Nations Unies

CCPR/C/129/D/2503/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2503/2014* , **

Communication présentée par :

Bakhytzhan Toregozhina (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteure

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

13 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2020

Objet :

Refus d’autoriser une réunion pacifique

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Liberté d’association

Article(s) du Pacte :

19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5

1.L’auteure de la communication est Bakhytzhan Toregozhina, de nationalité kazakhe, née en 1962. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure dirige l’organisation non gouvernementale « Ar. Rukh. Khak ». Le 1er mars 2012, elle a demandé à l’akimat d’Almaty l’autorisation d’organiser, le 24 mars 2012, sur la place située devant le Palais de la République, près de la statue d’Abaï Kounanbaïouly, un rassemblement (une réunion) pacifique sur le thème « Cent jours après la répression sanglante de Janaozen ». Elle a joint à sa demande une liste de 29 sites autres que celui qu’elle avait initialement choisi, à savoir la place située devant le Palais de la République à Almaty, au cas où l’akimat estimerait qu’il n’était pas possible d’organiser la réunion à cet endroit.

2.2Le 19 mars 2012, l’akimat d’Almaty a fait savoir à l’auteure que la réunion en question n’était autorisée dans aucun des 30 lieux proposés. L’akimat a fondé son refus sur la décision no 167 prise le 29 juillet 2005 par le maslikhat d’Almaty, dans laquelle il est recommandé que toutes les manifestations publiques non officielles « de nature sociale ou politique » se tiennent uniquement sur la place située derrière le cinéma « Sary Arka ». Selon la même décision du maslikhat d’Almaty, les manifestations officielles aux niveaux national et local organisées par les organes de l’État compétents, ainsi que les autres manifestations auxquelles participent de hauts fonctionnaires de l’État et des dirigeants d’Almaty, doivent se tenir sur la place de la République. Les autres places et espaces verts doivent servir à l’accueil des activités officielles, culturelles et de divertissement suivant leur destination architecturale et fonctionnelle. Selon l’auteure, l’akimat invoque toujours la décision no 167 pour refuser les rassemblements qui ne se tiendraient pas derrière le cinéma « Sary Arka ».

2.3Comme l’endroit éloigné proposé par l’akimat n’était pas adapté à l’objectif de la réunion, l’auteure a décidé de l’organiser ailleurs, dans un lieu qu’elle jugeait approprié. L’organisation de ce rassemblement non autorisé lui a valu d’être condamnée à une amende pour infraction administrative. Selon l’auteure, la communication faisant l’objet du présent document concerne non pas ce rassemblement en particulier ou les sanctions imposées en rapport avec lui, mais la décision no167. Le rassemblement est donné à titre d’exemple pour illustrer l’effet général de cette décision.

2.4Le 10 août 2012, l’auteure a saisi le tribunal du district Almalinsky d’Almaty d’une demande d’abrogation de la décision no 167, au motif qu’elle était contraire à la Constitution et aux normes internationales sur la liberté de réunion pacifique. L’auteure soutenait que cette décision n’était pas enregistrée par les autorités judiciaires et n’était donc pas un document juridiquement contraignant. Le 5 septembre 2012, le tribunal du district Almalinsky a débouté l’auteure de sa demande, au motif que la plainte n’avait pas été introduite dans les délais prescrits. Le tribunal estimait en outre que la décision no 167 avait été adoptée conformément à la loi et ne violait pas les droits des personnes. Le tribunal a jugé infondés les arguments de l’auteure concernant les violations des normes internationales, affirmant que les collectivités locales avaient le droit d’imposer des réglementations supplémentaires concernant l’organisation des rassemblements publics.

2.5Le 17 septembre 2012, l’auteure a fait appel devant le tribunal municipal d’Almaty, arguant que le tribunal du district Almalinsky n’avait pas examiné sa plainte sur le fond et demandant que son affaire fasse l’objet d’une nouvelle audience. Le 23 octobre 2012, le tribunal municipal d’Almaty a confirmé le jugement du tribunal de district.

2.6Le 29 mars 2013, l’auteure a formé un recours en cassation devant le tribunal municipal d’Almaty, dont elle a été déboutée le 22 avril 2013.

2.7Le 13 mai 2013, l’auteure a adressé une demande au titre de la procédure de contrôle à la Cour suprême du Kazakhstan. Le 12 septembre 2013, n’ayant constaté aucune violation des dispositions de fond ou de procédure par les tribunaux inférieurs, la Cour suprême a rejeté cette demande.

Teneur de la plainte

3.L’auteure affirme que la décision no 167 viole les droits que lui confère l’article 21 du Pacte en ce que : a) elle limite son droit d’organiser une manifestation de masse dans le lieu de son choix en fonction de facteurs tels que les objectifs de la manifestation et le public visé sans expliquer le but de cette limitation ; b) les sanctions qui lui sont appliquées découlent directement de la décision no 167 ; c) cette décision a un caractère discriminatoire puisqu’elle ne désigne qu’un seul lieu pour les manifestations de masse non officielles alors que les manifestations de masse organisées par l’État peuvent se tenir sur toutes les places et dans tous les jardins publics.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 19 octobre 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication et a demandé au Comité de déclarer celle-ci irrecevable pour défaut de fondement.

4.2L’État partie rappelle les faits de l’espèce et fait observer que les tribunaux ont examiné et rejeté les arguments de l’auteure selon lesquels la décision no 167 était contraire aux normes nationales et internationales relatives aux droits de l’homme. La légalité des décisions des tribunaux a été vérifiée par le bureau des procureurs d’Almaty et le bureau du Procureur général.

4.3L’article 32 de la Constitution du Kazakhstan garantit aux citoyens le droit de se réunir pacifiquement et d’organiser des réunions, des rassemblements, des manifestations, des défilés et des piquets. La loi peut toutefois restreindre l’exercice de ce droit afin de garantir la sûreté de l’État ou l’ordre public ou de protéger la santé ou les droits et libertés d’autrui. La manière dont peuvent être exprimés les intérêts de la société, d’un groupe ou de personnes dans les lieux publics, ainsi que la forme que peut revêtir cette expression et les restrictions qui peuvent être imposées sont définies par la loi no 2126 du 17 mars 1995 sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques. L’article 10 de cette loi autorise les organes exécutifs locaux à réglementer l’organisation des manifestations publiques selon les exigences imposées par le contexte local.

4.4L’État partie soutient que, conformément à la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques, la tenue d’une manifestation publique est soumise à l’autorisation préalable des organes exécutifs locaux. Selon l’article 5 de cette loi, les manifestations de masse doivent être organisées dans un lieu désigné.

4.5L’État partie relève que pour garantir la protection des droits et libertés d’autrui et la sûreté publique, le fonctionnement normal des transports en commun et des infrastructures, ainsi que la protection des espaces verts et des objets architecturaux, il est recommandé dans la décision no 167 d’organiser toutes les manifestations publiques non officielles de nature sociale ou politique sur la place située derrière le cinéma « Sary Arka ».

4.6C’est un organisme compétent qui a pris la décision no 167, dans les limites de sa compétence, conformément à la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques, sur la base de la législation nationale et des normes internationales, pour protéger les droits d’autrui compte tenu de la volonté de la majorité de la population d’Almaty.

4.7L’État partie fait observer que l’auteure a refusé de tenir la manifestation de masse dans le lieu désigné.

4.8L’État partie rappelle que le droit international des droits de l’homme autorise certaines restrictions à la liberté de réunion. Afin de protéger les droits et libertés d’autrui, l’ordre public et le système de transport ainsi que les autres infrastructures du Kazakhstan, les autorités de l’État partie ont désigné des lieux où peuvent se tenir les manifestations publiques non officielles. À l’heure actuelle, les organes exécutifs locaux ont délimité de telles zones dans presque toutes les capitales régionales et dans quelques districts.

4.9L’État partie affirme en outre que l’examen de la pratique de plusieurs autres États l’a amené à constater que, dans certains pays, les restrictions à l’organisation de manifestations publiques étaient plus sévères qu’au Kazakhstan. Par exemple, à New York, aux États-Unis, il faut demander une autorisation quarante-cinq jours avant la tenue de la manifestation prévue, et en préciser le trajet. Les autorités municipales ont le droit de modifier le lieu de l’événement. Différents pays, comme la Suède, tiennent une « liste noire » des organisateurs de manifestations qui ont été interdites ou dispersées par le passé. En France, les autorités locales ont le droit d’interdire toute manifestation, et au Royaume-Uni, les autorités ont le droit de décréter des interdictions temporaires. Au Royaume-Uni encore, les événements de rue ne sont autorisés qu’après approbation de la police. En Allemagne, toute manifestation ou réunion de grande ampleur, en intérieur ou en extérieur, ne peut avoir lieu qu’avec l’aval des autorités.

4.10L’État partie soutient que la communication est dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 24 novembre 2016, l’auteure a communiqué des commentaires dans lesquels elle soutient que la décision no 167 limite la réalisation de sa liberté de réunion et d’expression et viole les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte. Toutes les demandes d’organisation d’un événement de masse devant se tenir ailleurs que sur la place située derrière le cinéma « Sary Arka » sont systématiquement rejetées.

5.2L’auteure affirme que la décision no 167 la contraint à tenir des rassemblements sans autorisation, et qu’elle se voit donc infliger des sanctions administratives. La décision, qui prévoit un seul lieu pour les manifestations de masse, instaure en outre une discrimination contre les initiatives non officielles.

5.3L’auteure soutient que la liberté de réunion est un droit, et non un privilège, dont la mise en œuvre ne devrait pas dépendre de l’autorisation de l’akimat. Elle estime que le Gouvernement devrait mettre en place un système de notification pour l’organisation d’événements de masse afin de faciliter l’exercice de la liberté de réunion. Il devrait être possible d’organiser des manifestations de masse spontanées sans autorisation préalable.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1L’État partie a communiqué des renseignements complémentaires le 12 janvier 2017.

6.2Il fait observer que la limitation imposée à la liberté de réunion, en particulier en ce qui concerne le lieu où peuvent se tenir les manifestations de masse, est conforme aux dispositions du Pacte. C’est un organisme légitime qui a pris la décision no 167, dans les limites de sa compétence.

6.3L’État partie soutient que la décision no 167 n’établit aucune discrimination fondée sur des motifs politiques. La décision du maslikhat d’Almaty contient seulement une recommandation quant aux lieux où peuvent se tenir les manifestations de masse. Ainsi, l’akimat peut désigner le lieu – la place derrière le cinéma « Sary Arka » − où peuvent se tenir les manifestations officielles et toutes les autres manifestations selon les circonstances.

6.4L’État partie conteste également les arguments de l’auteure selon lesquels la réalisation de la liberté d’expression et de réunion est limitée au Kazakhstan. Il fait observer que 140 manifestations de masse ont été organisées sur la période 2012-2016, et que les organisateurs de ces manifestations ont respecté les prescriptions de la loi. Ainsi, il n’est pas interdit à l’auteure d’organiser un événement de masse, pour autant qu’elle respecte la loi.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité observe que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. En conséquence, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Le Comité note que l’auteure affirme que les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte ont été violés, en ce que la décision no 167 limite son droit d’organiser une manifestation de masse dans le lieu de son choix. Il considère que ce grief a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il déclare donc ce grief recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité note que l’auteure affirme que l’adoption et l’application de la décision no 167 violent le droit qu’elle tient de l’article 21 du Pacte, s’agissant en particulier de la demande de l’auteure visant à l’organisation d’un rassemblement sur le thème « Cent jours après la répression sanglante de Janaozen » dans le lieu de son choix, qui devait se tenir le 24 mars 2012.

8.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Il souligne également que l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; b) qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion pacifique des particuliers afin de concilier ce droit avec les éléments d’intérêt général précités, les États parties doivent s’efforcer de faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte et de démontrer qu’elle ne constitue pas un obstacle disproportionné à l’exercice de ce droit.

8.4En l’espèce, le Comité observe que l’État partie et l’auteure conviennent tous deux que la décision no 167 impose des limitations à la liberté de réunion, mais que les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si ces limitations sont autorisées.

8.5Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle l’article 10 de la loi no 2126 du 17 mars 1995 sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques autorise les organes exécutifs locaux à réglementer l’organisation des manifestations publiques selon les exigences imposées par le contexte local. Le Comité prend également note de l’explication de l’État partie selon laquelle les autorités ont adopté la décision no 167 pour garantir la protection des droits et libertés d’autrui et la sûreté publique, le fonctionnement normal des transports en commun et des infrastructures, ainsi que la protection des espaces verts et des objets architecturaux, et c’est pourquoi la place située derrière le cinéma « Sary Arka » a été désignée comme lieu où devaient se tenir toutes les manifestations publiques non officielles de nature sociale ou politique.

8.6Le Comité estime que les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique, en vertu de l’article 12 du Pacte et d’autres droits connexes. Il relève également que les participants à une réunion devraient, autant que possible, être autorisés à se réunir « à portée de vue et d’ouïe » du public cible. Tout comme le choix du moment de la réunion, le choix du lieu joue souvent un rôle essentiel du point de vue de la fonction des réunions consistant à permettre l’expression d’opinions. Les participants ne doivent pas être relégués dans des endroits isolés où ils ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui ils s’adressent ou du grand public. Il ne peut pas être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale ou en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique identifié, que ce soit en ville ou en dehors du centre‑ville, ni d’interdictions générales de manifester « sur la voie publique ».

8.7Le Comité estime en outre qu’il est dans la nature même des réunions de perturber parfois l’exercice quotidien de certains droits, comme le droit de circuler. Ces perturbations doivent être tolérées, à moins qu’elles ne représentent une charge disproportionnée, auquel cas les motifs détaillés des restrictions devront être donnés. L’argument selon lequel une réunion perturberait indûment le trafic routier et la circulation des piétons doit être étayé par des faits, afin que l’on puisse l’apprécier pleinement.

8.8Le Comité estime toutefois que l’État partie n’a pas suffisamment expliqué en quoi l’interdiction des manifestations publiques de nature sociale ou politique, sauf sur la place située derrière le cinéma « Sary Arka », était nécessaire pour atteindre l’objectif visé par la loi no 2126, ni dans quelle mesure l’interdiction de la manifestation que l’auteure avait prévu d’organiser était proportionnée à cette fin. Il considère donc qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas démontré la nécessité et la proportionnalité des limitations imposées à la liberté de réunion de l’auteure. L’État partie n’a pas non plus indiqué quelles autres manifestations officielles aux niveaux national et local organisées par les organes de l’État compétents se sont tenues sur la place derrière le cinéma « Sary Arka » (voir par. 6.3).

8.9Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel la décision no 167 a un caractère discriminatoire puisqu’elle ne désigne qu’un seul lieu pour les manifestations de masse non officielles, alors que l’ensemble des places et jardins publics peuvent accueillir les manifestations de masse organisées par l’État. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la décision no 167 n’établit aucune discrimination fondée sur des motifs politiques, et le lieu recommandé − la place derrière le cinéma « Sary Arka » – peut également accueillir les manifestations officielles aux niveaux national et local organisées par les organes de l’État compétents, ainsi que les autres manifestations auxquelles participent de hauts fonctionnaires de l’État et des dirigeants d’Almaty.

8.10Le Comité rappelle que les participants devraient choisir librement l’objet d’une réunion pacifique pour promouvoir des idées et des objectifs ambitieux dans le domaine public, et déterminer l’étendue du soutien ou de l’opposition à ces idées et objectifs. Il fait observer que les restrictions ne doivent pas être discriminatoires et que la réglementation relative à l’heure, au lieu et aux modalités des réunions n’est généralement pas liée au contenu de celles-ci, et que même si les possibilités d’imposer des restrictions à ce niveau sont plus nombreuses, les autorités sont aussi tenues de justifier toute restriction de cet ordre. Le Comité considère toutefois que, en l’espèce, l’État partie a imposé au droit de réunion de l’auteure des restrictions directement liées à la nature de la manifestation publique en faisant une distinction entre les manifestations officielles organisées par un organe compétent de l’État et les manifestations de nature sociale ou politique organisées par un acteur non étatique.

8.11En l’absence d’explications de l’État partie pour justifier ce traitement différent, le Comité estime que celui-ci n’a pas établi que la restriction imposée au droit de réunion pacifique de l’auteure était fondée sur des critères raisonnables et objectifs et poursuivait un but légitime au regard du Pacte, et que l’adoption et l’application de la décision no 167 violent donc les droits que l’auteure tient de l’article 21 du Pacte.

8.12Ayant constaté une violation de l’article21 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner le grief de violation de l’article19.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure tient de l’article 21 du Pacte.

10.Conformément de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteure une indemnisation adéquate et de lui rembourser les frais de justice engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité rappelle que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard du de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait revoir sa législation de façon à garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par l’article 21 du Pacte, notamment du droit d’organiser et de tenir des rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.