Comité contre la torture
Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 792/2016 * , * *
Communication présentée par : |
H. S. (représentée par le Conseil danois pour les réfugiés) |
Victime(s) présumée(s): |
L’auteure |
État partie : |
Danemark |
Date de la requête : |
19 décembre 2016 (date de la lettre initiale) |
Références : |
Décisions prises en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquées à l’État partie le 20 décembre 2016 (non publiées sous forme de documents) |
Date de la présente décision : |
19 juillet 2020 |
Objet : |
Expulsion vers l’Ouganda |
Questions de procédure : |
Recevabilité − défaut manifeste de fondement |
Questions de fond : |
Non-refoulement ; torture |
Article de la Convention : |
3 |
1.1La requérante est H. S., de nationalité ougandaise, née en 1977. Elle affirme qu’en l’expulsant vers l’Ouganda, le Danemark violerait les droits qu’elle tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue par l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet le 27 mai 1987. La requérante est représentée par le Conseil danois pour les réfugiés.
1.2Le 19 décembre 2016, la requérante a sollicité auprès du Comité des mesures provisoires de protection. Le 20 décembre 2016, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas envoyer la requérante en Ouganda tant que la communication serait à l’examen. Le 21 mars 2019, le Comité a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que les mesures provisoires de protection soient levées.
Rappel des faits présentés par la requérante
2.1La requérante a réalisé qu’elle était lesbienne à l’âge de 14 ans, et a commencé à avoir des relations sexuelles avec des filles à l’âge de 19 ans. Entre 1981 et 1996, elle était scolarisée. Pendant cette période, elle a eu des relations avec deux filles, M. et R. En 1996, sa famille l’a surprise avec R., que le père de la requérante a traitée de « Satan » et a chassée de la maison. À partir de ce moment, la requérante a été maintenue confinée chez elle, sa famille cherchant à dissimuler son homosexualité. Toutefois, des personnes du voisinage en ont eu connaissance. Elles ont craché et hurlé sur la requérante en lui disant de rester à l’écart des autres filles. En 1998, la requérante a été violée par un homme qui lui a répété plusieurs fois qu’une femme devait être avec un homme. La requérante a rapporté l’incident à son père, qui n’a pas réagi. Elle a été chassée de la maison par sa famille, et depuis lors elle n’a plus eu de contact avec elle.
2.2La requérante s’est installée dans la localité de Z., où elle a vécu neuf ans avec B., une amie lesbienne. Elle cachait son orientation sexuelle pour ne pas se faire agresser. Avec B., elle vendait des vêtements d’occasion au marché local. Des hommes qui la soupçonnaient d’être lesbienne la traitaient de bisiyaga. La requérante essayait de les éviter, changeant d’itinéraire pour se rendre au marché et en revenir, se cachant d’eux et les fuyant. Elle ne quittait son domicile qu’en cas de nécessité et, lorsqu’elle était chez elle, s’enfermait à clef de crainte d’être agressée. Elle avait peur que l’on découvre son homosexualité et qu’on la viole.
2.3La requérante n’entretenait pas de relation à Z. afin de ne pas risquer que l’on révèle qu’elle était lesbienne. Elle se rendait parfois avec B. dans un bar fréquenté par des homosexuels. Lorsqu’elle y allait et en revenait, elle était très discrète et prudente. Il lui est arrivé d’avoir des relations sexuelles avec des femmes rencontrées au bar, qu’elle a parfois raccompagnées chez elles mais chez qui elle n’a jamais passé la nuit car cela aurait accru le risque de se faire découvrir.
2.4En mai 2007, la requérante a rencontré dans un bar de Z. une femme du nom de A. et a entamé une relation avec elle. En juin 2007, la requérante a fui l’Ouganda pour le Danemark avec A. parce qu’elle n’était pas libre de vivre son homosexualité en Ouganda et elle avait peur qu’on la viole et qu’on la mette en prison en raison de son orientation sexuelle.
2.5À son arrivée au Danemark, la requérante n’a pas demandé l’asile parce qu’elle ignorait qu’il y avait des démarches actives à entreprendre pour obtenir l’autorisation de séjourner au Danemark. Elle renvoie à deux attestations de psychiatres indépendants au Danemark indiquant qu’elle laisse volontiers aux autres le soin de prendre les décisions importantes concernant sa vie. La requérante s’en remettait entièrement à A., qui ne lui avait pas expliqué qu’elle devait faire une demande d’asile ou de permis de séjour au Danemark. A. lui avait dit qu’elle se trouvait désormais en sécurité dans un pays où elle avait des droits. Lorsqu’elle vivait avec A., la requérante restait isolée, ne rencontrait pas la famille, les proches ou les amis de A., et les contacts sociaux qu’elle pouvait avoir étaient rares.
2.6Après avoir vécu cinq ou six mois avec A., la requérante a été abandonnée dans un bar avec son passeport, qui était auparavant conservé par A. Elle a alors vécu dans les environs de la gare centrale de Copenhague jusqu’à ce qu’un couple d’Africains lui propose de l’héberger en échange de l’accomplissement de tâches domestiques. Elle ramassait les bouteilles dans la rue pour se faire un peu d’argent. Elle n’a jamais évoqué avec le couple la question du permis de séjour.
2.7Ce n’est que le 15 mars 2013, lorsque la police l’a trouvée dans l’appartement du couple et l’a arrêtée pour séjour illégal au Danemark, que la requérante a compris qu’elle était en situation irrégulière. Elle a été placée en garde à vue, où elle a fait une demande d’asile et été interrogée par le Centre danois de lutte contre la traite des êtres humains, qui a établi qu’elle était victime de traite. La requérante a été remise en liberté le jour suivant.
2.8le 7 octobre 2013, le Service danois de l’immigration a conclu que la requérante n’était pas victime de traite. Le 10 avril 2014, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande d’asile. Le 15 avril 2014, la requérante a pris contact avec LGBT Asylum, une organisation de défense des droits des demandeurs et demandeuses d’asile lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels dont elle est devenue un membre actif. Le 30 septembre 2014, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision de rejet de la demande d’asile de la requérante du Service danois de l’immigration, considérant que l’exposé des faits présenté n’était pas crédible.
2.9Le Centre danois de lutte contre la traite des êtres humains a mené un nouvel entretien approfondi le 29 octobre 2014, en raison d’une erreur dans la traduction anglaise de la décision du Service danois de l’immigration du 7 octobre 2013. Il a conclu à une suspicion de traite des êtres humains, qu’il était impossible d’apprécier pleinement. Le 27 novembre 2014, le Service danois de l’immigration a établi que la requérante était victime de traite.
2.10Le 20 juillet 2016, le Conseil danois pour les réfugiés a demandé à la Commission de recours des réfugiés de rouvrir le dossier, la requérante ayant été diagnostiquée comme souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique et d’amnésie dissociative et reconnue comme victime de traite des êtres humains. Le 4 août 2016, la Commission de recours des réfugiés a rouvert le dossier ; elle a admis la version des faits présentée par la requérante mais a considéré que le risque de persécution n’était pas suffisant pour justifier l’octroi de l’asile. Le 5 décembre 2016, la Commission a rejeté la demande d’asile de la requérante.
2.11En tant que membre de LGBT Asylum, la requérante a fait plusieurs déclarations publiques et participé à des parades de la fierté et à des débats. Le 15 décembre 2016 a été publié en ligne un article de la presse à sensation ougandaise comportant le nom et la photo de la requérante. L’article présentait celle-ci comme « une lesbienne ougandaise de premier plan » qui allait être expulsée du Danemark.
2.12Le 30 mai 2017, la Commission de recours des réfugiés a rejeté une nouvelle fois la demande d’asile.
Teneur de la plainte
3.1La requérante affirme qu’en Ouganda, elle serait persécutée par la population locale et les autorités ougandaises en raison de son orientation sexuelle. Elle fait valoir que les graves sévices dont elle a déjà fait l’objet du fait de son homosexualité, ajoutés à la situation générale des droits humains des homosexuels en Ouganda, font qu’il existerait un risque réel, personnel et actuel qu’elle soit soumise à la torture si elle était expulsée vers ce pays, en violation de l’article 3 de la Convention.
3.2Elle affirme que sa situation est similaire aux circonstances décrites dans l’affaire J. K. c. Canada en ce qui concerne les graves sévices dont elle a déjà fait l’objet du fait de son orientation sexuelle, sa visibilité et son militantisme au sein d’organisations de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes et la situation générale de ces personnes en Ouganda sur le plan des droits de l’homme.
3.3En ce qui concerne les mauvais traitements qu’elle a connus par le passé, la requérante évoque le « viol correctif » subi et les menaces reçues de la part de membres de sa famille et de la communauté locale en Ouganda en raison de son orientation sexuelle. Elle dit qu’avant de fuir l’Ouganda, elle vivait dans la crainte permanente d’être violée et cachait sa sexualité pour ne pas subir de nouveaux mauvais traitements. À cet égard, la requérante, renvoyant à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union Européenne concernant la requête X. , Y. et Z. c. Minister voor Immigratie en Asie l, fait valoir que l’on ne peut pas s’attendre à ce que, pour éviter le risque de persécution, les personnes homosexuelles dissimulent leur homosexualité dans leur pays d’origine ou fassent preuve de réserve dans l’expression de leur orientation sexuelle.
3.4La requérante indique que depuis 2014 elle milite en faveur des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes au Danemark, ce qui accroît le risque réel qu’elle courrait personnellement d’être soumise à des mauvais traitements si elle était expulsée, en violation de l’article 3 de la Convention.
3.5Elle affirme qu’en Ouganda, les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, et en particulier les militants, courent un risque systématique de subir des mauvais traitements, en violation de l’article 3 de la Convention. Elle cite plusieurs rapports d’organisations non gouvernementales et gouvernementales et de médias parus entre 2014 et 2016, selon lesquels en Ouganda ces personnes sont victimes de discrimination, de harcèlement et d’agressions, même depuis l’annulation par la Cour constitutionnelle ougandaise, en août 2014, de la loi contre l’homosexualité. Qui plus est, d’après ces rapports, les lesbiennes peuvent être arrêtées et incarcérées en vertu de l’article 145 du Code pénal, et elles sont agressées physiquement et verbalement et risquent de subir des « viols correctifs ». Des atteintes aux droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes auraient en outre été commises ou tolérées par la police ougandaise, même s’il est parfois arrivé que des policiers protègent ces personnes. La requérante affirme que dans ces conditions, elle courrait en permanence le risque d’être soumise à un viol « curatif », comme cela lui est déjà arrivé.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans des observations en date du 19 janvier 2018, l’État partie indique qu’après la soumission de la communication au Comité, la Commission de recours des réfugiés a rouvert le dossier et adopté une nouvelle décision de fond le 30 mai 2017. L’État partie dit que la communication de la requérante ne comporte pas de renseignements sur sa situation personnelle ou sur les motifs pour lesquels elle demande l’asile autres que ceux qui ont déjà été examinés par la Commission de recours des réfugiés dans le cadre de ses décisions des 30 septembre 2014, 5 décembre 2016 et 30 mai 2017. Dans sa décision du 30 mai 2017, la Commission de recours des réfugiés a pris en considération les informations générales sur l’Ouganda auxquelles la requérante avait renvoyé, ainsi que d’autres informations générales plus récentes. L’État partie conclut que toutes les allégations de la requérante ont été soigneusement examinées au fond par la Commission de recours des réfugiés. Pour déterminer si la requérante serait exposée à un risque de mauvais traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion, la Commission de recours des réfugiés a pris en considération ce qui suit : a) les mauvais traitements dont la requérante a fait l’objet en Ouganda et le risque qu’elle soit maltraitée si elle était expulsée ; b) les activités menées par la requérante au sein d’organisations militant en faveur des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes au Danemark ; c) le fait que dans un article paru sur un site Web ougandais figuraient le nom et la photo de la requérante ; d) la situation générale des lesbiennes en Ouganda, à la fois en tant que telle et associée à la situation particulière de la requérante.
4.2L’État partie soutient que compte tenu de ce que le dossier de la requérante a été examiné de manière approfondie par les autorités nationales et des raisons qu’il a indiquées dans ses observations sur le fond, la requérante n’a pas établi qu’a première vue sa communication était recevable. L’État partie considère que la requérante n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants si elle était expulsée.
4.3Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, l’État partie déclare que la requérante n’a pas suffisamment établi que son renvoi en Ouganda constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.
4.4L’État partie fait observer que les obligations qui lui incombent au titre de l’article 3 de la Convention sont prises en compte à l’article 7 (par. 1 et 2) de la loi danoise relative aux étrangers et que, pour apprécier le risque de violation de l’article 3 de la Convention, les autorités internes se fondent sur les critères définis par le Comité dans les paragraphes 5 à 7 de son observation générale no 1 (1996) et dans sa jurisprudence. La requérante n’a pas rempli les critères qui doivent l’être pour conclure à une violation de l’article 3, puisqu’elle n’a pas présenté des arguments défendables montrant qu’elle serait personnellement exposée à un risque prévisible et réel d’être soumise à la torture.
4.5Renvoyant au paragraphe 9 de l’observation générale no 1 (1996) du Comité, l’État partie note que le Comité n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel ou administratif et qu’un poids considérable doit être accordé aux constatations de fait des organes de l’État partie. L’État partie appelle l’attention du Comité sur le fait que le dossier de la requérante a été examiné par deux instances, notamment à trois reprises par la Commission de recours des réfugiés dans le cadre d’auditions orales devant trois formations différentes. Lors de la procédure devant la Commission de recours des réfugiés, la requérante pouvait présenter ses vues, par écrit et oralement, avec l’assistance d’un conseil.
4.6L’État partie ajoute que la Commission de recours des réfugiés a procédé à un examen global et approfondi des déclarations de la requérante et de toutes les autres informations disponibles en l’espèce, notamment de la communication soumise au Comité, et que les appréciations de la Commission sont clairement et minutieusement motivées et étayées par des informations générales émanant de sources fiables et objectives. L’État partie indique également que les rapports médicaux produits sur l’état de santé mentale de la requérante ont été pris en considération par la Commission. Aussi, la Commission n’a pas tenu compte des incohérences et des éléments peu plausibles qui figuraient dans les déclarations de la requérante. Au contraire, dans ses décisions des 5 décembre 2016 et 30 mai 2017, elle a accepté pour l’essentiel les motifs sur lesquels étaient fondés la demande d’asile. L’État partie considère que la requérante n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus de décision de la Commission de recours des réfugiés. Il conclut que la communication soumise par la requérante au Comité est simplement l’expression de son désaccord avec l’appréciation faite par la Commission de sa situation particulière et des informations générales, et constitue une tentative d’utiliser le Comité comme un organe d’appel.
4.7L’État partie affirme en outre que l’exposé des faits présenté au Comité par la requérante « décrit une réalité différente » de celle qui ressort des déclarations qu’elle a faites lors de deux entretiens avec le Service danois de l’immigration, les 7 novembre 2013 et 24 mars 2014, et de trois auditions orales devant la Commission de recours des réfugiés, les 30 septembre 2014, 5 décembre 2016 et 17 mai 2017.
4.8À propos de son séjour dans la localité de Z., la requérante a déclaré dans le cadre de la procédure d’asile qu’elle et B. avaient peur d’être dénoncées aux autorités, qu’il arrivait que des hommes dont elles avaient repoussé les avances leur demandent si elles étaient lesbiennes, qu’on les soupçonnait et qu’on disait du mal d’elles dans le village. Or la description qu’elle a donnée des avances que leur faisaient les hommes ne ressemble nullement à ce qu’elle a donnée au Comité. Elle n’a jamais dit aux autorités danoises, comme elle l’a dit au Comité, qu’elle avait peur que l’on découvre son homosexualité et qu’on la viole ou qu’elle ne quittait son domicile qu’en cas de nécessité et, que, lorsqu’elle était chez elle, s’enfermait à clef de peur d’être agressée.
4.9Dans le cadre de la procédure d’asile, la requérante a déclaré que, hormis les avances de certains hommes, elle n’avait rencontré aucun problème dans la localité de Z. Elle n’a fait état d’aucune rumeur ou autre sorte de problèmes provoqués par son mode de vie. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait été maltraitée physiquement à Z., elle a répondu par la négative. L’État partie relève en outre que les déclarations figurant dans sa communication au Comité concernant les risques qu’elle disait courir du fait qu’elle se rendait dans des bars fréquentés par des homosexuels et repartait avec des femmes, différent des déclarations qu’elle a faites devant les autorités danoises de l’immigration. Interrogée sur la question de savoir si elle avait été en butte à des problèmes parce qu’elle avait fréquenté des bars homosexuels, elle a répondu par la négative et dit que même si l’on ne révélait pas son homosexualité, on savait qui était homosexuel. L’État partie souligne que la requérante et B. ont réussi de toute évidence à vivre ensemble à Z. durant neuf ans, que leur cohabitation était connue du voisinage et qu’elles n’ont jamais fait l’objet de violences ou d’autres mauvais traitements pendant tout ce temps.
4.10L’État partie conteste en outre les déclarations faites au Comité par la requérante selon lesquelles elle a fui l’Ouganda pour le Danemark parce qu’elle n’était pas libre de vivre son homosexualité et avait peur qu’on la viole et qu’on la mette en prison. L’État partie renvoie aux déclarations faites par la requérante devant la Commission de recours des réfugiés, selon lesquelles elle n’avait jamais cherché à quitter l’Ouganda avant de rencontrer A. et que c’était A. qui était à l’initiative de leur départ. La requérante a déclaré qu’elle vivait avec A. depuis un mois lorsqu’elles avaient décidé de partir et qu’elles avaient parlé de ce voyage comme des amoureuses. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle était allée au Danemark, la requérante a répondu que A. lui avait témoigné son amour. Quand on lui a demandé si elle était partie avec A. parce qu’on disait du mal d’elle dans le village, la requérante a répondu qu’elle ne voulait pas aller en prison, que leur amour était solide et qu’elles étaient harcelées.
4.11L’État partie conteste également la déclaration faite au Comité par la requérante selon laquelle elle avait vécu à Z. pour « échapper à de nouveaux mauvais traitements de la part des autorités ougandaises ». Elle n’a jamais dit aux autorités danoises avoir rencontré des problèmes ou avoir été harcelée par les autorités ougandaises. Il ressort de la déclaration qu’elle a faite devant la Commission de recours des réfugiés le 30 septembre 2014 qu’elle pensait que le conseil local du village de ses parents avait appris son homosexualité avant qu’elle ne quitte le domicile de ses parents, mais que la police ou les autorités locales n’ont pas pris contact avec elle. Dans ce contexte, l’État partie ne peut pas admettre la version des faits présentée au Comité par la requérante. Il en va de même de sa déclaration au Comité selon laquelle avant de fuir l’Ouganda, elle vivait dans la crainte permanente d’être violée et cachait sa sexualité et prenait des précautions pour ne pas avoir à subir de nouveaux mauvais traitements.
4.12En ce qui concerne les mauvais traitements subis précédemment en Ouganda par la requérante, à savoir un « viol correctif » et des menaces émanant de sa famille et de la communauté locale, l’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés admet avec la requérante que les informations indiquant que de mauvais traitements ont été infligés par le passé sont un facteur important à prendre en compte lorsque l’on détermine s’il existe un risque actuel de mauvais traitements, mais n’estime pas qu’elles sont un indicateur déterminant d’un risque à venir. Conformément au paragraphe 8 de l’observation générale no 1 (1996) du Comité, la Commission a examiné de manière approfondie la question de savoir si les violences et mauvais traitements que certaines personnes ont fait subir à la requérante dans la localité de ses parents impliquent qu’elle serait exposée, en cas de renvoi en Ouganda, à un risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Les conclusions négatives de la Commission sur ce point se fondent en partie sur le fait que les mauvais traitements en question remontent à un passé lointain, et en partie sur le fait que, malgré sa vulnérabilité particulière et son état de santé mentale résultant d’événements traumatisants, la requérante a réussi par la suite à vivre neuf ans à Z., où elle a eu une relation homosexuelle avec A. jusqu’à ce que, du fait de cette relation et à l’initiative de A., elle parte pour le Danemark en 2007.
4.13L’État partie fait observer que, conformément à l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire X. , Y. et Z. c. Minister voor Immigratie en Asiel, cité par la requérante, et conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, la Commission de recours des réfugiés a examiné de manière approfondie la question de savoir si la requérante, si elle était renvoyée en Ouganda, serait exposée à un risque de mauvais traitement contraire à l’article 3 de la Convention en raison de la situation générale des lesbiennes dans ce pays. L’État partie renvoie à la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 30 mai 2017, dans le cadre de laquelle celle-ci a examiné le droit ougandais et la situation réelle des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, en se fondant sur des informations plus récentes que celles auxquelles la requérante a renvoyé.
4.14L’État partie renvoie également à la décision du 5 décembre 2016 de la Commission de recours des réfugiés, dans laquelle celle-ci a conclu que la requérante n’était pas une homosexuelle particulièrement en vue et n’était en conflit avec personne au moment de son départ d’Ouganda. S’agissant de ses activités militantes au Danemark, l’État partie est d’avis que les circonstances de l’affaire J. K. c. Canada et celles de la présente affaire ne sont pas les mêmes. J. K. avait pris une part active au mouvement en faveur des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda, et avait été accusé par les autorités ougandaises de « rapports sexuels contre nature » et risquait pour ces motifs d’être placé en détention à son retour en Ouganda. À la différence de J. K., la requérante n’a participé à aucune activité en faveur des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda et les activités politiques qu’elle a menées au sein d’organisations militant en faveur des droits de ces personnes au Danemark semblent avoir été menées anonymement, ou tout au moins de manière à ne pas faire d’elle une personne tellement en vue que sa situation justifierait de lui accorder l’asile au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. L’État partie ajoute que la situation en Ouganda a changé ces dernières années et qu’elle continue de changer. La situation pendant la période 2010-2012, lorsque l’on s’attendait à tout moment à ce que la loi contre l’homosexualité soit de nouveau soumise au Parlement, ne saurait être comparée à la situation actuelle.
4.15Enfin, s’agissant de l’article paru en ligne dans une publication à sensation ougandaise, qui comportait le nom et la photo de la requérante, l’État partie indique que la Commission de recours des réfugiés a reçu de la requérante le 20 juillet 2016, après qu’elle a demandé la réouverture de son dossier, un courrier électronique contenant un lien avec un article d’une publication ougandaise. Cet article portait sur la décision des autorités danoises de renvoyer deux lesbiennes ougandaises. Ni le nom ni la photo de la requérante n’y figuraient. Dans sa décision du 5 décembre 2016, la Commission de recours des réfugiés a souligné que l’identité de la requérante n’apparaissait pas dans l’article. Le 19 décembre 2016, la requérante a de nouveau demandé à la Commission de rouvrir son dossier, invoquant un autre article, paru le 15 décembre 2016 et comportant son nom et sa photo. Dans sa décision du 30 mai 2017, la Commission a conclu que le fait que le nom et la photo de la requérante étaient apparus dans un article publié sur un site Web ougandais ne saurait la conduire à une appréciation différente étant donné que, dans sa décision précédente, elle avait pris en considération les informations générales selon lesquelles plusieurs organisations, principalement à Kampala, discutaient activement et ouvertement des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et intentaient des actions en justice pour défendre ces droits, et selon lesquelles des réseaux d’appui avaient été créés pour les homosexuels et des questions relatives aux droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres étaient discutées publiquement dans des villes importantes. L’État partie considère que la Commission de recours des réfugiés a pris en considération la situation générale des homosexuels en Ouganda et la situation particulière de la requérante.
Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond
5.1Dans des commentaires en date du 28 février 2019, la requérante renvoie à plusieurs rapports d’ONG internationales concernant la situation générale des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda. Elle cite le Rapport mondial 2018 de Human Rights Watch, qui indique que les relations entre personnes de même sexe continuent de constituer une infraction pénale en droit ougandais, lequel date de l’ère coloniale, et que le fait que la législation de 2016 sur les ONG réprime la défense légitime des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres continue de susciter des préoccupations. Le rapport évoque en outre l’annulation des célébrations de la fierté à Kampala et Jinja après que le Ministre de l’éthique et de l’intégrité a menacé les organisateurs d’arrestation et de violences et fait état de l’incapacité de la police à mettre un terme aux examens anaux forcés pratiqués sur des hommes et des femmes transgenres accusés de relations consensuelles avec des personnes de même sexe.
5.2La requérante cite également un extrait du rapport de Freedom House intitulé Freedom on the Net 2018, dans lequel il est indiqué que des actes de piratage informatique à des fins de chantage visant des homosexuels ont été signalés, et, en particulier, qu’un travailleur social de l’organisation Most at Risk Populations Initiative s’était fait pirater son compte de messagerie électronique et son compte Facebook, actes qui, selon des militants, aurait pu avoir été commis par les pouvoirs publics compte tenu du grand nombre d’informations sur les membres de la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes que possédait ce travailleur social via leurs échanges professionnels et privés. La requérante invoque aussi le rapport de Freedom House intitulé Freedom in the World 2018, dans lequel il est indiqué que la communauté des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres continue d’être en butte à l’hostilité déclarée de l’État et d’une grande partie de la société, que l’homosexualité constitue toujours effectivement une infraction pénale en vertu d’une disposition remontant à l’époque coloniale, et que les hommes et les femmes transgenres accusés de relations homosexuelles consensuelles peuvent être contraints de subir un examen anal. Enfin, la requérante renvoie à l’article intitulé Uganda: Human Rights Group Targeted in Violent Break-In, publié le 9 février 2018 par Human Rights Watch, dans lequel est décrite la manière dont les ONG de défense des droits de l’homme, notamment celles qui défendent les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes, ont été victimes d’une série d’effractions, de cambriolages et d’attaques sans que la police n’identifie ou n’arrête de suspects. Selon la requérante, ces informations générales récentes confirment qu’en Ouganda, les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes connaissent une situation difficile et que les ONG qui s’emploient à défendre leurs droits sont harcelées.
5.3La requérante affirme que, dans sa dernière décision, la Commission de recours des réfugiés s’est fondée sur des informations générales et n’a pas pris en considération les risques auxquels elle pourrait être exposée après la publication en ligne d’un article dans lequel figuraient son nom et sa photo.
5.4La requérante conteste l’argument de l’État partie selon lequel il y a des divergences entre la version des faits qu’elle a présentée au Comité et les informations qu’elle a communiquées dans le cadre de la procédure d’asile. Premièrement, son affirmation selon laquelle elle a été interpellée à plusieurs reprises par des hommes usant à son égard de qualificatifs péjoratifs concorde tout à fait avec sa déclaration indiquant qu’elle et B. ont été abordées par des hommes qui voulaient sortir avec elles et qui, lorsqu’elles ont repoussé leurs avances, leur ont demandé si elles étaient lesbiennes. Deuxièmement, il est plausible que sa motivation première lorsqu’elle est parti au Danemark avec A. était de profiter de l’occasion qui s’offrait de fuir l’Ouganda et d’échapper au risque d’être violée et emprisonnée en raison de son orientation sexuelle. À cet égard, elle rappelle le diagnostic médical la concernant, à savoir qu’elle ne prend aucune sorte d’initiative et laisse aux autres le soin de prendre les décisions importantes concernant sa vie. Elle rappelle en outre qu’elle a été reconnue victime de traite des êtres humains. Elle conclut que du fait de sa vulnérabilité particulière et de son état de santé mentale, on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle soit tout le temps en mesure d’expliquer ses motivations sous-jacentes et que, partant, on ne saurait considérer qu’elle donne une image différente de la réalité lorsqu’elle exprime les raisons profondes de son comportement.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Dans une note en date du 20 juin 2019, l’État partie a soumis des observations complémentaires, dans lesquelles il indique que les observations de la requérante en date du 28 février 2019 ne comportaient rien de nouveau. Aussi, l’État partie reprend ses observations du 19 janvier 2018.
6.2L’État partie reconnaît que, selon les informations générales récentes dont dispose la Commission de recours des réfugiés, la situation des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda est difficile. Cependant, cela ne signifie pas que la requérante, si elle était expulsée, subirait des mauvais traitements, en violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie souligne que la question déterminante est de savoir si la requérante, compte tenu de la situation particulière qui est la sienne, serait exposée à un risque réel de subir des mauvais traitement à son retour. L’État partie soutient que la requérante n’a pas établi qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en Ouganda.
6.3L’État partie affirme que la Commission de recours des réfugiés a pris en considération la vulnérabilité et l’état de santé mentale de la requérante lorsqu’il a accepté les motifs de sa demande d’asile, malgré les incohérences et les éléments peu plausibles figurant dans ses déclarations. L’État partie soutient toutefois que les faits de l’espèce ne sont pas interprétés de la même manière dans la communication qui a été soumise au nom de la requérante et dans les déclarations faites par celle-ci dans le cadre de la procédure d’asile.
6.4L’État partie conclut que le renvoi de la requérante en Ouganda ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.2Conformément au paragraphe 5b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que la requérante avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité considère donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5b)) de la Convention d’examiner lacommunication.
7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie disant que la communication doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement parce que les allégations de la requérante ont été examinées de façon approfondie par les autorités nationales et que la requérante n’a pas étayé son grief selon lequel elle courrait personnellement le risque d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 3 de la Convention à son retour en Ouganda.
7.4Le Comité considère toutefois que le grief de la requérante selon lequel elle courrait le risque d’être soumise à des mauvais traitements en raison de son orientation sexuelle, en violation de l’article 3 de la Convention, a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.
7.5Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la communication soumise au titre de l’article 3 de la Convention et passe à son examen aufond.
Examen au fond
8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
8.2Le Comité doit déterminer si le renvoi de la requérante en Ouganda constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.
8.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risquerait personnellement d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Ouganda. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives.Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
8.4Le Comité rappelle que l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risquerait d’être soumis à la torture dans l’État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle également que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, sans s’y limiter : a) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; b) l’orientation sexuelle du requérant ; c) le risque qu’une requérante soit soumise à des violences fondées sur le genre, notamment le viol.
8.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon étayée qu’il court personnellement un risque prévisible, actuel et réel d’être soumis à la torture. Toutefois, lorsque le requérant n’est pas en mesure de donner des précisions, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait pas de possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est inversée et il incombe à l’État concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les renseignements sur lesquels est fondée la communication.
8.6Le Comité prend note de l’argument de la requérante selon lequel elle courrait personnellement et actuellement un risque réel d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Ouganda compte tenu des mauvais traitements dont font l’objet de façon générale les personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda, de sa visibilité et de son militantisme au sein d’organisations de défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes au Danemark et du fait qu’elle a subi par le passé un « viol correctif » en raison de son orientation sexuelle. Le Comité prend note également de l’argument de la requérante selon lesquelles les autorités danoises n’ont pas examiné de façon suffisamment approfondie les risques supplémentaires qu’elle courrait à la suite de la publication d’un article en ligne où figuraient son nom et sa photo.
8.7Le Comité prend note en outre des observations de l’État partie selon lesquelles la situation personnelle de la requérante, y compris le fait que son nom et sa photo ont été publiés dans un article de presse, a été soigneusement examinée par les autorités nationales, en tenant compte de la situation générale en Ouganda des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes sur le plan des droits de l’homme. Le Comité prend note aussi de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont pris en considération le diagnostic de syndrome de stress post-traumatique établi au sujet de la requérante et admis la version des faits que celle-ci avait présentée aux autorités compétentes en matière d’asile en dépit des incohérences et des éléments peu plausibles qui figuraient dans ses déclarations. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie indiquant que certaines des déclarations faites par la requérante dans sa communication au Comité ne concordent pas avec l’exposé des faits qu’elle a présenté aux autorités danoises dans le cadre de la procédure d’asile.
8.8Le Comité constate qu’il n’est pas contesté que la requérante a subi un « viol correctif » en Ouganda en raison de son orientation sexuelle. Renvoyant à son observation générale no 4 (2017), le Comité rappelle que les États parties, aux fins de l’application du principe de non-refoulement, devraient déterminer en particulier si, dans son pays d’origine ou dans le pays vers lequel elle doit être expulsée, la personne a été ou serait victime d’actes de violence, y compris de violence sexuelle ou fondée sur le genre, en public ou en privé, constitutifs de torture, sans que les autorités compétentes interviennent pour assurer sa protection. Lorsqu’il examine un grief de violation de l’article 3 de la Convention, le Comité devrait tenir compte de la question de savoir si des actes de torture ou des mauvais traitements ont été commis par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, et dans l’affirmative, si c’était dans un passé récent.
8.9Le Comité rappelle que les viols commis par des acteurs privés sans que l’État exerce la diligence voulue pour prévenir de tels actes, enquêter sur ceux qui ont été commis et en poursuivre et punir les responsables constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention. Il constate cependant que la requérante a été agressée par un particulier et que cet incident n’a jamais été signalé aux autorités. La requérante ne prétend pas que les autorités ougandaises ont été au courant du viol, qu’elles n’ont pas exercé la diligence voulue pour identifier et sanctionner le coupable ou qu’elles ne lui ont pas offert une réparation effective.
8.10Le Comité rappelle que le fait d’avoir été soumis à des mauvais traitements dans le passé n’est qu’un des éléments que le Comité doit prendre en compte lorsqu’il apprécie le risque de violation de l’article 3 de la Convention. Le but principal de cette appréciation est de déterminer si la requérante risquerait actuellement d’être soumise à la torture à son retour dans son pays d’origine. Le fait que la requérante a été maltraitée par le passé ne signifie pas forcément qu’elle risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Ouganda. Le Comité constate que lorsqu’elles ont examiné la demande d’asile de la requérante, les autorités danoises des migrations ont pris en considération l’important laps de temps qui s’était écoulé entre le moment où elle avait subi un viol et celui où elle était partie d’Ouganda, ainsi que le fait que, pendant les neuf ans ayant précédé son départ, elle avait vécu avec une autre femme et eu des relations homosexuelles sans être agressée par des membres de la communauté locale ni persécutée par les autorités. Le Comité note en outre que la requérante ne prétend pas que les autorités ougandaises ont cherché à l’empêcher de quitter l’Ouganda. Elle ne produit pas non plus le moindre élément donnant à penser que les autorités ougandaises, notamment la police ou d’autres services de sécurité, la recherchaient.
8.11Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requérante ne menait pas des activités de défense des droits des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda et que les activités qu’elle menait au sein d’organisations s’occupant de telles questions au Danemark étaient anonymes ou d’une nature qui ne faisait pas d’elle une personne tellement en vue qu’elle risquerait d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Ouganda. Le Comité rappelle que pour apprécier un risque de violation de l’article 3 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte la question de savoir si le requérant s’est livré, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’État concerné, à des activités politiques ou autres activités qui font qu’il courrait un risque particulier d’être soumis à la torture s’il était expulsé. Le Comité considère que même si sa participation à des activités de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes au Danemark pourrait potentiellement l’exposer à un risque de subir des mauvais traitement, en violation de l’article 3 de la Convention, la requérante n’a pas produit d’éléments suffisants montrant que son engagement était d’une importance telle qu’elle attirerait l’attention des autorités ougandaises sur sa personne.
8.12Le Comité prend note de l’argument de la requérante selon lequel la Commission de recours des réfugiés n’a pas considéré les risques auxquels elle pourrait être exposée du fait que son nom et sa photo figuraient dans un article d’une publication ougandaise à sensation. Le Comité constate cependant, que dans sa décision du 30 mai 2017, la Commission de recours des réfugiés a examiné cette circonstance et a conclu qu’elle ne créait pas pour la requérante un risque d’être soumise à la torture si elle était renvoyée en Ouganda, car plusieurs organisations, principalement à Kampala, discutaient activement et ouvertement des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexe et intentaient des actions en justice pour défendre ces droits, et des questions relatives à ces personnes étaient débattues ouvertement dans des villes importantes.
8.13Le Comité souligne que, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans un autre État, les autorités compétentes devraient tenir compte de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, y compris le harcèlement et la violence à l’égard des groupes minoritaires. Le Comité prend note avec préoccupation des informations faisant état de violations des droits humains des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes en Ouganda. Le Comité rappelle cependant que l’existence, dans le pays d’origine d’un requérant, de violations des droits de l’homme, ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir que ce requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Par conséquent, le simple fait que des violations des droits humains des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes soient signalées en Ouganda ne suffit pas en soi à conclure que le renvoi de la requérante dans ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.
8.14Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux organes des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’un danger de persécution. Il ressort des informations dont dispose le Comité que les autorités danoises ont pris en considération une grande quantité d’informations générales et ont conclu que les personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes n’étaient pas victimes de violences ciblées de la part des autorités ougandaises ou de la population en général. Le Comité constate que la requérante, tout en contestant les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, n’a pas montré que celles-ci étaient arbitraires ou manifestement entachées d’erreur ou qu’elles constituaient un déni de justice.
8.15À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de toutes les informations soumises par les parties, notamment sur la situation générale des droits de l’homme en Ouganda, le Comité considère que la requérante n’a pas suffisamment montré qu’il existait des motifs sérieux de croire que son renvoi en Ouganda l’exposerait personnellement à un risque réel, prévisible d’être soumise à la torture, en violation de l’article 3 de la Convention.
8.16Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi de la requérante en Ouganda par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.