Nations Unies

CCPR/C/127/D/2446/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 janvier 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2446/2014* , **, ***

Communication présentée par :

Vladimir Vovchenko (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

27 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 28 juillet 2014 (non publiée sous forme de document)

Date d es constatations :

24 octobre 2019

Objet :

Arrestation sans établissement d’un procès‑verbal ; menottage ; défaut de prise en charge médicale adéquate pendant la détention

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Arrestation − détention arbitraires ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; conditions de détention ; liberté de mouvement − dans son propre pays

Article(s) du Pacte :

7, 9, 10 et 12

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Vladimir Vovchenko, de nationalité russe, né en 1979. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9, 10 et 12 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur était atteint au moment des faits d’une déficience visuelle du deuxième degré. Il a été appréhendé le 10 avril 2013 vers 11 heures, en même temps que M. Sh., au cours d’une opération de police menée dans le cadre d’une enquête relative à une affaire d’extorsion. L’auteur, ainsi que M. Sh., ont été conduits au commissariat régional de Volgograd, dans le bureau d’enquête no 7. Le trajet jusqu’au commissariat a duré une vingtaine de minutes. L’auteur affirme qu’il est resté constamment menotté à compter de son interpellation. Après avoir passé plusieurs heures les menottes aux poignets, enfermé seul ou en compagnie de M. Sh. dans le bureau de l’enquêteur, il a été entendu en qualité de témoin entre 16 heures et 17 h 30. Une confrontation avec la victime − M. B. − a eu lieu entre 17 h 35 et 18 h 10. L’auteur a été conduit à son appartement pour une perquisition entre 21 heures et 22 heures. À 23 h 47, de retour au commissariat, l’auteur a été informé qu’il était placé en état d’arrestation comme suspect d’une infraction au titre de l’article 163 (par. 3 b)) du Code pénal (extorsion à très grande échelle aux fins de l’obtention d’un bien). Un procès‑verbal officiel d’arrestation a alors été établi. L’intéressé a signé ce procès‑verbal sans formuler d’objection.

2.2À une date non précisée, l’auteur a porté plainte devant le tribunal du district Tsentralny de Volgograd, dénonçant, sur le fondement de l’article 125 du Code de procédure pénale, le fait que l’enquêteur n’avait pas établi le procès‑verbal de son arrestation dans le délai voulu et ne l’avait pas informé de ses droits, dont celui d’être assisté par un avocat, et l’emploi des menottes. Il affirme être resté enfermé dans le bureau de l’enquêteur menottes aux poignets jusqu’à 16 heures, moment où il a été interrogé. Le procureur et l’enquêteur ont fait valoir qu’au moment de l’interpellation de l’auteur, les autorités chargées de l’enquête ne disposaient d’aucune information quant à son implication exacte dans l’infraction. C’est pourquoi, après avoir été conduit au commissariat régional de police de Volgograd, il a été associé à l’enquête en qualité de témoin. Ayant éclairci les faits de l’affaire, l’enquêteur a décidé de le placer en état d’arrestation comme suspect.

2.3Le 12 septembre 2013, le tribunal du district Tsentralny a débouté l’auteur de sa plainte. Il a constaté que celui-ci était présent lors de l’examen des lieux de l’infraction entre midi et 13 heures, qu’il avait été entendu en qualité de témoin entre 16 heures et 17 h 30, confronté à la victime entre 17 h 35 et 18 h 10, et conduit à son appartement pour une perquisition entre 21 h 32 à 21 h 55, le 10 avril 2013. Après ces actes d’enquête, un procès‑verbal d’arrestation avait été établi par l’enquêteur à 23 h 47. À 9 heures le 11 avril 2013, à savoir dans les douze heures suivant le début de la garde à vue, l’enquêteur en avait informé le bureau du procureur, conformément à ce que prescrit l’article 92 (par. 3) du Code de procédure pénale. Le tribunal a observé que rien ne prouvait que la liberté de mouvement de l’auteur avait été restreinte entre le moment de l’examen des lieux de l’infraction et celui de l’établissement du procès‑verbal d’arrestation. Il a conclu que l’auteur n’avait produit aucune preuve de ce qu’il était resté menotté et a déclaré que puisque l’auteur avait participé à l’enquête en qualité de témoin, il n’avait pas eu droit à ce qu’un avocat lui soit commis, mais qu’il aurait pu en contacter un de sa propre initiative.

2.4Le 11 décembre 2013, le tribunal régional de Volgograd a confirmé en appel la décision du tribunal du district Tsentralny. Il a établi qu’au sens du Code de procédure pénale, le moment de l’arrestation avait été celui où la décision de l’arrestation avait été prise en application des articles 91 et 92 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire à 23 h 47 le 10 avril 2013, et où le procès-verbal la constatant avait été lu à l’auteur. Les autres mesures liées à l’interpellation de l’intéressé et à son transport au commissariat de police, où un certain temps s’était écoulé avant l’établissement du procès-verbal, ne relèvent pas de l’arrestation au sens de la procédure pénale mais du transfert.

2.5Le 10 septembre 2013, l’auteur a demandé à la direction régionale de la police à Volgograd d’ouvrir une enquête concernant l’usage illégal de menottes par les policiers. Cette enquête s’est conclue le 8 octobre 2013 par la constatation que les allégations de l’auteur n’avaient pu être établies. La décision mentionne les témoignages des fonctionnaires de police M., Re. et Ro., qui ont conduit l’auteur à son appartement pour une perquisition. M. a indiqué qu’il avait passé les menottes à l’auteur avec l’intention de l’amener du commissariat à l’appartement et de l’empêcher de s’échapper et de résister physiquement. Il affirme que les menottes lui ont été retirées avant qu’il n’entre dans son appartement. Le 6 février 2014, l’auteur a contesté les conclusions de la direction régionale des enquêtes auprès du Ministère de l’intérieur. Il a affirmé, entre autres, qu’au stade de la perquisition, sa qualité était celle de témoin et non de suspect. Il a invoqué la Constitution et le Code de procédure pénale en vertu desquels, en tant que témoin, il était libre d’aller où bon lui semblait et la police n’avait pas le droit de l’emmener de force et de le menotter.

2.6Le 12 septembre 2013, l’auteur a présenté une demande au service des enquêtes du district Dzerzhinsky du Comité d’instruction régional de Volgograd, aux fins de l’engagement de poursuites pénales contre les policiers concernés pour utilisation illégale de menottes. Faute d’éléments constitutifs d’une infraction, sa demande a été rejetée le 23 septembre 2013, puis les 9 octobre et 12 décembre 2013 et, à nouveau, le 20 janvier 2014. Le service saisi a indiqué dans ces différentes décisions que l’auteur n’avait fait état de l’infliction d’aucune blessure ni d’aucun mauvais traitement par des membres des forces de police. Il a renvoyé à l’article 21 (par. 6) de la loi sur la police du 7 février 2011, qui autorise les policiers à recourir à des mesures de contrainte spéciales (menottes) pendant le transport au poste de police de personnes ayant fait l’objet d’une interpellation et d’une arrestation afin d’empêcher qu’elles ne s’évadent, résistent aux fonctionnaires de police ou causent préjudice à autrui ou à elles-mêmes.

2.7Le 12 avril 2013, le tribunal du district Tsentralny a ordonné le placement de l’auteur en détention provisoire au centre de détention provisoire (SIZO) no 1 de Volgograd. Cette mesure a été prolongée à plusieurs reprises par des décisions de justice, dont la dernière, en date du 3 décembre 2013, l’a portée jusqu’au 4 mars 2014. Dans les recours qu’il a formés (à des dates non précisées) contre l’ordonnance du tribunal du district Tsentralny du 12 avril 2013, ainsi que contre celle du 24 mai 2013 portant prolongation de sa détention provisoire, l’auteur a fait valoir qu’il était atteint d’une déficience visuelle du deuxième degré et que son état de santé se dégradait en détention. Par ses décisions rendues en appel les 30 avril et 7 juin 2013, le tribunal régional de Volgograd a refusé d’accueillir les recours de l’auteur et il a également rejeté les requêtes par lesquelles celui-ci demandait qu’une mesure d’assignation à résidence soit substituée à la détention. Dans sa décision du 30 avril, le tribunal régional a indiqué que l’auteur n’avait pas produit de document attestant de sa déficience visuelle. Dans celle du 7 juin, il a déclaré que la question du suivi médical de l’auteur et des mesures prises par le personnel du SIZO n° 1 à cet effet ne relevait pas de sa compétence et devait être soulevée dans le cadre d’une procédure différente. Le 28 août 2013, l’auteur a été débouté du recours en cassation qu’il avait formé (à une date non précisée) auprès d’un juge du tribunal régional de Volgograd contre la décision rendue le 24 mai 2013 par le tribunal de district et contre celle rendue le 7 juin 2013 en appel par le tribunal régional.

2.8Dans la décision qu’il a rendue en appel le 18 décembre 2013, le tribunal régional de Volgograd a ramené la fin de la période de détention provisoire de l’auteur au 19 janvier 2014. Pour ce qui est des allégations de celui-ci concernant l’absence de soins médicaux dont il aurait eu besoin, le tribunal régional a indiqué avoir reçu du directeur du SIZO no 1 l’information selon laquelle l’auteur avait été adressé à des établissements médicaux municipaux et pénitentiaires de Volgograd en vue de consultations et d’examens pour la pathologie dont il souffrait. Le tribunal a en outre déclaré que l’intéressé n’avait pas produit d’élément de preuve attestant de l’aggravation de son état de santé pendant sa détention.

2.9L’auteur a fait l’objet d’un diagnostic ophtalmologique établissant une atrophie du nerf optique et une dystrophie rétinienne, pathologies pour lesquelles il suivait un traitement ambulatoire depuis 2006. Il s’agissait d’un traitement particulier, qui devait lui être administré deux fois par an pour qu’il conserve la vue. L’auteur a adressé des demandes au directeur du SIZO no 1 les 4 août et 20 septembre 2013 afin d’obtenir les soins dont il avait besoin. Son conseil a présenté des demandes similaires les 24 septembre et 12 novembre 2013. Le 3 octobre 2013, l’auteur a été admis à l’hôpital pénitentiaire LIU‑15 pour une pharyngite. Son conseil a sollicité l’obtention du traitement ophtalmologique nécessaire auprès du directeur de l’hôpital, les 11 et 15 octobre 2013. Malgré ces demandes, l’auteur n’a reçu aucun soin ophtalmologique et n’a pas été examiné par un ophtalmologue. Le 21 octobre 2013, il a été renvoyé au SIZO no 1. Selon son dossier médical, son état de santé à sa sortie étant satisfaisant, il n’y avait aucune raison de prolonger son hospitalisation.

2.10Le 17 décembre 2013, l’auteur a sollicité l’ouverture d’une enquête pénale auprès du service des enquêtes du district Dzerzhinsky, pour défaut de prise en charge médicale adéquate de la part du personnel de l’hôpital pénitentiaire LIU-15.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient des articles 9 et 12 du Pacte ont été violés, car l’enquêteur n’a pas établi le procès-verbal d’arrestation dans les trois heures suivant son interpellation effective, ne l’a pas informé de ses droits et ne lui a pas commis d’avocat, et parce qu’il a été menotté alors qu’il avait encore la qualité de témoin.

3.2L’auteur affirme qu’une violation des droits qu’il tient des articles 7 et 10 du Pacte découle de ce que le personnel du SIZO no1 et celui de l’hôpital pénitentiaire LIU-15 ne lui ont pas fourni le traitement ophtalmologique dont il avait besoin.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale datée du 8 décembre 2014, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’aurait pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’État partie rappelle les faits de l’affaire et ajoute que la détention provisoire de l’auteur a pris fin le 19 janvier 2014, date à laquelle il a été libéré. Le 24 janvier 2014, le tribunal régional de Volgograd a ordonné son assignation à résidence. Le 16 avril 2014, cette mesure a été remplacée par l’engagement pris par l’intéressé de ne pas quitter le pays et de respecter une exigence de bonne conduite.

4.2Le 15 janvier 2014, l’auteur a été inculpé au titre des articles 33 (par. 3) (participation à l’organisation d’une infraction pénale), 163 (par. 1) (extorsion) et (par 3 b)) (extorsion à très grande échelle aux fins de l’obtention d’un bien) du Code pénal. L’enquête pénale s’est achevée en avril 2014 et l’affaire a été déférée au tribunal régional de Kirovsky à Volgograd pour examen. La procédure judiciaire était encore en instance lorsque l’État partie a présenté ses observations.

4.3L’enquête ouverte le 12 avril 2014 par la direction régionale de la police de Volgograd sur les allégations d’utilisation illégale de menottes soulevées par l’auteur n’a révélé la commission d’aucun acte illégal par les policiers. De même, une enquête a été ouverte le 20 janvier 2014 par le service des enquêtes du district Dzerzhinsky qui a décidé de ne pas engager d’action pénale, faute d’éléments constitutifs d’une infraction dans les actes des fonctionnaires de police concernés.

4.4L’auteur a porté plainte devant le tribunal du district Tsentralny de Volgograd contre l’enquêteur qui n’avait pas établi le procès-verbal de son arrestation dans les trois heures suivant son interpellation, ne l’avait pas informé de ses droits, dont celui d’être assisté par un avocat, et lui a laissé les menottes aux poignets. Par une décision du 12 septembre 2013, le tribunal a refusé d’accueillir ses allégations. Le 11 décembre 2013, le tribunal régional de Volgograd a confirmé la décision rendue en première instance. La juridiction d’appel a indiqué que l’auteur avait la possibilité de former un recours en cassation dans un délai d’une année à compter de la date de la décision rendue en appel. L’auteur ne s’est pas prévalu des recours qui lui étaient ouverts au titre des articles 389.35 et 401 (par. 2) du Code de procédure pénale.

4.5Pour ce qui est des allégations de l’auteur relatives à l’absence de prise en charge médicale pendant sa détention, l’État partie fait valoir que, sur décision de la commission médicale du SIZO no 1, l’auteur a subi à deux reprises des examens à l’hôpital régional no 1 de Volgograd. Cet établissement a constaté dans ses décisions du 9 août et du 16 septembre 2013 que l’auteur n’était pas atteint d’une pathologie excluant qu’il soit détenu. Entre le 3 et le 21 octobre 2013, l’intéressé a été soigné à l’hôpital pénitentiaire LIU-15 pour une pharyngite. Le 21 février 2014, le service fédéral de surveillance des soins de santé pour la région de Volgograd a enquêté sur la qualité des soins qui lui avaient été dispensés dans cet l’hôpital. Cette enquête a révélé que l’auteur n’avait pas reçu les soins généraux nécessaires pour la maladie ophtalmologique dont il était atteint et n’avait pas bénéficié non plus d’un traitement, stationnaire ou ambulatoire, pour la dystrophie rétinienne. L’organe de surveillance a adressé une instruction à l’hôpital pénitentiaire LIU-15, tout en concluant que l’absence de soins constatée n’avait pas entraîné et n’entraînerait pas d’aggravation de la pathologie de l’auteur.

4.6L’État partie fait observer que, dans la décision rendue le 7 juin 2013 dans le cadre de l’examen du recours formé par l’auteur contre la prolongation de sa détention, le tribunal régional de Volgograd a statué sur le moyen dirigé par l’intéressé contre l’absence de soins médicaux au cours de celle-ci. Le tribunal a expliqué que cette question ne relevait pas de sa compétence et que les recours contre les mesures prises par le SIZO no 1 devaient être formés dans le cadre d’une procédure différente. L’État partie fait valoir que la législation nationale offre à chacun la possibilité d’intenter une action civile contre les actes ou omissions des agents de l’État et d’obtenir réparation du préjudice découlant desdits actes ou omissions. À aucun moment l’auteur n’a saisi un tribunal d’une plainte visant des actes ou omissions du personnel du SIZO no 1.

4.7L’État partie conclut que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 10 mars 2015, l’auteur a fait part de ses observations sur les commentaires de l’État partie. Il affirme que contrairement à ce que prétend celui-ci, il n’a bénéficié d’une prise en charge médicale appropriée ni au SIZO no 1 ni à l’hôpital pénitentiaire LIU-15, car aucun de ces deux établissements ne disposait d’un ophtalmologiste. Il ajoute que le 21 janvier 2014, un ophtalmologiste de la polyclinique no 5 de Volgograd l’a adressé à l’hôpital ophtalmologique no 1 de la ville pour des soins stationnaires. L’auteur décrit les médicaments qu’il a reçus à l’hôpital et demande à l’État partie de fournir une description similaire pour ceux qui lui auraient été administrés pendant sa détention.

5.2L’auteur fait valoir qu’à l’issue de son séjour à l’hôpital no 1, sa déficience visuelle a été requalifiée du deuxième au premier degré, car il avait complètement perdu la vue aux deux yeux. Il exprime des doutes quant à l’efficacité du traitement qui est supposé lui avoir été administré pendant sa détention, puisque les médecins n’ont pas remarqué la détérioration de sa vue.

5.3En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’aurait pas saisi les tribunaux d’une plainte dénonçant l’absence de traitement ophtalmologique au SIZO no 1 et à l’hôpital pénitentiaire LIU-15, l’intéressé indique qu’il disposait de trois mois pour ce faire. Il affirme qu’il n’a pas été en mesure de le faire parce qu’il se trouvait en détention et n’avait pas les moyens d’engager un avocat. En raison de sa cécité, il lui aurait été impossible de s’informer par lui-même de la procédure. Il a toutefois déposé des réclamations pour protester contre le défaut de prise en charge médicale auprès des autorités supérieures des services pénitentiaires fédéraux et auprès du bureau du procureur. Il fait valoir que dans la mesure où les autorités susmentionnées lui ont opposé une fin de non-recevoir, il lui a paru inutile de saisir les tribunaux.

5.4L’auteur affirme que l’argument de l’État partie portant sur le fait qu’il n’ait pas formé de recours en cassation ni déposé de requête au titre de la procédure de contrôle n’est pas pertinent, car il ne s’agit pas de voies de recours internes utiles qui, à ce titre, devraient être épuisées.

5.5L’auteur se plaint que son procès pénal devant le tribunal régional du district Kirovsky se prolonge de manière injustifiée, et indique qu’à la date où il a présenté sa lettre initiale son procès avait déjà duré douze mois. Il fait valoir qu’il a déposé de nombreuses requêtes visant notamment la récusation du juge, les dépositions de témoins, la correction des procès-verbaux d’audience, la réalisation d’expertises graphologiques, mais que le juge N. les a toutes rejetées. Il affirme que depuis deux ans déjà l’État partie poursuit illégalement et sans preuves une procédure pénale contre lui, alors qu’il est atteint d’un handicap visuel du premier degré.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes concernant le grief de détention illégale qu’il tire de l’article 9, parce qu’il n’a pas formé de recours en cassation contre les décisions de justice rendues les 12 septembre et 11 décembre 2013. Le Comité prend également note des arguments de l’auteur selon lesquels le recours en cassation et la procédure de contrôle ne sont pas considérés comme des recours internes devant être épuisés aux fins de la recevabilité. Il fait observer que la procédure de recours en cassation régie par l’article 401 du Code de procédure pénale prévoit le réexamen des jugements ayant force de chose jugée sur des points de droit uniquement. La décision de renvoyer une affaire devant une cour de cassation a un caractère discrétionnaire et elle est confiée à un juge unique, ce qui porte le Comité à considérer que certains des éléments de cette procédure sont caractéristiques d’une voie de recours extraordinaire. Dans ces circonstances, il appartient à l’État partie de démontrer qu’il y a des chances raisonnables que cette procédure constitue un recours utile dans le cas de l’auteur. En l’absence de toute information précise de l’État partie montrant l’utilité du recours en cassation dans des affaires similaires à la présente espèce, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner le grief tiré par l’auteur de l’article 9 du Pacte.

6.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé les recours internes concernant les griefs qu’il tire des articles 7 et 10 du Pacte, puisqu’il n’a pas porté plainte devant les tribunaux internes compétents pour dénoncer le fait que le personnel du SIZO no 1 et celui de l’hôpital pénitentiaire ne lui auraient pas administré les soins médicaux nécessaires. Le Comité note également que l’auteur soutient pour sa part que les procédures ouvertes devant les tribunaux contre l’absence de prestation des soins dont il aurait eu besoin pendant sa détention n’auraient pas eu un caractère utile, qu’il n’avait pas été en mesure de saisir les tribunaux dans les délais parce qu’il se trouvait en détention et qu’il n’avait pas les moyens d’engager un avocat ni la possibilité de s’informer par lui-même de ces procédures en raison de son handicap.

6.5Le Comité note que l’État partie lui-même a reconnu que l’auteur n’avait pas reçu le traitement médical nécessaire à l’hôpital pénitentiaire, comme l’avait constaté le service fédéral de surveillance des soins de santé pour la région de Volgograd, qui a enquêté sur la qualité des soins qui ont été dispensés à l’auteur dans cet hôpital (par. 4.5 supra). Le Comité rappelle que la disposition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif vise à offrir à l’État partie lui-même la possibilité de réparer la violation infligée à un individu. Il rappelle également sa jurisprudence, dont il ressort que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’épuiser les recours internes si ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs des communications doivent faire preuve d’une diligence raisonnable pour exercer les voies de recours qui leur sont ouvertes et que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas un auteur de l’épuiser.

6.6En l’espèce, le Comité observe que l’auteur s’est fait représenter dans toutes les procédures internes afférentes à sa détention provisoire par un avocat qu’il avait engagé. Il note également que l’auteur et son conseil ont adressé aux autorités administratives du SIZO no 1 et de l’hôpital pénitentiaire LIU-15 plusieurs réclamations relatives à l’absence de prise en charge médicale de l’auteur pendant sa détention (par. 2.9 supra) et soulevé des allégations à cet égard lors des audiences relatives à la détention provisoire. Il observe aussi que l’auteur et son conseil étaient cependant présents lorsque, le 7 juin 2013, le tribunal régional de Volgograd s’est déclaré incompétent pour connaître des griefs visant l’absence de prise en charge médicale pendant la détention et qu’il a informé l’intéressé que ces griefs devaient être soulevés dans le cadre d’une procédure différente (par. 2.7 supra). Dès lors, le Comité ne saurait accueillir l’argument de l’auteur consistant à prétendre qu’il n’avait pas connaissance de l’existence d’une procédure de recours contre le défaut de prise en charge médicale pendant sa détention et ne disposait pas d’un avocat susceptible de l’en informer et de le représenter dans la procédure.

6.7Le Comité note également que l’auteur a déposé plainte auprès du service des enquêtes du district Dzerzhinsky à Volgograd le 17 décembre 2013, sollicitant l’ouverture d’une enquête pénale pour défaut de prise en charge médicale pendant sa détention. Le Comité relève que l’auteur n’a fourni aucune précision sur l’issue de cette enquête et sur les démarches qu’il aurait pu entreprendre à cet égard. Dans ces circonstances, il déclare les griefs que l’auteur tire des articles 7 et 10 du Pacte irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel sa détention du 10 avril 2013 est constitutive d’une violation des droits qu’il tient de l’article 12 du Pacte. Le Comité note que les questions se rapportant à l’arrestation et à la détention dans le cadre des procédures pénales relèvent de l’article 9 du Pacte. En l’absence de toute précision de la part de l’auteur expliquant en quoi les droits qui lui sont garantis par l’article 12 ont été bafoués, le Comité considère que ce grief n’est pas étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité considère que les allégations de violation de l’article 9 du Pacte formulées par l’auteur au sujet de son arrestation illégale intervenue le 10 avril 2013 sont suffisamment étayées et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 5 de l’article 1 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’allégation soulevée par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte selon laquelle il aurait passé quelque treize heures en détention de facto, le 10 avril 2013, avant qu’un procès-verbal officiel d’arrestation ne soit établi. Selon l’auteur, son arrestation n’a pas été effectuée dans le respect de la législation nationale, qui prévoit l’établissement d’un procès-verbal officiel dans les trois heures suivant la présentation du suspect à l’enquêteur. Le Comité note que l’auteur affirme être resté enfermé dans le bureau de l’enquêteur pendant plusieurs heures, menottes aux poignets, puis avoir été associé à l’enquête en qualité de témoin et, à ce titre, privé des garanties procédurales accordées par la législation nationale aux personnes en état d’arrestation, à savoir notamment le droit d’être assisté par un avocat.

7.3Le Comité note que les autorités nationales ont considéré l’auteur comme un témoin entre le moment où il a été, de fait, appréhendé et celui où le procès-verbal officiel d’arrestation a été établi. Dans sa décision du 12 septembre 2013, le tribunal du district Tsentralny de Volgograd déclare que rien ne prouve que la liberté de mouvement de l’auteur a été restreinte entre le moment de l’examen des lieux de l’infraction et celui de l’établissement du procès-verbal. L’enquête menée par les autorités nationales a conclu que les allégations de l’auteur relatives au port des menottes n’étaient pas étayées. Le Comité note, toutefois, que M., Re. et Ro., les policiers qui ont conduit l’auteur à son appartement pour une perquisition, ont admis l’avoir menotté pendant la durée du trajet. Le Comité prend donc acte des faits suivants, qui ne sont pas contestés par les parties : a) l’auteur a été appréhendé sur le lieu de l’infraction et conduit au commissariat de police ; b) il est resté au commissariat de police à compter du moment où il y a été conduit, en étant tenu à la disposition des enquêteurs pour les nécessités de l’enquête ; c) il a été menotté par les policiers pendant le trajet jusqu’à son domicile. Le Comité note que l’État partie n’a pas établi qu’après son interpellation l’auteur était libre de partir à tout moment. Il conclut donc qu’à compter de son interpellation sur le lieu de l’infraction, l’auteur est demeuré en détention.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il aurait dû, en tant que témoin, être libre de partir et ne pas être conduit menottes aux poignets à son appartement pour une perquisition (par. 2.5). Le Comité note également qu’en application des articles 56 et 113 du Code de procédure pénale, les témoins doivent être convoqués pour être entendus. Il est possible d’obliger par la force un témoin à venir déposer dans le seul cas où il ne défère pas à la convocation sans raison valable. L’article 21 de la loi sur la police dispose que les fonctionnaires de police peuvent recourir à des mesures de contrainte, notamment le menottage, pour le transport des personnes en état d’arrestation. À la lumière de ces dispositions, le Comité fait observer que les mesures ayant consisté à appréhender l’auteur et à le conduire au commissariat de police, et à lui passer les menottes avant de l’amener à son appartement pour la perquisition puis de l’en ramener, ne peuvent s’appliquer qu’à une personne en état d’arrestation ou mise en examen, et non à un témoin.

7.5 Le Comité prend note de la conclusion du tribunal régional de Volgograd selon laquelle entre le moment où il a été interpellé et l’établissement du procès-verbal officiel de son arrestation, l’auteur n’était pas en état d’arrestation mais faisait l’objet d’un transfert à l’enquêteur. Le Comité note que la signification du terme « dostavleniye » (transfert) n’est pas précisée dans le Code de procédure pénale de l’État partie. Il observe qu’il ressort des informations versées au dossier que le trajet de l’auteur au commissariat de police a pris une vingtaine de minutes. Il observe également que le tribunal régional de Volgograd n’explique pas en quoi la définition du terme « transfert » peut couvrir les actes d’enquête auxquels a participé l’auteur, notamment son transport du commissariat à son appartement pour une perquisition. Pour ces motifs, le Comité estime que le « transfert » de l’auteur à l’enquêteur, qui a duré près de treize heures au cours desquelles l’intéressé a été associé à différents actes d’enquête au commissariat et en dehors de celui-ci, paraît présenter un certain nombre de caractéristiques propres à la privation de liberté.

7.6Le Comité renvoie à son observation générale no 35 (2014) sur le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (par. 13), dans laquelle il est précisé qu’il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 du Pacte sans que l’intéressé n’ait été officiellement soumis à une arrestation au sens de la législation nationale. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur était de facto en état d’arrestation dès le moment où il a été appréhendé sur le lieu de l’infraction. Le Comité note qu’en vertu du paragraphe 23 de son observation générale no 35, les États parties sont tenus de se conformer aux règles de la législation nationale qui prévoient des garanties importantes pour les détenus, comme l’établissement d’un procès-verbal d’arrestation. En l’espèce, le Comité observe que la procédure prévue dans la législation nationale n’a pas été respectée car l’enquêteur n’a pas établi le procès-verbal d’arrestation dans les trois heures suivant l’arrivée de l’auteur au commissariat, alors que l’intéressé n’était pas libre de partir et qu’il était à certains moments menotté, se trouvant ainsi de facto en état d’arrestation. Le Comité estime donc que l’arrestation non enregistrée de l’auteur et sa détention entre 11 heures et 23 h 47 le 10 avril 2013 n’étaient pas fondées sur la loi, compte tenu de l’absence des garanties procédurales prévues par le droit interne, et avaient donc un caractère arbitraire.

7.7Le Comité note également qu’il ressort manifestement du dossier que l’enquêteur a conduit l’auteur au commissariat de police pour éclaircir son rôle dans l’infraction au moyen de différentes mesures d’enquête, et qu’il n’entendait pas se contenter de l’entendre comme témoin. Le Comité souligne qu’est constitutif de détention arbitraire le fait d’utiliser intentionnellement le statut de témoin pour accomplir des actes applicables à un suspect, en privant ainsi l’intéressé des garanties procédurales prévues par la loi. Le Comité constate donc que l’arrestation de l’auteur était à la fois arbitraire et illégale, en violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État parti est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées pour accorder une indemnisation à l’auteur à raison de la détention arbitraire qu’il a subie. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations similaires ne se reproduisent.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Christof Heyns

1.Je regrette de ne pas pouvoir m’associer aux membres du Comité qui ont conclu à une violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte en l’espèce.

2.Il n’est pas contesté que l’auteur a été appréhendé par la police le matin du 10 avril 2013 et détenu pendant douze à treize heures avant qu’un procès‑verbal d’arrestation ne soit établi dans la soirée. Toutefois, ce qui est contesté, c’est le statut qui était le sien pendant cette période, à savoir suspect ou témoin (ou une combinaison des deux, pendant que des preuves étaient recueillies).

3.L’article 92 du Code de procédure pénale prévoit que, si une personne est détenue « comme suspect », un procès-verbal d’arrestation doit être établi dans les trois heures suivant la présentation de la personne aux autorités chargées de l’enquête ou au procureur.

4.L’observation générale no 35 du Comité, qui y expose son interprétation de l’article 9 du Pacte, n’exige pas qu’un tel procès-verbal d’arrestation soit établi. La loi russe pose donc des exigences plus strictes que l’observation générale. Le paragraphe 23 de l’observation générale exige que les États se conforment à leur propre législation pour assurer une protection procédurale aux personnes détenues, comme l’établissement d’un procès‑verbal d’arrestation, afin d’éviter de violer l’article 9 (par. 7.6).

5.Le principe consistant à imposer aux États des garanties internes plus élevées est sans aucun doute judicieux. Toutefois, je ne suis pas convaincu de son application aux faits dont le Comité est saisi. Je ne vois pas très bien à quel moment l’horloge s’est mise à tourner pour ce qui est du délai de trois heures. En premier lieu, il y a un différend sur le moment où l’auteur a commencé à être considéré comme suspect. Était-il déjà considéré comme un « suspect » lorsqu’il a été emmené pour la première fois au poste de police ou n’est‑ce que plus tard qu’il a été considéré comme tel, sur la base des preuves supplémentaires obtenues ? Nous ne le savons pas. Par ailleurs, il semble qu’une disposition quelque peu floue de la législation russe puisse jouer ou avoir joué un rôle dans cette affaire, à savoir que pendant la période où un suspect est conduit à un poste de police et qui s’appelle « transfert », l’horloge ne tourne pas (note 9). Il est difficile de juger, à partir des preuves disponibles, quelle proportion des treize heures relevait techniquement du « transfert ».

6.Il faut veiller à ne pas tenir les États responsables de violations du Pacte sur la base de violations de leurs propres normes, plus élevées, dans les cas où l’on n’est pas certain des faits ou de la possibilité d’une application sélective du droit interne, par exemple en imposant la règle des trois heures mais en refusant de la suspendre, alors même que cette suspension est peut être prévue par le droit interne.

7.Il est utile de comparer les faits de la présente affaire avec les faits très différents d’une affaire dans laquelle le Comité s’est appuyé sur le paragraphe 23 de l’observation générale no 35, à savoir l’affaire Kurbonov c. Tadjikistan (CCPR/C/86/D/1208/2003), dans laquelle l’auteur a été détenu pendant vingt et un jours sans qu’un procès-verbal d’arrestation n’ait été établi, comme l’exige le droit interne. Il ne fait aucun doute que la règle des trois heures a effectivement été violée dans cette affaire-là, et que les normes nationales (et internationales) ont par conséquent été violées.

8.Le cas susmentionné est extrême et des périodes beaucoup plus courtes pendant lesquelles une arrestation doit faire l’objet d’un procès-verbal peuvent potentiellement être considérées comme une violation de l’article 9 (par. 1), basée sur une violation du droit interne, mais s’agissant des faits de la présente communication, il semble y avoir trop d’incertitudes pour parvenir à cette conclusion.

9.À mon avis, l’allégation de violation de l’article 9 (par. 1) aurait donc dû être jugée irrecevable pour défaut de fondement.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir faire mienne la conclusion des autres membres du Comité, qui constatent une violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

2.L’auteur a été appréhendé le 10 avril 2013, vers 11 heures, en même temps que M. Sh., au cours d’une opération d’enquête policière. Tous deux ont été amenés au commissariat de police régional de Volgograd. L’auteur affirme avoir été menotté et avoir passé plusieurs heures enfermé dans le bureau de l’enquêteur. Il a été entendu en qualité de témoin, entre 16 heures et 17 h 30. Une confrontation avec la victime a eu lieu entre 17 h 35 et 18 h 10. L’auteur a ensuite été conduit à son appartement pour une perquisition entre 21 heures et 22 heures. À 23 h 47, de retour au commissariat de police, l’auteur a été dûment informé qu’il était soupçonné d’avoir commis une infraction au titre de l’article 163 (par. 3 b)) du Code pénal (extorsion à très grande échelle aux fins de l’obtention d’un bien). Un procès-verbal officiel d’arrestation a alors été établi (par. 2.1) Entre le moment où l’auteur a été arrêté (11 heures) et celui où il a été officiellement considéré comme suspect et arrêté (23 h 47), à peine douze heures se sont écoulées.

3.L’auteur, avocat de profession (note 4), affirme avoir été interrogé en tant que témoin. Cependant, l’enquête pénale a été ouverte sur la base de faits rapportés et non à l’encontre d’individus précis ; l’on ne savait donc pas si l’auteur était impliqué dans l’affaire. Dans le rapport de police judiciaire du 8 avril 2013 sur cette affaire, l’auteur est mentionné en qualité de suspect. Ce document n’a toutefois été rendu public que le 10 avril 2013 en fin de journée, après l’interpellation de l’auteur (note 6). Donc, lorsque l’auteur a été appréhendé après que la victime eut remis l’argent, qui avait été marqué par la police, à M. Sh., lequel était arrivé sur le lieu de l’infraction avec l’auteur, dans la voiture de celui-ci (note 1), l’auteur et M. Sh. ont tous deux été emmenés au commissariat de police afin d’éclaircir leur statut. Après la confrontation avec la victime et une perquisition dans l’appartement de l’auteur, celui-ci a été dûment notifié, au commissariat de police, qu’il était suspecté d’avoir commis une infraction. Un procès-verbal d’arrestation de l’auteur a ensuite été établi, conformément à l’article 92 du Code de procédure pénale, qui prévoit que le procès-verbal d’arrestation doit être établi dans les trois heures suivant la présentation du suspect, en tant que tel, aux autorités chargées de l’enquête (note 5). L’auteur a signé ce procès‑verbal sans formuler d’objection (par. 2.1).

4. Le tribunal régional de Volgograd, en tant que juridiction d’appel, a fait observer sur ce point qu’au sens du Code de procédure pénale russe, le moment de l’arrestation avait été celui où la décision de l’arrestation avait été prise en application des articles 91 et 92 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire le 10 avril 2013, à 23 h 47, lorsque le procès-verbal de l’arrestation avait été lu à l’auteur. Les autres mesures liées à l’interpellation de l’intéressé et à son transport au commissariat de police, où un certain temps s’était écoulé avant l’établissement du procès-verbal, ne relèvent pas de l’arrestation au sens de la procédure pénale mais de son « transfert » (par. 2.4 et 7.5). Par conséquent, l’arrestation et le transfert de l’auteur étaient légaux selon le cadre juridique russe.

5.Dès lors, je ne comprends pas le raisonnement, exposé aux paragraphes 7.3 à 7.7, par lequel le Comité considère que la détention de l’auteur est illégale et arbitraire, alors que les tribunaux nationaux, mieux informés des questions de droit interne, en ont jugé autrement (par. 2.4 et 4.4). Même si l’auteur a d’abord été appréhendé sans que son statut, de témoin ou de suspect, soit totalement clair, quelques heures ont suffi pour qu’il soit effectivement considéré comme un suspect et arrêté en tant que tel. Le statut d’une personne peut évoluer au cours de la procédure pénale : un témoin peut devenir un suspect et vice-versa, en fonction des éléments de preuve produits à chaque étape de la procédure. Le fait important est qu’une personne doit être considérée comme un suspect dès qu’il est raisonnable de supposer qu’il ou elle est l’auteur(e) d’une infraction pénale, ce qui s’est produit en l’espèce, tout en respectant le délai de trois heures pour établir le procès-verbal d’arrestation, une fois que plus aucun doute ne subsistait quant à la culpabilité de l’auteur. En outre, il semble raisonnable que la police ne permette pas à l’auteur de quitter le poste de police sans avoir établi son rôle dans l’extorsion qui a eu lieu alors qu’il était présent sur les lieux de l’infraction (par. 2.1), en particulier lorsque le Code de procédure pénale prévoit la possibilité que même des témoins peuvent être forcés à comparaître devant les autorités chargées de l’enquête (voir par exemple les articles 56 et 188).

6.Enfin, je ne vois pas, et le Comité n’explique pas (par. 7.8), de quelles garanties procédurales l’auteur n’a pas pu bénéficier. Les faits se sont produits au début de l’enquête pénale alors que le statut juridique de l’auteur n’était pas encore déterminé. Toutefois, les garanties procédurales s’appliquent à l’ensemble de l’enquête pénale et au stade du procès, où toutes les garanties d’une procédure régulière doivent être respectées. L’auteur se plaint (par. 3.1) que son procès-verbal d’arrestation n’a pas été établi dans les trois heures suivant son interpellation initiale, mais selon les tribunaux nationaux, cette règle a été respectée. Il se plaint également de ne pas avoir été informé de ses droits, mais il est avocat de profession, et a une connaissance suffisante des dispositions pertinentes. Il se plaint en outre de ce qu’un avocat ne lui a pas été commis, mais les tribunaux nationaux indiquent qu’il aurait pu en contacter un de sa propre initiative. Enfin, il se plaint d’avoir été menotté, mais les tribunaux nationaux ont estimé qu’il n’avait pas présenté les preuves pertinentes (par. 2.3).

7.Je considère donc que la communication de l’auteur est irrecevable car non étayée, son arrestation n’ayant été ni illégale ni arbitraire.

Annexe III

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Gentian Zyberi

Remarques préliminaires

1.Je partage l’avis du Comité au sujet de la violation de l’article 9 (par. 1). Toutefois, compte tenu du fait que l’État partie n’a pas fourni à l’auteur des soins de santé adéquats pendant son incarcération, le Comité aurait dû conclure que l’État partie avait violé l’article 10.

L’état de santé de l’auteur et ses efforts pour se faire soigner

2.L’auteur était atteint d’une déficience visuelle du deuxième degré (par. 2.1). Dans les recours qu’il a formés contre l’ordonnance du tribunal du district Tsentralny du 12 avril 2013, ainsi que contre celle du 24 mai 2013 portant prolongation de sa détention provisoire, l’auteur a fait valoir qu’il était atteint d’une déficience visuelle du deuxième degré et que son état de santé se dégradait en détention (par. 2.7). Dans sa décision du 7 juin 2013, le tribunal régional de Volgograd a déclaré que la question du suivi médical de l’auteur et des mesures prises par le personnel du SIZO no 1 à cet effet ne relevait pas de sa compétence et devait être soulevée dans le cadre d’une procédure différente (par. 2.7). Dans la décision qu’il a rendue en appel le 18 décembre 2013, le tribunal régional de Volgograd, en réponse aux allégations de l’auteur concernant l’absence de soins médicaux dont il aurait eu besoin, a indiqué avoir reçu du directeur du SIZO no 1 l’information selon laquelle l’auteur avait été adressé à des établissements médicaux municipaux et pénitentiaires de Volgograd en vue de consultations et d’examens pour la pathologie dont il souffrait (par. 2.8). Le tribunal a en outre déclaré que l’intéressé n’avait pas produit d’élément de preuve attestant de l’aggravation de son état de santé pendant sa détention (par. 2.8).

3.L’auteur a fait l’objet d’un diagnostic ophtalmologique établissant une atrophie du nerf optique et une dystrophie rétinienne, pathologies pour lesquelles il suivait un traitement ambulatoire depuis 2006. Il s’agissait d’un traitement particulier, qui devait lui être administré deux fois par an pour qu’il conserve la vue (par. 2.9). L’auteur a adressé des demandes au directeur du SIZO no 1 les 4 août et 20 septembre 2013 afin d’obtenir les soins dont il avait besoin et son conseil a présenté des demandes similaires les 24 septembre et 12 novembre 2013 (par. 2.9). Le conseil a sollicité l’obtention du traitement ophtalmologique nécessaire auprès du directeur de l’hôpital, les 11 et 15 octobre 2013. Cependant, malgré ces demandes, l’auteur n’a reçu aucun soin ophtalmologique et n’a pas été examiné par un ophtalmologue (par. 2.9). Le 17 décembre 2013, l’auteur a sollicité l’ouverture d’une enquête pénale auprès du service des enquêtes du district Dzerzhinsky à Volgograd, pour défaut de prise en charge médicale adéquate de la part du personnel de l’hôpital pénitentiaire LIU-15 (par. 2.10).

4.Le 21 février 2014, le service fédéral de surveillance des soins de santé pour la région de Volgograd a mené une enquête sur la qualité des soins qui lui avaient été dispensés à l’hôpital LIU-15, laquelle a révélé que l’auteur n’avait pas reçu les soins généraux nécessaires pour la maladie ophtalmologique dont il était atteint et n’avait pas bénéficié non plus d’un traitement, stationnaire ou ambulatoire, pour la dystrophie rétinienne (par. 4.5). L’organe de surveillance a adressé une instruction à l’hôpital pénitentiaire LIU-15, tout en concluant que l’absence de soins constatée n’avait pas entraîné et n’entraînerait pas d’aggravation de la pathologie de l’auteur (par. 4.5). L’auteur fait valoir qu’à l’issue de son séjour à l’hôpital no 1, sa déficience visuelle a été requalifiée du deuxième au premier degré, car il avait complètement perdu la vue aux deux yeux (par. 5.2).

Teneur de la plainte

5.L’auteur affirme qu’une violation des articles 7 et 10 du Pacte découle de ce que le personnel du SIZO no 1 et celui de l’hôpital pénitentiaire LIU-15 ne lui ont pas fourni le traitement ophtalmologique dont il avait besoin (par. 3.2). L’État partie fait valoir que la législation nationale offre à chacun la possibilité d’intenter une action civile contre les actes ou omissions des agents de l’État et d’obtenir réparation du préjudice découlant desdits actes ou omissions ; or à aucun moment l’auteur n’a saisi un tribunal d’une plainte visant des actes ou omissions du personnel du SIZO no 1 (par. 4.6). Tout en notant que l’État partie avait lui‑même reconnu que l’auteur n’avait pas reçu le traitement médical nécessaire à l’hôpital pénitentiaire LIU-15, comme l’avait constaté le service fédéral de surveillance des soins de santé pour la région de Volgograd, le Comité a conclu que les griefs que l’auteur avait tirés des articles 7 et 10 du Pacte étaient irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, parce qu’il n’avait pas épuisé tous les recours internes (par. 6.7).

Soins de santé en prison et diligence raisonnable des autorités de l’État

6.Les faits semblent montrer que l’auteur a demandé aux autorités du centre de détention, en personne et par l’intermédiaire de son avocat, qu’on lui fournisse les soins pour la maladie ophtalmologique dont il était atteint. Il a également soulevé cette question auprès des autorités judiciaires ; un tribunal a statué qu’elle ne relevait pas de sa compétence et une juridiction d’appel s’est prononcée sur les griefs de l’auteur concernant l’absence de soins médicaux nécessaires (par. 2.7 et 2.8). En outre, l’auteur a demandé l’ouverture d’une enquête pénale, pour défaut de prise en charge médicale adéquate de la part du personnel de l’hôpital pénitentiaire LIU-15 (par. 2.10). L’auteur n’a reçu aucun traitement, stationnaire ou ambulatoire, pour la dystrophie rétinienne, et à l’issue de son séjour à l’hôpital no 1, sa déficience visuelle a été requalifiée du deuxième au premier degré, car il avait complètement perdu la vue aux deux yeux (par. 5.2).

7.L’auteur a tenté d’obtenir l’accès aux soins de santé nécessaires, en portant la question à l’attention des autorités du centre de détention et des autorités judiciaires, mais en vain. L’État partie a reconnu que l’auteur n’avait pas reçu les soins de santé nécessaires pendant son séjour en prison. Étant donné que les autorités de l’État ne lui ont pas fourni les soins de santé nécessaires, en dépit des demandes répétées qui leur ont été adressées à cette fin, l’article 10 a été violé.

Observations finales

8.Dans les circonstances de l’espèce et pour les raisons expliquées ci-dessus, le Comité aurait dû constater une violation de l’article 10.