Nations Unies

CCPR/C/129/D/2456/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 octobre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2456/2014 * , **

Communication présentée par :

Erzhan Sadykov (représenté par un conseil, Bakhytzhan Toregozhina)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

6 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 septembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2020

Objet :

Application d’une sanction à l’auteur pour avoir distribué des invitations à un rassemblement pacifique et avoir exprimé son opinion ; procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

14 (par. 3 d) et g)), 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Erzhan Sadykov, de nationalité kazakhe, né en 1960. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 3 d) et g)), 19 et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 septembre 2013, vers 18 heures, l’auteur, un chômeur sans domicile fixe, a été arrêté par la police alors qu’il transportait, dans le coffre de sa voiture, plus de 2 000 tracts invitant à un rassemblement de sans-abri, prévu pour le 9 septembre 2013. La police a placé l’auteur en détention, saisi les tracts et dressé un procès‑verbal d’infraction administrative pour violation de la loi relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements pacifiques. La demande de l’auteur de bénéficier de l’assistance d’un avocat a été rejetée. L’auteur est resté en détention jusqu’au 6 septembre 2013, et il affirme avoir été maltraité pendant cette période. On ne lui a pas donné de nourriture, et on ne lui a donné de l’eau que par intermittence. Le 6 septembre 2013, le tribunal administratif interrégional spécialisé d’Almaty l’a déclaré coupable, sur le fondement de l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives, d’infraction répétée à la législation relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques. Le tribunal a conclu que l’auteur avait organisé une réunion non autorisée et l’a condamné à quinze jours de détention administrative, peine devant être exécutée à compter du 6 septembre 2013.

2.2À une date non précisée, l’auteur a formé un recours devant le tribunal municipal d’Almaty. Dans son recours, il affirmait que les tracts avaient été placés dans sa voiture par des connaissances, qu’il n’était pas l’organisateur de la manifestation et qu’il n’avait jamais pris part à des activités similaires auparavant.

2.3Le 10 septembre 2013, le tribunal municipal d’Almaty a confirmé la décision du tribunal de première instance et a conclu que l’auteur distribuait des tracts et invitait les gens à participer à un piquet qui devait avoir lieu le 9 septembre 2013. Le tribunal a renvoyé à la loi du 17 mars 1995 sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques, qui oblige tout organisateur d’une manifestation publique à demander une autorisation préalable aux autorités exécutives locales, ce que l’auteur n’avait pas fait. Le tribunal a estimé que la détention administrative de quinze jours imposée à l’auteur était dans les limites des peines prévues par l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives.

2.4Le 26 septembre 2013, l’auteur a demandé au Bureau du Procureur d’Almaty de procéder à un réexamen de la décision du tribunal administratif interrégional spécialisé au titre de la procédure de contrôle. Il a notamment fait valoir que sa période de détention aurait dû être calculée à partir du moment de son arrestation, à savoir le 5 septembre 2013, et non à partir du 6 septembre 2013 comme en avait décidé le tribunal. Il a également affirmé que du 5 au 6 septembre 2013, il a été détenu dans des conditions inhumaines et n’a pas reçu de nourriture, ce qui l’a obligé à accepter d’être jugé sans être assisté d’un avocat. De plus, il n’a pas été représenté pendant le procès. L’auteur insistait sur le fait qu’il n’était pas l’organisateur du rassemblement prévu, mais qu’il appuyait la position des véritables organisateurs. Il a invoqué les articles 19 et 21 du Pacte, faisant valoir que sa liberté d’opinion ne saurait être soumise à des restrictions et que son intention de participer à des rassemblements pacifiques ne pouvait motiver la déclaration de culpabilité pour infraction administrative dont il avait été l’objet et les sanctions qui lui avaient été imposées. Le 7 octobre 2013, le procureur d’Almaty a rejeté la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle présentée par l’auteur, indiquant qu’il avait été conclu à l’absence de motif de réexamen de la décision du tribunal.

2.5Le 23 octobre 2013, l’auteur a saisi le Procureur général d’un recours au titre de la procédure de contrôle. Le 14 mars 2014, le Procureur général adjoint, se référant à l’appréciation faite des éléments de preuve produits au cours du procès, a rejeté le recours de l’auteur et a déclaré qu’il avait été conclu à l’absence de motif de réexamen de la décision du tribunal.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en le condamnant à quinze jours de détention administrative pour avoir eu l’intention de participer à un rassemblement qui n’avait pas encore eu lieu, l’État partie a violé les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique consacrés par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il ajoute que l’État partie n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il avait été nécessaire de restreindre ses droits.

3.2L’auteur soutient en outre qu’il y a eu violation de l’article 14 du Pacte, puisque les tribunaux n’ont pas appliqué directement les dispositions du Pacte. Il affirme que bien qu’il en ait fait la demande, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son arrestation, en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, et qu’il a été contraint de s’avouer coupable, en violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Il affirme également que les tribunaux ont commis une erreur en appliquant l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives et en ordonnant sa détention pour une durée de quinze jours. En outre, il a été détenu pendant un jour de plus qu’il aurait dû l’être selon la loi.

3.3L’auteur demande que les responsables de la violation de ses droits soient traduits en justice et demande une indemnisation pour le préjudice moral subi. Il prie le Comité de demander à l’État partie d’adopter des mesures pour supprimer les restrictions au droit de réunion pacifique et à la liberté d’expression prévues par sa législation et d’adopter également des mesures pour éliminer les violations du droit à un procès équitable consacré par les paragraphes 3 d) et g) de l’article 14 du Pacte. Il demande aussi au Comité d’engager instamment l’État partie à garantir que les manifestations pacifiques ne soient pas suivies d’atteintes injustifiées de la part des autorités de l’État et de poursuites contre les participants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des notes verbales en date du 27 octobre 2014 et du 25 mars 2015, l’État partie a soumis ses observations, dans lesquelles il fait valoir que l’auteur n’a pas demandé au Procureur général de soumettre à la Cour suprême une contestation aux fins d’une procédure de contrôle concernant son affaire et qu’il n’a donc pas épuisé tous les recours internes.

4.2L’État partie indique que, le 5 septembre 2013, au carrefour de la rue Ryimbek et de la rue Otegen, dans la ville d’Almaty, les forces de l’ordre ont mené une opération spéciale liée à des rassemblements non autorisés et ont arrêté l’auteur, qui transportait 2 516 tracts, émis par plusieurs organisations non gouvernementales, invitant à se rendre à un rassemblement national de sans-abri prévu le 9 septembre 2013 à Almaty.

4.3L’État partie ajoute que le 5 septembre 2013, le Département des affaires intérieures du district Auezov d’Almaty a reçu une plainte écrite d’un particulier, M. S., dans laquelle celui-ci demandait aux autorités de prendre des mesures contre l’auteur, qui faisait campagne et l’exhortait à participer à la manifestation. L’État partie précise que les faits décrits dans la plainte de M. S. ont été confirmés par l’enquête qui avait été menée. L’auteur, en tant que membre d’une organisation non gouvernementale, participait donc à une manifestation non autorisée du fait qu’il distribuait des tracts et des invitations. En conséquence, le 6 septembre 2013, le tribunal administratif interrégional spécialisé l’a déclaré coupable d’une violation de l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives et l’a condamné à quinze jours de détention administrative. Cette décision a été confirmée par le tribunal municipal d’Almaty le 10 septembre 2013. La plainte présentée par l’auteur au titre de la procédure de contrôle a également été rejetée le 14 mars 2014.

4.4L’État partie nie que les droits de l’auteur à la liberté de réunion pacifique ou à la liberté d’expression ont été violés. Il affirme que la législation kazakhe reflète pleinement les dispositions des articles 19 et 21 du Pacte. Le droit de réunion pacifique, tel que garanti par l’article 32 de la Constitution, ne peut être restreint qu’en vertu de la loi, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public ou pour protéger la santé publique ou les droits et libertés d’autrui. Dans le même temps, la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques apporte certaines restrictions à ce droit. L’article 2 de cette loi dispose que des rassemblements pacifiques ne peuvent être tenus que sur autorisation préalable des municipalités locales, tandis que l’article 9 prévoit l’engagement de la responsabilité en cas de non-respect de la procédure relative à l’organisation et à la tenue d’une manifestation. En ce qui concerne l’auteur, les tribunaux ont établi qu’il n’avait obtenu aucune autorisation en vue de la manifestation du 9 septembre 2013. L’État partie ajoute que la déclaration de M. S. confirme également le fait que le transport et la distribution des tracts avaient pour but d’organiser le rassemblement, et que ces actes tombaient donc bien sous le coup de l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives.

4.5Pour ce qui est de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, l’État partie renvoie aux dispositions du Code des infractions administratives. Il fait valoir que cette affaire n’emporte pas l’obligation d’être assisté d’un avocat et que l’auteur n’a pas demandé à bénéficier d’une telle assistance. En outre, pendant le procès, l’auteur a refusé par écrit l’assistance d’un avocat.

4.6L’État partie rejette l’affirmation de l’auteur selon laquelle il été victime de mauvais traitements au cours de la procédure administrative. Il note que l’auteur n’a jamais porté plainte auprès des autorités compétentes à ce sujet, et qu’il n’a pas soulevé ce grief pendant le procès. L’État partie ajoute que l’auteur a avoué être coupable d’avoir commis une infraction administrative, mais qu’il contestait la qualification exacte des faits et le bien-fondé de sa détention subséquente.

4.7Quant à l’argument selon lequel la détention administrative a duré un jour de plus qu’elle ne l’aurait dû selon la loi, l’État partie indique que ce grief a été soulevé et apprécié au cours de la procédure judiciaire et qu’il a ensuite été écarté. Le 5 septembre 2014, l’auteur n’était pas en détention administrative juridiquement parlant, mais faisait l’objet d’un certain nombre de procédures d’enquête suite à la plainte reçue de M. S.

4.8L’État partie fait observer que le Pacte prévoit la possibilité d’apporter certaines restrictions au droit de réunion pacifique. Dans de nombreux pays démocratiques, la liberté de réunion pacifique est restreinte par des lois spéciales qui prévoient les conditions dans lesquelles des rassemblements pacifiques peuvent avoir lieu, et dans de nombreux pays ces lois sont beaucoup plus strictes que les lois kazakhes. En France, par exemple, les autorités peuvent disperser un rassemblement après deux sommations et, si la manifestation se poursuit, les organisateurs encourent une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois. Pour organiser une manifestation à New York, aux États-Unis d’Amérique, il faut déposer une demande quarante‑cinq jours à l’avance, en indiquant le parcours exact que suivra le cortège et, si une telle demande n’a pas été déposée, les participants à la manifestation peuvent être arrêtés. Au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les manifestations et rassemblements sur la voie publique ne peuvent avoir lieu qu’avec l’autorisation officielle de la police. En Allemagne, toute manifestation doit recevoir l’aval des autorités. Par conséquent, l’État partie affirme que sa réglementation relative aux manifestations publiques est conforme aux normes du droit international, au Pacte et à la pratique d’autres pays démocratiques.

4.9L’État partie souligne que l’auteur a fait l’objet d’une détention administrative non pas en raison de ses opinions, mais pour avoir enfreint la procédure régissant l’organisation de rassemblements pacifiques établie par la loi.

4.10L’État partie conclut que les griefs que l’auteur tire des articles 14, 19 et 21 du Pacte sont dénués de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des notes en date du 31 janvier et du 16 octobre 2015, l’auteur a formulé des commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que l’État partie a restreint ses droits à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, mais qu’il n’a pas démontré que la restriction apportée était justifiée et nécessaire. L’État partie n’a pas été en mesure d’expliquer si la restriction apportée à la tenue d’un rassemblement pacifique était nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de la sûreté publique ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’auteur et les organisateurs avaient l’intention d’organiser une rencontre entre un certain nombre de sans-abri et les autorités d’Almaty. Cette intention était également largement diffusée sur les réseaux sociaux. L’organisateur avait produit des tracts à l’intention de ceux qui n’avaient pas accès à Internet et avait demandé à l’auteur de les livrer à un certain endroit en utilisant son véhicule.

5.2L’auteur affirme une nouvelle fois que les autorités n’ont pas expliqué pourquoi il était nécessaire de restreindre ses libertés en lui imposant une détention administrative de quinze jours, mesure disproportionnée dans une société démocratique, puisque sa seule intention était d’aider les organisateurs à préparer un rassemblement pacifique. Il affirme également à nouveau que son droit à un procès équitable a été violé et que les tribunaux n’ont pas conclu que sa détention avait duré un jour de plus qu’elle ne l’aurait dû selon la loi, qu’il avait été maltraité et que, bien qu’il en ait fait la demande, il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lorsqu’il avait été arrêté.

5.3L’auteur renvoie au rapport du Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association sur la visite qu’il a effectuée au Kazakhstan en janvier 2015, dans lequel il critique la conception restrictive qu’a le pays de la liberté de réunion. Il fait également référence aux Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique élaborées en 2007 par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et rappelle l’engagement de l’État partie à suivre ces lignes directrices. L’auteur soutient que, si l’article 10 de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques permet aux autorités locales de régler la procédure applicable aux rassemblements pacifiques, il ne leur confère pas le pouvoir de fixer de manière permanente les lieux où ces rassemblements doivent se tenir, et en particulier de cantonner ces rassemblements en un seul lieu. À cet égard, il ajoute que toute restriction apportée à la liberté de réunion devrait être proportionnée, ne devrait pas être imposée de manière automatique et devrait être réexaminée en fonction de chaque manifestation précise, en tenant compte des circonstances dans lesquelles elle s’inscrit.

5.4En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé les recours internes, l’auteur fait valoir que la soumission au Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile. Il fait observer qu’il a soumis de telles demandes au Bureau du Procureur d’Almaty et au Bureau du Procureur général, et qu’elles ont toutes deux été rejetées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité constate que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’a pas saisi le Procureur général d’une demande de réexamen des décisions des tribunaux au titre de la procédure de contrôle. Le Comité note que, le 23 octobre 2013, l’auteur a adressé au Bureau du Procureur général une demande de réexamen de son affaire au titre de la procédure de contrôle. Toutefois, le 14 mars 2014, cette demande a été rejetée par le Procureur général adjoint. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée ne constitue pas un recours à épuiser aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

6.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte ont été violés parce que les juridictions internes n’ont pas tenu compte des griefs qu’il a formulés au titre des articles 19 et 21 du Pacte. Toutefois, en l’absence de toute autre information pertinente à cet égard dans le dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5L’auteur affirme en outre que les droits qu’il tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’il n’a pas eu accès à un avocat lorsqu’il a été arrêté le 5 septembre 2013, et que son droit à la défense a été violé.

6.6À cet égard, le Comité constate que c’est une infraction administrative qui était reprochée à l’auteur ; or le paragraphe 3 d) de l’article 14 définit les garanties applicables aux procédures visant à décider du bien-fondé d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé. Il rappelle toutefois que bien qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne, la notion d’« accusation en matière pénale » doit être comprise au sens du Pacte. Au paragraphe 15 de son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, le Comité a indiqué que cette notion pouvait également être étendue à des sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. En l’espèce, l’auteur a été arrêté, traduit en justice, déclaré coupable et puni d’une peine de détention administrative de quinze jours pour diffusion d’invitations à une manifestation publique. Le Comité note également que l’auteur a été soumis à une journée supplémentaire de privation de liberté à des fins d’enquête. Au vu de ces circonstances, le Comité conclut que le grief de l’auteur relève de la protection garantie par le paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

6.7Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle sa détention a duré un jour de plus que ce que la loi prévoit. Il prend également note de l’observation de l’État partie selon laquelle ce grief a été soulevé et apprécié au cours de la procédure judiciaire et qu’il a ensuite été écarté. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas donné, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. Le Comité constate en outre que l’auteur n’a donné aucune précision pour établir que sa détention pendant une journée supplémentaire était de toute évidence arbitraire ou constituait manifestement une erreur. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication n’est pas étayée et qu’elle est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle cette affaire n’emporte pas l’obligation d’être assisté d’un avocat et que l’auteur n’a pas demandé à être assisté d’un avocat et a refusé par écrit une telle assistance pendant la procédure judiciaire. Le Comité constate à cet égard que l’auteur n’a pas fourni de précisions ou de documents pour étayer son affirmation selon laquelle il s’est vu refuser les services d’un avocat dans le cadre de la procédure engagée contre lui, et il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteur selon laquelle dans le cadre de la procédure administrative engagée contre lui au motif qu’il distribuait des tracts aux fins de l’organisation d’un rassemblement pacifique concernant les sans-abri, il a été contraint de s’avouer coupable, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte. Le Comité tient compte de l’observation de l’État partie selon laquelle l’auteur s’est avoué coupable et constate que l’auteur n’a fourni aucune information ou explication pour étayer son affirmation. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication n’est pas étayée et qu’elle est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs qu’il tire des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il les déclare donc recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel le droit de répandre des informations, énoncé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, a été violé car le 5 septembre 2013, il a été arrêté, puis jugé et sanctionné pour avoir distribué des invitations à un rassemblement public de sans-abri, qui devait avoir lieu le 9 septembre 2013. Le Comité doit donc déterminer si les restrictions imposées à l’auteur étaient autorisées car elles correspondaient à l’une des restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

7.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dont il ressort que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Ces libertés sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Toutes les restrictions à l’exercice de la liberté d’expression doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité, doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la législation nationale est pleinement conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte et vise à réglementer, et non à restreindre, la liberté d’expression. Il constate toutefois que l’État partie n’a fourni aucune explication pour justifier cette restriction et pour montrer comment il a déterminé si, à la lumière du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte, les actes de l’auteur mettaient en danger les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale ou l’ordre public ou la santé ou la moralité publiques. En l’absence d’une telle explication, le Comité estime que condamner l’auteur à une peine de privation de liberté de quinze jours pour avoir distribué des invitations à une manifestation publique pacifique, quoique non autorisée, n’était ni nécessaire ni proportionné compte tenu des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut par conséquent que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

7.5L’auteur se dit aussi victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique est un droit de l’homme fondamental, qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser un rassemblement pacifique dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont en règle générale le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public cible et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions a) imposées conformément à la loi, et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’elles imposent des restrictions au droit de réunion pacifique des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les autorités de l’État partie doivent s’efforcer de faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier toute restriction du droit protégé par l’article 21 du Pacte et de démontrer qu’elle ne constitue pas un obstacle disproportionné à l’exercice de ce droit.

7.6Le Comité souligne que les régimes d’autorisation, dans le cadre desquels ceux qui souhaitent se réunir doivent demander aux autorités la permission de le faire (ou la délivrance d’un permis) mettent à mal le principe selon lequel le droit de réunion pacifique est un droit fondamental. Lorsqu’elle persiste, cette règle doit fonctionner dans la pratique comme un système de notification dans le cadre duquel les autorisations sont accordées automatiquement en l’absence de motifs justifiant qu’il en aille autrement. Ces systèmes devraient aussi ne pas être excessivement bureaucratiques. Les régimes de notification, quant à eux, ne doivent pas fonctionner dans la pratique comme des systèmes d’autorisation.

7.7Le Comité constate que l’État partie s’appuie uniquement sur les dispositions de la loi relative aux manifestations publiques, qui impose l’obligation d’obtenir une autorisation des autorités locales pour tenir un rassemblement pacifique, restreignant de ce fait le droit de réunion pacifique. L’État partie n’a pas cherché à démontrer que le fait d’arrêter l’auteur, de le juger et de lui imposer une peine privative de liberté à raison de l’organisation d’un rassemblement pacifique était nécessaire et proportionné dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui, et proportionné à ces intérêts, ainsi que l’exige l’article 21 du Pacte. Au vu de ces circonstances, et en l’absence de toute autre information ou explication pertinente, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits garantis à l’auteur par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, dont le remboursement des frais de justice engagés. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité réaffirme que l’État partie devrait réviser sa législation de façon à garantir sur son territoire la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte, notamment du droit d’organiser et de tenir des rassemblements, réunions, défilés, piquets et manifestations pacifiques (et spontanés).

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.