Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/74/D/965/2000

29 avril 2002

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑quatorzième session18 mars-5 avril 2002

CONSTATATIONS

Communication no 965/2000

Présentée par:M. Mümtaz Karakurt (représenté parM. Ernst Eypeltauer, conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Autriche

Date de la communication:13 décembre 2000 (date de la lettre initiale)

Références:– Décision 91 du Rapporteur spécial, communiquée à l’État partie le 9 février 2001 (non publiée sous forme de document)

Date d’adoption des constatations:4 avril 2002

Le 4 avril 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 965/2000. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-quatorzième session

Concernant la

Communication no 965/2000**

Présentée par:M. Mümtaz Karakurt (représenté parM. Ernst Eypeltauer, conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:Autriche

Date de la communication:13 décembre 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 4 avril 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 965/2000 présentée parM. Mümtaz Karakurt en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 13 décembre 2000, est Mümtaz Karakurt, ressortissant turc, né le 15 juin 1962, qui affirme être victime d’une violation par la République d’Autriche de l’article 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

2.L’État partie a formulé deux réserves pertinentes qui influent sur l’examen de la présente affaire. Lorsqu’il a ratifié le Pacte, le 10 septembre 1978, l’État partie a émis la réserve suivante: «L’article 26 est interprété comme n’excluant pas la distinction de traitement selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers permise en vertu du paragraphe 2 de l’article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale». Lorsqu’il a ratifié le Protocole facultatif, le 10 décembre 1987, l’État partie a émis la réserve suivante: «Étant entendu que, conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2, dudit Protocole, le Comité des droits de l’homme institué en vertu de l’article 28 du Pacte n’examinera aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l’homme établie en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.»

Rappel des faits présentés par l’auteur

3.1L’auteur possède (uniquement) la nationalité turque mais détient un permis de séjour illimité en Autriche. Il travaille pour l’«Association d’aide aux étrangers» de Linz, qui emploie 10 personnes au total. Le 24 mai 1994 a eu lieu l’élection au comité d’entreprise («Betriebsrat») de l’association qui a le droit et à qui il incombe en vertu de la loi de promouvoir les intérêts du personnel et de veiller au respect des conditions de travail. L’auteur, qui remplissait les conditions requises par la loi, soit avoir plus de 19 ans et avoir été employé pendant plus de six mois, ainsi qu’un autre employé, M. Vladimir Polak, ont tous deux été élus aux deux sièges à pourvoir au comité.

3.2Le 1er juillet 1994, M. Polak a déposé une requête devant le tribunal régional de Linz tendant à ce que l’élection de l’auteur soit annulée au motif qu’il n’avait pas le droit de poser sa candidature au comité. Le 15 septembre 1994, le tribunal a fait droit à sa demande en se fondant sur le fait qu’en vertu de la législation du travail applicable, à savoir l’article 53 1) de la loi sur les relations professionnelles (Arbeitsverfassungsgesetz), seuls pouvaient se présenter aux élections à ces comités des ressortissants autrichiens ou de pays membres de l’Espace économique européen (EEE). L’auteur ne répondant à aucun de ces deux critères n’était donc pas éligible.

3.3Le 15 mars 1995, la cour d’appel de Linz a débouté l’auteur et confirmé la décision de la juridiction inférieure. Elle n’a par ailleurs conclu à aucune violation de l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) considérant qu’il n’avait pas été porté atteinte au droit de s’affilier à un syndicat. Le 21 avril 1995, l’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême, demandant entre autres un examen par la Cour constitutionnelle de la constitutionnalité (y compris par rapport à la CEDH) de l’article 53 1) de la loi en cause.

3.4Le 21 décembre 1995, la Cour suprême a rejeté le pourvoi de l’auteur ainsi que sa demande d’examen de la constitutionnalité. Elle a estimé que le comité d’entreprise n’était pas une «association» au sens de l’article 11 de la CEDH. Ce n’était pas une association constituée sur une base volontaire et privée; son organisation et ses attributions étaient déterminées par la loi et comparables à celles d’une chambre de commerce. Le personnel ne constituait pas non plus une association indépendante puisqu’il ne s’agissait pas d’un groupe de personnes qui s’étaient volontairement associées. En ce qui concerne l’allégation de discrimination à l’égard des étrangers, la Cour, se référant aux obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, a estimé que la différence de traitement entre les ressortissants autrichiens et les étrangers était justifiée en raison tant des distinctions établies par les traités économiques européens relatifs aux questions de main-d’œuvre entre les ressortissants et les non-ressortissants que des liens particuliers existant entre les ressortissants d’un État et cet État. En outre, étant donné que la durée du permis de séjour d’un étranger pouvait être limitée et assujettie à une décision administrative, il pouvait y avoir conflit entre la durée du permis et la durée réglementaire du mandat au sein d’un comité d’entreprise.

3.5Le 24 juillet 1996, l’auteur a déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 14 septembre 1999, la troisième chambre de la Cour a conclu, à la majorité, que la requête no 32441/96 était manifestement mal fondée et par conséquent irrecevable. La Cour a estimé que le comité d’entreprise, qui était un organe élu exerçant des fonctions de participation du personnel, ne pouvait pas être considéré comme une «association» au sens de l’article 11 de la CEDH, et que les dispositions législatives en cause ne portaient pas atteinte aux droits énoncés dans cet article.

Teneur de la plainte

4.1L’auteur affirme que l’article 53 1) de la loi sur les relations professionnelles et les décisions des tribunaux de l’État partie appliquant cette disposition violent ses droits à l’égalité devant la loi et à une protection contre toute discrimination, énoncés à l’article 26 du Pacte. L’auteur renvoie à cet égard aux constatations du Comité qui avait conclu à une violation de cet article en raison d’une discrimination fondée sur le sexe dans les affaires Broeks c. Pays-Bas et Zwaan-de Vries c. Pays-Bas. Pour l’auteur, la distinction établie dans le droit de l’État partie concernant les conditions à remplir pour être élu membre d’un comité d’entreprise entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays n’a pas de fondement rationnel ou objectif.

4.2L’auteur affirme que lorsque des employés manifestent leur confiance dans un collègue pour représenter leurs intérêts au sein du comité d’entreprise en l’élisant à ce comité, leur choix ne devrait pas être rejeté en vertu de la loi uniquement pour des raisons de nationalité. Rien ne saurait justifier le postulat de la loi, qui est qu’un ressortissant autrichien/ressortissant d’un pays de l’EEE peut mieux représenter les intérêts des employés. L’auteur ajoute que la loi ne limite pas par ailleurs l’exclusion des non-ressortissants, par exemple à ceux qui n’ont pas de permis de séjour valable pour la durée du mandat considéré ou qui ne parlent pas couramment l’allemand; il s’agit donc d’une exclusion très générale. Selon l’auteur, la réserve formulée par l’État partie à l’article 26 du Pacte ne doit pas être interprétée comme légitimant une inégalité de traitement entre ressortissants et non-ressortissants.

4.3Pour ce qui est de la recevabilité, l’auteur admet la réserve émise par l’État partie au sujet de l’article 5 du Protocole facultatif mais fait observer que la compétence du Comité pour examiner la communication n’est pas exclue étant donné que la Cour européenne n’a examiné que la question de «l’association» au regard de l’article 11 de la CEDH sans aborder les questions de la discrimination et de l’égalité devant la loi. L’auteur fait observer que l’article 26 du Pacte n’a pas d’équivalent dans la Convention européenne et que la communication devrait donc être considérée comme recevable.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Par des lettres datées du 31 juillet 2001 et du 14 mars 2002, l’État partie conteste aussi bien la recevabilité que le fond de la communication.

5.2En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà examiné la même question et qu’en conséquence, compte tenu de la réserve de l’État partie à l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité ne peut pas examiner la communication.

5.3Pour ce qui est du fond, l’État partie avance trois arguments quant aux raisons pour lesquelles il n’y a pas de violation du Pacte. Premièrement, l’État partie fait observer que si l’on réfléchit bien, la plainte relève de l’article 26 lu conjointement avec l’article 25, étant donné que le droit d’être élu aux comités d’entreprise correspond au droit politique de participer à la direction des affaires publiques énoncé à l’article 25. Toutefois, comme le Comité l’a confirmé dans son Observation générale no 18, l’article 25 reconnaît explicitement le droit des États parties de garantir ce droit en prévoyant une différenciation fondée sur la citoyenneté. En conséquence, le Pacte n’empêche pas l’État partie d’accorder uniquement à ses citoyens le droit de participer à la direction des affaires politiques, et pour cette seule raison, les allégations de l’auteur doivent être rejetées.

5.4Deuxièmement, l’État partie affirme que sa réserve à l’article 26 du Pacte empêche le Comité d’examiner la communication. Selon lui, il a exclu toute obligation de traiter sur un pied d’égalité les ressortissants et les non-ressortissants, harmonisant en cela les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte avec celles qu’il a contractées en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (voir art. 1er, par. 2), de cet instrument. En conséquence, il n’est pas tenu en vertu de l’article 26 d’accorder aux étrangers le même traitement qu’à ses ressortissants et l’auteur n’a aucun droit en vertu de l’article 26 d’être traité de la même manière que les ressortissants autrichiens pour ce qui est de l’éligibilité au comité d’entreprise.

5.5Troisièmement, l’État partie affirme que si le Comité en arrive à examiner la question de savoir si la différence de traitement entre l’auteur et les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE est justifiée, il constatera que cette différenciation est fondée sur des motifs raisonnables et objectifs. L’État partie fait valoir que le privilège accordé aux ressortissants de pays de l’EEE résulte de l’obligation conventionnelle internationale qu’il a contractée sur la base de la réciprocité et a pour but légitime d’éliminer les différences de traitement entre les travailleurs au sein des États membres de la Communauté européenne/de l’EEE. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle les privilèges accordés aux ressortissants de certains États en vertu d’un accord de droit international sont admissibles dans l’optique de l’article 26. Le Comité a observé que la création de catégories distinctes de personnes pouvant bénéficier des privilèges en question sur la base de la réciprocité était fondée sur des critères raisonnables et objectifs.

5.6L’État partie rappelle la décision en date du 21 décembre 1995 de la Cour suprême, laquelle, tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la justification du traitement préférentiel accordé aux ressortissants des États membres de la Communauté européenne, a estimé que le Traité d’adhésion à la Communauté européenne constituait une raison objective justifiant la différence de statut prévue par la loi entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants de pays tiers.

5.7L’État partie fait observer en conclusion que la question de savoir si, selon le droit européen directement applicable, des salariés turcs ont le droit de se présenter aux élections aux comités d’entreprise est actuellement en cours d’examen devant la Cour de justice européenne. L’État partie souligne toutefois que même si celle-ci conclut à l’existence d’un tel droit, ce qui constituerait une réponse favorable à la plainte actuelle de l’auteur, la distinction prévue dans la loi en vigueur entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays reste objectivement justifiée et est par conséquent conforme à l’article 26.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans des observations datées du 19 septembre 2001, l’auteur rejette les arguments de l’État partie concernant aussi bien la recevabilité que le fond de la communication.

6.2En ce qui concerne la recevabilité, l’auteur souligne que la requête qu’il a déposée devant la Cour européenne avait trait au droit d’association protégé par l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme alors que la présente communication porte sur une discrimination et une violation du principe de l’égalité devant la loi énoncé à l’article 26 du Pacte. En conséquence, se référant en général à la jurisprudence du Comité, l’auteur affirme que la question dont le Comité est saisi n’est pas la «même» que celle qui a déjà été soumise à la Cour européenne. De toute façon, selon lui, le fait que la communication a été déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement ne signifie pas que la question ait été «examinée», au sens de la réserve de l’État partie.

6.3S’agissant du fond, l’auteur affirme que l’article 25 n’a aucun rapport avec l’affaire considérée, puisqu’il concerne les affaires publiques et non les questions d’organisation des structures professionnelles dans le secteur privé. La question du comité d’entreprise étant en rapport avec la représentation centrale des employés d’une organisation du secteur privé, elle n’a aucune dimension publique qui relèverait de l’article 25 et la plainte doit être considérée uniquement au regard des principes généraux qui sont énoncés à l’article 26.

6.4L’auteur réaffirme que l’article 26 impose à l’État partie l’obligation générale d’éviter toute discrimination en droit et en fait et considère qu’il n’existe aucun motif raisonnable et objectif justifiant la différenciation établie. Une différenciation raisonnable serait non pas d’imposer une interdiction générale aux ressortissants de pays autres que l’Autriche ou les pays de l’EEE mais plutôt d’accorder à ceux d’entre eux qui, comme l’auteur, ont les aptitudes linguistiques et les capacités juridiques requises, le droit de se présenter aux élections aux comités d’entreprise. L’existence même de la disposition adoptée par le conseil d’association de la Communauté économique européenne et la procédure en cours devant la Cour de justice européenne mettent en évidence le caractère problématique de la différenciation générale actuellement établie dans ce domaine de l’emploi entre les ressortissants autrichiens/ressortissants de pays de l’EEE et les ressortissants d’autres pays qui accomplissent les mêmes tâches.

Délibération du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Comme il y est tenu par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Comme il y est tenu par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a vérifié que les recours internes avaient bien été épuisés.

7.4En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle sa réserve à l’article 5 du Protocole facultatif exclut la compétence du Comité pour examiner la communication, le Comité note que l’on doit entendre par «même question» au sens de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif «une seule et même plainte concernant le même individu». En l’espèce, l’auteur avance des allégations ponctuelles de discrimination et de violation du principe de l’égalité devant la loi, qui n’ont pas été, et d’ailleurs n’auraient pas pu être, formulées devant les instances européennes. En conséquence, le Comité considère que la réserve de l’État partie au Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

7.5Le Comité a pris note de la réserve à l’article 26 du Pacte formulée par l’État partie selon laquelle ce dernier interprète cette disposition «comme n’excluant pas la distinction de traitement selon qu’il s’agit de ressortissants autrichiens ou de ressortissants étrangers permise en vertu du paragraphe 2 de l’article 1 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale». Le Comité estime en conséquence ne pouvoir examiner la partie de la communication dénonçant l’existence d’une distinction injustifiée dans le droit de l’État partie entre les ressortissants autrichiens et l’auteur. La réserve n’influe en revanche pas sur la partie de la plainte relative à la distinction établie dans le droit de l’État partie entre les étrangers ressortissants de pays de l’EEE et les autres étrangers – dont l’auteur. Le Comité déclare en conséquence cette partie de la communication recevable et procède sans tarder à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

8.1Le Comité a examiné la communication en tenant compte de tous les informations que les parties lui ont adressées, comme il y est tenu en vertu du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la plainte relève en réalité de l’article 25 du Pacte, le Comité observe que le droit protégé par cet article est celui de participer à la vie politique publique de la nation et n’a aucun rapport avec des questions d’emploi dans le secteur privé telles que l’élection d’un employé au comité d’entreprise d’une société privée. En conséquence, il estime que l’article 25, avec toutes les conséquences négatives qui pourraient en découler pour l’auteur, n’est pas applicable aux circonstances de l’espèce.

8.3Passant à l’évaluation de la question de la différenciation au regard de l’article 26, le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les distinctions prévues dans le droit d’un État partie ne sont pas toutes incompatibles avec cette disposition si elles sont fondées sur des critères raisonnables et objectifs.

8.4Dans la présente affaire, l’État partie a accordé à l’auteur, qui n’est ressortissant ni de l’Autriche ni d’un pays de l’EEE, le droit de travailler sur son territoire pendant une période indéterminée. La question qui se pose par conséquent est celle de savoir s’il existe des critères raisonnables et objectifs justifiant l’exclusion de l’auteur – en raison de sa seule nationalité – du bénéfice d’un droit naturellement et étroitement associé au fait de travailler dans l’État partie et dont jouissent les ressortissants de pays de l’EEE, à savoir le droit de se présenter aux élections au comité d’entreprise pertinent. Le Comité a constaté dans une affaire (Van Oord c. Pays-Bas, communication no 658/1995) qu’un accord international instituant un traitement préférentiel en faveur des ressortissants des États contractants pouvait constituer un critère raisonnable et objectif de différenciation sans que l’on puisse pour autant en dégager une règle générale selon laquelle un tel accord constituerait en soi un critère suffisant au regard de l’article 26 du Pacte. Il faut au contraire statuer en fonction des faits pour chaque affaire. En l’espèce, le Comité doit prendre en considération la fonction dont est investi un membre de comité d’entreprise,c’est-à-dire promouvoir les intérêts du personnel et veiller au respect des conditions de travail (voir par. 3.1). Compte tenu de ce qui précède, instituer en matière d’éligibilité à un comité d’entreprise une distinction visant certains étrangers fondée sur leur seule nationalité n’est pas raisonnable. En conséquence, le Comité estime que l’auteur a fait l’objet d’une discrimination en violation de l’article 26.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.

10.Selon le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est dans l’obligation de fournir à l’auteur un recours utile, consistant à modifier la législation applicable afin qu’aucune distinction ne soit établie entre les personnes qui se trouvent dans la situation de l’auteur et les ressortissants de pays de l’EEE.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toute personne se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de publier les constatations du Comité.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (en partie dissidente) de Sir Nigel Rodley etM. Martin Scheinin, membres du Comité

Nous adhérons aux constatations du Comité selon lesquelles il y a eu violation de l’article 26 du pacte. À notre avis cependant, la réserve de l’État partie relative à cette disposition ne devrait pas être comprise comme écartant la compétence du Comité à examiner la question de savoir si la distinction entre ressortissants autrichiens et étrangers est contraire à l’article 26.

Tant le libellé de la réserve que les observations de l’État partie soumises au titre de la présente affaire renvoient à l’intention de l’Autriche d’harmoniser ses obligations découlant du Pacte avec celles auxquelles elle a souscrit en vertu de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Interprétée en se fondant sur le sens ordinaire des termes dans lesquels elle est formulée, cette réserve a donc pour effet que le Comité se voit empêché d’apprécier si une distinction faite entre ressortissants autrichiens et étrangers est assimilable à une discrimination fondée sur «la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique» la rendant incompatible avec l’article 26 du Pacte.

Dans sa pratique le Comité n’a toutefois pas abordé les distinctions fondées sur la nationalité sous l’angle de la race, de la couleur, de l’ethnie ou de notions de cet ordre, mais en tant que question autonome relevant de l’article 26. Notre opinion est que les distinctions fondées sur la nationalité relèvent de la notion «toute autre situation» visée à l’article 26 et non des motifs de discrimination visés au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

En conséquence, la réserve de l’Autriche à l’article 26 n’influe pas sur la compétence du Comité à déterminer si une distinction faite entre nationaux et étrangers constitue une discrimination proscrite au sens de l’article 26 du Pacte mais fondée sur des motifs autres que ceux visés également dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Rien n’empêche dès lors le Comité d’apprécier si une distinction fondée sur la nationalité est en l’espèce incompatible en soi avec l’article 26.

Nous estimons donc que la question dont est saisi le Comité est celle de la compatibilité de la législation de l’État partie telle qu’appliquée dans l’affaire considérée qui interdit à un étranger de solliciter un mandat électif dans un comité d’entreprise avec les obligations incombant à l’État partie en vertu de l’article 26. Aucun élément figurant dans la réponse de l’État partie ne nous amène à penser que cette restriction soit raisonnable ou objective. C’est là que réside la violation par l’État partie de l’article 26 du Pacte.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

-----