Nations Unies

CCPR/C/126/D/2417/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2417/2014 * , **

Communication présentée par :

Sergey Geller (représenté par un conseil, Elizaveta Moksheva)

Victime présumée :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

12 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 5 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 juillet 2019

Objet :

Liberté de religion

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de religion ; discrimination fondée sur la religion

Article(s) du Pacte :

18 (par. 1 et 3), lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3 a) b) et c)) ; 26, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1) ; 27

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Sergey Geller, de nationalité kazakhe, né en 1959. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 18 (par. 1 et 3), lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3 a), b) et c)), 26, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1), et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est le dirigeant d’une organisation religieuse locale dûment enregistrée, l’Association pour la conscience de Krishna, établie dans la ville de Kostanay. Le 9 juin 2013, il a organisé une réunion des membres de l’Association, suivie d’une cérémonie religieuse, en un lieu qu’il loue spécialement pour des activités religieuses depuis 2011. Environ 20 personnes ont participé à cette réunion et à la cérémonie. Selon la pratique usuelle, un policier chargé de contrôler la légalité des cérémonies religieuses était présent. Ce policier avait invité un représentant du département régional des affaires religieuses à venir vérifier que la cérémonie respectait la loi. À un moment donné, l’un et l’autre ont quitté la salle et après leur départ la cérémonie a été interrompue par la police, qui a informé l’auteur qu’elle avait reçu par téléphone une plainte concernant la cérémonie. La police a pris des photos des participants, de leurs livres et des lieux. Lorsque les participants ont voulu partir, la police a exigé de chacun d’eux qu’il explique au préalable par écrit pourquoi ils étaient là et ce qu’ils faisaient.

2.2Le 9 septembre 2013, l’auteur a été convoqué au bureau du procureur de la ville de Kostanay et interrogé au sujet de la réunion du 9 juin 2013.

2.3Le 2 octobre 2013, le tribunal administratif interdistrict spécial de Kostanay a jugé l’auteur coupable d’avoir organisé une réunion religieuse en un lieu autre que l’adresse à laquelle l’Association pour la conscience de Krishna était enregistrée sans en avoir informé au préalable le département régional des affaires religieuses. Le représentant du département qui avait assisté à la réunion du 9 juin 2013 a déclaré à l’audience que la réunion ne lui avait pas été notifiée. L’auteur a fait valoir que même si la procédure de notification n’était pas prescrite par la législation en vigueur, depuis deux ans, il notifiait officieusement au département toutes les réunions tenues à cette adresse par l’Association. Le tribunal a néanmoins reconnu l’auteur coupable d’une infraction au paragraphe 1 de l’article 375 du Code des infractions administratives, l’a condamné à une amende de 173 100 tenge et a suspendu les activités de l’association pour trois mois.

2.4Le 11 octobre 2013, l’auteur a interjeté appel devant la cour régionale de Kostanay. Le bureau du procureur de la ville de Kostanay a également fait appel de la décision du tribunal administratif, demandant à la juridiction d’appel d’annuler la suspension mais de confirmer la peine d’amende. Le 24 octobre 2013, la cour régionale de Kostanay a confirmé la peine d’amende prononcée par le tribunal de première instance mais a annulé la suspension de trois mois des activités de l’Association.

2.5À une date inconnue, l’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la cour régionale de Kostanay, pourvoi qui a été rejeté le 14 novembre 2013 au motif que les pourvois en cassation ne pouvaient, en matière administrative, être examinés que si le bureau du Procureur général formait également un recours. Dans le même temps, l’auteur a présenté des requêtes au bureau du procureur régional de Kostanay et au Procureur général pour leur demander de former un recours (protestation) contre la décision de la cour régionale de Kostanay. Ces deux requêtes ont été rejetées. Selon une lettre signée par le Procureur général adjoint le 6 janvier 2014, la réunion du 9 juin 2013 ne s’était pas tenue à l’adresse enregistrée de l’Association ni dans un des lieux énumérés au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses. Dans sa lettre, le procureur de la région de Kostanay déclarait que la procédure à suivre pour organiser des cérémonies religieuses était régie par les normes de coordination des cérémonies religieuses organisées ailleurs qu’à l’adresse officielle des organisations religieuses en date du 9 septembre 2013.

2.6L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 18 (par. 1 et 3), lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3 a), b) et c)) du Pacte, parce que l’État partie a restreint son droit de manifester sa religion en commun. Il fait valoir que les restrictions imposées par l’État partie n’étaient pas prévues par la loi ni nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui.

3.2L’auteur fait valoir qu’au Kazakhstan, les fidèles de religions traditionnelles (principales) comme l’islam ou le christianisme ne sont pas tenus d’obtenir une autorisation pour tenir leurs cérémonies hors du lieu où elles sont enregistrées. Il donne comme exemple une réunion à laquelle il a participé en novembre 2013 à la bibliothèque régionale de Kostanay et lors de laquelle l’imam d’une mosquée locale a donné une conférence sur l’islam. Il estime qu’il a fait l’objet d’une discrimination en sa qualité de représentant d’une religion « non traditionnelle » et que les droits qu’il tient de l’article 26 du Pacte lu conjointement avec l’article 2 (par. 1) ont ainsi été violés.

3.3L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation de l’article 27 du Pacte. Il fait valoir qu’exiger d’une association religieuse qu’elle demande une autorisation pour organiser une cérémonie religieuse hors du lieu où elle est enregistrée restreint les droits des fidèles des religions non traditionnelles (minoritaires). Les groupes religieux majoritaires ou « traditionnels » ont suffisamment de fonds pour acheter des terrains et construire des mosquées et des églises, les enregistrer officiellement et y tenir toutes leurs cérémonies. En revanche, les associations religieuses minoritaires comme celle de l’auteur doivent souvent s’enregistrer à l’adresse d’un domicile privé et louer des locaux pour tenir leurs cérémonies.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 19 décembre 2014, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il indique que le 9 juin 2013, l’auteur, en sa qualité de dirigeant de l’organisation religieuse appelée Association pour la conscience de Krishna, a organisé une réunion à laquelle 20 personnes ont participé, à une adresse différente de celle où l’Association est enregistrée, et qu’il a pour cette raison été condamné à une amende par le tribunal administratif interdistrict spécial de la ville de Kostanay.

4.2L’État partie fait observer que le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses dispose que les activités religieuses peuvent avoir lieu sans restriction dans les lieux suivants : les bâtiments de caractère religieux, les lieux de culte, les bureaux et les locaux des organisations religieuses, les cimetières et les crématoires, les habitations et les restaurants publics. Dans tous les autres cas, les activités religieuses doivent être organisées dans le respect de la législation du Kazakhstan. La réunion organisée par l’auteur le 9 juin 2013 a eu lieu dans un gymnase, sans que le département régional des affaires religieuses en ait été notifié.

4.3L’État partie fait valoir qu’en application de l’article 40 du Code des infractions administratives, seul le Procureur général du Kazakhstan ou ses adjoints peuvent faire appel des décisions judiciaires passées en force de chose jugée. Le pourvoi de l’auteur a été rejeté par le Procureur général adjoint du Kazakhstan, mais l’auteur n’a jamais demandé au Procureur général de faire appel de la décision de la cour. L’auteur n’a donc pas épuisé les recours internes disponibles comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Informations supplémentaires communiquées par l’auteur

5.1Dans une lettre datée du 22 décembre 2014, l’auteur informe le Comité que le 20 décembre 2014, il a été convoqué au département régional des affaires religieuses, où il lui a été demandé de retirer la communication soumise au Comité. Le chef du département, Nurikan Nugurbekov, lui a promis en contrepartie de l’autoriser à organiser des activités religieuses ailleurs qu’à l’adresse officielle de l’Association pour la conscience de Krishna. Il a dit à l’auteur que s’il ne retirait pas sa communication, le département cesserait de coopérer avec l’Association et entraverait ses activités. Il a également demandé copie de la communication. L’entretien a duré environ une heure en tout. À l’issue de celui-ci, un employé du département a proposé à l’auteur de le raccompagner chez lui en voiture, mais durant tout le trajet il n’a pas cessé d’exercer des pressions psychologiques sur lui pour l’amener à retirer sa communication. L’auteur prie le Comité d’exiger de l’État partie qu’il mette fin à ces représailles.

5.2Dans une lettre datée du 23 décembre 2014, l’auteur prie le Comité d’abandonner l’examen de sa communication au motif que tous ses problèmes avaient été réglés. Il déclare que ses droits n’ont pas été violés, et que la population du Kazakhstan jouit pleinement de son droit de manifester sa religion individuellement ou en commun.

5.3Dans une lettre datée du 23 janvier 2015, l’auteur informe le Comité qu’il a fait l’objet de pressions de la part du département régional des affaires religieuses, qui l’ont conduit à adresser au Comité sa lettre datée du 23 décembre 2014. En contrepartie, le département l’a autorisé à organiser les cérémonies religieuses futures de l’Association pour la conscience de Krishna dans le gymnase où avait eu lieu la réunion du 9 juin 2013, et il a prorogé d’une année supplémentaire le certificat d’enregistrement de l’Association. L’auteur fait aussi savoir qu’il a présenté une nouvelle requête au Procureur général pour lui demander de se pourvoir contre la décision de la cour régionale de Kostanay datée du 24 octobre 2013. Compte tenu de ces éléments, l’auteur prie le Comité de suspendre l’examen de la communication jusqu’à nouvel ordre.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

6.1Dans une lettre datée du 18 février 2015, l’auteur fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il rejette l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés. Il fait valoir qu’il a présenté une requête au Procureur général du Kazakhstan demandant à celui-ci de former un recours mais que cette requête a été rejetée par le Procureur général adjoint. Comme la loi dispose que tant le Procureur général que ses adjoints peuvent former un recours contre les décisions passées en force de chose jugée, l’auteur considère qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

6.2L’auteur fait aussi observer qu’aux termes du paragraphe 3 de l’article 7 de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses, les activités religieuses ne peuvent se tenir dans les lieux suivants : a) les locaux des organes étatiques ; b) les locaux des forces militaires, de la justice et de la police ; et c) les établissements d’enseignement, à l’exclusion des établissements religieux. Les locaux loués par l’auteur pour la réunion du 9 juin 2013 n’entrent dans aucune de ces catégories et des activités religieuses pouvaient donc s’y tenir sans restriction.

6.3L’auteur déclare que comme l’État partie a pris des mesures pour rétablir ses droits, il prie le Comité de suspendre ou d’ajourner l’examen de la présente communication.

Observations de l’État partie sur le fond

7.1Dans une note verbale datée du 25 mars 2015, répétée le 26 août 2015, l’État partie fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il fait valoir qu’avant le 20 décembre 2014, l’auteur a en plusieurs occasions consulté le département régional des affaires religieuses quant à la possibilité d’organiser des activités religieuses ailleurs qu’à l’adresse enregistrée de l’Association pour la conscience de Krishna. En revanche, l’auteur n’a pas été convoqué au département régional des affaires religieuses le 20 décembre 2014 parce que c’était un samedi et que les bureaux du département ne sont pas ouverts les samedis et dimanches.

7.2L’État partie affirme que les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte en sa qualité de citoyen n’ont pas été violés parce qu’il a été reconnu coupable d’une infraction administrative en sa qualité de dirigeant d’une organisation religieuse locale. S’agissant du paragraphe 3 de l’article 18, l’État partie note que cette disposition autorise les restrictions à la liberté de manifester sa religion qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. À cet égard, le paragraphe 6 de l’article 3 de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses dispose que chacun est libre d’avoir une religion et de la manifester, de participer aux activités d’organisations religieuses et de mener des activités missionnaires dans le respect de la législation du Kazakhstan.

7.3L’État partie souligne que l’article 14 de la Constitution du Kazakhstan interdit toute discrimination fondée sur la religion. Dans le même temps, nul ne peut invoquer ses convictions religieuses pour se soustraire à certaines obligations établies par la Constitution et les lois du Kazakhstan. L’État partie considère qu’en acquittant son amende administrative, l’auteur a reconnu sa culpabilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

8.1Dans une lettre datée du 6 mai 2015, l’auteur fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Il fait valoir qu’en 2013 le département des politiques internes de l’akimat régional de Kostanay a exécuté cinq projets sociaux pour un montant de 6 198 000 tenge financés par le budget de l’État. L’un de ces projets visait à la prévention de l’extrémisme religieux. Dans le cadre de ce projet, l’akimat régional, utilisant la documentation établie par le Ministère de la culture, a distribué des brochures dans lesquelles il était indiqué que l’Association internationale pour la conscience de Krishna appelait au non-respect des obligations civiles et que les disciples de Krishna n’obéissaient pas aux lois de l’État dans lequel ils vivaient. Cette position adoptée par le département des politiques intérieures révèle une attitude négative vis-à-vis des disciples de Krishna, qui a suscité une attitude similaire dans la société.

8.2L’auteur relève que dans ses observations, l’État partie renvoie au paragraphe 2 de l’article 7 de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses, qui exige que dans tous les lieux autres que ceux visés, les activités religieuses soient exercées dans le respect de la législation du Kazakhstan. Or l’État partie ne dit pas quelles dispositions législatives précises auraient été violées par l’auteur. L’auteur souligne que l’État partie n’a jamais répondu à cette question, pas plus que n’y ont répondu les juridictions administratives saisies en première instance ou en appel.

8.3L’auteur fait en outre observer que le 9 juin 2013, aucune disposition législative exigeant que les activités religieuses tenues ailleurs qu’à l’adresse enregistrée soient notifiées au département des affaires religieuses n’était en vigueur. Le 2 avril 2013, le Gouvernement a adopté les Normes de coordination des cérémonies religieuses organisées ailleurs qu’à l’adresse officielle des organisations religieuses. Puis, le 9 septembre 2013, le département régional des affaires religieuses a, sur la base des normes nouvellement adoptées, publié un règlement qui exposait la procédure à suivre pour organiser des cérémonies religieuses. Le règlement n’existait donc pas à la date où aurait eu lieu la violation alléguée à la charge de l’auteur.

8.4L’auteur fait valoir qu’actuellement l’État partie et lui-même essaient de régler la situation à l’amiable. Le département des affaires religieuses a déjà autorisé l’Association pour la conscience de Krishna à tenir ses futures réunions dans les locaux concernés et le certificat d’enregistrement de l’Association a été prorogé d’une année. Dans le même temps, il prie le Comité de recommander à l’État partie d’amender sa législation en vigueur et d’abolir l’obligation d’enregistrement imposée aux organisations religieuses car cette obligation limite la liberté de religion.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas présenté de requête en vue d’un contrôle juridictionnel auprès du Procureur général. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle une requête adressée au bureau du Procureur demandant le contrôle d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée ne constitue pas un recours à épuiser aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. En l’espèce, le Comité note que l’auteur affirme qu’il a demandé deux fois au Bureau du Procureur général un contrôle de la décision administrative le concernant. Il relève qu’au moins une de ces demandes a été rejetée par le Procureur général adjoint le 6 janvier 2014. Le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré qu’adresser une nouvelle requête au Procureur général pour demander un contrôle juridictionnel aurait constitué un recours utile en l’espèce. Il estime en conséquence qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

9.4Le Comité note également que l’auteur affirme qu’il a fait l’objet d’une discrimination en sa qualité de représentant d’une religion « non traditionnelle » et que l’obligation de demander une autorisation pour organiser une cérémonie religieuse à une adresse autre que celle déclarée au moment de l’enregistrement restreint les droits des organisations religieuses minoritaires. Il fait toutefois observer que ces allégations ne semblent avoir été formulées à aucun moment dans le cadre des procédures internes. Cette partie de la communication, qui soulève des questions au regard des articles 26 et 27 du Pacte, est en conséquence déclarée irrecevable parce que tous les recours internes n’ont pas été épuisés comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.5Le Comité considère que les allégations de l’auteur soulèvent également des questions au titre de l’article 18 du Pacte. De l’avis du Comité, l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 18 (par. 1 et 3), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a), b) et c)) du Pacte ; il les déclare donc recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées des parties.

10.2S’agissant du grief que l’auteur tire de l’article 18 du Pacte, le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte dispose que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. En l’espèce, le Comité relève que l’auteur a été condamné à une amende pour avoir organisé une réunion de membres de l’Association pour la conscience de Krishna, qui a été suivie d’une cérémonie religieuse, en un lieu autre que l’adresse à laquelle l’association était enregistrée, sans en avoir informé au préalable le département régional des affaires religieuses. Le Comité considère que les autorités de l’État partie ont imposé des restrictions au droit de l’auteur de manifester ses convictions en commun et que la peine d’amende constitue une restriction de ce droit.

10.3Le Comité doit maintenant se pencher sur la question de savoir si les restrictions au droit de l’auteur de manifester sa religion sont « nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui » au sens du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Il rappelle son observation générale no 22 (1993) sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, dans laquelle il affirme (par. 8) que le paragraphe 3 de l’article 18 doit être interprété au sens strict, et que les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Le Comité rappelle en outre que, lorsqu’ils interprètent la portée des clauses relatives aux restrictions autorisées, les États parties devraient s’inspirer de la nécessité de protéger les droits garantis par le Pacte, y compris le droit à l’égalité et le droit de ne faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur les motifs spécifiés aux articles 2, 3 et 26.

10.4Le Comité note qu’un policier était présent lors de l’événement en question et que celui-ci avait invité un représentant du département régional des affaires religieuses à assister également à la réunion. Il constate que l’État partie n’a avancé aucun argument expliquant pourquoi il serait nécessaire, aux fins du paragraphe 3 de l’article 18, que l’auteur, lorsqu’il souhaite organiser une réunion privée et une cérémonie religieuse avec les membres de son association religieuse, soit tenu d’en informer au préalable le département régional des affaires religieuses. En fait, l’État partie n’a pas essayé de justifier cette atteinte aux droits autrement qu’en citant une disposition de son droit interne selon laquelle les activités missionnaires doivent être exercées dans le respect de la législation du Kazakhstan, sans indiquer quelle était précisément la disposition faisant l’objet de la violation. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur, que l’État partie n’a pas réfuté, selon lequel lorsque la cérémonie en cause a eu lieu, aucune disposition législative en vigueur n’obligeait l’auteur à informer le département des affaires religieuses de la tenue d’activités religieuses ailleurs qu’à l’adresse enregistrée. Le Comité conclut que la peine prononcée contre l’auteur équivaut à une restriction du droit de celui-ci de manifester sa religion en commun en vertu du paragraphe 1 de l’article 18 ; que cette restriction n’était pas fondée sur la législation en vigueur au moment des faits et qu’il n’a pas été établi qu’elle servait un des buts légitimes visés au paragraphe 3 de l’article 18 ; et que l’État partie n’a pas non plus démontré que cette restriction générale du droit de manifester sa religion était proportionnelle à son objectif légitime, quel qu’il soit. Cette restriction ne satisfait donc pas aux conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 18 et le Comité considère en conséquence que les droits que l’auteur tenait du paragraphe 1 de l’article 18, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ont été violés.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 18, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3) de l’article 2 du Pacte.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, notamment, d’accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, y compris en lui remboursant le montant de l’amende qu’il a acquittée et les frais de justice et autres dépens qu’il a encourus. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des violations similaires se produisent à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de centre-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans toutes ses langues officielles.