Nations Unies

CCPR/C/128/D/2819/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 septembre 2020

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2819/2016* , **

Communication présentée par :

Aïcha Habouchi [représentée par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie]

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et Abdelhakim Houari (fils de l’auteure)

État partie :

Algérie

Date de la communication :

7 avril 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 janvier 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 mars 2020

Objet :

Disparition forcée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine ; accès à la justice ; reconnaissance de la personnalité juridique

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 6, 7, 9, 10, 14 et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.1L’auteure de la communication est Aïcha Habouchi, de nationalité algérienne. Elle fait valoir que son fils, Abdelhakim Houari, né le 19 mai 1974, également de nationalité algérienne, est victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte. L’auteure soutient par ailleurs être victime d’une violation de ses droits en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et de l’article 14 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. L’auteure est représentée par un conseil, Nassera Dutour, du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie.

1.2Le 18 septembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond de la communication.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 13 novembre 1995, vers 11 h 30, alors qu’Abdelhakim Houari se promenait en compagnie d’un ami près de son quartier (Hai El Badr, à Oran), un fourgon bleu s’est arrêté à leur niveau avec à bord deux policiers habillés en civil. L’un des deux policiers a sauté sur Abdelhakim Houari et l’a embarqué de force dans le fourgon. La scène s’est passée si rapidement que son ami n’a pas pu intervenir. Les clients de la boulangerie située en face de la scène ont eux aussi assisté impuissants à l’arrestation d’Abdelhakim Houari et ont immédiatement rapporté les faits à la mère du jeune homme. Depuis ce jour, il n’a jamais été revu.

2.2Avant cet épisode, le quartier Hai El Badr d’Oran était très calme. Aucune action de type terroriste ni même de perquisition ou d’arrestation n’y avaient été menées. Cette arrestation a surpris tout le monde, car Abdelhakim Houari était un garçon très tranquille qui n’appartenait à aucun mouvement politique, fréquentait la mosquée du quartier et participait aux activités d’une association caritative.

2.3Aussitôt prévenue de la disparition de son fils, le 13 novembre 1995, l’auteure a écrit au Procureur général de la cour d’Oran et s’est précipitée à la gendarmerie de Cité Petit, puis à celle de Hai El Badr et à la caserne militaire de Dar El Beïda, à Oran. Chaque fois, ses interlocuteurs − des gendarmes et des militaires − ont nié être impliqués dans la détention de son fils et le détenir dans leurs locaux. Vingt jours plus tard, soit le 2 décembre 1995, trois jeunes hommes qui faisaient partie de la même association caritative qu’Abdelhakim Houari ont été arrêtés par les forces de sécurité et emprisonnés à la caserne militaire de Dar El Beïda. L’un d’entre eux a été relâché au bout de six mois, et les deux autres ont été libérés à l’issue de leur procès, le 28 mai 1997, dans le cadre duquel ils étaient accusés de participer à des activités illégales du simple fait que l’association n’était pas reconnue légalement. Tous ont témoigné auprès de l’auteure avoir vu Abdelhakim Houari à maintes reprises à la caserne militaire de Dar El Beïda. D’après leurs dires, son état psychologique était au plus bas et il y serait resté au moins sept mois.

2.4L’auteure a fait tout son possible pour retrouver son fils en se rendant régulièrement à la caserne militaire de Dar El Beïda, jusqu’à ce qu’un jour, des militaires lui ordonnent de ne plus y remettre les pieds, la menaçant elle et sa famille de représailles.En raison du climat de terreur ambiant dans le pays dans les années 1990, elle a attendu près de deux ans avant de déposer plainte auprès des autorités judiciaires. En effet, selon des rumeurs persistantes, si les familles faisaient trop de bruit autour de la disparition d’un proche, la personne disparue serait exécutée et les autorités feraient endosser ce meurtre aux terroristes.

2.5Le 20 septembre 1997, l’auteure a écrit au Procureur de la République du tribunal d’Oran pour lui demander d’ouvrir une enquête sur le sort de son fils, et pour lui soumettre les informations confirmant les dires des jeunes hommes qui avaient été arrêtés et détenus à la caserne militaire de Dar El Beïda avec son fils. Sa lettre est restée sans suite. Le 19 août 1998, avec un groupe de mères de disparus, l’auteure a fait appel à un avocat pour qu’il porte plainte en leur nom auprès du tribunal d’Oran. La plainte est restée sans suite. Le 31 mai 2000, elle s’est de nouveau adressée au Procureur de la République du tribunal d’Oran pour lui demander d’enquêter sur la disparition de son fils et pour se plaindre de n’avoir reçu aucune réponse de sa part jusqu’alors. Elle n’a toujours reçu aucune réponse à ce jour.

2.6Le 13 juillet 2008, l’auteure a reçu de la part de la police judiciaire d’Oran un acte de décès concernant Abdelhakim Houari, dans lequel il est mentionné qu’après enquête, il ressort que celui-ci aurait rejoint le camp des groupes armés le 24 novembre 1995 et qu’il serait depuis décédé dans le maquis. L’auteure s’est refusée à croire en la véracité des éléments mentionnés dans ce document, d’autant plus qu’un ami de son fils ainsi que des clients de la boulangerie avaient été témoins des faits, au moment où son fils avait été embarqué dans le fourgon bleu. De plus, les trois jeunes qui avaient été détenus plus tard dans la caserne militaire de Dar El Beïda avaient confirmé l’y avoir vu pendant plusieurs mois. L’auteure s’est donc rendue au tribunal d’Oran, où elle a demandé à être entendue par les services du Procureur de la République. Personne n’a pris la peine de la recevoir, et un magistrat présent lui a vivement déconseillé de poursuivre ses démarches. Le 17 juillet 2010, elle a envoyé un nouveau courrier au Procureur de la République du tribunal d’Oran. Le 14 septembre 2010, l’auteure a écrit au Procureur général de la cour d’Oran pour contester la version du décès de son fils. Elle a exigé que l’acte de décès mentionne le fait qu’il était porté disparu après son arrestation par deux policiers, le 13 novembre 1995.

2.7Le 4 avril 2011, l’auteure a été convoquée par le Procureur de la République du tribunal d’Oran. Durant l’audience, le Procureur lui a fermement conseillé de signer l’acte de décès pour que le processus d’aide de l’État aux familles démunies éprouvées par l’implication d’un de leurs proches dans le terrorisme, en application dudécret présidentiel no06-94 du 28février 2006, puisse être enclenché. Elle a refusé et réitéré sa demande de modification de la version des faits dans l’acte de décès de son fils. Le 30 novembre 2011, l’auteure a confirmé par écrit au Procureur de la République du tribunal d’Oran sa contestation de la version officielle de la mort de son fils.

2.8Le 30 novembre 2014, l’auteure a de nouveau été convoquée par le Procureur de la République du tribunal d’Oran. Au cours de l’audience, le Procureur lui a annoncé que la version de la mort de son fils dans le maquis résultait d’une erreur de transcription de l’administration judiciaire. L’auteure a alors demandé le changement de mention et l’ouverture d’une enquête. Ses demandes sont restées sans effet.

2.9Parallèlement à ses sollicitations devant les autorités judiciaires, l’auteure a également sollicité diverses instances non juridictionnelles. Elle a écrit au Ministre de la justice, au délégué du Médiateur de la République, au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, au Ministre de l’emploi et de la cohésion sociale, à la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, à la Secrétaire générale du Parti des travailleurs, au commandant de la 2e région militaire d’Oran, au Ministre de la défense et à l’association SOS Disparus. Aucune de ces démarches n’a abouti. Le 21 mai 2007, l’auteure a soumis le cas de son fils au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires.

2.10Enfin, en avril 2015, l’auteure a été convoquée à la gendarmerie de Cité Djamel, à Oran. Alors qu’elle pensait être convoquée pour être entendue par les gendarmes qui allaient diligenter une enquête, cette convocation avait pour seul objectif de l’intimider afin de la dissuader de poursuivre ses démarches. En effet, les gendarmes lui ont clairement demandé de renoncer à toute recherche et d’accepter le processus d’aide de l’État pour familles démunies. L’auteure a maintenu sa version de la disparition de son fils et a demandé, s’il était décédé en prison, qu’on lui restitue sa dépouille.

2.11Malgré tous les efforts de l’auteure, aucune enquête n’a été ouverte. L’auteure souligne qu’il lui est aujourd’hui impossible légalement de recourir à une instance judiciaire, après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Les recours internes, qui étaient d’ailleurs inutiles et inefficaces, ne sont de ce fait plus disponibles. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale stipule que « les actes répréhensibles d’agents de l’État, qui ont été sanctionnés par la justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie ».

2.12Selon l’auteure, l’ordonnance no 06-01 interdit sous peine de poursuites pénales le recours à la justice, ce qui dispense les victimes de la nécessité d’épuiser les voies de recours internes. Cette ordonnance interdit en effet toute plainte pour disparition ou autre crime, son article 45 disposant qu’« [a]ucune poursuite ne peut être engagée, à titre individuel ou collectif, à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la Nation et de la préservation des institutions de la République algérienne démocratique et populaire ». En vertu de cette disposition, toute dénonciation ou plainte doit être déclarée irrecevable par l’autorité judiciaire compétente. De plus, l’article 46 de la même ordonnance prévoit ce qui suit : « Est puni d’un emprisonnement de trois (3) ans à cinq (5) ans et d’une amende de 250 000 à 500 000 [dinars algériens], quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international. Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public. En cas de récidive, la peine prévue au présent article est portée au double. ».

Teneur de la plainte

3.1L’auteure allègue que son fils est victime d’une disparition due aux agissements d’agents de police, et donc imputable à l’État partie, conformément à la définition des disparitions forcées en vertu de l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. L’auteure affirme qu’en dépit du fait qu’aucune disposition du Pacte ne fait expressément mention des disparitions forcées, la pratique implique des violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne. En l’espèce, l’auteure invoque des violations par l’État partie des paragraphes 2 et 3 de l’article 2, ainsi que des articles 6, 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.

3.2L’auteure estime que l’ordonnance no 06-01 constitue un manquement à l’obligation générale de l’État partie consacrée au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, en ce sens que ladite disposition implique également une obligation négative pour les États parties de ne pas adopter de mesures contraires au Pacte. En adoptant ladite ordonnance, en particulier son article 45, l’État partie aurait donc pris une mesure d’ordre législatif privant d’effet les droits reconnus dans le Pacte, particulièrement le droit d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Depuis la promulgation de cette ordonnance, l’auteure a été empêchée d’ester en justice. Elle estime que le manquement à l’obligation fixée par le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, par action ou par omission, peut engager la responsabilité internationale de l’État partie. Elle affirme qu’en dépit de toutes ses démarches après l’entrée en vigueur de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et de ses textes d’application, ses plaintes sont demeurées sans suite. Elle estime en conséquence être victime de cette disposition législative contraire au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte.

3.3L’auteure ajoute que les dispositions de l’ordonnance no 06-01 sont contraires au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car elles ont pour effet d’empêcher toute poursuite pénale à l’encontre des auteurs présumés de disparitions forcées, lorsque ces personnes sont des agents de l’État. Cette ordonnance amnistie de fait les crimes commis durant la décennie passée, y compris les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Elle interdit aussi, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur le sort des victimes. Les autorités algériennes, y compris judiciaires, refusent de toute évidence d’établir la responsabilité des services de sécurité, y compris des agents qui seraient coupables de la disparition forcée d’Abdelhakim Houari. Ce refus fait obstacle à l’efficacité des recours exercés par sa famille.

3.4L’auteure rappelle les évolutions jurisprudentielles du Comité quant aux disparitions forcées et estime que le seul risque ou danger pour une personne de perdre la vie dans le contexte d’une disparition forcée est un motif suffisant pour conclure à une violation directe de l’article 6 du Pacte. Elle rappelle les faits entourant la disparition de son fils et estime que les chances de le retrouver s’amenuisent de jour en jour, pensant en effet que soit son fils a perdu la vie, soit il est maintenu en détention au secret, ce qui constitue un risque très élevé pour sa vie du fait qu’il se trouve à la merci de ses geôliers, dans une situation échappant à tout contrôle. L’auteure estime en conséquence que l’État partie a failli à son obligation de protéger le droit à la vie d’Abdelhakim Houari et de prendre des mesures pour enquêter sur ce qui lui était arrivé, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

3.5Rappelant les circonstances entourant la disparition de son fils, à savoir l’absence totale d’informations sur sa détention ou son incarcération éventuelles et son état de santé, ainsi que l’absence de communication avec sa famille et le monde extérieur, l’auteure affirme qu’Abdelhakim Houari a été soumis à une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. En outre, se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteure souligne que l’angoisse, l’incertitude et la détresse provoquées par la disparition d’Abdelhakim Houari constituent une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant pour sa famille. En conséquence, l’auteure allègue que l’État partie est responsable d’une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard d’Abdelhakim Houari, et d’une violation de l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte à l’égard de sa famille.

3.6Rappelant la garantie du droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne énoncée à l’article 9 du Pacte, qui interdit par ailleurs les arrestations et détentions arbitraires, l’auteure estime que l’arrestation et la détention d’Abdelhakim Houari constituent une privation arbitraire de sa liberté et de sa sécurité. Elle estime en conséquence que son fils a été privé des garanties énoncées à l’article 9 du Pacte, impliquant une violation dudit article à son égard.

3.7Rappelant les dispositions de l’article 10 du Pacte, l’auteure affirme également qu’en l’absence d’enquête de la part des autorités algériennes, Abdelhakim Houari a été privé de liberté et n’a pas été traité avec humanité et dignité, ce qui constitue une violation de l’article 10 du Pacte à son égard.

3.8Rappelant les dispositions de l’article 14 du Pacte ainsi que le paragraphe 9 de l’observation générale no 32 (2007) du Comité sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, l’auteure affirme que toutes les démarches engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. La police lui a communiqué un acte de décès dans lequel il est indiqué que son fils est décédé dans le maquis, dans les rangs des terroristes, alors même qu’elle avait rassemblé tous les témoignages prouvant qu’il avait été arrêté par des policiers le 13 novembre 1995. En outre, le Procureur de la République du tribunal d’Oran a convoqué l’auteure pour lui enjoindre de signer l’acte de décès, alors même qu’il a reconnu que celui-ci résultait d’une erreur de transcription de la part de l’administration judiciaire, et n’a ordonné aucune nouvelle enquête ou nouvelle procédure par suite d’une erreur aussi manifeste. L’État partie a donc violé l’article 14 du Pacte à l’égard de l’auteure.

3.9L’auteure rappelle ensuite les dispositions de l’article 16 du Pacte et la jurisprudence constante du Comité selon laquelle l’enlèvement intentionnel d’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité juridique, si la victime est entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition, et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours utiles, y compris devant les cours de justice, sont systématiquement empêchés. Elle renvoie à cet effet aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de l’Algérie au titre de l’article 40 du Pacte, dans lesquelles le Comité a établi que les personnes disparues toujours en vie et détenues au secret voient leur droit à la reconnaissance de leur personnalité juridique, tel que consacré par l’article 16 du Pacte, violé. Elle soutient en conséquence qu’en maintenant la détention d’Abdelhakim Houari sans le reconnaître, les autorités algériennes ont soustrait ce dernier à la protection de la loi et l’ont privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

3.10L’auteure demande au Comité de constater que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que les articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte à l’égard d’Abdelhakim Houari, de même que les paragraphes 2 et 3 de l’article 2, l’article 7 lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et l’article 14 du Pacte à l’égard de l’auteure et de sa famille. De plus, elle lui demande de prier instamment l’État partie de respecter ses engagements internationaux, de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte ainsi qu’aux droits reconnus dans l’ensemble des conventions internationales de protection des droits de l’homme ratifiées par l’Algérie, et de prendre des mesures appropriées afin que de telles violations ne se reproduisent plus à l’avenir. L’auteure demande également au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes et impartiales en vue : a) de retrouver Abdelhakim Houari et de respecter son engagement aux termes du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; b) de déférer les auteurs de cette disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour qu’ils fassent l’objet de poursuites conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte ; et c) d’offrir à Abdelhakim Houari, s’il est encore en vie, ainsi qu’à sa famille une réparation adéquate, effective et rapide du préjudice subi, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 et à l’article 9 du Pacte, incluant une indemnisation appropriée et proportionnée à la gravité de la violation et une réadaptation pleine et entière. Elle demande enfin au Comité d’enjoindre aux autorités algériennes d’abroger les articles 27 à 39, 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, ainsi que l’article 2 du décret présidentiel no 06-94.

Observations de l’État partie

4.Le 3 avril 2017, sans en joindre une copie, l’État partie a invité le Comité à se référer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, et a demandé, d’une part, que la recevabilité de la requête soit examinée séparément du fond et, d’autre part, que la requête soit déclarée irrecevable. Le Comité ayant refusé cette demande d’examen séparé, l’État partie a, le 4 octobre 2018, invité à nouveau le Comité à se référer audit mémorandum de référence et, par conséquent, à ne pas se pencher sur le fond.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 mars 2018, l’auteure a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité. Elle souligne que lesdites observations sont inadaptées, car elles s’adressent à un autre organe de promotion et de protection des droits de l’homme − le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires −, et obsolètes, car elles datent de juillet 2009. En outre, elles ne font nullement mention de la recevabilité de la communication, des spécificités de l’affaire ou des recours introduits par la famille de la victime, démontrant le manque de sérieux et le mépris des autorités algériennes pour cette procédure.

5.2Rappelant qu’aucun recours n’a abouti à l’ouverture d’une enquête diligente ou à des poursuites pénales, et que les autorités algériennes n’ont apporté aucun élément tangible laissant penser que des recherches effectives avaient été engagées pour retrouver Abdelhakim Houari et identifier les responsables de sa disparition, l’auteure conclut que les voies de recours internes ont été épuisées et que la requête doit être considérée comme recevable par le Comité.

5.3En se référant à la jurisprudence du Comité selon laquelle la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ne peut être opposée aux individus soumettant une communication individuelle, l’auteure rappelle que les dispositions de la Charte ne représentent en rien une prise en charge adéquate du dossier des disparus, qui supposerait le respect du droit à la vérité, à la justice et à la réparation pleine et entière.

Défaut de coopération de l’État partie

6.Le Comité rappelle que les 3 avril 2017 et 4 octobre 2018, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en faisant référence au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale de 2009. Le 6 janvier 2017 ainsi que les 18 septembre et 12 décembre 2018, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette le refus de l’État partie de communiquer toute information à cet égard. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que la disparition a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme dont les mandats consistent, d’une part, à examiner la situation des droits de l’homme dans un pays ou un territoire, ou des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, et, d’autre part, à faire rapport publiquement à ce sujet, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas d’Abdelhakim Houari par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

7.3Le Comité prend note des allégations de l’auteure, qui estime avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles. Il note que pour contester la recevabilité de la communication, l’État partie se contente de renvoyer au Mémorandum de référence du Gouvernement algérien sur le traitement de la question des disparitions à la lumière de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, de 2009. À cet égard, le Comité rappelle qu’en 2018, il avait exprimé ses préoccupations de ce qu’en dépit de ses demandes répétées, l’État partie continuait de faire systématiquement référence au document général type, dit « aide-mémoire », sans répondre spécifiquement aux allégations soumises par les auteurs de communications. En conséquence, le Comité invitait de manière urgente l’État partie à coopérer de bonne foi avec le Comité dans le cadre de la procédure de communications individuelles en cessant de se référer à l’« aide-mémoire » et en répondant de manière individuelle et spécifique aux allégations des auteurs de communications.

7.4Ensuite, le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. La famille d’Abdelhakim Houari a, à de nombreuses reprises, alerté les autorités compétentes sur la disparition forcée de la victime, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur cette allégation grave et a même voulu prétendre, contre toute évidence, qu’il serait décédé dans le maquis. En outre, l’État partie n’a apporté aucun élément d’explication spécifique dans ses observations en réponse au cas d’Abdelhakim Houari qui pourrait permettre de conclure qu’un recours efficace et disponible est à ce jour ouvert. S’ajoute à cela le fait que l’ordonnance no 06-01 continue d’être appliquée, en dépit du fait que le Comité a recommandé qu’elle soit mise en conformité avec le Pacte. Dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’État partie, le Comité déplorait en particulier l’absence de recours efficace pour les personnes disparues et/ou leurs familles et l’absence de mesures prises en vue de faire la lumière sur les personnes disparues, de les localiser et, en cas de décès, de restituer leurs dépouilles aux familles. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité note que l’auteure a soulevé des violations distinctes des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte à son égard. Rappelant sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif du fait qu’elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles substantiels du Pacte, le Comité considère que les griefs de l’auteure au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 du Pacte, invoqués de manière séparée, sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité estime, en revanche, que l’auteure a suffisamment étayé ses autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède à l’examen quant au fond des griefs formulés au titre du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9, 10, 14 et 16 du Pacte.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité note que l’État partie s’est contenté de faire référence à ses observations collectives et générales qui avaient été transmises antérieurement au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et au Comité en lien avec de précédentes communications, afin de confirmer sa position selon laquelle de telles affaires ont déjà été réglées dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de ladite Charte à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. Le Pacte exige de l’État partie qu’il se soucie du sort de chaque personne et qu’il traite chaque personne avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. En l’absence des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 contribue, dans le cas présent, à l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

8.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteure sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la règle relative à la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément au paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteure, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

8.4Le Comité rappelle que, si l’expression « disparition forcée » n’apparaît expressément dans aucun article du Pacte, la disparition forcée constitue un ensemble unique et intégré d’actes représentant une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument, tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et le droit à la liberté et à la sécurité de la personne.

8.5Le Comité note qu’Abdelhakim Houari a été vu pour la dernière fois à une date non précisée entre juin 1996 et mai 1997, par trois de ses amis, lorsqu’il était en détention à la caserne militaire de Dar El Beïda. Il prend note du fait que l’État partie n’a fourni aucun élément permettant de déterminer ce qu’il est advenu d’Abdelhakim Houari et n’a même jamais confirmé sa détention. Le Comité rappelle que, dans le cas des disparitions forcées, le fait de priver une personne de liberté, puis de refuser de reconnaître cette privation de liberté ou de dissimuler le sort réservé à la personne disparue revient à soustraire cette personne à la protection de la loi et fait peser sur sa vie un risque grave et constant, dont l’État est responsable. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément susceptible de démontrer qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie d’Abdelhakim Houari. En conséquence, il conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie d’Abdelhakim Houari, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte à son égard.

8.6Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce qu’après avoir eu des nouvelles de la part de trois amis de son fils qui l’ont vu à la caserne militaire de Dar El Beïda, l’auteure n’a plus jamais eu la moindre information sur son sort ou lieu de détention, malgré diverses tentatives de visites à ce lieu de détention et malgré plusieurs requêtes successives présentées aux autorités étatiques. Le Comité estime donc qu’Abdelhakim Houari, disparu le 13 novembre 1995, serait potentiellement toujours détenu au secret par les autorités algériennes. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard d’Abdelhakim Houari.

8.7Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

8.8Le Comité prend acte également de l’angoisse et de la détresse que la disparition d’Abdelhakim Houari, depuis plus de vingt-quatre ans, a causées à l’auteure et à sa famille. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte à l’égard de l’auteure.

8.9En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles Abdelhakim Houari a été arrêté arbitrairement, sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. L’État partie n’ayant communiqué aucune information à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteure et conclut donc à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard d’Abdelhakim Houari.

8.10L’auteure invoque également l’article 14 du Pacte pour dénoncer le manque d’accès aux autorités judiciaires de l’État partie. Le Comité rappelle son observation générale no 32, dans laquelle il indique notamment qu’une situation dans laquelle les tentatives d’une personne pour saisir les tribunaux ou les cours de justice compétents sont systématiquement entravées va de jure ou de facto à l’encontre de la garantie énoncée dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En l’espèce, le Comité note que toutes les démarches de l’auteure engagées auprès des autorités judiciaires sont demeurées infructueuses. Il renvoie à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Algérie, dans lesquelles il exprimait ses préoccupations quant aux articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01, qui portent atteinte au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre des violations des droits de l’homme. Ce droit inclut également le droit d’accès à un tribunal, comme prévu au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation d’assurer à l’auteure l’accès à un tribunal, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

8.11Le Comité est d’avis que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si les efforts déployés par les proches de la victime pour exercer leur droit à un recours effectif ont été systématiquement entravés. Dans le cas présent, le Comité note que l’État partie n’a fourni aucune explication sur le sort d’Abdelhakim Houari, ni sur le lieu où il se trouverait, en dépit des démarches de ses proches et du fait qu’Abdelhakim Houari était entre les mains des autorités de l’État partie lors de sa dernière apparition. Le Comité conclut que la disparition forcée d’Abdelhakim Houari depuis plus de vingt-quatre ans a soustrait celui-ci à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

8.12L’auteure invoque également − en conjonction avec l’article 7 − le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte. Il rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

8.13En l’espèce, l’auteure a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de son fils, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur cette disparition, et aucune information crédible sur le sort du disparu n’a été fournie à l’auteure. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Abdelhakim Houari et l’auteure de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte à l’égard d’Abdelhakim Houari, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteure.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 à l’égard d’Abdelhakim Houari. Il constate en outre une violation par l’État partie de l’article 7 lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 ainsi que de l’article 14 du Pacte à l’égard de l’auteure.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) de mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur la disparition d’Abdelhakim Houari et de fournir à l’auteure des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de libérer immédiatement Abdelhakim Houari s’il est toujours détenu au secret ; c) dans l’éventualité où Abdelhakim Houari serait décédé, de restituer sa dépouille à sa famille dans le respect de la dignité, conformément aux normes et aux traditions culturelles des victimes ; d) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises ; e) de fournir à l’auteure ainsi qu’à Abdelhakim Houari, s’il est en vie, une pleine réparation, y compris une indemnité adéquate ; et f) de fournir des mesures de satisfaction appropriées à l’auteure. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État partie devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours utile pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. Il est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir. À cet effet, le Comité est d’avis que l’État partie devrait revoir sa législation en fonction de l’obligation qui lui est faite au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, et en particulier abroger les dispositions de ladite ordonnance qui sont incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.