Nations Unies

CCPR/C/122/D/3090/2017CCPR/C/122/D/3091/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 juin 2018

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant les communications nos 3090/2017 et 3091/2017*,**

Communication s présentée s par:

F. F.

Au nom de:

L’auteur

État s partie s:

Luxembourg et France

Date s de s communication s:

27 juillet 2015 (contre le Luxembourg) et 29 juillet 2015 (contre la France)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée aux États parties le 18 mai 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

6 avril 2018

Objet:

Détention arbitraire, absence de réparation

Question(s) de procédure:

Fondement des griefs

Question(s) de fond  :

Droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte:

7, 9 (par. 1, 3 et 5) et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.1L’auteur de la communication est F. F., citoyen français, né le 16 janvier 1962. Il affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 7, 9 (par. 1, 3 et 5) et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par le Luxembourg et par la France. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 6 novembre 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a estimé qu’il n’était pas nécessaire de demander aux États parties de présenter des observations pour évaluer la recevabilité de la présente communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est juriste de profession. En mai 1995, il a emménagé au Luxembourg, avec sa famille. Il gérait une société de fiducie inscrite au registre du commerce du Luxembourg. Le 16 avril 1996, en raison de plusieurs plaintes déposées à son encontre avec constitution de partie civile pour abus de confiance, escroqueries et tentatives d’escroquerie, un mandat d’arrêt a été délivré contre lui. Le 29 octobre 1996, le juge d’instruction a renvoyé l’affaire devant le tribunal correctionnel.

Luxembourg ( communication n o 3090/2017)

2.2Le 24 avril 1997, l’auteur a été interpelé au Luxembourg en exécution du mandat d’arrêt du 16 avril 1996. La police luxembourgeoise a fait une perquisition à son domicile et à son bureau, en exécution d’une ordonnance du 23 avril 1997 établie par un juge d’instruction luxembourgeois, pour saisir tous les dossiers et les fichiers de sa société de fiducie luxembourgeoise, ainsi que les pièces concernant de prétendues accusations pénales françaises. L’auteur a été mis en détention provisoire pour les infractions suivantes : escroquerie, faux, usage de faux et infraction à la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier.

2.3L’auteur allègue que, le 24 avril 1997, il a été incarcéré au secret pendant un mois dans une cellule individuelle, sans droit de sortie, pour de prétendus faits reprochés dans l’exercice de ses fonctions à la direction de sa fiducie. Le 27 mai 1997, dès qu’il a pu communiquer avec son avocat, il a fait une demande de mise en liberté, qui a été rejetée le 29 mai 1997 par la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement du Luxembourg puisque les faits reprochés emportaient en partie une peine criminelle et puisqu’il existait un danger de fuite et d’obscurcissement des preuves pendant l’instruction de l’affaire. Le 6 juin 1997, la cour d’appel de Luxembourg a rejeté le recours de l’auteur.

2.4Le 12 juin 1997, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rejeté la demande de mise en liberté de l’auteur, en jugeant qu’il existait des indices graves de culpabilité, ainsi qu’un danger de fuite légalement présumé et également un danger d’obscurcissement des preuves, étant donné que l’instruction n’était pas terminée. Le 24 juin 1997, la cour d’appel de Luxembourg a rejeté l’appel de l’auteur.

2.5Le 20 juin 1997, le Procureur de la République de Lille a adressé à l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) une demande d’arrestation provisoire de l’auteur à titre extraditionnel, fondée sur l’urgence. Le 30 juin 1997, un juge d’instruction de Luxembourg a décerné un mandat d’arrêt provisoire contre l’auteur en vue de son extradition vers la France.

2.6Le 1er juillet 1997, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a rejeté une nouvelle demande de mise en liberté de l’auteur.

2.7Le 4 novembre 1997, l’auteur a été remis aux autorités françaises.

2.8Le 27 mars 2002, l’auteur a demandé réparation pour sa détention arbitraire, au titre de la loi du 30 décembre 1981 portant indemnisation en cas de détention préventive inopérante. Le 22 novembre 2002, une commission constituée par le « président de chambre » à la cour d’appel de Luxembourg, un avocat à la cour et un conseiller de direction a déclaré la demande de l’auteur irrecevable puisqu’il n’avait pas bénéficié d’une ordonnance ou d’un arrêt de non-lieu, et qu’il n’avait pas été acquitté par une décision judiciaire définitive, ni maintenu en détention après l’extinction de l’action publique par prescription. Comme il le considérait inutile, l’auteur n’a pas fait appel de cette décision dans le délai imparti de trois mois.

2.9Le 7 janvier 2013, le Ministre de la justice a rejeté la demande d’indemnisation pour détention préventive inopérante, au titre de la loi du 30 décembre 1981. Le Ministre n’a pas partagé l’opinion de l’auteur selon laquelle sa détention provisoire avait eu lieu dans des circonstances exceptionnelles et qu’elle avait engendré un préjudice anormal. Le Ministre a rappelé que l’auteur avait été détenu provisoirement au Luxembourg à partir du 30 juin 1997 sur la base d’une demande d’extradition de la France et qu’il avait ensuite été condamné en France. La décision prévoyait la possibilité d’introduire, dans un délai de trois mois, une action en fixation de la créance contre l’État devant les tribunaux d’arrondissement, ce que l’auteur n’avait pas fait.

2.10Le 14 janvier 2013, l’auteur a écrit au Ministre de la justice luxembourgeois pour se plaindre de ce qu’il n’existait aucune procédure pour contraindre l’État luxembourgeois à demander à un État à qui il a accordé une extradition avec demande d’arrestation extraditionnelle de réparer la détention arbitraire subie sur son sol au titre de l’article 9 du Pacte. Selon l’auteur, cette lettre est demeurée à ce jour sans réponse.

France ( communication n o 3091/2017)

2.11Le 4 novembre 1997, l’auteur a été remis à la frontière et présenté devant un procureur qui n’avait le pouvoir que de vérifier son identité avant de l’incarcérer à la maison d’arrêt de Metz. Le 7 novembre 1997, l’auteur a été transféré à la maison d’arrêt de Loos-lès-Lille. Le 10 novembre 1997, le tribunal de grande instance de Lille a confirmé le mandat d’arrêt du 16 avril 1996 et a ordonné le maintien de l’auteur en détention. Pourtant, le 28 novembre 1997, constatant que l’auteur n’avait pas d’antécédents judiciaires et justifiait d’un domicile fixe et d’une situation familiale stable, la cour d’appel de Douai a estimé qu’il présentait suffisamment de garanties de représentation en justice et a ordonné sa mise en liberté.

2.12Le 16 octobre 1998, le tribunal correctionnel de Lille a déclaré l’auteur coupable d’avoir trompé différentes personnes et l’a condamné à un mois d’emprisonnement. En appel, le 20 décembre 2001, la cour d’appel de Douai a relaxé l’auteur de sept chefs d’accusation, mais l’a reconnu coupable de tentative d’escroquerie et l’a condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis. La cour a aussi jugé qu’il appartenait à l’auteur de soulever le moyen tiré de l’irrégularité de la demande de détention provisoire à titre extraditionnel et a déclaré ce moyen irrecevable. La cour a également considéré que la durée excessive d’une procédure ne saurait entraîner sa nullité. Finalement, la cour a constaté que l’auteur avait renoncé – de manière irrévocable et alors qu’il était assisté par un conseil – au principe de spécialité de l’extradition tel que prévu à l’article 66 (par. 1) de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,du 19 juin 1990, dont il n’appartient pas aux juridictions françaises de contrôler l’application par l’État requis. Le 27 novembre 2002, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur contre l’arrêt du 20 décembre 2001.

2.13Le 3 novembre 2003, la cour d’appel de Douai a rejeté la requête de l’auteur qui sollicitait la réparation du préjudice subi en raison de sa détention du 30 juin 1997 au 28 novembre 1997, puisqu’il avait été condamné pour des infractions pour lesquelles un mandat d’arrêt avait été délivré et exécuté à son encontre et qu’il n’avait pas bénéficié d’une relaxe. Le 11 juin 2004, la Commission nationale de réparation des détentions a rejeté le recours de l’auteur. Elle a considéré que, dès lors que l’auteur avait été condamné pour tentative d’escroquerie – infraction expressément visée au mandat d’arrêt et susceptible à elle seule de fonder la mesure de détention provisoire –, la régularité de la détention avait peu d’importance.

2.14Le 22 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Paris a débouté l’auteur de sa demande d’indemnisation du préjudice consécutif au fonctionnement défectueux de la justice, notamment sur le fait qu’il avait été statué sur sa détention plus de soixante-douze heures après son arrivée à la maison d’arrêt après son extradition, alors que l’article 133 du Code de procédure pénale prévoit un délai de vingt-quatre heures. Le 23 mars 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé l’arrêt du tribunal, en considérant que l’auteur n’avait pas exercé toutes les voies de recours que la loi mettait à sa disposition et qu’il n’était pas fondé à soutenir que son arrestation était la conséquence d’une faute lourde de l’État. Sur les conditions de son maintien en détention, la cour d’appel n’a pas contesté le fait que l’auteur n’avait pas été entendu dans les vingt-quatre heures de son arrestation, mais a précisé que les dispositions de l’article 133 du Code de procédure pénale, qui prévoient ce délai, n’étaient pas applicables à l’époque des faits. Le 20 juin 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’auteur sur la base du Code de l’organisation judiciaire, tendant à obtenir une indemnisation au titre des préjudices causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice. La Cour a apprécié à son tour le fait que, au moment de son arrestation et devant le tribunal correctionnel, l’auteur n’avait pas exercé toutes les voies de recours que la loi mettait à sa disposition pour établir le caractère prétendument irrégulier de son arrestation. Elle a aussi considéré que les appréciations divergentes du tribunal et de la cour d’appel sur l’opportunité de le maintenir en détention étaient l’expression de l’effectivité du principe du double degré de juridiction, dont la mise en œuvre avait permis de réparer le dysfonctionnement allégué.

Procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme

2.15Le 12 avril 2001, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme avec une plainte contre la France. Invoquant l’article 6 (par. 1) de la Convention européenne des droits de l’homme, il s’est plaint de ne pas avoir bénéficié d’une procédure équitable et publique devant la Cour de cassation (voir supra, par. 2.12 in fine).

2.16Invoquant l’article 5 (par. 1) de la Convention, il s’est plaint du caractère arbitraire de la détention qu’il avait subie entre les mois de juin et de novembre 1997. Tout d’abord, il a estimé que, étant donné la durée de la procédure pénale, la demande de détention provisoire à titre extraditionnel ne pouvait être fondée sur l’urgence et que cette irrégularité entachait d’arbitraire la détention qui s’en était suivie. Il a ensuite estimé que la détention entre le 4 novembre 1997, date de sa remise aux autorités françaises, et le 10 novembre 1997, jour de l’audience du tribunal correctionnel, ne pouvait légalement durer que quatre jours. Finalement, l’auteur a estimé que la décision de maintien en détention, prise le 10 novembre 1997 par le tribunal correctionnel de Lille, avait violé le droit interne. Affirmant n’avoir bénéficié d’aucun recours en indemnisation du préjudice causé par cette détention, l’auteur a demandé à être indemnisé en vertu de l’article 5 (par. 5) de la Convention.

2.17Invoquant l’article 6 (par. 1) de la Convention, l’auteur s’est plaint de l’iniquité des décisions internes prises au cours de la procédure litigieuse. Il a remis en cause leur motivation, a estimé que les juridictions n’avaient pas pris en considération ses arguments et n’y avaient pas répondu, et a contesté leur appréciation des faits. Il s’est plaint également de la durée de la procédure pénale.

2.18L’auteur a aussi invoqué une violation de l’article 13 de la Convention en ce qu’il n’aurait eu aucun recours effectif pour obtenir la réparation du préjudice subi en raison des violations de la Convention dont il s’est plaint.

2.19Par une décision partielle sur la recevabilité du 18 mars 2003, la Cour européenne a rejeté comme tardif le grief contre sa prétendue détention arbitraire et a conclu que les griefs concernant l’indemnisation du préjudice causé par cette détention et l’iniquité des décisions internes étaient manifestement mal fondés car l’auteur avait eu l’occasion de faire valoir ses arguments devant les juridictions pénales qui y avaient répondu en rendant des décisions satisfaisant aux exigences de la motivation. La Cour a également considéré que l’auteur n’avait pas épuisé les voies de recours internes quant à son grief tiré de la durée de la procédure litigieuse et que le grief tiré de l’article 13 était manifestement mal fondé puisque l’auteur n’avait présenté aucun grief auquel le recours prévu par l’article 13 aurait pu s’appliquer.

2.20Par un arrêt du 2 novembre 2004, la Cour européenne a déclaré manifestement mal fondé le grief de l’auteur portant sur l’impossibilité d’être indemnisé et sur la décision de la Cour de cassation qui l’aurait privé de l’accès à un tribunal afin de voir réparer le préjudice qu’il avait subi en raison de sa détention provisoire nonobstant sept relaxes et l’absence de toute condamnation à la prison ferme. La Cour européenne a constaté que l’auteur avait eu à sa disposition la possibilité de saisir la cour d’appel, puis la Commission nationale de réparation des détentions, d’une demande en indemnisation du préjudice subi en raison de sa détention provisoire, et qu’il avait utilisé ces possibilités. Dans la mesure où l’auteur s’était plaint de ne pas avoir été indemnisé, la Cour européenne a considéré qu’il avait en fait critiqué l’application du droit interne par les autorités nationales et, étant donné qu’elle n’a relevé aucun acte arbitraire dans la procédure suivie, elle n’a vu aucune raison de remettre en cause l’appréciation des juridictions nationales, à qui il incombe au premier chef d’interpréter et d’appliquer le droit interne.

2.21La Cour européenne a toutefois trouvé une violation de l’article 6 (par. 1) de la Convention en relation avec le grief de l’auteur de ne pas avoir bénéficié d’une procédure contradictoire devant la Cour de cassation, dans la mesure où il n’a pas eu communication du rapport du conseiller rapporteur, alors que celui-ci aurait été communiqué à l’avocat général.

2.22À la suite de cette violation trouvée par la Cour européenne, l’auteur a présenté une requête devant la Commission de réexamen d’une décision pénale tendant au réexamen du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai. Le 18 janvier 2006, la Cour de cassation a rejeté sa demande, en considérant que la cour d’appel avait justifié sa décision de déclarer l’auteur coupable d’une tentative d’escroquerie.

2.23En faisant référence à la procédure devant la Cour européenne, l’auteur soumet que la Cour n’a pas examiné le caractère arbitraire et inapproprié de la détention en rejetant ce grief pour une question de procédure, à savoir le dépassement du délai de six mois pour introduire ce grief.

Teneur de la plainte

Luxembourg

3.1L’auteur allègue que sa période de détention du 24 avril au 30 juin 1997 est niée par les autorités luxembourgeoises. Ensuite, il allègue qu’il n’est pas possible de saisir la Cour de cassation luxembourgeoise en cours d’instruction pour demander une libération puisque, depuis la loi du 17 juin 1987 portant suppression de la cour d’assises et modifiant la compétence et la procédure en matière d’instruction et de jugement des infractions, l’article 416 du Code d’instruction criminelle l’interdit avant tout jugement au fond. Par conséquent, à partir du 30 juin 1997, date de la mise en détention extraditionnelle de l’auteur à la demande de la France, ce dernier ne pouvait plus saisir les juridictions luxembourgeoises pour demander sa libération et devait s’adresser aux juridictions françaises.

3.2En invoquant l’observation générale no 35 (2014) du Comité sur la liberté et sécurité de la personne, l’auteur invoque une détention arbitraire du 24 avril au 4 novembre 1997 sur le sol luxembourgeois, qui est contraire à l’article 9 (par. 3) du Pacte. Il affirme que le Ministère de la justice luxembourgeois nie la période de détention du 24 avril au 30 juin 1997 (voir par. 2.9). Il soutient qu’il a été jeté en prison sans avoir accès à un jugement ou tout au moins à une procédure de non-lieu, ce qui est contraire à l’article 9 (par. 1) du Pacte.

3.3Ensuite, l’auteur affirme que le mandat d’arrêt du 30 juin 1997 ne répond pas aux conditions de l’article 9 (par. 1) du Pacte, comme explicité par le Comité dans son observation générale no 35 : le mandat d’arrêt a défini l’urgence de manière impersonnelle et générale ; la motivation du risque n’est pas raisonnable ; la gravité des faits reprochés est une motivation arbitraire ; et le danger de fuite n’était pas possible alors que l’auteur avait sa famille et ses entreprises sur le sol luxembourgeois.

3.4L’auteur conteste également le fait que tous les individus étrangers qui subissent une demande d’extradition sont mis automatiquement en détention au Luxembourg quand un État tiers réclame un individu et sa mise en détention. Par conséquent, il soutient que la détention pour cause d’extradition n’a été ni loyale, ni appropriée, au titre de l’article 9 du Pacte.

3.5Enfin, l’auteur soumet que le Luxembourg n’a pas réparé sa détention arbitraire, au titre de l’article 9 (par. 5) du Pacte, car il n’existe pas de réparation de détention arbitraire dans le droit luxembourgeois. Même si la loi du 30 décembre 1981 prévoit à son article premier le cas d’une détention arbitraire contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme – soit de l’article 9 du Pacte –, l’article premier ne doit pas être interprété dans un sens général parce que ladite loi ne comporte pas dans son intitulé les termes « indemnisation des détentions arbitraires », mais « indemnisation en cas de détention préventive inopérante ». Par conséquent, cet article premier doit être interprété au sens de l’article 2 de la même loi, qui définit les trois cas qui donnent droit à réparation : ordonnance de non-lieu, acquittement et détention après la prescription des faits reprochés. Par la faute des autorités luxembourgeoises, l’auteur n’a pas été jugé et n’a pas obtenu de fin de procédure d’instruction pour les faits prétendument reprochés au Luxembourg. L’auteur ne peut donc pas obtenir de réparation en droit interne pour sa détention arbitraire au titre de l’article 9 du Pacte.

3.6Pour ce qui est de la prétendue violation de l’article 7 du Pacte, l’auteur considère qu’une détention arbitraire sans fondement légal d’un père de trois enfants alors en bas âge – ainsi que l’absence de réparation – est un acte inhumain et dégradant. Pour ce qui est de l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteur affirme qu’il n’a pas eu accès à une procédure de jugement équitable, ni à un tribunal pour examiner les accusations pénales portées à son encontre.

France

3.7L’auteur affirme que l’arrêt du 18 janvier 2006 de la Cour de cassation démontre que cette dernière constate qu’il n’existe pas de procédure autonome, concrète et effective en France pour réparer une détention non raisonnable et non nécessaire au sens de l’article 9 du Pacte.

3.8L’auteur conteste également la décision du 20 juin 2012 de la Cour de cassation, considérant celle-ci arbitraire et ayant pour conséquence un déni de justice puisque la libération d’un détenu ne répare pas le temps passé en détention.

3.9En invoquant l’article 9 du Pacte, l’auteur affirme que la demande de la justice française de mise en détention a été inappropriée, non raisonnable, non prévisible et non nécessaire. Il affirme qu’il vivait au Luxembourg depuis le mois de mai 1995 et qu’il n’était donc pas en fuite, mais, à cette époque, le simple fait qu’une personne soit à l’étranger justifiait en droit interne la demande d’arrestation provisoire aux autorités de l’État d’accueil. La demande d’arrestation n’était fondée que de manière générale sur les articles 2 et 16 de la Convention européenne d’extradition, qui visent l’urgence sans préciser les circonstances de la prétendue urgence. Demander la détention d’un père de famille de trois enfants en bas âge sans faire d’enquête préalable et sans prononcer un mandat d’arrêt international ne semble pas approprié, ni prévisible.

3.10Ensuite, l’auteur affirme que sa détention en France du 4 au 28 novembre 1997 a été arbitraire. Il n’a pas eu accès à un juge du siège lors de sa remise à la France pour statuer sur sa détention, mais il a dû attendre du 4 au 10 novembre 1997 pour que la légalité de sa détention soit examinée. À l’arrivée de l’auteur à la maison d’arrêt de Loos-lès-Lille le 7 novembre 1997, il aurait dû être statué automatiquement sur sa détention par un juge du siège dès le 8 novembre 1997, et non pas le 10 novembre 1997, sur sa demande au greffe de la prison. Cette durée de sept jours pour accéder à un juge du siège compétent pour examiner sa détention est un délai non pas « court » mais arbitraire au sens de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

3.11En s’appuyant sur l’observation générale no 35, l’auteur allègue aussi que son maintien en détention prononcé le 10 novembre 1997 n’est ni fondé juridiquement, ni nécessaire au titre de l’article 9 du Pacte.

3.12Enfin, il invoque l’absence de réparation pour sa détention illégale, arbitraire et inappropriée, ce qui est contraire à l’article 9 (par. 5) du Pacte. En effet, l’auteur considère qu’il n’y a pas de procédure effective et efficace en France pour réparer une détention non raisonnable ou arbitraire au sens de l’article 9 du Pacte. Il considère également que la détention arbitraire durant laquelle il a été ruiné et l’absence de réparation portent atteinte à ses droits protégés en vertu de l’article 7 du Pacte. Aussi, les deux dénis de justice dans l’examen de la réparation de la détention arbitraire et illégale sont une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1Avant d’examiner toute plainte formulée dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.3Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire des paragraphes 1, 3 et 5 de l’article 9 et de l’article 14 (par. 1) du Pacte concernent l’évaluation que les tribunaux des deux États parties ont réalisée des faits et des preuves au cours des procédures initiées par l’auteur. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité observe que l’auteur n’a pas démontré qu’il existait en l’espèce de telles lacunes dans la conduite de ces procédures. En conséquence, le Comité estime que les griefs que l’auteur tire des paragraphes 1, 3 et 5 de l’article 9 et de l’article 14 (par. 1) du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4Le Comité prend en outre note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle sa détention prétendument arbitraire et l’absence de réparation auraient porté atteinte aux droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, constituant ainsi un acte inhumain et dégradant. Il considère toutefois que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que les communications sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée aux États parties et à l’auteur de la communication.