé de sa liberté par des agents de l’État partie puisque, précisément, un des éléments caractéristiques de la disparition forcée est le refus de reconnaître la privation de liberté.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie relatif au non-épuisement des recours internes, l’affaire faisant toujours l’objet d’enquêtes préliminaires du Bureau du Procureur de justice général de l’État de Veracruz et du Bureau du Procureur général de la République. En particulier, l’État partie soutient que les auteurs ont formé les recours utiles mais que l’on est toujours dans l’attente des réponses de ces bureaux aux demandes de collaboration. Le Comité prend note également des allégations des auteurs selon lesquelles les recours internes n’ont pas été effectifs puisque les procédures se sont prolongées de manière injustifiée, de telle sorte que l’on continue d’ignorer le sort de M. Téllez Padilla et l’endroit où il se trouve.

8.4Le Comité rappelle que la raison d’être de la condition liée à l’épuisement des recours internes est de donner à l’État partie l’occasion de rendre effectif son devoir de protéger et de garantir les droits consacrés dans le Pacte. Cependant, comme le prévoit le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, il ne faut pas que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Compte tenu du fait que près de neuf ans se sont écoulés depuis la disparition de M. Téllez Padilla et depuis le dépôt des plaintes des auteurs de la présente communication comme de la compagne de M. Téllez Padilla, sans que les enquêtes aient fait des progrès significatifs et que l’État partie ait justifié un tel retard, le Comité considère que les enquêtes en question ont excédé des délais raisonnables et qu’en conséquence, le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la présente communication.

8.5Toutes les conditions relatives à la recevabilité étant réunies et les griefs des auteurs fondés sur le paragraphe 3 de l’article 2, le paragraphe 1 de l’article 6, ainsi que les articles 7, 9 et 16 du Pacte ayant été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Concernant les violations en l’espèce, les auteurs affirment qu’il s’agit d’une disparition forcée puisque tous les éléments de l’infraction sont réunis : a) M. Téllez Padilla a été intercepté par des agents de la police intermunicipale ; b) les policiers l’ont fait sortir de son véhicule et l’ont fait monter dans une voiture de police ; c) ses proches l’ont cherché de façon insistante et les policiers ont nié qu’il se trouvait dans leurs locaux. Le Comité fait observer que l’État partie n’a pas réfuté la disparition de M. Téllez Padilla, qu’il a indiqué qu’« on peut présumer que les auteurs de l’infraction pénale puissent être des éléments chargés de faire appliquer la loi », mais qu’il conclut que la disparition n’est pas imputable à des agents de l’État du fait qu’aucun des policiers intéressés n’a reconnu sa participation et qu’il n’y a pas de témoin pour étayer les dires de la témoin oculaire.

9.3Le Comité relève qu’un des éléments caractéristiques de la disparition forcée est précisément le refus de reconnaître la détention et de donner des informations sur le sort de l’intéressé et l’endroit où il se trouve et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement aux auteurs de la communication, d’autant que les auteurs et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Ainsi, du moment que les auteurs ont déposé auprès de l’État partie des plaintes dignes de foi et que, pour continuer à faire la lumière sur l’affaire, on a besoin d’informations qui sont exclusivement sous le contrôle de l’État partie, le Comité pourra les considérer comme étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves ou des explications satisfaisantes. De même, le Comité fait observer qu’« il est hautement contestable d’écarter la déclaration de témoins au motif que les officiers supérieurs de l’organe officiel où le disparu aurait été détenu la nient », qu’« [i]l n’est pas logique ni raisonnable d’enquêter sur une disparition forcée et d’assujettir les résultats de l’enquête à la reconnaissance des faits ou à la confession des éventuels auteurs ou des autorités impliquées », mais que les État doivent mettre en place des procédures efficaces pour enquêter à fond sur les affaires de disparition forcéeen tenant compte des éléments caractéristiques de ce type de délit, comme le refus des autorités de reconnaître la détention.

9.4Compte tenu du contexte général de violations des droits de l’homme − en particulier de la pratique des disparitions forcées − existant à l’endroit et au moment où les faits se sont produits (par. 2.10 et note 11 supra), et vu la cohérence des faits rapportés par les auteurs et de la documentation qu’ils ont présentée, le Comité considère que l’État partie n’a pas donné d’explication suffisante et concrète pour infirmer ce qu’avancent les auteurs concernant la disparition forcée présumée de M. Téllez Padilla. Par conséquent, le Comité considère que les faits en cause constituent une disparition forcée.

9.5Le Comité rappelle que, bien que le terme « disparition forcée » ne soit pas expressément utilisé dans le Pacte, ce type de disparition consiste en une série unique et intégrée d’actes qui représentent une atteinte continue à divers droits reconnus par le présent traité, comme le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique.

9.6En l’espèce, le Comité note l’affirmation des auteurs selon laquelle les faits constituent une violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, étant donné les circonstances de la détention de M. Téllez Padilla par des éléments de la police intermunicipale et l’ignorance dans laquelle ils se trouvent quant au sort qui lui a été réservé et l’endroit où il est. Le Comité rappelle qu’en cas de disparition forcée, la privation de liberté, quand elle n’est pas reconnue ou que le sort de la personne disparue est caché, soustrait celle-ci à la protection de la loi et l’expose de manière continue à un péril grave pour sa vie, dont l’État doit rendre compte. En l’espèce, l’État partie n’a présenté aucune information qui indiquerait qu’il a pris des mesures pour protéger la vie de M. Téllez Padilla lorsque celui-ci était détenu par les autorités, et ce, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

9.7Le Comité note également l’affirmation des auteurs selon laquelle les faits constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, en raison des grandes souffrances subies par M. Téllez Padilla, de la situation d’incertitude dans laquelle il s’est trouvé et des atteintes à son intégrité physique et psychologique, qui résultent de sa disparition forcée. En l’absence de toute information de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les faits décrits constituent une violation de l’article 7 du Pacte en ce qui concerne M. Téllez Padilla. Le Comité prend également note de l’affirmation des auteurs concernant l’angoisse et les souffrances que leur a causées la disparition de M. Téllez Padilla et leur quête de justice. Le Comité considère que ces faits révèlent une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs de la communication.

9.8Pour ce qui est de la violation présumée de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles M. Téllez Padilla aurait été arrêté sans mandat, n’aurait pas été déféré devant une autorité judiciaire et n’aurait pas pu contester la légalité de la privation de liberté. Le Comité rappelle son observation générale no35 dans laquelle il fait observer que la disparition constitue une forme particulièrement grave de détention arbitraire, il rappelle que l’article 17 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées dispose que nul ne sera détenu en secret et invite à l’établissement de registres de personnes privées de liberté comme garantie fondamentale contre les disparitions forcées et, que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a fait observer que les centres clandestins de détention constituent en soi une violation du droit à la liberté de la personne. L’État partie n’ayant fourni aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il y a lieu de croire les allégations des auteurs et de considérer que la privation de liberté de M. Téllez Padilla est une violation des droits que lui confère l’article 9 du Pacte.

9.9Quant aux allégations des auteurs selon lesquelles M. Téllez Padilla aurait été soustrait à la protection de la loi et été aux mains des autorités la dernière fois qu’on l’a vu, en violation de l’article 16 du Pacte, le Comité rappelle que le fait de soustraire délibérément quelqu’un à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, tout particulièrement si les tentatives des membres de sa famille pour former un recours effectif ont été systématiquement entravées. En l’espèce, le Comité fait observer que l’État partie n’a fourni aucune explication convaincante sur le sort qui a été réservé à M. Téllez Padilla, ni sur l’endroit où il se trouve, et qu’il était entre les mains des autorités de l’État la dernière fois qu’il a été vu. Le Comité conclut donc que la disparition forcée de M. Téllez Padilla l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

9.10Enfin, le Comité note que les auteurs soutiennent que les faits constituent également une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de veiller à ce que chacun dispose de recours accessibles, efficaces et exécutoires pour faire respecter les droits garantis par le Pacte. Les auteurs renvoient à l’observation générale no 31, dans laquelle le Comité note que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il s’est acquitté de son obligation légale d’enquêter puisque que les enquêtes ont été adéquates, menées rapidement, avec la diligence voulue et de manière impartiale et approfondie. Toutefois, en l’espèce, le Comité relève que, malgré le récit toujours cohérent de la témoin oculaire et les nombreuses mesures prises par les proches de M. Téllez Padilla (par. 2.4 à 2.9 supra), les enquêtes n’ont pratiquement pas progressé et, en particulier, elles n’ont pas été menées avec la diligence à laquelle on pouvait raisonnablement s’attendre, ce qui a entraîné la perte de preuves importantes (les enregistrements des caméras de sécurité placées sur les lieux des événements n’ont pas été demandés en temps utile, ni ceux des caméras de sécurité du lieu où le véhicule a été trouvé, l’inspection visuelle des locaux de la police intermunicipale n’a pas été ordonnée, il n’a pas été procédé en temps voulu à l’analyse de la liste des appels passés et reçus sur le téléphone du disparu, les empreintes digitales de M. Téllez Padilla n’ont pas été recueillies, la convocation des policiers identifiés a été reportée, aucune parade d’identification n’a été organisée et il n’a pas été enquêté sur le contexte). Par ailleurs, les procédures de recours interne se sont prolongées de manière injustifiée. En dépit du fait que la police intermunicipale a reconnu, à l’occasion d’une visite d’inspection des services du Procureur général de la République six ans après la disparition, qu’une opération avait effectivement été menée le jour de la disparition, les enquêtes n’ont pas progressé. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les enquêtes menées ne semblent avoir été ni rapides ni exhaustives, qu’elles n’ont pas été menées avec la diligence voulue, qu’elles n’ont été ni indépendantes ni impartiales et qu’elles n’ont pas permis de faire la lumière sur les circonstances de la disparition de M. Téllez Padilla, sur le sort qui lui a été réservé et l’endroit où il se trouve et qu’elles n’ont pas permis que les responsables soient sanctionnés. Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte n’énonce pas de droit autonome. Par conséquent, compte tenu de tout ce qui précède, il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte pour ce qui est de M. Téllez Padilla, et du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte pour ce qui est des auteurs de la communication.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6, des articles 7, 9 et 16 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, pour ce qui est de M. Téllez Padilla, et de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus conjointement avec l’article 7 du Pacte, pour ce qui est des auteurs de la communication.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu : a) de mener une enquête approfondie, rigoureuse, impartiale, indépendante et efficace sur les circonstances de la disparition de M. Téllez Padilla, en veillant, pour cela, à ce que les agents chargés de la recherche de M. Téllez Padilla et de l’enquête sur sa disparition fassent preuve du professionnalisme et de l’autonomie nécessaires à l’exercice de leurs fonctions, sans exclure l’implication de la police intermunicipale à la suite de la déposition de la témoin oculaire et en tenant compte du fait que, vu le contexte dans lequel s’est inscrite la présente affaire, il existait des liens entre autorités gouvernementales et groupes criminels organisés; b) de libérer immédiatement M. Téllez Padilla dans le cas où il serait toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où M. Téllez Padilla serait décédé, remettre sa dépouille aux membres de sa famille ; d) de mener une enquête et de sanctionner toute intervention susceptible d’avoir entravé l’efficacité des processus de recherche et de localisation ; e) de fournir aux auteurs des informations détaillées sur les résultats de l’enquête ; f) de poursuivre et châtier les personnes reconnues responsables des violations commises et de divulguer les résultats de ces mesures ; g) de veiller à ce que les auteurs bénéficient de services adéquats de soutien psychologique et de soins médicaux adaptés à leurs besoins ; h) d’accorder aux auteurs ainsi qu’à M. Téllez Padilla dans le cas où il est encore en vie, pleine réparation pour les souffrances subies. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.