Nations Unies

CCPR/C/126/D/2603/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 novembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2603/2015*,**,***

Communication présentée par :

A. B. H. (représenté par un conseil, Dorte Smed, du Conseil danois pour les réfugiés)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

28 avril 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 (devenu l’article 92) du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 avril 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

8 juillet 2019

Objet :

Expulsion de l’auteur du Danemark vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité pour défaut manifeste de fondement ; mesure dans laquelle les griefs sont étayés

Question(s) de fond :

Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est A. B. H., de nationalité afghane, né le 8 mars 1977. Il affirme qu’il serait victime d’une violation par le Danemark de l’article 7 du Pacte s’il était expulsé vers l’Afghanistan. Il a prié le Comité de demander des mesures provisoires afin de ne pas être renvoyé en Afghanistan tant que sa communication serait à l’examen. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 30 avril 2015, en application de l’article 92 (devenu l’article 94) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que sa communication serait à l’examen. Le 7 mai 2015, l’État partie a suspendu l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant l’auteur.

1.3Le 1er décembre 2015, l’État partie l’ayant informé que la Commission danoise de recours des réfugiés avait décidé de rouvrir le dossier, le Comité a suspendu l’examen de la communication jusqu’à nouvel ordre et a rappelé à l’État partie qu’il ne devait pas expulser l’auteur pendant cette suspension. Le 21 avril 2016, l’État partie a fait savoir au Comité que, le 18 avril 2016, la Commission avait décidé de confirmer la décision de rejet de la demande d’asile de l’auteur et il a lui demandé de lever la suspension de l’examen de la communication. Le 15 juillet 2016, le Comité a décidé de lever cette suspension et d’accorder à l’État partie un délai supplémentaire pour présenter ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est d’ethnie pachtoune et originaire de la province de Kunar en Afghanistan. Il affirme qu’il risque d’être persécuté s’il devait être expulsé vers l’Afghanistan parce que, après avoir travaillé cinq ans pour les forces internationales, il est en conflit avec les Taliban. Par ailleurs, les autorités afghanes le soupçonnent à tort d’être lié aux Taliban.

2.2L’auteur déclare que, de 2007 à 2012, en tant que soldat de la Direction nationale de la sécurité, il s’entraînait et collaborait avec les forces afghanes et les forces des États-Unis d’Amérique ; l’une de ses tâches était d’arrêter des Taliban. Il a pour cette raison été menacé à plusieurs reprises par les Taliban. Il a reçu chez lui deux lettres de menaces de ceux-ci et, peu après la réception de la première, on a tenté de le tuer par balles alors qu’il était dans sa voiture. En décembre 2012, il a été enlevé par les Taliban qui l’ont gardé prisonnier pendant trois ou quatre mois avant qu’il ne parvienne à s’échapper. Il se trouvait dans un taxi en compagnie de quatre autres personnes quand, à un poste de contrôle, ils ont été forcés de prendre la direction des montagnes. Pendant sa détention, l’auteur n’a pas révélé sa véritable identité. Il avait réussi à cacher sa carte nationale d’identité dans le taxi lorsqu’ils avaient été arrêtés, et il n’a pas été reconnu par les Taliban parce qu’ils appartenaient à une faction d’un district différent de celui dont il était originaire. Pendant une attaque aérienne, l’auteur a réussi à s’enfuir. Il a ensuite séjourné chez son oncle pendant trois ou quatre jours avant de quitter le pays pour le Pakistan. Après son départ, l’auteur a appris que sa famille avait reçu des Taliban une autre lettre de menaces qui lui était adressée. Son père l’a informé que ses collègues de l’armée avaient perquisitionné son domicile et qu’en raison de sa longue absence, il était soupçonné de collaborer avec les Taliban.

2.3L’auteur est entré au Danemark le 8 décembre 2013 sans document de voyage valide et y a demandé l’asile le même jour. Sa sœur, le mari de celle-ci et leurs enfants sont résidents au Danemark. Les autres membres de la famille proche de l’auteur, notamment sa femme et ses six enfants, résident en Afghanistan.

2.4Le 26 mars 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Le 10 juillet 2014, la Commission de recours des réfugiés a renvoyé l’affaire pour réexamen au Service danois de l’immigration à la demande de celui-ci. Le 27 novembre 2014, le Service danois de l’immigration a une nouvelle fois refusé l’asile à l’auteur. Le 9 mars 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé, à la majorité, le rejet de la demande d’asile de l’auteur. La Commission de recours des réfugiés a considéré comme établi que l’auteur avait travaillé comme infirmier chef à la Direction nationale de la sécurité, mais la majorité de ses membres a fait observer que, alors qu’il avait été en mesure d’expliquer en détail et de documenter son emploi à la Direction nationale de la sécurité, il n’avait donné aucune information précise au sujet de sa détention par les Taliban bien que celle-ci ait duré trois ou quatre mois. Par conséquent, la Commission de recours des réfugiés n’a pu considérer comme crédible une grande partie de la relation des faits donnée par l’auteur, parce que les déclarations de celui-ci quant à son conflit avec les Taliban et la façon dont ils auraient tenté d’établir son identité étaient vagues et peu vraisemblables sur plusieurs points.

2.5Les décisions définitives de la Commission de recours des réfugiés n’étant pas susceptibles d’appel devant les tribunaux danois, l’auteur dit qu’il a épuisé tous les recours internes utiles dont il disposait. La présente communication n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

2.6Le 26 octobre 2015, la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir le dossier pour réexamen par une nouvelle formation dans le cadre d’une audience orale. Le 18 avril 2016, elle a, par une décision unanime, de nouveau rejeté la demande d’asile de l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à son retour en Afghanistan parce qu’il a travaillé pour le service de renseignement afghan et les forces des États-Unis pendant cinq ans.

3.2L’auteur craint également les autorités afghanes parce qu’il a été soupçonné à tort de soutenir les Taliban. Il affirme que cette accusation est extrêmement difficile à réfuter parce qu’il y a eu plusieurs exemples de soldats ayant changé de camp, et il est convaincu que la Direction nationale de la sécurité préférera se tromper par excès de prudence plutôt que de risquer qu’un Taliban s’infiltre dans ses rangs. Il donne des informations générales au sujet des menaces qui pèsent sur des personnes travaillant avec des militaires étrangers ou avec les forces de sécurité afghanes, ainsi que sur celles soupçonnées de soutenir des « éléments opposés au Gouvernement ».

3.3En ce qui concerne l’appréciation de ses déclarations dans la procédure interne, il souligne que la Commission de recours des réfugiés a rendu sa décision du 9 mars 2015 à la majorité et non à l’unanimité. Bien que la Commission ait admis qu’il avait travaillé pendant cinq ans pour la Direction nationale de la sécurité et les forces des États-Unis, elle a jugé que ses déclarations concernant sa détention par les Taliban nuisaient à sa crédibilité générale, tout comme celles concernant les lettres de menaces qu’il aurait reçues et les tirs qu’il aurait essuyés. Sur ce point, la Commission a trouvé étrange que l’auteur, qui a produit de nombreuses pièces concernant son emploi et son appartenance à la Direction nationale de la sécurité, n’ait pas été en mesure de produire les lettres de menaces en question. Sur le fondement de son évaluation globale, la Commission a conclu à la majorité de ses membres que l’auteur n’avait pas démontré de façon vraisemblable qu’il avait été identifié par les Taliban ou avait eu un conflit particulier avec ceux-ci. L’auteur soutient à cet égard qu’il a fait un récit détaillé et adéquat de sa détention et qu’il a aussi répondu aux questions y relatives au mieux de ses capacités. Il ajoute qu’il a été en mesure de produire de nombreuses preuves de ses cinq années au service de la Direction nationale de la sécurité parce que des preuves étaient disponibles, alors qu’il n’existait aucune preuve de ses quatre mois de détention. Selon l’auteur, l’argument de la Commission ne tient pas compte de la nature même de la détention et de l’état physique et mental dans lequel il était durant celle‑ci. Quant au fait que la Commission ait trouvé étrange que l’auteur n’ait pas été en mesure de produire les deux lettres de menaces qu’il avait reçues des Taliban, il fait valoir qu’il n’a pas conservé ces lettres parce qu’il avait décidé de considérer que recevoir de telles lettres faisait partie de son métier et donc de les ignorer. Il ajoute que, d’une manière générale, la Commission de recours des réfugiés juge inadmissibles les documents venant d’Afghanistan et ne leur accorde aucune importance, car il ressort d’un mémorandum du Ministère danois des affaires étrangères qu’il est extrêmement difficile de vérifier l’authenticité de ces documents et qu’il est très facile de se procurer des faux en Afghanistan. En outre, l’auteur soutient que la Commission a accordé une importance considérable à des incohérences mineures dans le récit qu’il a fait de son enlèvement et de sa détention, et que le raisonnement de la Commission ne reposait que sur des suppositions et non sur des preuves. Il affirme en outre que ses déclarations ne peuvent être considérées comme généralement non convaincantes et qu’on aurait dû lui accorder « le bénéfice du doute ». Enfin, il affirme que lorsqu’elle a examiné son recours, la Commission n’a pas appliqué les Principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) relatifs à l’évaluation de la crédibilité.

3.4Enfin, l’auteur fait référence à la situation générale des personnes renvoyées de force en Afghanistan.

3.5Compte tenu de ce qui précède, l’auteur soutient que son renvoi en Afghanistan constituerait une violation par le Danemark des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre du 19 juillet 2016, l’État partie conteste la recevabilité et le fond de la communication. Il fait observer que c’est à l’auteur qu’il incombe d’établir prima facie le bien‑fondé de ses allégations aux fins de la recevabilité. Il soutient que le grief que l’auteur tire de l’article 7 est manifestement dénué de fondement et devrait donc être déclaré irrecevable faute d’être suffisamment étayé.

4.2L’État partie décrit la législation et les procédures internes applicables, notamment la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, qu’il considère comme un organe quasi judiciaire indépendant. Il appelle également l’attention sur les procédures établies pour évaluer les déclarations contradictoires des demandeurs d’asile, lesquelles peuvent affecter la crédibilité de ces derniers.

4.3L’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés, lorsqu’elle détermine si les conditions requises par la loi sur les étrangers pour l’octroi d’un permis de séjour sont remplies, apprécie si l’intéressé est fondé à craindre d’être personnellement soumis à des persécutions d’une certaine gravité s’il est renvoyé dans son pays d’origine. Pour évaluer le bien‑fondé d’une telle crainte, la Commission tient compte des informations relatives aux persécutions que le demandeur d’asile aurait subies avant de quitter son pays d’origine et, surtout, de la situation qui serait la sienne s’il y était renvoyé.

4.4En outre, l’État partie cite l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire H. et B. c. Royaume-Uni,  qui concernait un ressortissant afghan ayant travaillé comme interprète pour les forces des États-Unis en Afghanistan, dans lequel la Cour a rejeté l’argument de l’auteur selon lequel il ne serait pas en sécurité à Kaboul en raison de son profil et des conditions de sécurité dans cette ville. La Cour a conclu qu’elle ne pouvait considérer que l’auteur serait en danger à Kaboul pour la seule raison qu’il avait travaillé comme interprète pour les forces des États-Unis mais qu’elle devait examiner tous les aspects de sa situation individuelle, la nature de son réseau relationnel et son profil. Elle a conclu que le requérant n’avait pas démontré que son renvoi en Afghanistan violerait l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme).

4.5En l’espèce, l’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir le dossier de demande d’asile de l’auteur pour réexamen par une nouvelle formation dans le cadre d’une audience orale. Dans sa nouvelle décision, unanime, du 18 avril 2016, la Commission de recours des réfugiés a procédé à une évaluation approfondie de la situation particulière de l’auteur, y compris de sa crédibilité, et des informations générales disponibles sur l’Afghanistan. Si, comme elle ne l’avait pas fait dans sa décision du 9 mars 2015, la Commission a cette fois admis qu’une bonne partie des faits allégés par l’auteur étaient établis, elle a conclu que celui-ci n’avait pas démontré qu’il était probable qu’il risquait d’être tué ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Afghanistan. En particulier, la Commission a considéré comme établi que l’auteur avait été soldat et avait dispensé des soins d’urgence sur une base des États-Unis dans la province de Kunar et que les Taliban lui avaient, à deux reprises, adressé des menaces écrites à ce sujet. La Commission a toutefois conclu que la nature et l’intensité de ces menaces, formulées dans des lettres déposées au domicile de sa famille à la fin de 2011 et au début de 2012, n’étaient pas telles qu’il était probable que les Taliban le contacterait de nouveau. La Commission a également considéré comme établi que l’auteur avait été enlevé par les Taliban en 2013, mais a estimé que cet enlèvement n’était pas lié à son travail pour les forces des États-Unis. La Commission a également considéré comme établi que l’auteur n’avait pas été identifié pendant sa captivité. Elle a conclu qu’il n’avait pas démontré qu’il était probable que les tirs qu’il aurait essuyés en 2011 étaient liés à son emploi au service des forces des États‑Unis, car l’existence d’un tel lien ne reposait que sur une supposition de l’auteur. La Commission a donc conclu que l’enlèvement de l’auteur n’avait pas accru sa visibilité et qu’il ne risquait pas d’être de nouveau persécuté parce qu’il avait été enlevé ou qu’il avait travaillé sur une base des États-Unis. Enfin, la Commission a conclu que la déclaration de l’auteur selon laquelle il craignait les autorités afghanes parce qu’elles le soupçonnaient d’avoir rejoint les Taliban ne reposait que sur une supposition. Sur ce point, la Commission a relevé que l’auteur avait informé les forces des États-Unis qu’il avait reçu deux lettres de menaces des Taliban et qu’il avait peur de ceux-ci.

4.6L’État partie rappelle que c’est généralement aux autorités des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée pour déterminer s’il existe un risque de préjudice irréparable, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. Or, en l’espèce, la Commission de recours des réfugiés a conclu que l’auteur ne courrait pas personnellement un risque particulier d’être persécuté en cas de renvoi en Afghanistan. L’État partie ajoute qu’aucune information supplémentaire n’a été portée à l’attention du Comité par rapport à celles dont disposait la Commission. Ainsi, de l’avis de l’État partie, rien ne permet de mettre en doute, et encore moins d’écarter, l’appréciation de la Commission selon laquelle l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être tué ou soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Afghanistan.

4.7L’État partie indique que les rapports sur lesquels s’appuie l’auteur font partie des informations générales sur l’Afghanistan dont disposait la Commission de recours des réfugiés et que celle-ci en a tenu compte lorsqu’elle a examiné la situation de l’auteur. Il ajoute néanmoins que l’invocation par celui-ci de la situation générale des personnes renvoyées de force en Afghanistan ne saurait justifier une appréciation différente en ce qui le concerne.

4.8L’État partie informe le Comité qu’en réponse à sa demande de mesures provisoires, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’auteur du Danemark. Compte tenu de tout ce qui précède, l’État partie demande au Comité de reconsidérer sa demande de mesures provisoires.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 10 mars 2017, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie, arguant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à des mauvais traitements, en violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte, s’il était expulsé vers l’Afghanistan.

5.2En réponse à la déclaration de l’État partie selon laquelle il n’avait pas été établi que le père de l’auteur avait reçu une nouvelle lettre de menaces après le départ de celui‑ci, l’auteur soutient que, même si cette allégation demeure contestée par l’État partie, elle ne change rien aux faits, établis, qu’il avait reçu des lettres de menace des Taliban et qu’il avait été détenu par ceux-ci. Il conteste également l’affirmation de l’État partie selon laquelle les Taliban ne l’avaient pas identifié puisque les deux lettres qu’il avait reçues avant son départ lui étaient personnellement adressées. Il ajoute que même à supposer que son enlèvement ait été sans rapport avec ces deux lettres de menaces, celles-ci prouveraient à elles seules qu’il était visé par les Taliban parce qu’il avait coopéré avec les forces des États-Unis.

5.3L’auteur invoque l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire J. K. et autres c. Suède et, appliquant les conclusions de la Cour à son propre cas, soutient que le fait qu’il a été enlevé par les Taliban fournit un indice solide d’un risque réel futur qu’il subisse des mauvais traitements. C’est donc à l’État partie qu’il incombe de dissiper les doutes éventuels au sujet de ce risque. En outre, le récit des faits qu’il a livré concorde avec les informations provenant de sources fiables et objectives sur la situation générale dans le pays. S’agissant de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire H. et B. c. Royaume-Uni  qu’invoque l’État partie, l’auteur fait observer que c’est essentiellement parce que la Cour a confirmé le manque de crédibilité du requérant établi par le Gouvernement qu’elle a conclu à l’absence de violation dans cette affaire. Par contre, dans la présente espèce, la plupart des déclarations de l’auteur ont été jugées dignes de foi ; les deux affaires ne sont donc pas comparables.

5.4L’auteur affirme également qu’il ne pourrait s’établir nulle part en Afghanistan en raison du risque de mauvais traitements. Se fondant sur les informations générales sur le pays, il fait valoir que les Taliban enlèvent de manière ciblée les personnes soupçonnées de travailler pour les forces internationales. C’est pourquoi le fait pour une personne d’être soupçonnée de travailler pour les forces internationales suffit, même si les Taliban ne sont pas certains de l’identité ou du travail de la personne enlevée.

5.5De plus, l’auteur rappelle les divers rapports qu’il a invoqués dans sa lettre initiale pour étayer son affirmation selon laquelle le fait de travailler pour les forces militaires internationales crée un risque élevé de mauvais traitements par les Taliban.

5.6Enfin, l’auteur demande au Comité de maintenir sa demande de mesures provisoires.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 28 juillet 2017, l’État partie a fait part de ses observations complémentaires sur la recevabilité et le fond de la communication, en réaffirmant que les griefs de l’auteur n’ont pas été étayés.

6.2L’État partie maintient ses observations de juillet 2016 et rappelle de plus la jurisprudence du Comité selon laquelle un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette évaluation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas expliqué en quoi la décision de la Commission de recours des réfugiés serait contraire à ce principe.

6.3Renvoyant au Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié publié par le HCR, l’État partie rappelle que ni la détention de l’auteur par les Taliban ni les deux lettres de menace reçues de ceux-ci ne permettent à elles seules de conclure que l’auteur remplit les conditions de l’article 7 de la loi sur les étrangers. L’État partie fait observer que l’auteur a arrêté de travailler pour les forces de sécurité afghanes et les forces des États-Unis il y a plus de quatre ans et qu’il ne saurait être considéré comme une personne en vue par les Taliban ou les autorités afghanes.

6.4S’agissant de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire J. K. et autres c. Suède que l’auteur invoque, l’État partie soutient que cette affaire diffère considérablement de la présente espèce, dans laquelle la détention de l’auteur a été considérée comme sans rapport avec les menaces qu’il avait reçues des Taliban en raison de sa collaboration avec les forces des États-Unis. L’État partie rappelle l’affaire H. et B. c. Royaume ‑Uni  dont a connu la Cour européenne des droits de l’homme et qui, selon lui, est plus pertinente en l’espèce dans la mesure où, même si la Cour a jugé certaines parties de la requête irrecevables, elle a spécifiquement examiné le risque général que couraient les personnes qui avaient collaboré avec les forces des États-Unis.

6.5L’État partie ajoute que, même si dans les documents du HCR invoqués par l’auteur les personnes ayant collaboré avec les forces internationales sont effectivement présentées comme un groupe exposé à un risque, cette référence ne saurait justifier à elle seule l’octroi d’un permis de séjour à l’auteur en vertu de l’article 7 de la loi sur les étrangers. L’État partie maintient que l’élément déterminant est de savoir si, après appréciation des informations disponibles en l’espèce et des informations générales actuelles sur l’Afghanistan, l’auteur courrait personnellement un risque particulier de persécution s’il était renvoyé en Afghanistan.

6.6Enfin, l’État partie fait valoir que, puisque l’auteur n’a pas démontré qu’il était probable qu’il courrait personnellement un risque particulier de persécution ou de mauvais traitements s’il était renvoyé en Afghanistan, il ne sera pas obligé de trouver une possibilité de fuite interne, et ses arguments sur ce point doivent donc être considérés comme dénués de pertinence.

6.7L’État partie réaffirme que les griefs de l’auteur sont manifestement dénués de fondement et donc irrecevables. Si le Comité devait juger la communication recevable, l’État partie maintient qu’il n’a pas été établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Réponses complémentaires

De l’auteur

7.1Le 8 septembre 2017, l’auteur a rappelé qu’il avait été établi par l’État partie qu’il avait travaillé pendant plusieurs années pour les forces de sécurité afghanes et pour les forces des États-Unis. Il a également été établi et admis que l’auteur avait reçu deux lettres des Taliban à cause de son travail. C’est pourquoi l’auteur soutient que ces faits, et les informations disponibles sur le pays, suffisent à démontrer qu’il risque d’être persécuté à son retour et donc que l’appréciation des juridictions nationales constitue un déni de justice.

De l’État partie

7.2Le 3 octobre 2017, l’État partie a ajouté que la Commission de recours des réfugiés avait connaissance des documents invoqués par l’auteur et les avait pris en considération au titre des informations générales sur l’Afghanistan. Ces documents ne constituaient pas des informations nouvelles justifiant un réexamen de l’affaire. C’est pourquoi l’État partie maintient sa position, à savoir que la communication devrait être déclarée irrecevable ou qu’il n’a pas été établi qu’il y a des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteur en Afghanistan constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que, le 1er décembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a décidé de rouvrir le dossier de l’auteur mais que, le 18 avril 2016, elle a confirmé la décision de rejet de sa demande d’asile. Les décisions de la Commission n’étant pas susceptibles d’appel, l’auteur ne dispose plus d’aucun recours. Le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

8.4Enfin, le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité au motif que le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Le Comité considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a adéquatement expliqué pourquoi il craignait que son expulsion vers l’Afghanistan lui fasse courir le risque d’être victime d’un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, s’il était renvoyé en Afghanistan, il risquerait d’être soumis à des mauvais traitements, d’une part aux mains des Taliban parce qu’il a travaillé pendant cinq ans comme soldat pour les forces afghanes et des États-Unis, et d’autre part aux mains des autorités afghanes en raison de ses liens présumés avec les Taliban. Il affirme qu’avant son départ il a reçu deux lettres de menaces des Taliban à cause de son travail, et qu’après qu’il a reçu la première de ces lettres, on a tenté de le tuer par balles alors qu’il était dans sa voiture. Il affirme qu’il a été enlevé par les Taliban et détenu pendant quatre mois au cours desquels il a été torturé parce qu’il était soupçonné d’avoir travaillé pour le service de renseignement afghan et les forces des États-Unis, même si les Taliban n’ont pu établir son identité avec certitude. Il affirme également qu’après son départ, sa famille a reçu des Taliban une nouvelle lettre de menaces qui lui était adressée personnellement. L’auteur donne des informations générales sur les menaces qui pèsent sur les personnes travaillant avec les forces armées étrangères ou les forces de sécurité afghanes, ainsi que sur celles soupçonnées de soutenir des « éléments opposés au Gouvernement ».

9.3D’autre part, le Comité relève que l’État partie a contesté la recevabilité et le fond de ces allégations et a souscrit à l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés qui, tout en admettant qu’une bonne partie des faits allégués par l’auteur étaient établis, a conclu que celui-ci n’avait pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être tué ou soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé en Afghanistan. En particulier, le Comité est conscient que, dans ses conclusions du 18 avril 2016, la Commission de recours des réfugiés a réévalué les déclarations de l’auteur et a conclu qu’il était établi : a) que l’auteur avait été soldat et avait dispensé des soins d’urgence sur une base des États-Unis dans la province Kunar ; b) que les Taliban avaient, à deux reprises, adressé à l’auteur des menaces écrites à ce sujet ; et c) que l’auteur avait été enlevé par les Taliban en 2013. La Commission a toutefois conclu que la nature et l’intensité de ces menaces n’étaient pas telles qu’il était probable que les Taliban contacteraient de nouveau l’auteur. La Commission a aussi considéré que l’auteur n’avait pas clairement démontré que son enlèvement était lié à son travail pour les forces des États-Unis et a relevé qu’il n’avait pas été identifié pendant sa captivité. La Commission a donc conclu que l’enlèvement de l’auteur n’avait pas accru sa visibilité et qu’il ne risquait pas d’être de nouveau persécuté parce qu’il avait été enlevé ou parce qu’il avait travaillé sur une base des États-Unis.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il souligne l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a établi qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.5Le Comité rappelle également sa jurisprudence selon laquelle il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire et qu’il appartient généralement aux organes des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

9.6Le Comité rappelle en outre les affaires similaires à la présente espèce dans lesquelles il était saisi de la question de savoir si le fait d’avoir été lié à des forces internationales dans certains pays fournissait un indice solide d’un risque futur de subir des persécutions contraires à l’article 7 du Pacte.

9.7Le Comité rappelle la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans l’affaire H. et B. c. Royaume-Uni, a estimé que le fait que le requérant avait travaillé comme interprète pour les États-Unis ne suffisait pas à lui seul à prouver qu’il serait en danger dans son pays d’origine et avait également examiné tous les aspects de la situation personnelle du requérant, la nature de son réseau relationnel et son profil. Le Comité renvoie par ailleurs à l’arrêt J .  K. et autres c. Suède, dans lequel la Cour a considéré que les mauvais traitements subis dans le passé fournissaient un indice solide d’un risque réel futur de mauvais traitements dans les cas où le demandeur d’asile avait livré un récit des faits globalement cohérent et crédible qui concordait avec les informations sur la situation générale dans le pays concerné. La Cour a estimé que dans ces conditions, c’est au Gouvernement qu’il incombait de dissiper les doutes éventuels au sujet de ce risque. Le Comité rappelle que la Cour a jugé que l’exigence voulant qu’un demandeur d’asile puisse démontrer l’existence d’un risque personnel autre que les périls généraux existant dans le pays de destination est toutefois assouplie dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’intéressé allègue faire partie d’un groupe vulnérable exposé à une pratique systématique de mauvais traitements.

9.8Le Comité rappelle également que la dernière édition des Principes directeurs du HCR relatifs à l ’ éligibilité dans le cadre de l ’ évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d ’ asile afghans indique que les civils liés ou perçus comme favorables aux forces militaires internationales présentent un profil à risques et peuvent donc avoir besoin de la protection internationale accordée aux réfugiés.

9.9Dans la présente affaire, le Comité fait observer que même si dans sa décision du 9 mars 2015 la Commission a conclu que la plupart des allégations de l’auteur n’étaient pas crédibles, à l’exception de celle selon laquelle il avait travaillé pour les forces internationales pendant cinq ans, dans sa décision du 18 avril 2016 la Commission a réexaminé les déclarations de l’auteur et admis comme établis une bonne partie des faits allégués par celui‑ci. Il s’ensuit que la question n’est pas celle du manque de crédibilité de l’auteur, mais celle de la mesure dans laquelle les incidents qui ont été admis comme des faits établis − eu égard en particulier à l’incapacité de l’auteur de démontrer l’existence d’un lien entre son activité au service des forces internationales et son enlèvement − peuvent montrer que l’auteur courrait un risque réel et personnel de subir un préjudice irréparable s’il est expulsé. 

9.10Le Comité rappelle que les États parties doivent accorder le poids voulu au risque réel et personnel que courrait une personne si elle est expulsée, et considère qu’il incombait à l’État partie de procéder à une évaluation individualisée du risque auquel l’auteur serait exposé parce qu’il avait collaboré avec les forces internationales. Pour le Comité, dans la mesure où la Commission a admis que l’auteur avait livré un récit des faits globalement cohérent et crédible, y compris en ce qui concerne les lettres de menaces desTaliban et son enlèvement et sa détention durant quatre mois par ceux-ci, ces mauvais traitements subis par le passé fournissent un indice solide d’un risque réel et personnel qu’il subisse des persécutions contraires à l’article7 du Pacte. Le fait que le récit des événements livré par l’auteur concorde avec les informations − en particulier celles concernant les personnes appartenant à un groupe ciblé − provenant de sources fiables et objectives sur la situation générale en Afghanistan renforce encore cet indice.

9.11Le Comité prend note du principal argument de l’État partie, à savoir que la Commission a conclu que la détention de l’auteur était sans rapport avec son travail pour les forces des États-Unis et qu’il n’avait pas été identifié pendant sa captivité. À cet égard, le Comité fait toutefois observer que le fait que l’auteur n’ait pas été identifié par les Taliban pendant sa captivité n’exclut pas que son enlèvement ait été lié à son travail pour les forces internationales ni qu’il puisse être de nouveau enlevé par les Taliban à son retour, ce que les menaces qu’il a reçues et qui ont été admises comme des établies par la Commission peuvent raisonnablement amener à supposer. Ainsi, le Comité est d’avis, eu égard à tous les aspects de la situation personnelle de l’auteur et aux incidents jugés crédibles par les instances nationales, que la Commission n’a pas évalué adéquatement le risque réel, personnel et prévisible que courrait l’auteur d’être victime de mauvais traitements dans son pays d’origine.

9.12En outre, l’État partie n’a pas démontré que les autorités afghanes seraient en mesure de protéger l’auteur, compte tenu en particulier des rapports attestant les agressions dont font l’objet les civils afghans qui travaillent ou ont travaillé pour les forces armées internationales.

9.13Dans ces conditions, le Comité conclut que la Commission de recours des réfugiés n’a pas adéquatement apprécié le risque réel, personnel et prévisible que courrait l’auteur s’il était renvoyé en Afghanistan, risque qui non seulement découle de sa qualité d’ancien employé des forces internationales mais tient aussi au risque qu’il subisse des mauvais traitements aux mains des Taliban que l’on peut raisonnablement déduire de sa situation individuelle, y compris les mauvais traitements qu’il a subis par le passé dans son pays d’origine.

9.14En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il craint les autorités afghanes et les forces des États-Unis parce qu’elles le soupçonnent d’avoir rejoint les Taliban, le Comité estime qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle il ne s’agit que d’une supposition de l’auteur ; il considère donc qu’elle n’a pas été admise comme un fait établi au niveau national.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan, s’il y était procédé, constituerait une violation des droits que celui-ci tient de l’article 7 du Pacte.

11.En application du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, aux termes duquel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de procéder à un réexamen de la situation de l’auteur en tenant compte des obligations que lui impose le Pacte et des présentes constatations du Comité. L’État partie est de plus prié de s’abstenir d’expulser l’auteur tant que sa demande d’asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de Marcia V.J. Kran, Vasilka Sancin et Yuval Shany, membres du Comité

1.Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à la conclusion de la majorité des membres du Comité selon laquelle, en expulsant l’auteur vers l’Afghanistan, le Danemark violerait le Pacte.

2.Au paragraphe 9.5 de ses constatations, le Comité rappelle « qu’il appartient généralement aux organes des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice ». Cette règle est reflétée dans une jurisprudence constante du Comité et obéit à des critères rigoureux, et elle ne devrait pas être écartée en l’absence de faits démontrant de manière convaincante que l’appréciation en cause a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou a représenté un déni de justice.

3.Sur la question précise de savoir si le fait qu’une personne ait été employée par les forces internationales peut dénoter l’existence d’un risque futur de persécutions contraires à l’article 7 du Pacte, le Comité cite l’affaire A. H. c. Danemark dans une note de bas de page associée au paragraphe 9.6 de ses constatations. Or, dans cette affaire, les faits diffèrent sensiblement de ceux de la présente espèce et n’appellent pas la même conclusion juridique. Dans l’affaire A. H. c. Danemark, l’auteur souffrait de troubles mentaux et, avant son arrivée au Danemark, avait, dans le cadre d’enquêtes sur des infractions liées à la drogue, travaillé pour de nombreuses organisations associées aussi bien au Gouvernement des États-Unis d’Amérique qu’au Gouvernement afghan. Il avait en particulier contribué à l’arrestation de deux barons de la drogue affiliés aux Taliban, ce qui attestait l’existence d’un conflit bien précis avec les Taliban et, dans le cadre de ses activités passées, il avait été victime d’une tentative d’enlèvement, avait reçu des menaces écrites et son frère avait été tué, tous faits qui n’étaient pas contestés par l’État partie. De plus, au moment où sa communication avait été examinée, le Comité disposait de nouvelles informations car l’auteur avait déjà été expulsé vers l’Afghanistan, où il avait été agressé physiquement et recevait constamment des appels téléphoniques le menaçant, lui et sa famille.

4.En l’espèce, l’auteur a été employé comme infirmier chef à la Direction nationale de la sécurité de l’Afghanistan de 2007 à 2012 et a dispensé des soins d’urgence sur une base des États-Unis dans la province de Kunar. Il a reçu, à la fin de 2011 et au début de 2012, des lettres de menaces dont les autorités danoises ont conclu qu’elles étaient liées à son emploi sur la base des États-Unis mais que leur faible intensité faisait qu’il était peu probable que les Taliban continuent à s’intéresser à l’auteur alors qu’il n’était plus en service actif ; l’auteur lui-même a déclaré que recevoir de telles lettres faisait partie de son métier et que c’est un risque qu’il avait accepté (par. 4.5). Toutefois, selon l’appréciation à laquelle l’État partie a procédé, l’auteur n’a pas démontré que les tirs qu’il aurait essuyés en 2011 ou son enlèvement par les Taliban en 2013 étaient liés aux fonctions qu’il avait exercées − en d’autres termes, ces événements n’avaient pas eu lieu dans le contexte du travail de l’auteur. Ses allégations mises à part, l’auteur n’a produit aucune preuve démontrant l’existence d’un tel lien.

5.Si l’on examine ses observations, il est clair que l’État partie a tenu compte des particularités de la présente espèce. Il a permis à l’auteur de faire appel des conclusions du Service danois de l’immigration et rouvert son dossier pour examen par une nouvelle formation. L’État partie a aussi tenu compte de la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan sur la base de rapports invoqués par l’auteur, dans le contexte de la situation personnelle de celui-ci.

6.Bien que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan puisse le placer dans une situation plus difficile que celle dans laquelle il se trouve actuellement au Danemark, le Comité ne dispose pas d’informations l’autorisant à contester l’évaluation du risque à laquelle les autorités danoises ont procédé. En particulier, il ne dispose pas de suffisamment d’informations pour considérer qu’il est probable que les difficultés auxquelles l’auteur sera confronté à son retour en Afghanistan représenteront un risque de préjudice grave irréparable constitutif d’une violation de l’article 7 du Pacte.

7.Dans ces conditions, nous ne pouvons conclure que la décision des autorités danoises de rejeter la demande d’asile de l’auteur a été arbitraire ou entachée d’erreur manifeste, ou a représenté un déni de justice, ni que sa mise en œuvre emporterait violation par le Danemark de l’article 7 du Pacte.