Comité des droits de l’homme
Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3082/2017 * , **
Communication présentée par : |
Ahmed Souaiene et Aïcha Souaiene (représentés par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie) |
Victime(s) présumée(s) : |
Les auteurs et Rabah Souaiene (fils des auteurs) |
État partie : |
Algérie |
Date de la communication : |
8 septembre 2017 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 décembre 2017 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations : |
27 mars 2020 |
Objet : |
Disparition forcée |
Question(s) de procédure : |
Épuisement des recours internes |
Question(s) de fond : |
Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique |
Article(s) du Pacte : |
2 (par. 2 et 3), 6, 7, 9, 10, 14 et 16 |
Article(s) du Protocole facultatif : |
2, 3 et 5 (par. 2) |
1.1Les auteurs de la communication sont Ahmed Souaiene et son épouse Aïcha Ben Djézia Ep Souaiene, tous deux de nationalité algérienne. Ils font valoir que leur fils, Rabah Souaiene, né le 1er janvier 1966, également de nationalité algérienne, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte. Les auteurs soutiennent par ailleurs être victimes d’une violation de leurs droits en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que des articles 7 et 14 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. Les auteurs sont représentés par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie.
1.2Le 17 septembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond de la communication.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1Rabah Souaiene occupait le poste d’adjudant-chef au Département du renseignement et de la sécurité, rattaché au Ministère de la défense et plus connu sous l’appellation de « sécurité militaire ». Quelques jours avant sa disparition, il avait déposé sa démission auprès du Département. Une centaine de ses collègues avaient fait de même, et seules cinq personnes avaient reçu un avis favorable, à condition d’effectuer un préavis de six mois. Rabah Souaiene faisait partie de ces cinq personnes, et les autorités du service lui avaient demandé de réfléchir à la suite à donner à cette démission pendant les six mois de préavis. C’est au cours de cette période, le 18 décembre 1994, que Rabah Souaiene a disparu. Il est sorti de chez lui pour se rendre à un rendez-vous au volant de sa voiture de couleur blanche, immatriculée 00899 183 16. Ni lui ni sa voiture n’ont été revus depuis.
2.2La veille de sa disparition, Rabah Souaiene a reçu un appel téléphonique. Son père l’a entendu donner rendez-vous à des personnes en leur indiquant l’immatriculation de son véhicule et le lieu du rendez-vous, à Diar Es-Saada. Avant de partir, Rabah Souaiene a laissé sa chaîne en or à sa mère, comme s’il savait déjà qu’il n’allait pas revenir.
2.3Le lendemain, son cousin Bendjazia Allal − à l’époque officier de police à la Direction générale de la sûreté nationale − est allé au commissariat de Salembier, à Alger, pour déclarer la disparition de Rabah Souaiene en précisant l’immatriculation de sa voiture. Les policiers ont affiché immédiatement l’immatriculation et le signalement de la voiture sur le tableau des objets perdus au commissariat. Cependant, lorsque le cousin est retourné au commissariat le lendemain, ce signalement n’était déjà plus affiché. Lorsqu’il a questionné les policiers à ce sujet, il n’a obtenu aucune réponse. Le père de Rabah Souaiene a fait le tour des commissariats, des gendarmeries et des casernes aux alentours d’Alger. Il est allé se renseigner auprès des hôpitaux et des morgues, en vain.
2.4Le 23 décembre 1994, le père de Rabah Souaiene a été convoqué par les gendarmes de Diar el Mahçoul. L’entretien avec les gendarmes s’est concentré exclusivement sur ses filles et non sur son fils disparu. Ahmed Souaiene a cherché à comprendre le motif de ces questions, mais n’a obtenu aucune réponse. Il a ensuite été convoqué à la caserne des transmissions de Reghaia, puis à la caserne de Blida − dix-huit mois après la disparition de son fils. Là, les militaires lui ont posé des questions sur son fils, afin notamment de savoir pourquoi il n’était pas revenu travailler, car ils avaient besoin de lui.
2.5En 2002, des informations sont parvenues à la famille de Rabah Souaiene selon lesquelles ce dernier se trouvait détenu à la caserne de Boumerdès. Quand les auteurs s’y sont rendus, ils ont été reçus par un militaire qui leur a demandé quel était l’objet de leur visite. Aïcha Souaiene a répondu qu’elle cherchait son fils disparu et qu’elle avait été informée de sa détention dans cette caserne. Le militaire lui a alors demandé de lui montrer une photo de son fils. Quand elle s’est exécutée, il lui a demandé si elle était sûre qu’il s’agissait bien de son fils, car il y avait bien une personne ressemblant à cette photo dans la caserne, mais qui portait un autre nom. Elle lui a confirmé que c’était bien son fils, et le militaire lui a alors demandé de revenir plus tard dans la matinée avec la photo, en lui disant qu’elle aurait une bonne nouvelle.
2.6Les auteurs sont donc revenus à la caserne comme convenu en fin de matinée, mais un responsable est venu à leur rencontre pour leur enjoindre de ne plus revenir. Ils ont été escortés jusqu’à la sortie par les deux militaires qui les avaient reçus plus tôt. Ces derniers ont demandé aux auteurs de ne pas se retourner, car il y avait des caméras de surveillance dans la caserne. Quand ils ont été suffisamment éloignés de la caserne et donc des caméras, les agents se sont adressés à la mère de Rabah Souaiene et lui ont dit qu’elle leur avait fait de la peine et qu’ils ne souhaiteraient pas que leurs mères aient à affronter une telle épreuve. Ils ont donc proposé de l’aider en prenant son numéro de téléphone afin de pouvoir lui communiquer où se trouvait son fils. Aïcha Souaiene leur a donc laissé ses coordonnées. Elle n’a jamais eu de nouvelles.
2.7D’après les auteurs, la disparition de Rabah Souaiene serait liée au fait qu’il avait présenté sa démission auprès de la sécurité militaire. Même si cette démission avait été acceptée par ses supérieurs, il s’agissait d’une exception, car il n’est pas fréquent de démissionner du Département du renseignement et de la sécurité.
2.8Quelques mois après la disparition de son fils, Ahmed Souaiene, chauffeur de taxi, a été arrêté par deux hommes qui lui ont demandé de les suivre tout en lui chuchotant à l’oreille qu’ils étaient des personnes de confiance et qu’il n’avait pas à s’inquiéter. Ils lui ont cependant tiré une balle dans la tête, puis l’ont sorti de la voiture. Ahmed Souaiene a été emmené à l’hôpital par des passants qui l’ont découvert, et il a pu être sauvé. Selon les auteurs, cet événement serait lié à la disparition de Rabah Souaiene.
2.9Le 3 février 1999, Ahmed Souaiene a adressé une plainte au Procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed, pour demander l’ouverture d’une enquête sur le sort de son fils. Le 26 juillet 2006, il a demandé l’ouverture d’une enquête au Chef de brigade de la gendarmerie nationale de Salembier. Il a adressé une autre demande d’ouverture d’enquête le 29 juillet 2006 au Procureur général près la cour d’Alger, et le 30 juillet 2006 au Procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed. Enfin, le 23 mars 2016, Ahmed Souaiene a adressé une nouvelle plainte au Procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed pour demander l’ouverture d’une enquête sur le sort de Rabah Souaiene.
2.10Concomitamment à leurs sollicitations aux autorités judiciaires, les auteurs ont demandé le soutien de diverses instances non juridictionnelles. Le 22 janvier 1997, ils ont adressé une requête au Médiateur de la République, qui a répondu que la requête avait été transférée aux services concernés. À une date non précisée en 1998, les auteurs ont adressé une requête au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, qui les a informés que les services de sécurité algériens avaient déjà enquêté sur cette affaire et que les responsables de la disparition de Rabah Souaiene restaient inconnus. Le 8 août 2003 puis le 21 février 2006, les auteurs ont adressé des requêtes au Chef du Gouvernement pour demander l’ouverture d’une enquête sur le sort de Rabah Souaiene.
2.11Le cas de Rabah Souaiene a également été soumis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires le 13 mars 2000. Dix-sept ans après la saisie du Groupe de travail, les autorités algériennes n’avaient toujours pas élucidé l’affaire.
2.12Malgré tous les efforts des auteurs, aucune enquête n’a été ouverte par les autorités étatiques compétentes. Les auteurs soulignent qu’il leur est aujourd’hui impossible légalement de recourir à une instance judiciaire, après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les recours internes, qui étaient d’ailleurs inutiles et inefficaces, ne sont de ce fait plus disponibles. En effet, selon la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, « les actes répréhensibles d’agents de l’État, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie ».
2.13Selon les auteurs, l’ordonnance no 06-01 interdit sous peine de poursuites pénales le recours à la justice, ce qui dispense les victimes de la nécessité d’épuiser les voies de recours internes. Cette ordonnance interdit en effet toute plainte pour disparition ou autre crime, son article 45 disposant qu’« [a]ucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ». En vertu de cette disposition, toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. De plus, l’article 46 de la même ordonnance prévoit ce qui suit : « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 [dinars algériens], quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double. »
Teneur de la plainte
3.1Les auteurs allèguent que leur fils est victime d’une disparition, conformément à la définition des disparitions forcées incluse à l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les auteurs affirment qu’en dépit du fait qu’aucune disposition du Pacte ne fait expressément mention des disparitions forcées, la pratique implique des violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. En l’espèce, les auteurs invoquent des violations par l’État partie des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que des articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.
3.2Les auteurs estiment que l’ordonnance no 06-01 constitue un manquement à l’obligation générale de l’État partie consacrée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, en ce sens que ladite disposition implique également une obligation négative pour les États parties de ne pas adopter de mesures contraires au Pacte. En adoptant ladite ordonnance, en particulier son article 45, l’État partie aurait donc pris une mesure d’ordre législatif privant d’effet les droits reconnus dans le Pacte, particulièrement le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Depuis la promulgation de cette ordonnance, les auteurs ont été empêchés d’ester en justice. Ils estiment que le manquement à l’obligation fixée par le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, par action ou par omission, peut engager la responsabilité internationale de l’État partie. Ils affirment qu’en dépit de toutes leurs démarches après l’entrée en vigueur de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, leurs plaintes sont demeurées sans suite. Ils estiment en conséquence être victimes de cette disposition législative contraire au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.
3.3Les auteurs ajoutent que les dispositions de l’ordonnance no 06-01 sont contraires au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car elles ont pour effet d’empêcher toute poursuite pénale à l’encontre des auteurs présumés de disparitions forcées, lorsque ces personnes sont des agents de l’État. Cette ordonnance amnistie de fait les crimes commis durant la décennie passée, y compris les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Elle interdit aussi, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur le sort des victimes. Les démarches effectuées par les auteurs auprès des autorités algériennes avant et après l’adoption de cette ordonnance se sont avérées inutiles, aucune réponse ne leur ayant été apportée sur le sort de Rabah Souaiene. Ce refus fait obstacle à l’efficacité des recours exercés par sa famille. Le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte impose l’octroi d’une réparation aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. Les articles 27 à 39 de l’ordonnance no 06-01 ne prévoient qu’une simple indemnisation financière conditionnée à l’établissement d’un jugement de décès établi après une enquête infructueuse, l’article 38 excluant toute autre forme de réparation. Or, en pratique, aucune enquête n’est diligentée sur le sort du disparu, ni sur les auteurs de la disparition. Les auteurs rappellent que le Comité a estimé que le droit à un recours utile comportait nécessairement le droit à une réparation adéquate et le droit à la vérité, et a recommandé à l’État partie de s’engager à garantir que les disparus et/ou leurs familles disposent d’un recours utile et que bonne suite y est donnée, tout en veillant au respect du droit à indemnisation et à la réparation la plus complète possible. L’État partie a donc violé le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte à l’égard des auteurs.
3.4Les auteurs rappellent l’évolution de la jurisprudence du Comité en matière de disparitions forcées et estiment que le seul risque pour une personne de perdre la vie dans le contexte d’une telle disparition est suffisant pour conclure à une violation directe de l’article 6 du Pacte. Vu l’absence d’enquête approfondie sur la disparition de Rabah Souaiene, les auteurs estiment que l’État partie a failli à son obligation de protéger son droit à la vie et de prendre des mesures pour enquêter sur ce qui lui était arrivé, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
3.5Les auteurs rappellent les circonstances entourant la disparition de leur fils, à savoir l’absence totale d’informations sur sa détention et son état de santé, ainsi que l’absence de communication avec sa famille et le monde extérieur. Ils rappellent qu’une détention arbitraire prolongée augmente le risque de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Se référant à la jurisprudence du Comité, les auteurs soulignent également que l’angoisse, l’incertitude et la détresse provoquées par la disparition de Rabah Souaiene constituent une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant pour sa famille. En conséquence, les auteurs allèguent que l’État partie est responsable d’une violation de l’article 7 du Pacte à leur égard et à celui de Rabah Souaiene.
3.6Prenant en compte le fait que Rabah Souaiene a été détenu au secret sans avoir accès à un avocat et sans être informé des motifs de son arrestation ou des charges retenues contre lui, que sa détention n’a pas été mentionnée dans les registres de garde à vue et qu’il n’y a aucune information officielle quant à sa localisation ou à son sort, les auteurs affirment qu’il a été privé de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu’il n’a pas été en mesure d’introduire un recours devant un tribunal. Ils estiment en conséquence que Rabah Souaiene a été privé des garanties énoncées à l’article 9 du Pacte, notamment l’accès à un recours utile, impliquant une violation dudit article à son égard.
3.7Les auteurs affirment ensuite qu’en l’absence d’enquête de la part des autorités algériennes, Rabah Souaiene a été privé de liberté et n’a pas été traité avec humanité et dignité, en violation de l’article 10 du Pacte à son égard.
3.8Rappelant les dispositions de l’article 14 du Pacte ainsi que le paragraphe 9 de l’observation générale no 32 (2007) du Comité, les auteurs affirment que toutes les démarches engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. En outre, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et l’article 45 de l’ordonnance no 06-01 font obstacle à toute action judiciaire à l’encontre d’agents de l’État, empêchant les auteurs de faire entendre leur cause. L’État partie a donc violé l’article 14 du Pacte à leur égard.
3.9Les auteurs rappellent ensuite les dispositions de l’article 16 du Pacte et la jurisprudence constante du Comité selon laquelle la soustraction intentionnelle d’une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime est entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris devant les cours de justice, sont systématiquement empêchés. Ils renvoient à cet effet aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de l’Algérie au titre de l’article 40 du Pacte, dans lesquelles le Comité a établi que les personnes disparues toujours en vie et détenues au secret voient leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, tel que consacré par l’article 16 du Pacte, violé. Ils soutiennent en conséquence qu’en maintenant Rabah Souaiene en détention sans en informer officiellement sa famille et ses proches, les autorités algériennes ont soustrait ce dernier à la protection de la loi et l’ont privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.
3.10Les auteurs demandent au Comité de constater que l’État partie a violé les articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte à l’égard de Rabah Souaiene, et les paragraphes 2 et 3 de l’article 2 ainsi que les articles 7 et 14 du Pacte à leur égard. De plus, ils lui demandent de prier instamment l’État partie de respecter ses engagements internationaux et de donner effet aux droits reconnus par le Pacte et par l’ensemble des conventions internationales de protection des droits de l’homme ratifiées par l’Algérie. Ils demandent également au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes et impartiales en vue : a) de retrouver Rabah Souaiene et de respecter l’engagement de l’État partie aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; b) de déférer les auteurs matériels et intellectuels de cette disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour qu’ils fassent l’objet de poursuites conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; et c) de garantir à Rabah Souaiene, s’il est encore en vie, ainsi qu’à sa famille, l’accès à une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 et à l’article 9 du Pacte, incluant une indemnisation appropriée et proportionnée à la gravité de la violation, une réadaptation pleine et entière, et des garanties de non-répétition. Ils demandent enfin au Comité d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger les articles 27 à 39, 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, ainsi que l’article 2 du décret présidentiel no 06-94 du 28 février 2006 relatif à l’aide de l’État aux familles démunies éprouvées par l’implication d’un de leurs proches dans le terrorisme.
Observations de l’État partie
4.Le 9 avril 2018, l’État partie a invité le Comité à se référer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité ayant refusé que la recevabilité de la requête soit examinée séparément du fond, l’État partie a, le 4 octobre 2018, invité à nouveau le Comité à se référer audit mémorandum de référence, contestant la recevabilité devant le Comité des communications en rapport avec la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, et, par conséquent, à ne pas se pencher sur le fond.
Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie
5.1Le 30 juin 2018, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité. Ils soulignent que ces observations s’adressent au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et ne répondent pas à la présente plainte. En ce sens, ils soulignent que les observations ne font nullement mention de la recevabilité de la communication, des spécificités de l’affaire, ou des recours introduits par la famille de la victime, démontrant le manque de sérieux et le mépris des autorités algériennes pour la procédure en cours devant le Comité. Ils soulignent également le caractère obsolète de ces observations, qui datent de juillet 2009.
5.2Rappelant qu’aucun recours n’a abouti à l’ouverture d’une enquête diligente ou à des poursuites pénales et que les autorités algériennes n’ont apporté aucun élément tangible laissant penser que des recherches effectives avaient été engagées pour retrouver Rabah Souaiene et identifier les responsables de sa disparition, les auteurs concluent que les voies de recours internes ont été épuisées et que la requête doit être considérée comme recevable par le Comité.
5.3En se référant à la jurisprudence du Comité selon laquelle la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ne peut être opposée aux individus soumettant une communication individuelle, les auteurs rappellent que les dispositions de la Charte ne représentent en rien une prise en charge adéquate du dossier des disparus, qui supposerait le respect du droit à la vérité, à la justice et à la réparation pleine et entière.
Défaut de coopération de l’État partie
6.Le Comité rappelle que le 9avril 2018, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant référence au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les 17septembre et 14décembre 2018, ainsi que le 29mai 2019, l’État partie a été invité à présenter ses observations sur le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette l’absence de collaboration de l’État partie quant au partage de ses observations sur la présente plainte. Conformément au paragraphe2 de l’article4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que la disparition a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme dont les mandats consistent, d’une part, à examiner la situation des droits de l’homme dans un pays ou un territoire, ou des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, et, d’autre part, à faire rapport publiquement à ce sujet, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Rabah Souaiene par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.
7.3Le Comité prend note de ce que les auteurs affirment avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles et que, pour contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de renvoyer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. À cet égard, le Comité rappelle qu’en 2018, il avait exprimé ses préoccupations de ce qu’en dépit de ses demandes répétées, l’État partie continuait de faire systématiquement référence au document général type, dit « aide-mémoire », sans répondre spécifiquement aux allégations soumises par les auteurs de communications. En conséquence, le Comité invitait de manière urgente l’État partie à coopérer de bonne foi dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications.
7.4Le Comité rappelle ensuite que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. Les auteurs ont, à de nombreuses reprises, alerté les autorités compétentes sur la disparition forcée de leur fils, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête sur cette allégation grave. L’État partie n’a par ailleurs apporté aucun élément d’explication spécifique dans ses observations en réponse au cas de Rabah Souaiene qui pourrait permettre de conclure qu’un recours efficace et disponible est ouvert à ce jour. En outre, l’ordonnance no 06-01 continue d’être appliquée en dépit du fait que le Comité a souligné la nécessité de sa mise en conformité avec les principes du Pacte. À cet égard, le Comité rappelle que dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’État partie, il déplorait en particulier l’absence de recours efficace pour les personnes disparues et/ou leurs familles et l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les personnes disparues, de les localiser et, en cas de décès, de restituer leurs dépouilles aux familles. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.
7.5Le Comité note que les auteurs ont également soulevé une violation distincte des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte à leur égard. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif du fait qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs des auteurs au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, invoqués de manière séparée, sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.
7.6Le Comité estime en revanche que les auteurs ont suffisamment étayé leurs autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen au fond des griefs formulés au titre du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.
Examen au fond
8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.
8.2Le Comité note que l’État partie s’est contenté de faire référence à ses observations collectives et générales qui avaient été transmises antérieurement au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et au Comité en lien avec d’autres communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont déjà été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de ladite Charte à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence d’inclusion des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue dans le cas présent à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.
8.3Le Comité note par ailleurs que l’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.
8.4Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.
8.5Le Comité note que les auteurs ont vu leur fils pour la dernière fois le 18 décembre 1994. Ensuite, des militaires ont témoigné aux auteurs avoir vu Rabah Souaiene à des dates non précisées en 2002 alors qu’il était en détention à la caserne de Boumerdès. Le Comité prend note de ce que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de déterminer ce qu’il est advenu de Rabah Souaiene et n’a même jamais confirmé sa détention. Il rappelle que, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque grave et constant, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de Rabah Souaiene. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Rabah Souaiene, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.
8.6Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce qu’après avoir eu des nouvelles de la part de militaires qui ont affirmé avoir vu leur fils dans la caserne de Boumerdès, les auteurs n’ont plus jamais eu la moindre information sur son sort ou lieu de détention, malgré plusieurs requêtes successives présentées aux autorités étatiques. Le Comité estime donc que Rabah Souaiene, disparu le 18 décembre 1994, serait potentiellement toujours détenu au secret par les autorités algériennes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité considère que la disparition de Rabah Souaiene constitue une violation de l’article 7 du Pacte à son égard.
8.7Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.
8.8Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Rabah Souaiene, depuis plus de vingt-cinq ans, a causées aux auteurs. Il considère à cet égard que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article7 du Pacte à l’égard des auteurs.
8.9En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles Rabah Souaiene a été arrêté arbitrairement, sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. L’État partie n’ayant communiqué aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations des auteurs. Le Comité conclut donc à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard de Rabah Souaiene.
8.10Le Comité prend également note des allégations des auteurs selon lesquelles le manque d’accès aux autorités judiciaires de l’État partie dont ils ont souffert constitue une violation de l’article 14 du Pacte. Le Comité rappelle son observation générale no 32, où il indique notamment qu’une situation dans laquelle les tentatives d’une personne pour saisir les tribunaux ou les cours de justice compétents sont systématiquement entravées va de jure ou de facto à l’encontre de la garantie énoncée dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En l’espèce, le Comité note que toutes les démarches des auteurs engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. Il renvoie à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, dans lesquelles il exprimait ses préoccupations quant aux articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, qui portent atteinte au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Ce droit inclut également le droit d’accès à un tribunal, comme prévu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation d’assurer aux auteurs l’accès à un tribunal, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.
8.11Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par ses proches pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication sur le sort de Rabah Souaiene, ni sur le lieu où il se trouverait, en dépit des démarches de ses proches et du fait que Rabah Souaiene était entre les mains des autorités de l’État partie lors de sa dernière apparition. Le Comité conclut que la disparition forcée de Rabah Souaiene depuis plus de vingt-cinq ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.
8.12Enfin, le Comité note que même si les auteurs n’ont pas invoqué expressément une violation du paragraphe 3 de l’article 2 en conjonction avec l’article 7 du Pacte, ils font référence à l’obligation imposée aux États parties par cette disposition de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.
8.13En l’espèce, les auteurs ont alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes sur la disparition de leur fils sans que l’État partie procède à une enquête sur cette disparition, et sans que les auteurs soient informés du sort de Rabah Souaiene. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Rabah Souaiene et les auteurs de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Rabah Souaiene, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard des auteurs.
9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard de Rabah Souaiene. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que de l’article 14 du Pacte à l’égard des auteurs.
10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) de mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition de Rabah Souaiene et de fournir aux auteurs des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de libérer immédiatement Rabah Souaiene s’il est toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où Rabah Souaiene serait décédé, de restituer sa dépouille à sa famille dans le respect de la dignité, conformément aux normes et aux traditions culturelles des victimes ; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises ; e) de fournir aux auteurs ainsi qu’à Rabah Souaiene, s’il est en vie, une pleine réparation, y compris une indemnité adéquate ; et f) de fournir des mesures de satisfaction appropriées aux auteurs. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. À cet effet, le Comité est d’avis que l’État partie devrait revoir sa législation en fonction de l’obligation qui lui est faite au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, et en particulier abroger les dispositions de ladite ordonnance qui sont incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.
11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.