Nations Unies

CMW/C/SEN/CO/2-3

Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Distr. générale

20 mai 2016

Original : français

Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Observations finales concernant le rapport du Sénégal valant deuxième et troisième rapports périodiques *

1.Le Comité a examiné le rapport du Sénégal valant deuxième et troisième rapports périodiques (CMW/C/SEN/2-3) à ses 312e et 313e séances (CMW/C/SR.312 et 313), les 13 et 14 avril 2016. À sa 323e séance, le 21 avril 2016, le Comité a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la soumission du rapport de l’État partie valant deuxième et troisième rapports périodiques, élaboré en réponse à la liste de points établie avant la soumission du rapport (CMW/C/SEN/QPR/2-3), ainsi que des informations additionnelles fournies pendant le dialogue par la délégation multisectorielle qui était conduite par le Représentant permanent du Sénégal auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, Mame Baba Cissé, et comprenait des représentants du Ministère de la justice, du Ministère de la femme, de la famille et de l’enfance, du Ministère du travail, du dialogue social, des organisations professionnelles et des relations avec les institutions, du Ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur, et de la Mission permanente du Sénégal auprès de l’Office des Nations Unies à Genève. Le Comité a également apprécié le dialogue franc, ouvert et constructif engagé avec la délégation.

3.Le Comité note que le Sénégal, comme pays d’origine de travailleurs migrants, a réalisé des progrès dans la protection des droits de ses ressortissants travaillant à l’étranger. Le Comité note, cependant, que l’État partie est confronté, en tant que pays de transit et de destination, à un certain nombre de défis en matière de protection des droits des travailleurs migrants présents sur son territoire.

4.Le Comité constate qu’un certain nombre de pays dans lesquels les travailleurs migrants sénégalais sont employés ne sont pas encore parties à la Convention, ce qui peut constituer un obstacle à l’exercice des droits des migrants au titre de la Convention.

B.Aspects positifs

5.Le Comité note avec satisfaction la ratification par l’État partie des traités internationaux suivants ou l’adhésion à ceux-ci :

a)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en septembre 2010 ;

b)La Convention multilatérale de sécurité sociale de la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale, en juin 2014 ;

c)La Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, en août 2011.

6.Le Comité note avec appréciation l’adoption des mesures législatives suivantes :

a)L’amendement des décrets ministériels nos 3748 à 3750/MFPTEOP/DTSS de 2003 et de l’article 145 du Code du travail (1997), en 2015 ;

b)La loi no 2013-05, modifiant la loi no 61-10 du 7 mars 1961 relative à la nationalité sénégalaise.

7.Le Comité note avec satisfaction l’adoption des mesures institutionnelles et politiques suivantes :

a)Le plan cadre national pour la prévention et l’abolition du travail des enfants et son plan d’action (2012-2016) ;

b)Le plan cadre national pour l’éradication de la mendicité des enfants (2013-2015) ;

c)Le plan d’action national de lutte contre la traite des personnes (2012-2014) ;

d)Le programme de couverture maladie universelle, en 2013 ;

e)Le projet de développement local et de migration légale comme alternative à l’immigration clandestine (2011-2012) ;

f)Le programme d’appui aux initiatives pour le développement (2009-2011) ;

g)L’établissement de la Cellule nationale de coordination de lutte contre la traite des personnes, en 2010 ;

h)Le projet de prévention de la migration illégale du Sénégal vers l’Union européenne ;

i)Le projet d’appui à la réinsertion des émigrés clandestins.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

1.Mesures d’application générales (art. 73 et 84)

Législation et application

8.Le Comité note avec satisfaction les déclarations de la délégation selon lesquelles l’État partie applique un système moniste caractérisé par la primauté du droit international sur les lois nationales et l’applicabilité directe des traités internationaux dans le droit interne. Le Comité demeure toutefois préoccupé par le fait que les dispositions de la Convention n’ont pas été pleinement intégrées dans le droit national. Le Comité est également préoccupé par le manque d’informations concernant l’application de la Convention par les tribunaux nationaux.

9. Le Comité exhorte l’ État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour intégrer pleinement la Convention dans le droit interne et garantir que ses lois et politiques nationales soient mises en harmonie avec les dispositions de la Convention. Le Comité invite également l’État partie à fournir, dans son quatrième rapport périodique, des informations sur l’application de la Convention par les tribunaux nationaux.

Articles 76 et 77

10.Le Comité note que l’État partie n’a pas encore fait les déclarations prévues aux articles 76 et 77 de la Convention reconnaissant la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications d’États parties et de particuliers concernant des violations des droits consacrés par la Convention.

11. Le Comité encourage l’État partie à envisager de faire les déclarations prévues aux articles 76 et 77 de la Convention.

Ratification d’instruments pertinents

12.Le Comité note avec appréciation la ratification par l’État partie de tous les principaux traités des droits de l’homme, ainsi que celle de plusieurs conventions de l’Organisation internationale du Travail. Il note toutefois que l’État partie n’a pas encore ratifié le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention (no 97) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur les travailleurs migrants (révisée), 1949, la Convention (no 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975, et la Convention (no 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011.

13. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager, dès que possible, de ratifier les protocoles facultatifs aux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme mentionnés ci-dessus, ainsi que la Convention de l’OIT (n o 97) sur les travailleurs migrants (révisée) , 1949, la Convention (n o 143) sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), 1975 , et la Convention (n o 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011.

Politique et stratégie globale

14.Le Comité apprécie l’adoption d’un certain nombre de programmes et projetsrelatifs à la migration, ainsi que la mise en œuvre de la politique nationale de l’emploi 2010-2015 et de son plan d’actions opérationnel. Il est cependant préoccupé par l’absence d’une politique globale et stratégique dans le domaine des migrations.

15. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter, de mettre en œuvre et de financer à hauteur des besoins une politique globale pour la migration de main-d’œuvre, conformément aux dispositions de la Convention et en tenant compte de la différence entre les sexes.

Coordination

16.Le Comité est préoccupé par la coordination insuffisante entre les institutions et les services qui s’occupent des diverses mesures visant à réaliser les droits au titre de la Convention.

17. Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour améliorer la coordination entre les ministères et les organismes à tous les niveaux de l’administration en vue de l’application effective des droits protégés au titre de la Convention. Il l’encourage, à ce titre, à instituer un organisme indépendant chargé de la coordination, de la gestion et du suivi de toutes les questions relatives à la migration de main-d’œuvre ou à réactiver la Commission nationale de gestion et de suivi des offres d’emploi, en dotant ce nouvel organisme ou cette commission nationale réactivée de ressources financières et humaines et de capacités d’action suffisantes.

Collecte de données

18.Le Comité note l’adoption de la stratégie nationale de développement de la statistique (2014-2019). Il apprécie également les données fournies par l’État partie sur la base des enquêtes générales et des recensements de population. Cependant, il juge insuffisantes les données statistiques sur les flux migratoires à destination, en provenance et en transit par l’État partie, notamment celles concernant les travailleurs migrants et les membres de leur famille en situation irrégulière, ainsi que sur d’autres questions liées aux migrations, informations qui auraient permis au Comité d’évaluer précisément dans quelle mesure et par quels moyens les droits consacrés par la Convention sont mis en œuvre dans l’État partie.

19. Le Comité recommande à l’État partie d’établir une base de données centralisée pour collecter des statistiques et des informations en rapport avec la migration , tant qualitatives que quantitatives, couvrant tous les aspects de la Convention, y compris en ce qui concerne les travailleurs migrants en situation irrégulière, et de recueillir des données détaillées sur le statut des travailleurs migrants dans l’État partie. Il l’encourage à collecter des informations et des statistiques ventilées par sexe, âge, nationalité, motif d’entrée et de sortie , et type de travail effectué, conformément à la cible 17.18 des o bjectifs de développement d urable , afin d’orienter efficacement les politiques pertinentes et l’application de la Convention. Le Comité recommande également à l’État partie de coopérer avec ses représentations diplomatiques et consulaires à l’étranger afin de rassembler des données sur les migrations, notamment sur la situation des migrants en situation irrégulière et les victimes de la traite. Lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir des renseignements précis, par exemple en ce qui concerne les travailleurs migrants en situation irrégulière, fournir des informations fondées sur des études ou des estimations.

Formation et diffusion de la Convention

20.Le Comité note avec appréciation l’existence d’un site d’information du Ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur portant sur les droits de la Convention et les conditions d’admission, de séjour et d’établissement au Sénégal, les sessions de formation pour les agents déployés dans les postes frontières en matière de fraude documentaire, de gestion des flux migratoires et de respect des droits des migrants, ainsi que les deux modules de formation pour magistrats sur l’application des conventions internationales. Le Comité est toutefois préoccupé par le manque d’informations et de programmes de formation portant spécifiquement sur la Convention et les droits qui y sont consacrés, et par la diffusion insuffisante de telles informations auprès des parties prenantes, notamment les autorités nationales, régionales et locales, le personnel chargé de l’application des lois, les juges, les procureurs, les agents consulaires concernés, les travailleurs sociaux, ainsi que les organisations de la société civile, les universités, les médias, les travailleurs migrants eux-mêmes et les membres de leur famille.

21. Le Comité recommande à l’État partie d’élaborer des programmes d’éducation et de formation portant sur la Convention et de veiller à ce que cette formation soit dispensée à tous les agents publics et aux autres personnes qui travaillent dans des domaines liés aux migrations. Il lui recommande également de veiller à ce que les travailleurs migrants aient accès à l’information sur les droits que leur reconnaît la Convention, et de collaborer avec les universités, les organisations de la société civile et les médias pour diffuser des informations sur la Convention et promouvoir son application.

2.Principes généraux (art. 7 et 83)

Non-discrimination

22.Le Comité note qu’outre la Convention, l’État partie a ratifié tous les principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui interdisent toute discrimination quel qu’en soit le fondement, et que ces instruments font partie intégrante du corpus juridique national, conformément aux dispositions de l’article 98 de la Constitution de 2001. Il note également que le cadre constitutionnel et législatif de l’État partie contient des dispositions contre la discrimination, notamment dans les domaines de l’emploi, la santé, l’éducation et la sécurité sociale. Le Comité est toutefois préoccupé par :

a)Le fait que la législation nationale en matière d’emploi et de conditions de travail ne couvre pas tous les motifs de discrimination interdits énumérés dans la Convention (voir le paragraphe 1 de l’article premier de la Convention et son article 7) et ne comporte pas de disposition spécifique interdisant la discrimination fondée sur la nationalité ;

b)Les informations selon lesquelles les travailleurs migrants en provenance des pays touchés par l’épidémie d’Ebola seraient victimes de discrimination et de stigmatisation affectant notamment les droits à la santé, à l’éducation, au travail équitable et au logement, et sont souvent victimes de harcèlement ;

c)Les enfants nés au Sénégal de parents étrangers auraient des difficultés pour obtenir la nationalité sénégalaise, en raison essentiellement des lenteurs et de la complexité de la procédure de naturalisation ;

d)Le fait que les droits des travailleurs migrants en situation irrégulière, dans le secteur informel et en transit, ainsi que ceux des familles des Sénégalais qui travaillent à l’étranger ne sont pas suffisamment respectés, en particulier en ce qui concerne l’accès aux prestations sociales ;

e)Le manque d’informations sur les pratiques réelles et l’absence d’exemples qui permettraient d’évaluer le degré de réalisation du droit à la non-discrimination consacré par la Convention en ce qui concerne tous les travailleurs migrants, qu’ils soient ou non pourvus de documents.

23. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires, notamment en modifiant sa législation, pour que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui se trouvent sur son territoire ou sous sa juridiction, qu’ils soient pourvus ou non de documents, jouissent sans discrimination des droits consacrés par la Convention, conformément à son article 7. En particulier, il recommande à l’État partie :

a) D’introduire dans sa législation nationale en matière d’emploi et de conditions de travail une interdiction claire et spécifique de la discrimination fondée sur la nationalité afin d’octroyer une protection spéciale aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille ;

b) De prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application effective des droits protégés au titre de la Convention par les travailleurs migrants en provenance des pays touchés par l’épidémie d’ Ebola , et de poursuivre et punir les auteurs d’actes de discrimination, de stigmatisation et de harcèlement dont ces travailleurs migrants sont victimes ;

c) D’accélérer et simplifier les procédures de naturalisation pour les enfants nés au Sénégal de parents étrangers afin de leur permettre d’acquérir la nationalité sénégalaise dans des délais raisonnables ;

d) De prendre les mesures nécessaires afin que tous les travailleurs migrants en situation irrégulière, dans le secteur informel et en transit, ainsi que les familles de Sénégalais qui travaillent à l’étranger bénéficient de l’égalité de traitement avec les nationaux, en particulier en matière d’accès aux prestations sociales ;

e) De fournir, dans son quatrième rapport périodique, des informations sur la pratique à cet égard, en donnant des exemples pertinents, et de sensibiliser les autorités locales, les fonctionnaires travaillant dans le domaine de la migration et le grand public aux droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Droit à un recours utile

24.Le Comité note avec satisfaction les informations de l’État partie selon lesquelles il existe plusieurs voies de recours ouvertes aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille face à un abus de pouvoir ou à une violation de leurs droits. Il est toutefois préoccupé par le fait qu’aucune information n’ait été fournie sur le nombre d’affaires et/ou de procédures engagées par des travailleurs migrants ou des membres de leur famille, y compris ceux en situation irrégulière, pour violations de leurs droits reconnus par la Convention.

25. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que, en droit comme en pratique, les travailleurs migrants et les membres de leur famille, y compris ceux en situation irrégulière, aient les mêmes possibilités que ses nationaux de porter plainte et d’obtenir réparation devant les tribunaux lorsque les droits qui leur sont reconnus par la Convention ont été violés. Il lui recommande également de prendre des mesures supplémentaires pour informer les travailleurs migrants et les membres de leur famille, y compris ceux qui sont en situation irrégulière, des recours judiciaires et autres qui leur sont ouverts en cas de violation des droits qui leur sont reconnus par la Convention.

3.Droits de l’homme de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 8 à 35)

Procès équitable, détention et égalité devant les tribunaux

26.Le Comité note les déclarations de la délégation selon lesquelles la loi no 78-12 de janvier 1978 remplaçant l’article 11 de la loi no 71-10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d’admission, de séjour et d’établissement des étrangers au Sénégal n’est généralement pas appliquée. Cependant, le Comité reste préoccupé par :

a)La criminalisation de la migration irrégulière prévue par l’article 11 de la loi sur les conditions d’admission et de séjour des étrangers au Sénégal ;

b)L’absence d’informations précises et détaillées concernant les travailleurs migrants et les membres de leur famille en détention ;

c)Le fait que des travailleurs migrants en situation irrégulière sont placés en détention avec des détenus de droit commun et que les enfants ne sont pas séparés des adultes ;

d)Les mauvaises conditions de détention dues à la vétusté des infrastructures et à la surpopulation carcérale ;

e)Les informations selon lesquelles la détention administrative des étrangers en attente d’expulsion peut se prolonger indéfiniment, dans les commissariats de police, en raison de problèmes d’ordre administratif ou logistique.

27. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’amender la loi n o 71-10 du 25 janvier 1971 relative aux conditions d’ admission , de séjour et d’établissement des étrangers au Sénégal afin de dépénaliser la migration irrégulière, le Comité considérant que, conformément à son observation générale n o  2 (2013) sur les droits des travailleurs migrants en situation irrégulière et des membres de leur famille, le fait de séjourner dans un pays sans y être autorisé ou sans être en possession des documents nécessaires ou de demeurer dans un pays après l’expiration d’un permis de séjour ne doit pas faire l’objet d’une incrimination pénale ;

b) D’indiquer, dans son prochain rapport périodique, le nombre de migrants, ventilés par âge, sexe, nationalité et/ou origine, actuellement placés en détention pour avoir violé la législation relative à la migration, en précisant le lieu, la durée moyenne et les conditions de détention et en donnant des informations sur le nombre d’expulsions et les procédures utilisées ;

c) De ne procéder à la détention de travailleurs migrants pour violation de la législation relative à la migration que de façon exceptionnelle et en dernier recours ; et de veiller à ce qu’ils soient placés dans des établissements spéciaux et que, dans tous les cas, ils soient séparés des détenus de droit commun, les femmes soient séparées des hommes, les conditions de détention soient conformes aux standards internationaux, et à ce que des mesures alternatives à la détention soient adoptées pour les enfants et leur famille ainsi que pour les enfants non accompagnés ;

d) De proscrire et d’envisager des mesures de substitution à la détention administrative, dans les commissariats de police, des étrangers en attente d’expulsion du territoire national.

Expulsion

28.Le Comité note que le décret d’application de la loi no 71-10 prévoit en ses articles 34, 35, 36, 37 et 38 les procédures d’expulsion, que la décision d’expulsion doit être motivée, et que l’intéressé dispose d’un droit de recours suspensif pour excès de pouvoir contre l’acte administratif. Le Comité est toutefois préoccupé par des informations selon lesquelles ces procédures d’expulsion de travailleurs migrants n’ont pas toujours été respectées par les autorités de l’État partie. Le Comité regrette également l’absence d’informations sur le nombre de migrants et de membres de leur famille ayant fait l’objet d’une décision d’expulsion par l’État partie.

29. Le Comité recommande à l’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application effective des procédures d’expulsion prévues par le décret d’application de la loi n o 71-10, ainsi que le respect des garanties procédurales définies dans la Convention en cas d’expulsion. Il l’invite également à fournir des informations actualisées, notamment des statistiques ventilées, sur le nombre d’expulsions de travailleurs migrants ainsi que sur les procédures utilisées.

Assistance consulaire

30.Le Comité note que l’État partie a pour obligation d’assister, à travers sa Direction des affaires juridiques et consulaires, sa Direction générale des Sénégalais de l’extérieur et ses représentations diplomatiques et consulaires, les ressortissants sénégalais, y compris ceux en situation irrégulière, durant leur séjour à l’étranger, en particulier ceux privés de leur liberté ou qui font l’objet de mesures d’expulsion. Le Comité est toutefois préoccupé par les informations reçues selon lesquelles la protection et l’assistance juridique fournie par les services diplomatiques ou consulaires sénégalais aux travailleurs migrants sénégalais établis à l’étranger, en particulier ceux privés de leur liberté ou qui font l’objet de mesures d’expulsion, demeurent insuffisantes. Le Comité regrette également le manque d’information concernant les visites effectuées par les autorités diplomatiques ou consulaires dans les lieux de détention des pays d’accueil afin de s’enquérir de l’état des prisonniers sénégalais, ainsi que les mesures prises pour informer le personnel diplomatique ou consulaire des États d’origine de la situation des travailleurs migrants détenus au Sénégal.

31. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De faciliter l’accès des travailleurs migrants sénégalais vivant à l’étranger à l’assistance consulaire ou diplomatique de l’État partie, notamment en cas de détention ou d’expulsion ;

b) De veiller à ce que ses services consulaires s’acquittent efficacement de leur mission de protection et de promotion des droits des travailleurs migrants sénégalais et des membres de leur famille et, en particulier, qu’ils apportent l’assistance requise à ceux qui sont privés de liberté ou visés par une décision d’expulsion ;

c) De prendre les mesures nécessaires afin que les autorités consulaires ou diplomatiques des États d’origine ou d’un État représentant les intérêts de ces États soient systématiquement informées de la mise en détention dans l’État partie de l’un de leurs ressortissants.

Sécurité sociale

32.Le Comité note que le Code du travail interdit et punit toute discrimination entre les travailleurs salariés, qu’ils soient sénégalais ou étrangers, en matière de rémunération, de conditions de travail et de sécurité sociale. Il regrette toutefois l’insuffisance des dispositions portant sur le droit à l’égalité de traitement des travailleurs migrants et des membres de leur famille avec les nationaux en matière de sécurité sociale dans les accords bilatéraux signés par le Sénégal avec, inter alia, la France, l’Espagne, l’Italie, le Mali, la Mauritanie, le Maroc et le Gabon.

33. Le Comité recommande à l’ État partie :

a) De v eiller à ce que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille − quel que soit leur statut migratoire – bénéficient, en droit et en pratique, d’un traitement égal aux travailleurs sénégalais en matière de rémunération et de conditions de travail et soient en mesure d’adhérer à un régime de sécurité sociale, et de faire en sorte qu’ils soient informés de leurs droits à cet égard ;

b) De n égocier systématiquement l’inclusion de dispositions relatives à la sécurité sociale dans les accords bilatéraux et multilatéraux sur les migrations de main-d’œuvre, afin notamment de faciliter le transfert, lors du retour des Sénégalais émigrés, des contributions sociales versées par ces derniers dans les pays d’accueil.

34.Le Comité apprécie les informations fournies par l’État partie selon lesquelles les pensions d’invalidité, de vieillesse et de survivant sont exportables et les titulaires étrangers peuvent recevoir leurs pensions dans leur pays d’origine dès lors qu’ils remplissent les conditions requises pour l’ouverture du droit. Il relève toutefois avec préoccupation que, en l’absence d’un accord de sécurité sociale entre l’État partie et le pays d’origine du travailleur migrant concerné, ou si la législation du pays en question ne garantit pas aux travailleurs sénégalais les mêmes droits qu’aux nationaux, les travailleurs migrants victimes d’un accident du travail au Sénégal et qui ont depuis quitté le territoire de l’État partie sont, conformément à l’article 94 de la loi no 73-37 du 31 juillet 1973 portant Code de la sécurité sociale, uniquement habilités à toucher un montant forfaitaire, alors que les membres de leur famille ne recevront aucune indemnité s’ils résidaient hors du territoire sénégalais au moment de l’accident.

35.Le Comité recommande à l’État partie d’amender sa législation afin de garantir que tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille bénéficient de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État partie en ce qui concerne l’accès aux prestations et aux services sociaux, y compris en matière de pensions invalidité, sous réserve que les conditions requises pour avoir le droit de bénéficier des divers programmes soient remplies, tel que prévu par l’article 43 de la Convention.

Soins médicaux d’urgence

36.Le Comité note l’information fournie par l’État partie selon laquelle les conditions d’accès aux soins de santé des travailleurs migrants, aussi bien en situation régulière qu’irrégulière, sont les mêmes que pour les travailleurs nationaux. Le Comité regrette toutefois l’insuffisance des informations reçues sur l’accès, en droit et en pratique, des travailleurs migrants et des membres de leur famille, quel que soit leur statut migratoire, aux soins médicaux d’urgence qui sont nécessaires pour préserver leur vie ou éviter un dommage irréparable à leur santé, sur la base de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État partie. Il regrette également l’absence d’information sur les allocations de maternité et les allocations familiales accessibles aux travailleurs migrants vivant dans l’État partie.

37. Le Co mité recommande à l’État partie de fournir des informations, dans son prochain rapport périodique, sur  :

a) L a possibilité pour tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille − quel que soit leur statut migratoire − de jouir, en droit et en pratique, de l’accès aux soins médicaux d’urgence nécessaires pour préserver leur vie ou éviter un dommage irréparable à leur santé, sur la base de l’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État partie, conformément à l’article 28 de la Convention ;

b) Les allocations de maternité et les allocations familiales accessibles aux travailleurs migrants vivant dans l’État partie.

Éducation

38.Le Comité note que la loi no 91-22 du 16 février 1991 portant orientation de l’éducation nationale, modifiée et complétée par la loi no 2004-37 du 15 décembre 2004, ouvre l’accès au système éducatif à tous les enfants vivant sur le territoire sénégalais, y compris les enfants de travailleurs migrants. Il note également qu’aucune obligation n’est faite aux écoles d’informer les autorités au sujet du statut migratoire de l’enfant. Le Comité s’inquiète néanmoins de l’absence d’information sur des programmes spécifiques qui permettraient de garantir aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille l’accès effectif à l’éducation dans l’État partie.

39. Le Comité recommande à l’État partie d’adopter des mesures concrètes et efficaces pour garantir aux travailleurs migrants, en particulier à leurs enfants, l’accès au système éducatif, y compris en éliminant les barrières linguistiques, conformément à l’article 30 de la Convention.

4.Autres droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont pourvus de documents ou en situation régulière (art. 36 à 56)

Programmes de pré-départ, droit d’être informé

40.Le Comité note la mise en place d’un site d’informations par le Ministère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur ayant pour but d’informer les travailleurs migrants sur les droits qui leur sont conférés par la Convention, ainsi que sur les conditions d’admission de séjour et d’établissement au Sénégal. Il note également l’établissement d’un Conseil supérieur des Sénégalais de l’extérieur et d’un Bureau d’accueil, d’orientation et de suivi des émigrés au sein dudit ministère. Cependant, le Comité est préoccupé par l’impact limité de ces mesures ainsi que par le manque d’informations reçues sur les mesures prises par l’État partie pour informer les Sénégalais candidats à l’émigration sur les conditions d’entrée et de séjour dans les pays d’accueil, ainsi que sur les dangers de la migration irrégulière.

41.Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour diffuser des informations sur les droits reconnus aux travailleurs migrants au titre de la Convention dans l’ État partie, ainsi que sur les conditions de leur admission et de leur emploi. Il lui recommande également d’informer les Sénégalais candidats à l’émigration, ainsi que les membres de leur famille, sur les droits que leur reconnaît la Convention et sur leurs droits et obligations dans l’État d’emploi, ainsi que sur les dangers de la migration irrégulière. À ce titre, il lui recommande de mettre en place des programmes ciblés de préparation au départ et de sensibilisation, notamment en consultation avec les organisations non gouvernementales intéressées, les travailleurs migrants et les membres de leur famille, et des agences de recrutement reconnues et fiables.

Droit de former des syndicats

42.Le Comité note à nouveau avec regret (CMW/C/SEN/CO/1, par. 16) qu’en vertu de l’article L.9 du Code du travail sénégalais (loi no 97-17 du 1er décembre 1997), le droit des travailleurs migrants d’occuper des fonctions au sein des instances dirigeantes des associations et des syndicats est subordonné à un accord de réciprocité avec le pays d’origine du travailleur migrant, et donc qu’il n’est pas garanti de manière égale à tous les migrants.

43.Le Comité recommand e à nouveau à l’État partie (CMW/C/SEN/CO/1, par. 16) de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le droit d’occuper des fonctions au sein des instances dirigeantes des associations ou syndicats dont ils sont membres à tous les travailleurs migrants et aux membres de leur famille qui résident légalement au Sénégal, sans condition de réciprocité avec le pays d’origine.

Droit de voter et d’être élu dans l’État d’origine

44.Le Comité note l’adoption, suite au référendum du 20 mars 2016, d’une réforme constitutionnelle qui prévoit, entre autres, la représentation à l’Assemblée nationale de la composante des migrants sénégalais de l’étranger. Le Comité demeure cependant préoccupé par l’insuffisance des informations reçues sur la jouissance effective du droit des migrants sénégalais de prendre part aux affaires publiques de leur État d’origine, de voter et d’être élus au cours d’élections organisées par cet État.

45. Le Comité invite l’État partie à fournir , dans son prochain rapport périodique , des informations concernant la possibilité pour les Sénégalais vivant à l’étranger de prendre part aux affaires publiques dans l’État partie et des informations concernant le taux de participation, aux élections présidentielles et législatives, des Sénégalais vivant à l’étranger. Le Comité encourage l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires à l’exercice effectif du droit de vote des migrants sénégalais , notamment en menant des campagnes d’information à leur intention.

Regroupement familial

46.Le Comité est préoccupé par l’absence d’information concernant l’application du droit des travailleurs migrants au regroupement familial.

47. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans son quatrième rapport périodique, des informations sur les mesures prises pour faciliter la réunion des travailleurs migrants avec leur conjoint ou avec les personnes ayant avec eux des relations qui, en vertu de la loi applicable, produisent des effets équivalents au mariage, ainsi qu’avec leurs enfants à charge mineurs et célibataires, conformément à l’article 44 de la Convention.

Transferts bancaires des revenus et de l’épargne

48.Le Comité se réjouit du volume important des fonds rapatriés dans l’État partie par les travailleurs migrants vivant à l’étranger, de l’aide considérable que ces fonds représentent pour le développement de l’État partie et des mécanismes et canaux innovants mis en place pour faciliter et réduire les coûts de ces transfert de fonds. Il regrette cependant l’absence d’informations précises sur les partenariats avec des institutions financières destinés à faciliter le transfert des revenus du travail et de l’épargne des travailleurs migrants sénégalais à l’étranger et des travailleurs migrants vivant dans l’État partie.

49. Le Comité encourage l’État partie à :

a) C ommuniquer des informations sur les partenariats mis en place avec des institutions financières pour faciliter l’envoi de fonds, par les travailleurs migrants sénégalais vivant à l’étranger, vers l’État partie ;

b) R edoubler d’efforts pour réduire le coût de l’envoi et de la réception des fonds , notamment par l’application de taux préférentiels , conformément à l’ o bjectif de développement durable ( c ible 10.c ) ;

c) R endre l’épargne plus accessible pour les travailleurs migrants et les membres de leur famille ;

d) P oursuivre ses efforts pour aider les bénéfic iaires des fonds à acquérir les capacités nécessaires pour les investir dans des activités génératrices de revenus durables .

5.Promotion de conditions saines, équitables, dignes et légales en ce qui concerne les migrations internationales des travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 64 à 71)

Conditions saines, équitables et humaines concernant les migrations internationales

50.Le Comité salue l’existence d’accords de coopération et de protocoles d’entente dans le cadre de la migration avec la France, l’Espagne, l’Italie, la Mauritanie, le Gabon, le Mali, Djibouti et le Maroc, ainsi que l’application de l’acte constitutif de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest prônant la libre circulation des ressortissants des États membres et de leurs biens dans cet espace économique ouest-africain. Il note également l’existence d’accords de rapatriement avec la France, l’Italie et l’Espagne. Le Comité regrette cependant que l’État partie n’ait pas signé d’accords bilatéraux et multilatéraux avec d’autres États d’emploi dans lesquels vivent un grand nombre de migrants sénégalais, tels que la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Burkina Faso, le Nigéria et certains pays nord-africains et européens, afin de garantir aux migrants sénégalais et aux membres de leur famille des conditions saines, équitables et humaines de migration et de répondre à leurs besoins sociaux, économiques et culturels.

51.Le Comité recommande à l’État partie d’intensifier ses efforts pour la signature d’accords bilatéraux et multilatéraux avec les pays de destination et de transit qui favoriseraient la migration régulière, garantiraient des conditions saines, équitables et humaines pour les travailleurs migrants sénégalais vivant à l’étranger, prévoiraient des garanties procédurales en leur faveur, et garantiraient que les travailleurs migrants sénégalais expulsés ne soient pas l’objet de mauvais traitements. Le Comité recommand e à nouveau à l’ État partie (CMW/C/SEN/CO/1, par. 17) de veiller à ce que ses protocoles d’entente et ses accords bilatéraux avec les pays accueillant des travailleurs migrants sénégalais contiennent des dispositions en conformité avec les articles 22 et 67 de la Convention, et que ses ressortissants dans les pays d’accueil aient la possibilité de recourir à la protection et à l’assistance, y compris l’assistance juridique , si besoin est, des autorités consulaires pour faire respecter leurs droits.

Agences de recrutement

52.Le Comité regrette de ne disposer que d’informations limitées sur l’existence dans l’État partie d’agences de placement privées qui recrutent des travailleurs migrants pour les faire travailler à l’étranger, ainsi que sur les lois, règles et règlements relatifs au recrutement privé.

53. Le Comité recommande à l’État partie de prendre les mesures suivantes :

a) Mettre en place une réglementation applicable aux agences de recrutement privées, notamment un système d’octroi de licences ainsi que des contrôles et des inspections portant sur les recrutements afin d’empêcher lesdites agences de percevoir des commissions excessives pour leurs services et de servir d’intermédiaires à des recruteurs étrangers agissant de façon illicite ;

b) Veiller à ce que les agences de recrutement privées fournissent des r enseignements complets aux personnes qui cherchent un emploi à l’étranger et assurent le respect effectif de toutes les prestations liées à l’emploi qui ont été convenues, en particulier les salaires ;

c) Considérer l’adoption d’ une politique de « gratuité du placement » pour les personnes qui se proposent d’aller travailler à l’étranger.

Retour et réinsertion

54.Le Comité prend note de l’existence, dans l’État partie, d’un service opérationnel spécialisé dans le rapatriement des Sénégalais vivant à l’étranger en cas de crise, le Comité d’aide et d’assistance aux réfugiés et rapatriés. Il prend également note du fait que leMinistère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur a mis en place un fonds spécial d’aide et d’assistance aux migrants afin de faciliter le retour et la réinsertion des migrants sénégalais. Le Comité regrette toutefois le manque d’informations détaillées sur le fonctionnement et les conditions d’accèsà ce fonds, ainsi que sur les mesures prévues par leMinistère des affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur et d’autres organes pertinents pour assurer la bonne organisation du retour des migrants sénégalais de l’étranger. Le Comité relève également avec préoccupation l’absence de données fournies sur le nombre de Sénégalais qui se trouvent encore en Libye et qui souhaitent être rapatriés.

55. Le Comité invite l’État partie à fournir, dans son prochain rapport périodique, des renseignements supplémentaires sur le fonctionnement et les conditions d’accès au fonds spécial d’aide et d’assistance aux migrants, ainsi que sur les mesures spécifiques prises par le M inistère des a ffaires étrangères et des Sénégalais de l ’ e xtérieur pour créer des conditions sociales, économiques et culturelles appropriées afin de faciliter le retour et la réinsertion durable des travailleurs migrants sénégalais et des membres de leur famille dans l’État partie . Le Comité invite également l’État partie à veiller à ce que tous les Sénégalais qui se trouvent encore en Libye et qui souhaitent être rapatriés bénéficient effectivement des mesures de rapatriement mises en place par le Comité d’ a ide et d’ a ssistance aux r éfugiés et r apatriés .

Mouvements et emploi illégaux ou clandestins de travailleurs migrants en situation irrégulière

56.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption d’importantes mesures législatives, politiques et institutionnelles par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes et les pratiques assimilées, en particulier le plan d’action national de lutte contre la traite des personnes (2012-2014) et le plan cadre national pour l’éradication de la mendicité des enfants (2013-2015), la création de la Cellule nationale de coordination de lutte contre la traite des personnes, ainsi que la signature d’accords avec les pays limitrophes pour prévenir et combattre la traite des enfants. Le Comité est cependant préoccupé par :

a)L’absence d’études, d’analyses et de données ventilées qui permettraient d’évaluer l’ampleur de la traite aussi bien vers l’État partie qu’à travers et à partir de celui-ci ;

b)Les informations reçues concernant notamment :

i)des ressortissants sénégalais victimes de traite et travail forcé dans les domaines de l’agriculture, les mines d’or et le travail domestique dans des pays de la région et victimes de servitude domestique dans des pays européens, aux États-Unis et au Moyen-Orient ;

ii)des enfants sénégalais forcés à mendier et exploités par des marabouts dans les pays limitrophes ;

c)Les informations reçues indiquant notamment la présence dans l’État partie :

i)de femmes et d’enfants d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest, comme le Ghana, le Libéria, le Nigéria et la Sierra Leone, victimes d’exploitation sexuelle,notamment à des fins de tourisme sexuel, de travail forcé et de servitude domestique ;

ii)d’enfants de la région travaillant dans les mines d’or artisanales, certains d’entre eux étant victimes de trafic, d’abus et d’exploitation sexuelle ;

iii)d’enfants de Gambie, de Guinée, de Guinée-Bissau et du Mali forcés à mendier et exploités à des fins économiques par des marabouts ;

d)L’insuffisance des ressources humaines et financières consacrées à la prévention et à l’élimination de la traite des êtres humains, notamment celles allouées à la Cellule nationale de coordination de lutte contre la traite des personnes ;

e)L’insuffisance des efforts pour identifier les victimes de traite et d’exploitation, en particulier les enfants contraints à la mendicité ;

f)La faible application de la loi no 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, et la formation insuffisante des agents chargés de sa mise en œuvre ;

g)Le fait que la loi no 2005-06 a été invoquée pour poursuivre les migrants sénégalais qui tentaient la traversée vers l’Europe.

57. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De c o llecter systématiquement des données ventilées par sexe, âge et origine en vue de mieux combattre le trafic et la traite des personnes ;

b) D’i ntensifier les campagnes de prévention du trafic et de la traite de travailleurs migrants, et de prendre des mesures appropriées contre la diffusion d’informations trompeuses concernant l’émigration et l’immigration ;

c) De r enforcer la formation à la lutte contre le trafic et la traite d’êtres humains des policiers et autres membres des forces de l’ordre, des gardes-frontières, des juges, des procureurs, des inspecteurs du travail, des enseignants, ainsi que du personnel des services de santé et des ambassades et consulats de l’État partie ;

d) D’e nquêter de manière rapide, efficace et impartiale sur tous les actes de traite de personnes, de trafic d’êtres humains et autres infractions connexes, de poursuivre et de punir les auteurs de ces actes, et de traiter promptement toutes les plaintes déposées contre des trafiquants et des passeurs ;

e) De c onsacrer des ressources humaines et financières suffisantes à la Cellule nationale de coordination de lutte contre la traite des personnes pour la mise en œuvre effective des stratégies visant à prévenir et à éliminer la traite des êtres humains ;

f) De r edoubler d’efforts pour repérer les victimes et de f ournir protection et assistance à toutes les victimes de la traite, en particulier en leur fournissant un hébergement, des soins médicaux et un appui psychosocial et en prenant d’autres mesures pour faciliter leur réinsertion sociale ;

g) D’a mender la loi n o 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes afin de garantir l’immunité pénale des migrants victimes de traite ;

h) De r enforcer sa coopération internationale, régionale et bilatérale afin de prévenir et combattre le trafic et la traite des personnes.

58.Le Comité est préoccupé par le grand nombre de Sénégalais qui décèdent lors de leurs tentatives d’immigration vers l’Europe, le nombre limité d’enquêtes effectuées dans les États de transit et de destination afin de traduire les responsables en justice, l’absence de mesures prises par ces États pour l’identification et le rapatriement des corps, et les actions limitées de l’État partie pour aborder les causes profondes de la migration irrégulière.

59. Le Comité recommande à l’ État partie de renforcer la coopération internationale avec les États de transit et de destination des travailleurs migrants sénégalais en vue d’augmenter les voies de migration régulières ; de mener des enquêtes appropriées et de combattre les groupes criminels impliqués dans le trafic de migrants ; d’intensifier les campagnes de sensibilisation pour le public au niveau local sur les dangers de la migration irrégulière ; de prendre toutes les mesures adéquates pour faciliter l’identification et le rapatriement dans l’État partie des corps des Sénégalais décédés lors de leur tentative d’immigration ; de prendre toutes les mesures nécessaires pour aborder les causes profondes de la migration irrégulière .

Régularisation

60.Le Comité réaffirme sa préoccupation (CMW/C/SEN/CO/1, par. 23) devant le fait que la responsabilité de mettre fin à la situation irrégulière dans laquelle il peut se trouver incombe au travailleur migrant lui-même, qui a l’obligation de contacter les services de la Direction de la police des étrangers et des titres de voyage pour obtenir les informations nécessaires à la régularisation de sa situation. Le Comité est préoccupé par l’absence de mesures adéquates pour informer et assister le travailleur migrant dans cette démarche, et souligne qu’il appartient à l’État partie de prendre les mesures appropriées pour appliquer les articles 68 et 69 de la Convention.

61. Le Comité recommand e à nouveau à l ’ État partie (CMW/C/SEN/CO/1, par. 23) de prendre des mesures proactives efficaces pour s’assurer que les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne demeurent pas en situation irrégulière. À ce propos, l’État partie est invité à lancer une campagne d’information sur les droits du travailleur migrant et sur la procédure à suivre pour régulariser la situation du travailleur migrant en situation irrégulière. Le Comité recommande une procédure de régularisation accessible et rapide et l’accompagnement du travailleur migrant en situation irrégulière tout au long du processus.

6.Suivi et diffusion

Suivi

62. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son quatrième rapport périodique des informations détaillées sur les mesures qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales. Il lui recommande de prendre toutes les mesures appropriées pour que lesdites recommandations soient mises en œuvre, notamment en les soumettant aux membres du Gouvernement et du Parlement, ainsi qu’aux autorités locales pour examen et suite à donner.

63. Le Comité prie l’État partie d’associer les organisations de la société civile à la mise en œuvre des recommandations figurant dans les présentes observations finales.

Rapport de suivi

64. Le Comité invite l’État partie à lui fournir, dans les deux ans, c’est-à-dire le 1 er mai 2018 au plus tard, des informations écrites sur la mise en œuvre des recommandations figurant aux paragraphes  15, 27, 57 et 59 ci-dessus.

Diffusion

65. Le Comité demande également à l’État partie de diffuser largement la Convention et les présentes observations finales, notamment auprès des organismes publics, de l’appareil judiciaire, des organisations non gouvernementales et des autres membres de la société civile, de manière à sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, ainsi que la société civile et le public en général à la Convention.

7.Assistance technique

66. Le Comité recommande à l’État partie de faire appel à l’assistance internationale, notamment l’assistance technique, pour élaborer un programme global visant à mettre en œuvre les recommandations susmentionnées et la Convention dans son ensemble. Il l’engage également à poursuivre sa coopération avec les institutions spécialisées et les programmes du système des Nations Unies, y compris en demandant au Haut-Commissariat aux droits de l’homme une assistance technique et un renforcement des capacités en ce qui concerne l’élaboration des rapports.

8.Prochain rapport périodique

67. Le Comité invite l’État partie à lui soumettre son quatrième rapport périodique le 1 er mai 2021 au plus tard, et à y faire figurer des informations concernant la mise en œuvre des présentes observations finales. L’État partie peut par ailleurs opter pour la procédure simplifiée de soumission de rapports, selon laquelle le Comité établit à l’intention de l’État partie une liste de points qui lui est communiquée avant la présentation de son rapport suivant. Les réponses de l’État partie à cette liste constituent son rapport aux fins de l’article 73 de la Convention, ce qui le dispense de soumettre un rapport périodique traditionnel. Cette nouvelle procédure facultative a été adoptée par le Comité à sa quatorzième session, en avril 2011 (voir A/66/48, par. 26).

68. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur les directives pour l’établissement des rapports périodiques (CMW/C/2008/1) et lui rappelle que ceux-ci ne devraient pas excéder 21 200 mots, conformément aux dispositions de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale. Dans l’éventualité où un rapport dépasserait le nombre de mots prévus, l’État partie serait invité à le réduire conformément aux directives susmentionnées. Si l’État partie n’est pas en mesure de revoir son rapport et de le soumettre à nouveau, la traduction de celui-ci aux fins de son examen par les organes conventionnels ne saurait être garantie.

69. Le Comité prie l’État partie d’assurer une large participation de tous les ministères et des organes publics à l’élaboration du prochain rapport périodique (ou des réponses à la liste de points, dans le cas de la procédure simplifiée d’établissement de rapports) et, parallèlement, de consulter largement toutes les parties prenantes concernées, notamment la société civile, les organisations de défense des droits des travailleurs migrants et celles de défense des droits de l’homme.