Nations Unies

CAT/C/71/D/789/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

1er septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 789/2016 * , **

Communication présentée par :

X (représenté par un conseil, John Sweeney, puis Daniel Taylor)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

21 octobre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

27 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question ( s ) de procédure :

Recevabilité ratione materiae ; recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question ( s ) de fond :

Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement)

Article(s) de la Convention :

Article 3

1.1Le requérant est X., de nationalité sri-lankaise, né en 1989. Sa demande d’asile a été rejetée et il risque d’être expulsé. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 28 octobre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a informé le requérant qu’il avait rejeté sa demande de mesures provisoires visant à ce que l’État partie ne l’expulse pas vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

1.3Le 26 avril 2017, en application de l’article 115 (par. 3) de son règlement intérieur, le Comité, agissant de nouveau par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est d’origine ethnique tamoule. Après le décès de son père en 2004, son oncle a pris soin de sa famille. Le requérant vient d’une famille de pêcheurs, dont les membres se rendaient régulièrement d’Udappu à Mullaitivu, sur la côte orientale de Sri Lanka, pour pêcher. Udappu était sous le contrôle de l’armée sri-lankaise, tandis que Mullaitivu était sous le contrôle des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Comme ils se rendaient régulièrement dans une zone contrôlée par les LTTE, les membres de la famille du requérant ont éveillé les soupçons de l’armée sri-lankaise.

2.2En 2007, des agents de la Police judiciaire sri-lankaise se sont présentés au domicile de l’oncle du requérant et l’ont emmené. Ils ont dit qu’ils le conduisaient au poste de police, mais lorsque la famille a cherché à savoir où il se trouvait, on lui a d’abord dit qu’il n’était pas au poste. Lorsque la famille a enfin été autorisée à le voir, il était blessé et saignait. La semaine suivante, la Police judiciaire a interrogé tous les membres de la famille, l’accusant de cacher des armes et d’aider les LTTE. L’oncle du requérant a été libéré en mars 2008.

2.3La famille a continué d’être harcelée par les autorités et le requérant craignait pour sa sécurité. En juillet 2011, il est parti pour Doubaï (Émirats arabes unis) en soudoyant des fonctionnaires des services d’immigration par l’intermédiaire d’un agent. Il a séjourné à Doubaï pendant environ neuf mois, mais est rentré à Sri Lanka lorsque son oncle est tombé malade.

2.4Environ deux mois après son retour, en mai 2012, le requérant et son frère ont participé à une fête avec des amis. Ils ont été arrêtés alors qu’ils se trouvaient à un arrêt d’autobus puis ont été conduits à Colombo et détenus au secret pendant trois jours. De nombreuses autres personnes ont également été arrêtées en même temps dans différents lieux. Le requérant a été accusé d’entretenir des liens avec les LTTE et d’avoir tenté de quitter le pays illégalement. Ceux qui l’ont interrogé l’ont brutalisé et lui ont même écrasé les testicules. Le requérant n’a pas mentionné ces faits aux autorités de l’État partie dans sa demande d’asile initiale car il avait honte.

2.5Le requérant et son frère, ainsi que la majorité des personnes arrêtées ce jour-là, ont été accusés d’avoir tenté de quitter le pays illégalement et ont été libérés sous caution. Ils ont été photographiés par la presse et un certain nombre d’articles ont été publiés à leur sujet. Au total, 119 personnes ont été arrêtées à cette occasion, parmi lesquelles 113 ont été inculpées par la suite, 7 pour avoir organisé le transport de migrants hors du pays par bateau et les autres pour avoir tenté de quitter le pays illégalement. Le requérant a fui Sri Lanka avant l’ouverture du procès et est arrivé en Australie en juillet 2012.

2.6Le 17 octobre 2013, la demande de visa de protection déposée par le requérant a été rejetée par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le Ministère a souligné que, lorsque le requérant s’était rendu à Doubaï, cela faisait trois ans que son oncle avait été remis en liberté et qu’au cours de cette période, ni le requérant ni aucun autre membre de sa famille ne semblait avoir rencontré de problèmes particuliers avec les autorités locales. Il a considéré que le requérant s’était rendu à Doubaï pour y trouver du travail et non parce qu’il craignait qu’on s’en prenne à lui. Il a également considéré, sur la base de comptes rendus d’audiences, que le requérant n’avait pas été arrêté par hasard en 2012 mais se préparait alors à quitter Sri Lanka illégalement. Quant à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été maltraité pendant sa détention, le Ministère a estimé que, compte tenu du grand nombre de personnes arrêtées le même jour, du caractère routinier de l’affaire et du manque de précision de la description que le requérant avait faite des événements, le requérant n’avait pas subi de mauvais traitements. Il a relevé en outre que le frère du requérant, qui avait aussi été arrêté, était resté à Sri Lanka sans être inquiété. Il a conclu que rien ne donnait à penser que les autorités sri-lankaises aient jamais considéré que le requérant avait participé de quelque manière que ce soit aux activités des LTTE, et qu’en conséquence, celui-ci ne courrait pas de risque d’être soumis à des mauvais traitements à Sri Lanka.

2.7Le requérant a fait appel de la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Lors de l’audience qui s’est tenue dans le cadre de cet appel, il a déclaré qu’il avait subi des actes de pénétration au moyen d’un bâton et qu’il avait également été battu avec ce bâton pendant qu’il était détenu par la police. Il a produit un compte rendu établi par un médecin sri-lankais qui indiquait que le requérant présentait de multiples contusions sur tout le corps à la suite d’une agression subie le 3 juin 2012. Le Tribunal a constaté que certains des éléments du récit du requérant n’étaient pas crédibles, notamment que celui-ci n’avait pas grandi dans une zone contrôlée par les LTTE comme il l’avait affirmé dans un premier temps. Il a également constaté que le requérant avait été arrêté alors qu’il tentait de fuir Sri Lanka. En ce qui concerne la lettre du médecin, le Tribunal a relevé que celle-ci lui avait été soumise après qu’il avait demandé s’il existait une pièce médicale.

2.8Le Tribunal a constaté que la lettre du médecin était datée du 23 janvier 2015 alors que le requérant avait été placé en détention en mai 2012. Il a aussi constaté que cette lettre n’étayait pas l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été victime d’actes de pénétration au moyen d’un bâton, entre autres mauvais traitements allégués. Il a indiqué que, compte tenu de ses réserves quant à la crédibilité générale du requérant, il n’était pas convaincu que celui-ci avait été maltraité pendant sa détention. Il a estimé que, dans l’hypothèse où le requérant serait placé en détention à son retour à Sri Lanka en raison de l’accusation portée contre lui, son profil ne donnait pas à penser qu’il ferait l’objet de mauvais traitements de la part des autorités. D’après les informations dont il disposait sur la situation dans le pays, la sanction la plus probable qui était encourue pour avoir quitté Sri Lanka illégalement était une amende, à moins que la personne concernée soit soupçonnée d’avoir facilité ou organisé le trafic de migrants. La demande de contrôle juridictionnel déposée par le requérant concernant la décision du Tribunal a été rejetée par le Tribunal de circuit fédéral le 14 août 2015. Le 2 septembre 2015, la Cour fédérale a confirmé cette décision.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que, s’il est renvoyé à Sri Lanka, il sera arrêté pour avoir quitté le pays illégalement et que dès que les accusations qui avaient été portées contre lui auront été découvertes, il sera maintenu en détention pendant une longue période. Il affirme en outre qu’il risque d’être soumis à la torture et à de mauvais traitements pendant sa détention, car c’est une pratique courante à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication dans une note verbale datée du 6 février 2016. Il soutient que la communication est irrecevable ratione materiae et manifestement dénuée de fondement.

4.2L’État partie soutient que le requérant a formulé plusieurs griefs qui sont irrecevables ratione materiae. Il fait référence en particulier aux griefs selon lesquels le requérant risquerait d’être soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par la Police judiciaire. Il fait valoir que l’article 3 de la Convention ne s’applique pas à ces griefs étant donné que le préjudice auquel aurait été exposé le requérant n’était pas d’une gravité telle qu’il relève de la définition de la torture au sens de l’article premier de la Convention, ce qui signifie que le requérant ne peut alléguer une violation de la Convention par l’État partie.

4.3Pour le cas où le Comité ne considérerait pas que les griefs du requérant sont irrecevables ratione materiae, l’État partie soutient aussi que ces griefs sont manifestement dépourvus de fondement. Le requérant affirme qu’il risquerait d’être placé en détention et torturé à Sri Lanka ; or il ne produit aucun élément concret à l’appui de ses griefs, qui sont donc irrecevables pour défaut manifeste de fondement.

4.4L’État partie fait valoir en outre que les griefs formulés par le requérant ont été soigneusement examinés par plusieurs organes de décision internes qui ont conclu qu’ils ne mettaient pas en jeu les obligations qui incombent à l’Australie en matière de non‑refoulement en vertu de la Convention. Dans la communication qu’il a soumise au Comité, le requérant n’a pas formulé de nouveaux griefs ou apporté de nouveaux éléments de preuve qui n’aient pas déjà été examinés par les autorités nationales. Il précise que les autorités nationales n’ont pas jugé crédibles un certain nombre des griefs du requérant.

4.5Le 28 août 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond. Il réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable. Si toutefois le Comité devait considérer la communication comme recevable, il devrait déclarer les griefs du requérant dénués de fondement.

4.6L’État partie soutient que ses autorités ont examiné les affirmations du requérant en détail et ont conclu que l’intéressé n’avait pas suffisamment étayé sa demande de protection et que certaines de ses affirmations étaient exagérées. Il souligne que les affirmations du requérant ont été appréciées au regard des obligations qui lui incombent en matière de non‑refoulement et qu’il a été établi que la demande du requérant n’était pas de nature à mettre en jeu ces obligations. Il indique que la demande de visa de protection du requérant a été rejetée le 17 octobre 2013. Dans le cadre de l’examen de la demande du requérant, les autorités compétentes étaient saisies de la transcription de l’entretien que le requérant avait eu avec un fonctionnaire du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières en présence d’un interprète tamoul aux fins de l’obtention de son visa de protection, de documents relatifs à la question (tels que les Principes directeurs du HCR relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile sri-lankais), et de renseignements concernant le pays, provenant notamment du Ministère australien des affaires étrangères et du commerce, du Département d’État des États-Unis d’Amérique et du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. Sur la base de ces informations, elles ont conclu que les autorités sri-lankaises ne s’étaient jamais intéressées au requérant, malgré son arrestation en 2012, et que celui-ci ne courrait pas de risque réel de subir un préjudice grave ou important à son arrivée à l’aéroport de Colombo, pendant sa détention provisoire à la prison de Negombo ou après cela.

4.7Suite au recours formé par le requérant, une audience a eu lieu le 15 janvier 2015 devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés. Le requérant a pu faire des déclarations orales et écrites avec l’assistance d’un interprète tamoul. Il a été représenté à l’audience par l’agent des services d’immigration chargé de son dossier. Le Tribunal a examiné l’ensemble des arguments avancés par le requérant dans ses lettres au Comité. Il a émis des réserves quant à la crédibilité des affirmations du requérant. Il a relevé en particulier des incohérences non négligeables entre les observations que le requérant avait communiquées par écrit et ses déclarations sur l’honneur, et a estimé que certaines de ses affirmations étaient exagérées ou vagues. Le Tribunal n’a pas acquis la conviction que le requérant était fondé à craindre d’être persécuté parce qu’il était un jeune homme tamoul considéré comme un sympathisant des LTTE, ou parce qu’il avait grandi dans une zone contrôlée par cette organisation ou avait vécu dans une telle zone après la fin de la guerre.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans une note en date du 3 septembre 2018, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il y soutient que la communication est recevable. Revenant sur le fait que son récit n’a pas été jugé crédible en raison des incohérences relevées dans ses déclarations, il affirme que sa capacité à se remémorer certains détails précis tels que les dates et la durée des événements a été altérée par les tortures et les traumatismes subis. Il affirme également qu’une importance disproportionnée a été donnée à ces incohérences aux fins de l’évaluation de sa crédibilité.

5.2Le requérant réaffirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka, il risquerait d’être placé en détention provisoire pour une longue période dans l’attente d’être jugé pour avoir tenté de quitter le pays illégalement. Il soutient qu’étant donné qu’il a déjà été soumis à la torture et qu’il est soupçonné d’être un partisan des LTTE, il courrait un risque réel d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements à son retour. Il affirme qu’il n’a pas disposé de moyens culturellement adaptés de porter plainte pour torture. Il ne savait pas qu’en tant que victime de violence sexuelle, il était en droit de demander à être assisté par un avocat et un interprète de sexe masculin, ce qui lui aurait permis de parler plus facilement des violences sexuelles auxquelles il avait été soumis. On aurait dû lui demander tout au début de la procédure, notamment lors de la désignation de l’avocat commis d’office et de l’interprète, si la nature de ses griefs exigeait que ces rôles soient assurés par des personnes d’un sexe en particulier. Le requérant affirme qu’il ne s’est pas vu offrir une réelle possibilité de présenter des éléments de preuve pour étayer ses allégations de torture et que les éléments qu’il a été en mesure de produire n’ont pas été appréciés de manière impartiale, mais ont été écartés au motif qu’il y avait des incohérences et des erreurs dans d’autres parties de son récit.

5.3Dans une note en date du 11 septembre 2019, le requérant a soumis des observations complémentaires selon lesquelles la publication de la décision rendue par le Tribunal de circuit fédéral concernant sa demande de contrôle juridictionnel pourrait permettre aux autorités sri-lankaises de connaître son identité, puisque la décision indique les dates auxquelles il a été détenu à Sri Lanka. Il affirme que les autorités sri-lankaises pourraient confronter les données publiées avec leurs propres renseignements, et ainsi l’identifier et avoir connaissance de ses griefs.

Autres observations de l’État partie

6.1Dans une note en date du 5 décembre 2019, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il y reprend ses arguments relatifs à l’irrecevabilité de la communication, et relève que le requérant affirme qu’il ne s’est pas vu offrir une réelle possibilité de présenter des éléments à l’appui de ses allégations de torture. Il fait valoir que l’appréciation faite par leTribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés de la crédibilité du requérant reposait sur un examen rigoureux et approfondi des allégations que celui-ci avait formulées. Les conclusions du Tribunal étaient fondées sur de multiples éléments, parmi lesquels le manque d’explications données par le requérant ou son incapacité à expliquer les faits allégués, et le constat que sa déclaration sur l’honneur était inexacte, qu’il avait tendance à exagérer certains aspects de son récit et que certaines des allégations qu’il avait formulées dans ses observations écrites n’avaient pas été présentées devant le Tribunal. Le requérant a amplement eu l’occasion de présenter des éléments de preuve lors l’audience du Tribunal, et toutes ses allégations, y compris celle d’agression sexuelle, ont été dûment prises en considération. L’État partie fait observer que le requérant était représenté dans le cadre des entretiens relatifs à sa demande de visa de protection et que toute préoccupation concernant sa capacité à participer à la procédure, ou toute autre considération particulière qui aurait dû être prise en compte, aurait pu être mentionnée à ce moment-là.

6.2L’État partie note que le requérant affirme qu’il pourrait être identifié à partir de la décision du Tribunal de circuit fédéral. Il soutient qu’il n’est guère plausible que les autorités sri-lankaises soient en mesure de l’identifier uniquement sur la base des dates de son départ et de sa détention. Il rappelle que les autorités de l’État partie ont invariablement conclu que rien ne donnait à penser que le requérant risquerait encore d’être inquiété par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka.

Autres observations du requérant

7.Dans une note en date du 1er mars 2020, le requérant a soumis de nouveaux commentaires sur les observations de l’État partie. Il répète qu’il risquerait d’être identifié à partir de la décision du Tribunal de circuit fédéral si elle était publiée. Il réaffirme qu’il a été victime de torture et de mauvais traitements pendant qu’il était en détention en 2012 et que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’en a pas dûment tenu compte dans sa décision.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

8.3Le Comité prend note de l’argument avancé par l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione materiae et manifestement dénuée de fondement parce que le requérant n’a pas montré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi à Sri Lanka l’exposerait personnellement et actuellement à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Concernant la compétence ratione materiae, le Comité prend note de l’argument selon lequel le requérant risquerait d’être placé en détention et soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il estime que ces allégations pourraient soulever des questions au regard de l’article 3 de la Convention. Il conclut donc que les griefs que le requérant tire de l’article 3 sont recevables au regard de sa compétence ratione materiae. Le Comité estime également que le requérant a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, le grief qu’il tire de l’article 3 de la Convention, à savoir qu’il risquerait d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements s’il était renvoyé à Sri Lanka.

8.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si l’expulsion du requérant vers Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. En ce qui concerne la présente affaire, le Comité renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il a exprimé de vives préoccupations quant aux informations selon lesquelles les forces de sécurité de l’État, notamment la police, avaient continué de commettre des enlèvements et des actes de torture et à infliger des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE, en mai 2009. Il renvoie également à des rapports dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant les mauvais traitements infligés par les autorités sri-lankaises à des personnes qui avaient été renvoyées à Sri Lanka. Le Comité rappelle toutefois que le but de l’analyse à laquelle il se livre, s’agissant d’une requête émanant d’un particulier, est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. De plus, si les événements passés peuvent avoir leur importance, la principale question dont est saisi le Comité est de savoir si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

9.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017), rappelle qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace (par. 45). Pour ce qui est de l’examen sur le fond d’une communication présentée en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

9.5Le Comité constate que le requérant affirme qu’il risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka, car il serait arrêté pour avoir quitté illégalement le pays et risquerait d’être soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant sa détention, en raison de l’engagement qu’on lui prête en faveur des LTTE.

9.6Le Comité constate en outre que, selon l’État partie, les allégations du requérant ont été soigneusement examinées par les autorités nationales, qui ont estimé qu’il ne risquerait pas d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il note que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a conclu que le requérant s’était rendu à Doubaï en 2011 pour y trouver du travail et non parce qu’il craignait qu’on s’en prenne à lui, et que, selon les comptes rendus des audiences, le requérant n’avait pas été arrêté par hasard en 2012, mais parce qu’il tentait de quitter illégalement le pays. Le Comité note également que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés n’a pas jugé crédible l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été soumis à la torture et à des mauvais traitements lorsqu’il était en détention en 2012, en raison des incohérences relevées dans son récit et du fait que le certificat médical qu’il avait produit avait été établi trois ans après les faits allégués et n’étayait pas l’affirmation selon laquelle il avait été victime de violences sexuelles. Il note en outre que les autorités de l’État partie ont estimé que l’affirmation du requérant selon laquelle il avait grandi dans une zone contrôlée par les LTTE, comme il l’avait d’abord indiqué dans sa demande d’asile, n’était pas non plus crédible, tout comme d’autres éléments de son récit.

9.7Le Comité prend note des griefs du requérant selon lesquels il ne s’est pas vu offrir une réelle possibilité de présenter des éléments de preuve à l’appui de ses allégations de torture, les preuves qu’il a été en mesure de produire n’ont pas été appréciées de manière impartiale et il n’a pas disposé de moyens culturellement adaptés de porter plainte pour torture. Il note que l’État partie fait valoir que les affirmations du requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi par les autorités nationales, que le requérant a été représenté lors des entretiens tenus dans le cadre de la procédure relative à l’obtention d’un visa de protection ainsi que pendant l’audience du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés et que toute préoccupation concernant sa capacité de participer à la procédure, ou toute autre considération particulière qui aurait dû être prise en compte, aurait pu être mentionnée à ce moment-là. Le Comité estime donc que le requérant n’a pas démontré en quoi l’examen de sa demande d’asile par les autorités a été entaché d’un manque d’indépendance ou d’impartialité, ou que les autorités de l’État partie qui ont examiné l’affaire n’ont pas mené d’enquête en bonne et due forme sur ses allégations.

10.Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par les parties, le Comité considère qu’en l’espèce, le requérant n’a pas produit assez d’éléments de preuve ni suffisamment étayé son allégation selon laquelle les événements qui se seraient produits par le passé intéresseraient réellement les autorités sri-lankaises. Compte tenu également de la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas suffisamment étayé son grief selon lequel son renvoi à Sri Lanka l’exposerait personnellement à un risque prévisible, actuel et réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.