Nations Unies

CAT/C/70/D/819/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 janvier 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 819/2017*,**

Communication p résentée par :

J. D.

Victime(s) présumée(s) :

La requérante

État partie :

Suisse

Date de la requête :

30 mars 2017 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

30 décembre 2020

Objet :

Expulsion vers la Chine

Question(s) de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3

1.1La requérante est J. D., de nationalité chinoise, née en 1985. Elle n’est pas représentée par un conseil. Elle affirme que son expulsion vers la Chine constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention.

1.2Le 11 avril 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de mesures provisoires tendant à ce que l’État partie suspende l’expulsion de la requérante tant que la requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1La requérante est originaire de Zangjiakou, dans la province de Hebei (Chine). Elle est membre de la communauté religieuse Quannengshen (l’Église de Dieu Tout-Puissant) depuis que sa tante lui a fait découvrir celle-ci en 2012. Le 1er décembre 2012, des sympathisants de Quannengshen ont averti sa tante que la police savait qu’elle pratiquait cette religion et, le 10 décembre 2012, sa tante a été condamnée à une amende. En 2013, la situation est devenue plus difficile pour les fidèles de Quannengshen, dont le nombre avait augmenté et dont les activités étaient surveillées par les autorités. Aux alentours du mois de mai 2014, les autorités ont répandu des rumeurs sur l’Église. La requérante a décidé, avec sa tante et son oncle, de ne plus assister aux rassemblements. Pour échapper au risque de persécutions, sa tante a déménagé. Le 8 octobre 2014, la requérante et sa tante ont été dénoncées par un voisin, que la tante avait essayé de convertir. La police s’est entretenue avec l’oncle de la requérante et lui a demandé si sa femme et sa nièce étaient des croyantes. L’oncle a répondu que la requérante ne l’était pas et a promis qu’il veillerait à ce que sa femme cesse de parler de son ancienne religion. La tante et l’oncle de la requérante l’ont convaincue de quitter la Chine le plus rapidement possible.

2.2La requérante est restée cachée pendant cinq mois avec un ami de sa communauté religieuse, le temps qu’un autre ami confirme qu’elle n’était pas fichée par la police, et le 25 octobre 2014, elle a reçu son passeport délivré par les autorités de la province. Le 31 octobre 2014, des policiers ont fouillé, sans mandat, l’appartement de son père mais n’ont rien trouvé d’incriminant.

2.3Le 16 avril 2015, la requérante est arrivée en Suisse, où elle a déposé une demande d’asile deux mois plus tard. En juillet 2015, elle s’est installée dans le canton d’Aargau. En septembre 2015, elle a appris par l’intermédiaire d’un proche que la police avait découvert qu’elle avait fui en Suisse et que des policiers étaient revenus fouiller l’appartement de son père, avec un mandat cette fois, afin de trouver des preuves la concernant. Les policiers ont enjoint à son père de la persuader de revenir et l’ont menacé en lui disant que s’il savait où elle se trouvait et ne le révélait pas, il serait poursuivi pour avoir hébergé une criminelle et sa maison serait saisie. Sa cousine lui a conseillé de ne pas contacter ses parents directement pour ne pas leur causer plus d’ennuis.

2.4Le 21 novembre 2016, le Secrétariat d’État aux migrations a jugé que la requérante ne remplissait pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié et a rejeté sa demande, estimant que les arguments présentés n’étaient pas suffisamment étayés et que la description des faits ne répondait pas aux prescriptions en la matière. Le 19 décembre 2016, la requérante a déposé un recours devant le Tribunal administratif fédéral, arguant que les services d’interprétation fournis lors de ses échanges avec le Secrétariat d’État laissaient à désirer et que les observations écrites qu’elle avait présentées n’avaient pas été traduites. Elle avait rédigé ses observations en chinois et celles-ci n’avaient pas été prises en compte dans la procédure. Selon elle, l’interprète aurait déclaré qu’il n’était pas chrétien et qu’il ne pouvait pas traduire ce qu’elle disait. Elle affirme donc que son droit d’être entendue n’a pas été respecté. Dans son appel, elle indiquait que le Secrétariat d’État avait mis en doute l’authenticité de sa foi et que cette décision était arbitraire. Le Tribunal administratif fédéral a rejeté l’appel le 24 janvier 2017 par une décision définitive.

2.5Le 10 octobre 2016, la requérante a été élue diacre de Quannengshen en Suisse.

2.6La requérante pense que non seulement elle fera l’objet de poursuites à son retour en Chine en raison de ses convictions religieuses, mais la sanction qu’on lui infligera sera plus lourde étant donné qu’elle a fui le pays. Elle affirme que les autorités chinoises ont stigmatisé la communauté en la présentant comme une « secte maléfique ».

2.7Le 6 février 2017, la requérante a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête et d’une demande de mesures provisoires. Le 13 février 2017, la Cour a rejeté la demande de mesures provisoires. La Cour, statuant en formation à juge unique, a déclaré la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’étaient pas remplies. Les griefs tirés des articles 3 et 5 de la Convention étaient manifestement infondés et celui tiré de l’article 6 était irrecevable pour incompatibilité ratione materiae.

Teneur de la plainte

3.La requérante soutient qu’en la renvoyant de force en Chine, l’État partie manquerait aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. Elle affirme que les autorités n’ont pas tenu compte de tous les éléments pertinents. En outre, étant donné qu’elle fait partie de la communauté Quannengshen, elle risquerait d’être condamnée à une peine d’emprisonnement de trois à sept ans à son retour dans le pays et, partant, d’être persécutée par les autorités locales. À cet égard, la requérante souligne que l’Église Quannengshen est considérée comme une secte maléfique et qu’elle est interdite par le Parti communiste chinois.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 1er juin 2017, l’État partie, se fondant sur l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, a contesté la recevabilité de la requête au motif que la même question avait déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie souligne que la requérante a introduit une requête devant la Cour en affirmant, entre autres, que son retour en Chine l’exposerait au risque d’être soumise à la torture et constituerait par conséquent une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il rappelle que le 13 février 2017, la Cour a fait savoir à la requérante qu’elle avait décidé de ne pas donner suite à sa demande de mesures provisoires tendant à suspendre son expulsion et a indiqué expressément qu’elle n’interviendrait donc pas pour empêcher l’exécution de la mesure de renvoi. Selon la deuxième partie de cette décision, la Cour, statuant en formation à juge unique, a déclaré les griefs de la requérante irrecevables au motif que ceux-ci ne remplissaient pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

4.2L’État partie fait observer que la décision de la Cour européenne n’était pas uniquement fondée sur de simples questions de procédure, mais aussi sur des motifs de fond, ce qui signifie que le fond de l’affaire a été dûment pris en considération. Par conséquent, il y a tout lieu de considérer que la Cour a examiné la requête de la requérante au sens de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention contre la torture.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 25 mai 2018, la requérante a rappelé les risques qu’elle courrait si elle était renvoyée en Chine. Elle a ajouté qu’un membre de la même Église qu’elle en Suisse était retourné en Chine en janvier 2017 et qu’il avait été arrêté à son arrivée et condamné à trois ans et demi d’emprisonnement.

5.2La requérante réaffirme qu’elle est véritablement croyante et que les autorités locales suisses n’ont pas prêté attention aux éléments de preuve soumis mais se sont fondées sur des affaires non pertinentes pour justifier la décision rendue par le Secrétariat d’État aux migrations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention.

6.2Le Comité note que, selon l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, étant donné que la même question a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme.

6.3Le Comité rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il considère qu’une communication a été ou est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si l’examen par l’autre instance portait ou porte sur « la même question » au sens de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, c’est‑à‑dire avait ou a trait aux mêmes parties, aux mêmes faits, et au même contenu des droits.

6.4Le Comité constate que la requérante a déposé auprès de la Cour européenne des droits de l’homme une requête qui concernait les mêmes faits et qui contenait notamment des griefs tirés de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la torture). Il note en outre que dans sa décision en date du 13 février 2017, la Cour a déclaré la requête irrecevable, considérant que les griefs tirés des articles 3 et 5 de la Convention étaient manifestement infondés et que le grief tiré de l’article 6 était irrecevable pour incompatibilité ratione materiae.

6.5Le Comité rappelle que, lorsque la Cour européenne des droits de l’homme déclare une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant, dans une certaine mesure, sur un examen au fond, il est considéré que la question a déjà été examinée au sens de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il s’agit donc pour lui de déterminer si, en l’espèce, la Cour est allée au-delà d’un simple examen des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle a déclaré la requête irrecevable au motif que les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention n’avaient pas été remplies.

6.6Le Comité constate à la lecture de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme que les griefs que la requérante tire de l’article 3, qui ont été jugés infondés, ne semblent pas avoir été déclarés irrecevables pour des motifs exclusivement procéduraux. Il note qu’au contraire, les motifs avancés par la Cour montrent sans équivoque que celle-ci a bien examiné le fond de l’affaire, quoique de manière limitée. Il conclut donc que la même question a déjà été examinée par la Cour.

7.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que la condition posée à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention n’est pas remplie en l’espèce.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée à la requérante et à l’État partie.