Nations Unies

CCPR/C/122/D/2252/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2252/2013 * , **

Communication présentée par :

Annadurdy Khadzhiyev, en son nom propre et au nom de sa sœur, Ogulsapar Muradova (représenté par un conseil, Rupert Skilbeck, de l’Open Society Justice Initiative)

Au nom de :

Annadurdy Khadzhiyev et Ogulsapar Muradova

État partie :

Turkménistan

Date de la communication :

9 avril 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 avril 2018

Objet :

Torture ; décès en détention

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés

Question(s) de fond :

Torture − enquête immédiate et impartiale en cas d’allégations de torture ; droit à la vie ; arrestation ou détention arbitraire ; procès équitable ; présomption d’innocence ; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; assistance d’un défenseur pour assurer l’équité du procès; droit d’appel

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1) et 7, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 2 et 3), 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 b) et d) et 5) et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication est Annadurdy Khadzhiyev, de nationalité turkmène, né en 1957. Il présente sa communication en son nom propre et au nom de sa sœur, Ogulsapar Muradova, elle aussi de nationalité turkmène, née en 1948. Mme Muradova a été arrêtée et est décédée en détention en 2006. L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits que sa sœur et lui-même tenaient du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 2 et 3), 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 b) et d) et 5) et 19. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er août 1997. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a occupé les fonctions de vice-président de la Banque nationale du Turkménistan, mais a démissionné en 1998. En raison d’une répression massive, son épouse et lui-même ont fui le Turkménistan en 2001. Avant leur départ, ils étaient suivis par un agent des services de sécurité et leurs conversations téléphoniques étaient enregistrées. Par la suite, en 2002, le Président de l’époque, Niyazov, a pris un décret interdisant aux fonctionnaires et anciens fonctionnaires de se rendre à l’étranger et a dressé la liste de ceux qui avaient déjà quitté le pays. L’auteur faisait partie des personnes visées. Les autorités ont demandé son extradition, mais il a obtenu le statut de réfugié en Bulgarie en raison du caractère politique des persécutions dont il faisait l’objet.

2.2Après que l’auteur et son épouse eurent quitté le pays, les autorités se sont mises à harceler les membres de leur famille. Elles sont notamment entrées en contact avec Mme Muradova, la sœur de l’auteur, et l’ont menacée pour qu’elle témoigne contre son frère. Elles ont également menacé ses enfants. Mme Muradova était journaliste et militante des droits de l’homme au Turkménistan. Préoccupée par la situation des droits de l’homme dans le pays, elle avait créé avec l’auteur et plusieurs collègues la Turkmenistan Helsinki Foundation. Le but était de veiller au respect des droits de l’homme et des libertés et à la protection de la population du Turkménistan, ainsi que d’aider et de soutenir quiconque souffrait à cause de ses convictions et de ses idées. L’organisation avait son siège à Varna (Bulgarie), ne pouvant opérer au Turkménistan sous le régime répressif du Président Niyazov.

2.3La Fondation est restée très active jusqu’en 2006. Par exemple, l’auteur et Mme Muradova ont établi une liste de plusieurs centaines de dissidents qui avaient été emprisonnés simplement parce qu’ils n’approuvaient pas le régime du Président Niyazov. Mme Muradova consultait également la population sur diverses questions relatives aux droits de l’homme. Elle collaborait activement avec Radio Free Europe/Radio Liberty, considérée comme la seule source d’information indépendante au Turkménistan. Les autorités faisaient régulièrement pression sur elle pour qu’elle quitte son emploi et cesse de publier des commentaires critiques. Mme Muradova a été convoquée plusieurs fois au Ministère de la sécurité nationale, elle était suivie partout par des agents secrets de ce ministère et ses lignes de téléphone fixe et mobile ont été coupées en avril 2006.

2.4Le 18 juin 2006, deux agents de la police municipale d’Achgabat se sont présentés au domicile de Mme Muradova et l’ont priée de les suivre au commissariat. L’un des policiers a dit à la famille de Mme Muradova qu’ils devaient avoir une conversation avec cette dernière au commissariat. Ils n’ont pas présenté de mandat d’arrêt.

2.5Le 18 juin, les filles de Mme Muradova, S. M. et M. M., se sont rendues au Ministère de l’intérieur pour attendre leur mère. Un policier a fini par venir les voir pour leur ordonner d’apporter l’ordinateur, le télécopieur et le téléphone mobile de leur mère. S. M. et M. M. s’y sont refusées en invoquant l’absence de commission rogatoire. Le policier leur a alors présenté une déclaration prétendument signée par Mme Muradova leur enjoignant de remettre les objets demandés. Il a ensuite laissé les deux femmes communiquer, au moyen d’un émetteur-récepteur portatif, avec leur mère, qui leur a dit de faire ce que le policier leur disait. Elle articulait cependant avec difficulté et ses propos étaient décousus et incohérents. On pouvait craindre qu’elle ait été préalablement droguée ou soumise à d’autres violences. Les autorités ont fini par saisir le matériel en question.

2.6Lorsqu’elles ont signalé la détention de leur mère à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, les deux femmes ont été arrêtées le 19 juin 2006. Pendant leur détention, S. M. et M. M. ont toutes deux été menacées de licenciement. On a aussi menacé l’une d’elles de l’arrêter et de l’empêcher de voir son bébé. Les filles de Mme Muradova ont finalement été relâchées le 1er juillet 2006. On ne leur a jamais fourni le moindre document officiel ni la moindre explication au sujet de leur arrestation et elles ont ultérieurement toutes deux été licenciées.

2.7Les autorités ont également arrêté M. Khadzhiyev, frère de Mme Muradova, et M. Amanklyuchev, qui a été arrêté le 16 juin 2006. M. Khadzhiyev a été arrêté immédiatement après Mme Muradova le 18 juin 2006. Le lendemain de l’arrestation de Mme Muradova, le Président Niyazov et d’autres hauts responsables du Gouvernement ont fait une apparition télévisée au cours de laquelle ils ont qualifié Mme Muradova et ses collègues de traîtres méritant d’être condamnés pour les activités qu’ils menaient à la Turkmenistan Helsinki Foundation et l’aide qu’ils apportaient aux journalistes étrangers, qui consistait, selon eux, à rassembler des informations calomnieuses pour semer le mécontentement dans la population.

2.8Mme Muradova a été inculpée d’acquisition, vente, stockage, transport ou port illégaux de munitions, d’armes à feu ou d’explosifs en bande organisée avec préméditation, infraction passible d’une peine de deux à sept ans d’emprisonnement en application de l’article 287 (par. 2) du Code pénal. L’accusation a prétendu que M. Khadzhiyev, alors qu’il se trouvait au domicile de Mme Muradova, avait donné plusieurs cartouches à M. Amanklyuchev pour qu’il les vende. Mme Muradova a toujours clamé son innocence et a refusé de coopérer dans le cadre de l’enquête.

2.9Mme Muradova a été maintenue en détention pratiquement sans aucun contact avec le monde extérieur jusqu’à son procès, le 25 août 2006. Son avocat craignait d’assurer sa défense ; il a donné à ses filles des informations contradictoires sur la question de savoir s’il l’avait ou non vue en détention et a admis que les autorités exerçaient des pressions sur lui. Au cours de ces deux mois, les autorités ont tenté d’amener Mme Muradova à avouer les infractions dont elle était accusée. Sa famille n’a jamais été autorisée à lui rendre visite pendant sa détention. Dans l’un des rares messages qu’elle a réussi à envoyer à sa famille, Mme Muradova a dit qu’elle ne pouvait pas « supporter les mauvais traitements » qu’elle subissait. N’ayant que peu de contacts avec ses proches, elle n’a pas pu en dire plus sur les conditions matérielles de sa détention.

2.10Les membres de la famille de Mme Muradova n’ont pas été informés de la date du procès. Le 25 août 2006, alors qu’ils attendaient près du tribunal, l’avocat de Mme Muradova leur a dit que le procès allait se tenir le jour même. Les autorités ont menacé de poursuivre également les accusés pour crimes d’espionnage et de haute trahison, mais ne les ont finalement jugés que pour des infractions à la législation sur les armes.

2.11Le 25 août 2006, Mme Muradova et ses deux collègues ont été reconnus coupables de détention d’armes à l’issue d’un procès à huis clos qui a duré moins de deux heures. Des agents turkmènes ont interdit l’accès du public, y compris de la famille de Mme Muradova, à la salle d’audience, bloquant la rue qui menait au tribunal pour empêcher quiconque de s’y rendre. Des agents du Ministère de la sécurité nationale étaient postés à proximité du tribunal et filmaient toute personne qui s’approchait du bâtiment. Mme Muradova a été condamnée à une peine de six années d’emprisonnement. Le tribunal n’ayant jamais rendu son jugement par écrit, l’avocat de Mme Muradova n’a pas pu en relever appel.

2.12La famille et l’avocat de Mme Muradova n’ont jamais reçu de copie de l’acte d’accusation. À l’audience, les autorités ont empêché Mme Muradova et ses collègues de présenter leur défense. De surcroît, des soldats ont d’abord empêché l’avocat de Mme Muradova de pénétrer dans le bâtiment mais l’ont finalement laissé entrer. Selon certaines informations, Mme Muradova et ses collègues n’ont pas été autorisés à faire des déclarations complètes à l’audience.

2.13Après le procès, Mme Muradova a été placée dans un centre de détention temporaire du Ministère de l’intérieur. La police n’a pas informé la famille de Mme Muradova de l’endroit où elle se trouvait. L’auteur pense qu’on a placé Mme Muradova dans un centre de détention provisoire pour continuer à la maltraiter.

2.14Le 14 septembre 2006, un voisin, qui était un ancien policier, a informé la famille de Mme Muradova que celle‑ci était décédée en détention. Les employés de la morgue n’ont autorisé la famille à voir le corps qu’après que des membres de l’ambassade des États‑Unis et des représentants de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe leur eurent adressé une demande à cet effet. Compte tenu des lésions décelées sur le corps de Mme Muradova, le décès était vraisemblablement survenu dans des circonstances violentes. Les marques suivantes ont ainsi été constatées : a) profonde plaie verticale et rouge au milieu du front, de 5 cm de long ; b) hématome d’environ 1 cm de large autour du cou évoquant une strangulation ; c) trois plaies ouvertes et rouges sur une main ; d) tuméfaction et abrasion sur une cheville ; et e) large ecchymose sur la partie inférieure d’une cuisse.

2.15Outre ces lésions, le corps de Mme Muradova présentait une incision longue et profonde allant du cou jusqu’à la taille, qui avait été recousue, indiquant qu’une autopsie avait été pratiquée. La station de radio publique allemande, Deutsche Welle, a indiqué que les autorités avaient réalisé une autopsie le 12 septembre 2006. Elle a également indiqué que le corps présentait des traces de strangulation. On aurait en outre constaté à l’autopsie une hémorragie interne au foie et au rein gauche, indiquant que des coups avaient pu être portés à Mme Muradova plusieurs jours avant son décès.

2.16La famille n’a jamais été informée de l’autopsie ni de ses résultats, lesquels n’ont pas non plus été rendus publics. La demande d’autopsie indépendante faite par la famille a été rejetée, et les autorités ont affirmé que Mme Muradova était décédée de causes naturelles. Malgré de nombreux signes de torture et de mauvais traitements, les autorités ont refusé d’ouvrir une enquête. Récemment, elles ont changé de position sur la cause du décès, déclarant au Comité pour la protection des journalistes qu’il s’agissait d’un suicide.

2.17Bien que la communauté internationale ait demandé à plusieurs reprises à l’État partie d’ouvrir une enquête sur les mauvais traitements infligés à Mme Muradova et son décès et d’ordonner des mesures de réparation en faveur de sa famille, cet État n’a fait ni l’un ni l’autre. Il a au contraire harcelé les filles de l’intéressée lorsque celles‑ci ont cherché à appeler l’attention de la communauté internationale sur l’affaire. Dans les dix à quinze jours qui ont suivi le décès de Mme Muradova, ses filles ont appelé l’auteur pour lui dire qu’elles étaient victimes de harcèlement et avaient reçu des menaces en raison de leurs contacts avec la Turkmenistan Helsinki Foundation. Elles ont été conduites au Ministère de la sécurité nationale, où des agents leur ont montré les enregistrements de toutes leurs conversations téléphoniques. Cette information a été relayée par les médias, y compris le fait que leurs téléphones avaient été mis sur écoute.

2.18Dès qu’il a été informé de ces faits par les filles de Mme Muradova, l’auteur en a fait part à des organisations telles que Human Rights Watch et Amnesty International. Il a demandé aux filles de Mme Muradova s’il ne serait pas préférable qu’elles cessent de l’appeler. Elles ont dit qu’elles trouveraient un moyen de faire passer l’information s’il arrivait quelque chose. Elles ont toutes les deux été licenciées et n’ont pas pu retrouver un emploi à cause des pressions exercées par le Ministère de la sécurité nationale. Elles ont subi des pressions pendant environ un an ; elles ont été convoquées au commissariat de police et menacées afin qu’elles cessent de parler du décès de leur mère. Les pressions des autorités se sont quelque peu relâchées lorsque l’auteur a cessé de communiquer ouvertement avec elles.

2.19Après le décès de Mme Muradova, ses coaccusés ont été transférés à la prison d’Akdash. Ils n’ont pas pu recevoir de visite de leur famille, ni même d’appels téléphoniques pendant les deux premières années de leur incarcération. M. Khadzhiyev et M. Amanklyuchev ont été libérés en février 2013 après avoir purgé leur peine, mais pour des raisons de sécurité, l’auteur ne peut pas s’entretenir avec eux.

2.20Les autorités de l’État partie ont fait en sorte que l’auteur ne dispose d’aucun recours interne ou que ces recours n’aient aucune chance d’aboutir. Elles ont menacé les filles de Mme Muradova et exercé des pressions sur elles pour qu’elles ne parlent pas des actes de torture que Mme Muradova avait subis, ni de son décès. L’auteur lui‑même, qui ne réside pas au Turkménistan, n’a pas accès aux tribunaux de ce pays. Même s’il avait pu saisir ceux-ci, porter plainte aurait été risqué non seulement pour lui et sa famille mais aussi pour les enfants de Mme Muradova.

2.21La communication de l’auteur ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité, puisqu’elle a été présentée sans retard excessif. Ne disposant pas de recours internes, l’auteur a cherché à obtenir réparation par d’autres moyens, par exemple en menant sans relâche une campagne dans les médias et auprès des organismes des Nations Unies, des diplomates et des organisations non gouvernementales (ONG). Sa communication relève donc de la campagne qu’il continue de mener pour obtenir justice au nom de Mme Muradova. En outre, des responsables turkmènes ont récemment affirmé qu’une enquête avait été menée par les autorités nationales. Le délai de cinq ans devrait commencer à courir à compter de la fin de cette enquête, bien que les autorités de l’État partie n’aient donné aucun renseignement au sujet de celle-ci.

2.22Il existe un système généralisé de violations des droits de l’homme au Turkménistan. Le Gouvernement réprime les dissidents politiques, contrôle les médias, maltraite et tue des détenus, et bafoue le droit à un procès équitable. Ce régime a été décrit comme l’un des plus répressifs et totalitaires au monde, avec un bilan déplorable en matière de droits de l’homme. Plusieurs voix, dont celles de l’Assemblée générale, du Comité des droits de l’enfant, du Département d’État des États‑Unis et du Secrétaire général de l’ONU, se sont élevées pour dénoncer les pratiques de torture et de mauvais traitements généralisées au Turkménistan en 2006. Ces pratiques sont toujours en vigueur.

2.23Mme Muradova a à plusieurs reprises attiré l’attention des autorités en raison de ses activités. Les agents du Ministère de la sécurité nationale ont fait pression sur elle de manière répétée pour qu’elle mette un terme à ses activités de militante des droits de l’homme au sein de la Turkmenistan Helsinki Foundation. Les autorités turkmènes l’ont fait suivre, ont mis son appartement sous surveillance et ont menacé de faire incarcérer ses enfants et même de la faire expulser de son domicile si elle ne cessait pas ses activités à Radio Free Europe/Radio Liberty. L’arrestation de Mme Muradova a fait suite à toutes ces actions des autorités de l’État partie, qui étaient donc manifestement liées à ses activités de défenseuse des droits de l’homme et de journaliste. Cela montre que le placement de Mme Muradova en détention provisoire n’était pas justifié, qu’il visait à mettre un terme à ses activités et à dissuader quiconque de se livrer à ce type d’activités. Immédiatement après le placement en détention de Mme Muradova, la police a tenté de mettre la main sur son ordinateur, son télécopieur et son téléphone mobile − des outils essentiels pour son travail de journaliste. Les circonstances qui ont conduit à l’arrestation et à la détention de Mme Muradova étaient donc liées et montrent qu’elle a été prise pour cible en raison de ses activités de journaliste et de militante des droits de l’homme.

2.24Au cours de leur intervention à la télévision, les autorités ont dit que le travail de Mme Muradova consistait à rassembler des informations calomnieuses pour semer le mécontentement dans la population. L’auteur affirme aussi que le traitement réservé à Mme Muradova était sans fondement légal. Il n’était pas nécessaire de priver Mme Muradova de ses droits pour garantir le respect des droits ou de la réputation d’autrui, ni pour protéger la santé publique ou les bonnes mœurs, puisque Mme Muradova cherchait simplement à dénoncer les atteintes aux droits de l’homme commises par le Gouvernement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’article 6 (par. 1) du Pacte a été violé parce que Mme Muradova est décédée en détention et que les lésions constatées sur son corps indiquent qu’elle est morte des suites d’actes de torture et de mauvais traitements.

3.2Les autorités de l’État partie ont torturé et maltraité Mme Muradova dans le but de la sanctionner pour son travail de journaliste et ses activités de militante des droits de l’homme et de lui faire avouer ses « activités subversives ». Les accusations portées contre elle ont été forgées de toutes pièces. Les mauvais traitements qui ont fini par la tuer sont constitutifs de torture et donc contraires à l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteur allègue une violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3), en ce que l’État partie n’a pas pris de mesures pour protéger Mme Muradova contre la torture et empêcher qu’elle soit arbitrairement privée de sa vie, et n’a pas enquêté sur les circonstances de son décès ; il n’a donné pour expliquer celui-ci que des raisons peu plausibles et contradictoires.

3.4Selon la législation en vigueur au moment de l’arrestation de Mme Muradova, c’était à un procureur, et non à un juge ou à un autre agent impartial, qu’il appartenait d’ordonner la détention. Pour l’auteur, du fait que Mme Muradova n’a pas été présentée à un juge après avoir été arrêtée, les dispositions de l’article 9 (par. 3) du Pacte ont été violées.

3.5De plus, les autorités turkmènes ont publiquement proclamé la culpabilité de Mme Muradova avant son procès, n’ont pas permis à celle‑ci de bénéficier rapidement de l’assistance d’un avocat, y compris pendant ses interrogatoires, lui ont imposé un procès à huis clos et l’ont privée de tout recours utile contre sa condamnation en n’établissant pas de texte écrit du jugement. Il s’agit là de violations des droits que l’intéressée tenait des paragraphes 1, 2, 3 b) et d) et 5) de l’article 14 du Pacte.

3.6Les autorités turkmènes ont arbitrairement détenu, torturé et tué Mme Muradova pour mettre fin à ses activités de journaliste et de militante des droits de l’homme, en violation des articles 9 (par. 1) et 19 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations en date du 11 décembre 2015, l’État partie affirme que Mme Muradova a été accusée d’infractions à la législation sur les armes sur le fondement de l’article 287 du Code pénal. Le 17 août 2006, Mme Muradova a été reconnue coupable et condamnée à une peine de six années d’emprisonnement. En septembre 2006, elle s’est suicidée en se pendant. Le Bureau du procureur a décidé d’examiner l’affaire, mais aucune enquête officielle n’a été ouverte puisqu’aucun crime n’avait été commis. Le corps de Mme Muradova a été remis à sa famille.

4.2La déclaration de culpabilité de Mme Muradova était fondée sur des dépositions de témoins, des éléments de preuve matériels et des témoignages d’experts. Les allégations de l’auteur concernant des violations du Pacte sont réfutées par les éléments du dossier pénal.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 4 mars 2016, l’auteur a fait valoir que l’État partie n’avait pas expliqué comment les autorités avaient conclu que Mme Muradova s’était suicidée. L’État partie se borne à déclarer, de façon générale, que le décès a été examiné par le Bureau du procureur. Dans ses observations, il n’indique pas la date exacte du décès et ne donne aucune précision concernant l’enquête. Des observations aussi superficielles ne sauraient satisfaire à l’obligation qui incombe à l’État partie de mener une enquête effective et de fournir une explication satisfaisante en cas de décès en détention.

5.2L’État partie n’explique pas non plus comment Mme Muradova a reçu les blessures évidentes qui ont été constatées sur son corps et décrites ci-dessus (voir par. 2.14). Il ne donne aucune précision, ni ne fournit aucun document complémentaire concernant les résultats d’une quelconque autopsie alors qu’il est manifeste que le corps de Mme Muradova a été autopsié. Le Comité a considéré en de nombreuses occasions que, lorsqu’une personne dit avoir été victime de torture ou décède en détention, la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur de la communication, en particulier si l’on considère que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours les mêmes possibilités d’accès aux preuves. Au contraire, c’est à l’État partie qu’il incombe d’apporter une explication plausible et satisfaisante étayée par des preuves. Un décès survenu en détention doit être considéré à première vue comme une exécution sommaire ou arbitraire, à moins que cette présomption soit écartée par une enquête approfondie et impartiale menée dans les plus brefs délais.

5.3Il est incontesté que Mme Muradova est décédée en détention. L’auteur énumère les indices convaincants qui portent à croire qu’elle est morte sous la torture, en donnant autant de détails que possible − compte tenu du fait que l’intéressée était détenue au secret, que sa famille a reçu des menaces et que les autorités ont refusé de communiquer les résultats de l’autopsie. La réponse de l’État partie est totalement inadéquate. L’État partie n’a pas répondu, par exemple, aux allégations détaillées concernant l’absence de garanties contre la torture. La famille et l’avocat de Mme Muradova ne pouvaient pas communiquer avec celle‑ci, ce qui la laissait exposée au risque d’être torturée et tuée.

5.4En outre, l’État partie n’a donné aucune information concernant le procès de Mme Muradova. La famille de celle-ci, et le public en général, ont été empêchés d’assister à l’audience et aucun texte écrit du jugement n’a été remis à la famille, ce qui rendait tout appel pratiquement impossible. Le droit de Mme Muradova à la présomption d’innocence a été violé lorsque le Président Niyazov a qualifié les accusés de traîtres. On ne connaît même pas précisément la date du procès et de la déclaration de culpabilité − l’État partie affirme que Mme Muradova a été déclarée coupable le 17 août 2006, mais selon de nombreuses sources, notamment la famille de l’intéressée, elle aurait été jugée et condamnée le 25 août 2006.

5.5L’État partie n’a pas non plus répondu aux allégations concernant la liberté d’expression de Mme Muradova et les représailles dont elle a fait l’objet en raison de ses activités de défense des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel aucune voie de recours interne ne lui était ouverte. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication au regard de l’article 96 c) du Règlement intérieur du Comité. Il rappelle qu’il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. Il prend note de l’argument incontesté de l’auteur selon lequel les autorités turkmènes ont affirmé qu’elles avaient mené une enquête mais n’ont donné aucune information au sujet de celle-ci. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles les membres de sa famille ont reçu des menaces des autorités de l’État partie et craignaient des représailles de celles-ci. Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité conclut qu’il existe des raisons justifiant la présentation tardive de la communication et que rien ne s’oppose à ce qu’il examine celle-ci au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 2 (par. 2) du Pacte. Il conclut toutefois que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et le déclare donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité constate que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 6 (par. 1) et 7, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 2 et 3), 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2, 3 b) et d) et 5) et 19 du Pacte. Il déclare ces griefs recevables et va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note tout d’abord des allégations de l’auteur selon lesquelles Mme Muradova a été torturée en détention et est décédée des suites des actes de torture et des mauvais traitements qui lui ont été infligés. L’auteur décrit de façon détaillée les lésions constatées sur le corps de Mme Muradova, notamment une plaie à la tête et des traces de strangulation. Selon lui, ces lésions indiquent que Mme Muradova a succombé à des violences physiques. Le Comité prend également note des allégations selon lesquelles une autopsie aurait été pratiquée après le décès et regrette que l’État partie n’ait ni réfuté les allégations de violences physiques de l’auteur, ni communiqué les résultats de l’autopsie. L’État partie, au lieu de donner une explication détaillée du décès en détention, se contente d’affirmer que Mme Muradova s’est suicidée, sans étayer ses dires par le moindre élément de preuve, documentaire ou autre.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les États parties assument la responsabilité de prendre soin de la vie des individus qu’ils arrêtent et placent en détention. Un décès en détention, en particulier lorsque des informations crédibles évoquent la possibilité d’une mort suspecte, crée une présomption de privation arbitraire de la vie par les autorités de l’État, qui ne peut être réfutée que sur la base d’une enquête en bonne et due forme qui montre que l’État s’est acquitté de ses obligations en vertu de l’article 6 du Pacte.

7.4Le Comité note que l’État partie n’a pas apporté la preuve qu’une enquête approfondie avait été menée dans les meilleurs délais et que cette enquête permettait de contester les allégations de l’auteur selon lesquelles Mme Muradova avait été torturée à mort en détention. Compte tenu des informations détaillées contenues dans la communication, et étant donné que l’État partie n’a pas présenté les conclusions de l’enquête en question et n’a pas expliqué de façon crédible les circonstances du décès de Mme Muradova, le Comité conclut à une violation des droits que cette dernière tenait des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.

7.5S’agissant des griefs tirés de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, au motif que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation d’enquêter dûment sur le décès de Mme Muradova et sur les allégations de torture et de prendre les mesures correctives appropriées, le Comité renvoie à sa jurisprudence constante selon laquelle une enquête judiciaire suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont garantis par les articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte. Il rappelle en outre son observation générale no 31 (2004), sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il indique que lorsque les enquêtes mettent en évidence la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, comme ceux qui sont garantis par les articles 6 et 7, les États parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Bien que l’obligation de traduire en justice les responsables de violations des articles 6 et 7 soit une obligation de moyens et non de résultat, les États parties doivent enquêter de bonne foi, sans délai et de manière approfondie sur toutes les allégations de violations graves du Pacte formulées contre eux et leurs agents. Le Comité relève que, d’après les informations dont il est saisi, il n’y a pas eu d’enquête immédiate et effective sur les actes de torture allégués et le décès qui en aurait résulté, et que l’État partie, qui prétend que Mme Muradova s’est suicidée, n’a pas rapporté la preuve de cette affirmation, ni de la conduite de l’enquête elle-même. Le Comité considère qu’en refusant de communiquer les résultats de l’autopsie ou tout autre preuve documentaire de l’enquête, l’État partie a privé l’auteur et Mme Muradova d’un recours utile, en violation des droits que Mme Muradova tenait de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 6 (par. 1) et 7, et des droits que l’auteur tenait de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 7 du Pacte.

7.6Le Comité relève que bien que plus de dix ans se soient écoulés depuis le décès de Mme Muradova, l’auteur ne connaît toujours pas les circonstances exactes de ce décès et nul n’a été inculpé, poursuivi ni jugé par les autorités de l’État partie pour les actes de torture infligés à Mme Muradova et son décès en détention. Le Comité comprend l’angoisse et la souffrance psychologique qu’éprouve aujourd’hui encore l’auteur en tant que frère d’une personne décédée en détention en raison du refus de l’État partie de communiquer la moindre information au sujet de l’enquête, notamment les résultats de l’autopsie, et considère qu’un traitement inhumain est ainsi infligé à l’auteur en violation de l’article 7 du Pacte.

7.7Concernant les allégations de l’auteur selon lesquelles Mme Muradova a été arbitrairement détenue en raison de ses activités de journaliste et de militante des droits de l’homme, en violation des droits qu’elle tenait du paragraphe 1 de l’article 9 et de l’article 19, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle Mme Muradova avait été la cofondatrice d’une organisation de défense des droits de l’homme, avait établi une liste de plusieurs centaines de dissidents qui avaient été emprisonnés, et coopérait avec une station de radio indépendante (par. 2.2 et 2.3 ci-dessus). À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la protection contre la détention arbitraire doit s’appliquer de façon générale et que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi », mais doit recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle aussi qu’il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime de droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression (art. 19). Il prend acte des allégations de l’auteur concernant l’ensemble des moyens mis en œuvre par l’État partie, jusqu’à et y compris l’arrestation de Mme Muradova, pour intimider celle-ci et la réduire au silence, en visant expressément ses activités de militante des droits de l’homme et de journaliste. Il prend également acte des renseignements fournis par l’auteur concernant les déclarations télévisées du Président Niyazov et de hauts représentants de l’État, qui ont appelé à condamner Mme Muradova pour lesdites activités. Le Comité considère en conséquence que l’auteur a établi que Mme Muradova avait été arrêtée et détenue en raison de ses activités de journaliste et de militante des droits de l’homme, ce que l’État partie n’a pas contesté. Compte tenu des circonstances décrites par l’auteur, et en l’absence d’explications de l’État partie concernant ces éléments de la communication, le Comité estime que Mme Muradova a été victime d’une violation des droits qu’elle tenait des articles 9 (par. 1) et 19 du Pacte.

7.8L’auteur allègue également une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte, au motif que le placement de Mme Muradova en détention provisoire avait été approuvé par un procureur, et non par un juge. Le Comité rappelle les dispositions de son observation générale no 35 (2014), sur la liberté et la sécurité de la personne, selon lesquelles tout détenu doit être présenté sans délai à un juge ou à une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires et il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale. Le Comité a également conclu qu’un procureur ne pouvait pas être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Par conséquent, et en l’absence d’explications de l’État partie à ce sujet, il conclut à une violation des droits que Mme Muradova tenait de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

7.9En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel, bien que la législation interne prévoie que les audiences sont publiques, aucun membre de la famille ou représentant d’ONG n’a été autorisé à assister à l’audience, le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007), sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il déclare que tous les procès en matière pénale ou concernant des droits et obligations de caractère civil doivent en principe faire l’objet d’une procédure orale et publique et que le caractère public des audiences assure la transparence de la procédure et constitue une importante sauvegarde dans l’intérêt de l’individu et de toute la société. En l’espèce, l’auteur fait observer que les amis et la famille de Mme Muradova, ainsi que le public, notamment les représentants d’ONG et d’ambassades, n’ont pas été autorisés à assister au procès. L’auteur affirme qu’au début, l’avocat a lui aussi été empêché d’assister au procès et que Mme Muradova n’a pas pu présenter sa défense ni exposer l’intégralité de ses arguments. En l’absence de toute contestation de l’État partie, le Comité considère que le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. Il conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que Mme Muradova tenait de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

7.10Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles le droit de Mme Muradova et de ses coaccusés à la présomption d’innocence n’a pas été respecté puisque le Président Niyazov a qualifié Mme Muradova et plusieurs de ses collègues de traîtres qui méritaient d’être condamnés, et ce, le lendemain même de l’arrestation de l’intéressée. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence telle qu’elle ressort également de son observation générale no 32, selon laquelle, du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. Le Comité relève que, selon l’auteur, le procès a duré en tout et pour tout deux heures et Mme Muradova n’a pas pu présenter sa défense. Compte tenu des informations dont il est saisi et en l’absence de toute autre information ou argument pertinents de l’État partie, le Comité considère que les faits tels qu’ils sont présentés montrent que le droit de Mme Muradova à la présomption d’innocence, tel qu’il est garanti à l’article 14 (par. 2) du Pacte, a été violé.

7.11Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant des violations du droit de Mme Muradova à un procès équitable en vertu de l’article 14 (par. 5). Le Comité relève que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. L’auteur fait valoir que le procès de Mme Muradova a duré moins de deux heures, qu’au départ son avocat n’a pas été autorisé à communiquer avec elle et que ni cet avocat ni sa famille n’ont jamais reçu le texte écrit du jugement rendu par le tribunal, ce qui rendait tout appel quasi impossible. Le Comité rappelle sa jurisprudence constante, ainsi que son observation générale no 32, dont il ressort que le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité ne peut être exercé utilement que si la personne déclarée coupable peut disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, de la juridiction de jugement et au moins de ceux de la première juridiction d’appel lorsque le droit interne prévoit plusieurs instances d’appel, ainsi que d’autres documents, tels que les comptes rendus d’audience, nécessaires à l’exercice effectif du droit de recours. Le Comité relève que ni Mme Muradova, ni les membres de sa famille après son décès n’ont reçu de copie du jugement écrit du tribunal. En l’absence de toute information de l’État partie sur ce point, le Comité considère que le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. En conséquence, il conclut que l’absence de toute possibilité pratique pour Mme Muradova ou son conseil de faire appel dans les circonstances décrites dénote une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

7.12Ayant ainsi conclu à la violation des droits garantis à Mme Muradova par les paragraphes 1 et 2 de l’article 14, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs de violation des droits reconnus à Mme Muradova par les paragraphes 3 b) et 3 d) de l’article 14.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits reconnus à Mme Muradova par les articles 6 (par. 1) et 7, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2 et 5) et 19. Le Comité conclut en outre que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par l’article 7, lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés un recours utile et une réparation intégrale. L’État partie est donc tenu, notamment, de prendre les mesures suivantes : a) mener immédiatement une enquête approfondie et impartiale sur l’arrestation et la détention arbitraires de Mme Muradova, les actes de torture qu’elle a subis et son décès en détention, notamment, si nécessaire, en créant une commission d’enquête indépendante ; b) accorder réparation intégrale à l’auteur et aux autres membres de la famille de Mme Muradova, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate et de mesures de satisfaction, y compris la réhabilitation de Mme Muradova, pour les violations des droits de celle-ci ; et c) communiquer à l’avocat de Mme Muradova et aux membres de sa famille toutes les informations disponibles concernant l’enquête, notamment les résultats de l’autopsie si une autopsie a été pratiquée, ainsi que copie des procès-verbaux d’audience et du jugement. Il est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour que pareilles violations ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.