Nations Unies

CAT/C/71/D/896/2018*

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 août 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 896/2018 * * , ** *

Communication présentée par :

T. S. (actuellement représenté par Leijen & Nandoe Advocaten ; précédent conseil : Anton Hol)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

2 novembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 novembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

19 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Risque de torture, peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est T. S., ressortissant sri-lankais né en 1987. Sa demande d’asile aux Pays-Bas a été rejetée et il est menacé d’expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que si les Pays‑Bas procédaient à son expulsion, ils violeraient les obligations qui leur incombent au titre de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet le 20 janvier 1989. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 13 novembre 2018, conformément à l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, ressortissant sri-lankais d’origine tamoule, est né dans le district de Jaffna, situé dans la province du Nord (Sri Lanka). En 1995, il s’est enfui à Kilinochchi, ville contrôlée, à l’époque des faits, par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). De 2005 à 2008, le requérant a travaillé comme soudeur dans un atelier appartenant à des membres du LTTE.

2.2En janvier 2008, le requérant, son frère et sa sœur ont été contraints de participer à un programme d’entraînement physique avec les LTTE. Pendant deux à trois mois, le requérant a été forcé de creuser des abris et de ramper plusieurs heures par jour, raison pour laquelle il se déplace désormais en boitant.

2.3Lorsque les combats entre les autorités sri-lankaises et les LTTE se sont intensifiés, le requérant, son frère, sa sœur et ses parents ont cherché refuge partout où ils le pouvaient. En 2008, le requérant a été témoin de la mort de son frère lors d’une frappe aérienne menée par l’armée sri-lankaise. En mai 2009, les LTTE ont de nouveau pris contact avec lui et l’ont forcé à creuser des abris. Il les a également aidé à transporter des blessés.

2.4Le 14 mai 2009, le requérant et sa sœur ont quitté Mullivaikkal et se sont livrés à l’armée sri-lankaise, qui les a placés en détention dans un camp militaire provisoire à Omanthai, où ils ont été interrogés sur leurs liens éventuels avec les LTTE. Le 15 mai 2009, le requérant et sa sœur ont été emmenés au camp de réfugiés de Vayuniya. Ils ont tous deux été interrogés à de multiples reprises et ont subi des mauvais traitements de la part des agents. Le requérant indique qu’il a été victime d’une agression sexuelle, mais qu’il n’a pas été violé. En septembre 2009, il a été transféré au camp de détention Joseph. Pendant sa détention, il a été interrogé régulièrement sur ses liens avec les LTTE et on lui a demandé s’il connaissait des personnes qui étaient membres de cette organisation. Au cours de ces interrogatoires, il a été torturé à plusieurs reprises. Le requérant a toujours nié tout lien avec les LTTE.

2.5En février 2011, le requérant s’est évadé du camp de détention Joseph avec l’aide de son oncle, qui a versé un pot-de-vin aux autorités. Il s’est rendu à Colombo, où il est resté quelques jours, le temps qu’un passeur l’aide à quitter Sri Lanka par avion, à l’aide de documents de voyage falsifiés. Il est arrivé aux Pays-Bas le 7 mars 2011.

2.6Le requérant a présenté sa première demande d’asile le 30 mars 2011. Le Service de l’immigration et de la naturalisation l’a rejetée le 7 avril 2011, jugeant peu crédible son récit, en particulier en ce qui concernait son entraînement et ses autres activités au sein des LTTE, sa détention par l’armée sri-lankaise et les circonstances de son évasion. Le 7 avril 2011, le requérant a introduit auprès du tribunal de district de La Haye une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le 28 avril 2011, le tribunal a rejeté cette demande, jugeant que les informations générales sur le pays dont il disposait et les circonstances de l’espèce ne lui permettaient pas de conclure que le profil de risque du requérant était tel qu’un retour à Sri Lanka l’exposerait à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements. Le 5 mai 2011, le requérant a formé un recours devant la Chambre du contentieux administratif du Conseil d’État qui, le 19 mai 2011, l’a rejeté comme étant manifestement dénué de fondement.

2.7En décembre 2011 ou janvier 2012, le requérant a écrit une lettre à sa mère pour s’informer de la situation à Sri Lanka. Son oncle lui a répondu que les autorités sri‑lankaises étaient toujours à sa recherche. Il lui a envoyé trois documents, qu’il transmettait de la part de sa mère, à savoir une lettre du poste de police de Kilinochchi datée du 21 février 2011, une citation à comparaître datée du 3 novembre 2011 et énumérant les accusations portées contre lui et un mandat d’arrêt émis contre lui le 8 décembre 2011.

2.8Le 14 juin 2012, le requérant a déposé une nouvelle demande de permis de séjour temporaire au titre de l’asile, sur la base des nouveaux éléments transmis par son oncle. Le 22 juin 2012, le Service de l’immigration et de la naturalisation a rejeté sa demande. La juridiction de première instance a fondé sa décision sur l’avis de la Police royale militaire et des frontières, qui avait conclu que les pièces présentées n’avaient pas été établies et émises par les autorités compétentes, plusieurs irrégularités de forme ayant été détectées. Le 19 août 2014, le tribunal de district de La Haye a rejeté l’appel du requérant, qui n’a pas contesté ce jugement.

2.9Le 15 avril 2015, le requérant a déposé une troisième demande d’asile, arguant du fait qu’au début du mois de décembre 2014, il s’était fait tatouer l’emblème des LTTE sur le haut du bras droit. Cette demande a été rejetée le 20 novembre 2015 au motif qu’un tatouage n’implique pas que le requérant doive être considéré comme une personnalité en vue jouant un rôle important dans le cadre du séparatisme tamoul ou dans les activités menées contre le Gouvernement sri-lankais. Les recours formés par le requérant ont été rejetés le 18 décembre 2015 par le tribunal de district de La Haye et le 5 février 2016 par la Chambre du contentieux administratif du Conseil d’État.

2.10Le 2 juin 2017, le requérant a déposé une nouvelle demande d’asile sur la base d’un rapport médical établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale. Le 7 juin 2017, sa demande a été rejetée par le Service de l’immigration et de la naturalisation. Le 28 juin 2017, le tribunal de district de La Haye a déclaré que la demande de contrôle judiciaire déposée par le requérant était fondée. Le Ministre de l’immigration a contesté cette décision et, par un arrêt du 7 novembre 2017, la chambre du contentieux du Conseil d’État a déclaré la demande de contrôle judiciaire du requérant non fondée.

2.11Le requérant affirme qu’en l’espèce, il a épuisé tous les recours internes disponibles.

2.12Il ajoute qu’il a participé activement à diverses manifestations organisées par les Tamouls aux Pays-Bas, telles que les commémorations annuelles de la journée des héros. Le 20 mars 2013, il est devenu membre de l’Organisation de la jeunesse tamoule aux Pays-Bas. En plus de participer aux manifestations contre le Gouvernement sri-lankais, il contribue à l’organisation d’actions de ce type. Le 20 mai 2015, il a adhéré au Forum tamoul néerlandais, groupe qui vise à promouvoir un État tamoul indépendant.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient l’article 3 de la Convention. Il soutient qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les autorités sri-lankaises.

3.2En particulier, le requérant fait valoir qu’il a été soumis, dans le passé, à des mauvais traitements infligés par l’armée sri-lankaise. Il souligne que le rapport médico-légal atteste son récit sur la cause de ses blessures. Il ressort en outre des documents qu’il fournit, tels que le mandat d’arrêt délivré contre lui, que les autorités sri-lankaises continuent de s’intéresser à lui. Il souligne que la citation à comparaître en date du 3 novembre 2011, émise par le tribunal de première instance de Colombo à la demande de la Division des enquêtes antiterroristes, indique qu’il avait été allégué qu’il avait aidé des terroristes. Le 10 février 2012, le Ministère des affaires étrangères sri-lankais a confirmé l’authenticité de ces documents.

3.3Le requérant affirme que depuis son arrivée aux Pays-Bas, il est un membre actif de la diaspora tamoule. Il a coopéré étroitement avec deux responsables des LTTE pour l’organisation de manifestations tenues par l’Organisation de la jeunesse tamoule aux Pays‑Bas. Le nom de ces personnes apparaît sur la liste des terroristes publiée au Journal officiel sri-lankais. Le requérant affirme qu’à ce jour, il est toujours actif politiquement aux Pays-Bas.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 13 mai 2019, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Après avoir exposé la législation et la procédure applicables en l’espèce, ainsi que la situation à Sri Lanka, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas établi de façon satisfaisante qu’il risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il indique que le requérant a été interrogé plusieurs fois pendant la procédure de demande d’asile, avec l’aide d’un interprète. Le requérant a également eu la possibilité de proposer des corrections et des ajouts aux comptes rendus de ces entretiens, et de répondre aux notifications l’informant de l’intention des autorités de rejeter ses demandes d’asile. Il a été représenté par un avocat tout au long de la procédure. La procédure d’asile, assortie des garanties nécessaires, a donc offert suffisamment de possibilités au requérant pour qu’il prouve la véracité de ses dires de manière satisfaisante. Le tribunal de district de La Haye et la Chambre du contentieux administratif du Conseil d’État ont soigneusement apprécié ses griefs dans le cadre de quatre procédures. Cependant, le récit du requérant a, pour la plus grande part, été jugé non crédible et les autres facteurs de risque qu’il a mentionnés, considérés individuellement et dans leur ensemble, n’ont pas permis d’établir que les autorités sri-lankaises s’intéressaient encore à lui.

4.2L’État partie fait référence à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A. v. The United Kingdom et à la décision rendue par le Upper Tribunal (chambre chargée des affaires relatives à l’immigration et à l’asile) du Royaume‑Uni dans l’affaire G. J. and others v. Secretary of State for the Home Department et indique qu’au vu des griefs soulevés par le requérant, il considère que, contrairement à ce qui était le cas dans les affaires citées, il n’existe en l’espèce aucun risque réel que l’intéressé soit perçu comme ayant un rôle important dans les activités menées par la diaspora pour déstabiliser l’État unitaire sri‑lankais et ranimer le conflit armé interne.

4.3L’État partie considère que le requérant n’a pas établi de façon satisfaisante que les autorités sri-lankaises savaient qu’il avait participé à des entraînements et à d’autres activités en lien avec les LTTE. À ce sujet, l’État partie souligne que les autorités nationales ont jugé les dires du requérant non crédibles, pour les raisons suivantes : a) ses déclarations étaient superficielles et contradictoires sur plusieurs points concernant les circonstances de son entraînement avec les LTTE ; b) il est peu plausible que, comme il l’affirme, il n’ait pas été contraint d’utiliser des armes lors de ces entraînements, compte tenu du conflit tendu entre les LTTE et les autorités sri-lankaises à cette époque ; c) il est peu plausible, compte tenu de la situation générale du pays que, comme il l’affirme, ni lui ni les membres de sa famille n’aient été recrutés par les LTTE avant 2008 ; d) il est également peu plausible que, comme il l’affirme, il n’ait jamais participé au conflit armé entre les LTTE et les autorités sri‑lankaises, et l’explication selon laquelle il a réussi à se soustraire aux autorités semble peu convaincante ; e) le récit de sa détention n’était pas suffisamment circonstancié, malgré la durée de celle-ci (dix-sept mois) ; f) ses déclarations sur les circonstances de son évasion ont également été jugées peu plausibles.

4.4L’État partie ajoute que les tribunaux nationaux n’ont pu accepter, à titre de preuves, aucune des pièces présentées par le requérant, la Police royale militaire et des frontières ayant établi, compte tenu des irrégularités de forme détectées, qu’elles n’avaient pas été émises par les autorités compétentes. Bien que le tribunal de district de La Haye ait donné au requérant la possibilité d’obtenir, dans un délai de trois mois, une nouvelle expertise afin de prouver l’authenticité des pièces, celui-ci ne s’est pas prévalu de cette possibilité.

4.5En ce qui concerne le rapport médico-légal présenté dans le cadre de la quatrième procédure d’asile, l’État partie souligne que le 14 mars 2011, le requérant a été examiné et déclaré médicalement apte à être interrogé. Au cours des entretiens, celui-ci a expressément déclaré que rien, sur le plan médical, ne l’empêchait d’être interrogé. Ce n’est que lors de la quatrième procédure que le requérant a indiqué que son état de santé, à savoir l’aggravation de ses troubles post-traumatiques, pouvait avoir altéré sa capacité à rendre compte de manière complète et cohérente de sa situation. L’État partie fait valoir à cet égard que le requérant manquait de crédibilité non seulement en raison des contradictions internes à son récit, mais également parce que certaines de ses allégations semblaient contredire les informations générales sur le pays. Dans ces circonstances, les juridictions internes n’ont pas jugé nécessaire de demander un examen médical complémentaire ou d’accorder au requérant le bénéfice du doute. S’agissant des causes des blessures du requérant, l’État partie souligne que l’auteur du rapport médical a tenu pour acquises les déclarations de l’intéressé et n’a envisagé aucune autres circonstances pouvant expliquer l’origine de ses blessures ou l’apparition de troubles post-traumatiques. L’État partie en conclut qu’il n’avait aucune obligation d’enquêter plus avant sur le risque que le requérant soit exposé à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.6L’État partie fait valoir que, contrairement à ce que le requérant affirme, on ne peut pas tenir pour certain que celui-ci a quitté Sri Lanka illégalement. Il n’a présenté aucun document permettant d’établir sa nationalité, son identité ou son itinéraire, ni de prouver la véracité de son récit. Il n’a pas donné d’informations détaillées, cohérentes et vérifiables sur l’itinéraire emprunté. Il n’a, par exemple, pas précisé la compagnie aérienne qui effectuait le vol qu’il a pris au départ de Sri Lanka. Il n’a pas non plus été capable de se souvenir du nom indiqué sur son faux passeport ni de la langue dans laquelle celui-ci avait été établi. Il est raisonnable d’attendre de lui qu’il soit en mesure de communiquer de tels renseignements de base.

4.7L’État partie fait observer qu’en outre, le requérant n’a pas démontré que les autorités sri-lankaises étaient informées de son action au sein de l’Organisation de la jeunesse tamoule aux Pays-Bas et de sa participation à plusieurs manifestations tenues contre elles. En tout état de cause, ces activités sont trop marginales pour que le requérant puisse être considéré comme un militant présentant un intérêt pour le Gouvernement sri-lankais. Les déclarations complémentaires du requérant sur ce point, à savoir qu’il avait travaillé avec des personnes tenues pour terroristes par le Gouvernement sri-lankais, ne modifient en rien cette appréciation, aucun élément de preuve n’ayant été présenté pour corroborer ses dires à ce sujet.

4.8L’État partie dit considérer que, compte tenu des conclusions des tribunaux nationaux selon lesquelles le requérant manquait de crédibilité et n’avait pas pris part au conflit armé à Sri Lanka mais avait mené des activités marginales en dehors de son pays d’origine, le fait de se faire tatouer, en soi, ne fait pas courir le risque au requérant d’être considéré comme une personnalité en vue présentant un intérêt pour les autorités sri-lankaises. Quant aux cicatrices qu’il porte, l’État partie répète que le rapport médical n’exclut pas que d’autres causes que celles qu’il avance dans son récit puissent expliquer ses blessures. En tout état de cause, étant donné que rien n’indique que le requérant ait attiré l’attention des autorités sri‑lankaises, il n’y a aucune raison de conclure que celles-ci s’intéresseraient à lui uniquement à cause de ses cicatrices.

4.9L’État partie soutient que le fait que le requérant soit expulsé des Pays-Bas vers Sri Lanka sans carte d’identité n’est pas en soi une raison suffisante pour donner à penser qu’il serait soumis à de mauvais traitements à son retour dans ce pays. L’État partie fait valoir que les autorités sri-lankaises n’ignorent pas que de nombreuses personnes émigrent pour des raisons économiques et que, chaque année, le nombre de demandeurs d’asile tamouls renvoyés à Sri Lanka oscille entre une poignée d’individus et plus d’un millier de personnes. S’il est admis que quelques Sri-Lankais ont été victimes de traitements contraires à la Convention à leur retour dans le pays, on ne doit pas nécessairement en conclure que chaque personne est exposée à un tel risque à son retour.

4.10Compte tenu de ces informations, l’État partie conclut que le requérant n’a pas établi de façon satisfaisante qu’il courrait le risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à son retour à Sri Lanka. Par conséquent, son expulsion vers ce pays ne constituerait pas une violation de cet article.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.Dans une note en date du 18 juillet 2019, le requérant a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication. Il conteste avant tout la position de l’État partie selon laquelle son récit n’a pas été jugé crédible par les autorités nationales en raison des contradictions internes à ses déclarations. Il souligne que lors de la première procédure, il a été représenté par un conseil qui n’avait pas expliqué aux autorités de l’État partie qu’il avait été libéré après avoir versé un pot-de-vin, et que les arguments de l’État partie sur ce point ne sont donc pas valables. Il explique qu’il a informé l’État partie qu’il avait travaillé comme soudeur dans un garage et réparé des véhicules des LTTE qui servaient à transporter des armes, de la nourriture, des médicaments, du carburant et des militants blessés, ce qui explique probablement pourquoi il n’a pas été contacté par les LTTE avant 2008. Il indique ne pas pouvoir se souvenir des noms des responsables du camp d’entraînement pour la simple raison que leurs noms n’étaient pas mentionnés devant les détenus, qui étaient obligés de les appeler « grand frère » en langue tamoule. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel le requérant a fait des déclarations contradictoires sur le fait qu’il avait été contraint de creuser des tranchées ou des abris, il soutient que ce malentendu découle d’une erreur de traduction. Enfin, il rappelle que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il a décrit de façon détaillée ses conditions de détention. À ce sujet, le requérant renvoie au procès-verbal de son deuxième entretien. En outre, il soutient que l’État partie tire des conclusions déraisonnables du rapport médical établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que le 7 avril 2011, le requérant a fait appel de la décision négative relative à sa demande d’asile devant le tribunal de district de La Haye et qu’il a demandé l’autorisation de saisir la Chambre du contentieux administratif du Conseil d’État, qui a rejeté sa demande le 19 mai 2011. Le recours déposé par le requérant contre la décision négative rendue en ce qui concerne sa deuxième demande d’asile a été rejeté par le tribunal de district de La Haye le 19 août 2014. Quant à celle rendue à l’issue de l’examen de sa troisième demande d’asile, elle a été contestée devant le tribunal de district de La Haye par le requérant, qui a demandé l’autorisation de saisir la Chambre du contentieux administratif du Conseil d’État, mais ces demandes ont été rejetés le 18 décembre 2015 et le 5 février 2016, respectivement. La quatrième demande d’asile a été rejetée le 7 juin 2017. En revanche, le tribunal de district de La Haye a jugé fondée la demande de contrôle judiciaire déposée par le requérant. Cette décision a été contestée par le Ministre de l’immigration et, par un arrêt en date du 7 novembre 2017, la Chambre du contentieux administratif a déclaré la demande de contrôle judiciaire du requérant non fondée. Le Comité constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif. Il considère en conséquence que les dispositions de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.3Le Comité considère en outre que le requérant a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses allégations quant au risque de torture ou d’autres mauvais traitements qu’il pourrait subir de la part des autorités sri-lankaises en raison de ses liens présumés avec les LTTE. Le Comité constate que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour quelque motif que ce soit. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare les griefs du requérant recevable au regard de l’article 3 de la Convention et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il indique qu’il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits crédibles démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a ) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; e) les actes de torture subis antérieurement (par. 45). Pour ce qui est du fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et qu’il peut apprécier librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

7.5Pour apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle en raison de son origine tamoule et de ses liens présumés avec les LTTE, il courrait le risque d’être soumis, par l’armée sri-lankaise, à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka. À cet égard, le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a travaillé comme soudeur dans un garage appartenant à des membres des LTTE et que, pendant plusieurs mois, il a été contraint de suivre un entraînement militaire dans un camp contrôlé par les LTTE. Le Comité note que le requérant affirme avoir été placé par l’armée sri-lankaise dans divers camps de détention, où il a été interrogé à de multiples reprises sur ses liens éventuels avec les LTTE, et avoir été torturé à plusieurs reprises au cours de ces interrogatoires. Le Comité note également que le requérant affirme s’être évadé du camp et avoir réussi à fuir Sri Lanka après que son oncle a versé un pot-de-vin pour qu’il soit libéré. Le Comité tient compte des pièces portées à son attention, notamment un mandat d’arrêt émis contre le requérant et un rapport médical établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale. Il prend note de la déclaration du requérant selon laquelle il s’est fait tatouer l’emblème des LTTE sur le haut du bras droit. Il note en outre que le requérant est membre de l’Organisation de la jeunesse tamoule aux Pays-Bas et du Forum tamoul néerlandais, qu’il a participé à diverses manifestations organisées par des groupes tamouls aux Pays-Bas et qu’il a coopéré avec des personnes figurant sur la liste des terroristes publiée au Journal officiel sri-lankais.

7.6Le Comité constate que les autorités de l’État partie ont, pour leur part, estimé que les déclarations du requérant n’étaient pas crédibles car il avait fourni des informations incohérentes et vagues à propos de points fondamentaux de son récit. Il constate également que, selon l’État partie, pendant les procédures liées à l’asile, le requérant, qui était représenté par un conseil, a été examiné et déclaré médicalement apte à être interrogé. Ce n’est que dans le cadre de sa quatrième demande d’asile que le requérant a indiqué que son état de santé, à savoir l’aggravation de ses troubles post-traumatiques, pouvait avoir altéré sa capacité à rendre compte de manière complète et cohérente de sa situation. Le Comité note que l’État partie considère que le rapport établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale ne prouve pas que le requérant a été soumis à la torture, car les cicatrices qui y sont décrites pourraient avoir d’autres causes. Le Comité prend note également de la déclaration de l’État partie selon laquelle le mandat d’arrêt et les pièces complémentaires présentées par le requérant n’émanent pas des autorités compétentes, plusieurs irrégularités de forme ayant été détectées, ce que le requérant n’a pas contesté bien qu’il en ait eu la possibilité. Enfin, le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle rien n’indique que le requérant ait été recherché par les autorités sri-lankaises ou ait attiré leur attention, et que ses activités actuelles sont trop marginales pour intéresser les autorités.

7.7Le Comité prend note de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est dit préoccupé, entre autres, par les informations indiquant que les forces de sécurité sri-lankaises, notamment l’armée et la police, avaient continué de commettre des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les Tigres tamouls, en mai 2009. Le Comité renvoie également aux rapports crédibles publiés par des organisations non gouvernementales concernant la manière dont les individus renvoyés à Sri Lanka sont traités par les autorités sri-lankaises. Cependant, il rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas en soi suffisante pour conclure que celui-ci y courrait personnellement un risque personnel réel d’être soumis à la torture.

7.8En l’espèce, le Comité constate que le requérant a eu la possibilité de fournir aux autorités nationales, au cours de quatre procédures, des informations complémentaires et des éléments de preuve à l’appui de sa requête, et que les autorités ont examiné ses déclarations orales en l’absence de document établissant sa nationalité, son identité ou l’itinéraire suivi. Il note que les incohérences et lacunes dans ces déclarations orales ont conduit les autorités nationales à la conclusion que le requérant n’avait pas prouvé qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. À cet égard, le Comité estime que les autorités nationales se sont largement fondées sur leur appréciation négative de la crédibilité du requérant, alors même que certaines incohérences dans ses déclarations pouvaient être considérées comme mineures, résulter d’erreurs de traduction ou avoir une explication raisonnable. En outre, il est indiqué dans le procès-verbal d’audition du requérant que celui-ci a fourni des informations complémentaires sur les circonstances de sa détention. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel plusieurs affirmations du requérant, à savoir qu’il n’a jamais été formé à l’utilisation d’armes dans le camp d’entraînement, n’a jamais participé au conflit armé et n’a pas été contacté par les LTTE avant 2008, ne cadrent pas avec les informations générales disponibles sur Sri Lanka. Le Comité note toutefois que le simple fait que des informations générales sur le pays puissent remettre en cause certaines affirmations du requérant ne doit pas nécessairement conduire à mettre en doute la véracité de la totalité de son récit. Il rappelle que l’on ne saurait attendre une exactitude parfaite de la part de victimes de la torture et fait observer que le requérant a fourni des documents indiquant qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique au moment de ses entretiens.

7.9Le Comité rappelle que des mauvais traitements subis dans le passé ne constituent qu’un élément à prendre en considération, la question qui se pose à lui étant de savoir si le requérant courrait actuellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il considère que, même s’il faisait abstraction des incohérences supposées du récit fait par le requérant de ce qu’il a vécu à Sri Lanka et s’il considérait comme véridique ses déclarations, celui-ci n’a fourni aucune information crédible qui porterait à croire que les autorités sri‑lankaises s’intéresseraient à lui à l’heure actuelle. Sur ce point, le Comité fait observer que même si les Sri-Lankais d’origine tamoule qui ont été liés aux LTTE, que ce soit directement ou par leur famille, et visés par une mesure d’expulsion vers Sri Lanka pourraient être exposés à un risque d’être soumis à la torture, en l’espèce, de l’aveu même du requérant, il n’a jamais participé au conflit armé et, durant sa détention, a toujours nié avoir eu des liens avec les LTTE. Le Comité relève également observer que les documents présentés pour prouver l’intérêt porté par les autorités au requérant remontent à 2011 et sont considérés comme n’émanant pas des autorités compétentes. Bien qu’il ait eu la possibilité de contester cette expertise, le requérant n’a pris aucune mesure en ce sens. En outre, s’agissant du rapport établi par l’Institut des droits de l’homme et de l’évaluation médicale dans lequel il est indiqué que les cicatrices du requérant concordent avec ses dires, il convient de noter que d’autres causes possibles de ses blessures ne sont pas exclues. En outre, le fait que le requérant ait pu quitter Sri Lanka sans problème montre également que les autorités sri‑ lankaises ne cherchaient pas à savoir où il se trouvait, et ce, d’autant plus qu’il n’a pas été en mesure d’établir formellement qu’il avait quitté le pays illégalement. En fait, l’affirmation du requérant selon laquelle il a réussi à fuir le pays muni d’un faux passeport n’a pas été jugée plausible par les autorités néerlandaises, dans la mesure où il n’a fourni aucun document d’identité ou de voyage et n’a pu donner aucun détail sur l’itinéraire emprunté. Le Comité prend note des documents attestant les dires du requérant selon lesquels huit hommes non identifiés se sont rendus en décembre 2014 chez ses parents pour demander où il se trouvait. Toutefois, ces pièces ayant été établies à la demande de la mère du requérant, les autorités nationales ne leur ont accordé aucune valeur probante. Pour ce qui est de la participation du requérant aux activités organisées par des groupes tamouls aux Pays-Bas, le Comité fait observer que, même si les autorités sri-lankaises pourraient reconnaître le requérant sur les photos publiées sur des réseaux sociaux où son nom ne figure pas, ces manifestations ne font pas de lui un partisan important des LTTE. Les affirmations du requérant selon lesquelles il avait travaillé avec des personnes tenues pour terroristes par le Gouvernement sri-lankais, ne modifient en rien cette appréciation, aucun élément de preuve n’ayant été présenté pour les corroborer. Les informations portées à la connaissance du Comité ne laissent pas supposer que dix ans après les faits allégués, le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Le Comité considère donc que le requérant n’a pas produit assez d’éléments de preuve ni suffisamment étayé son allégation selon laquelle les événements qui se seraient produits par le passé intéresseraient les autorités sri-lankaises. Après avoir examiné la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles son expulsion vers ce pays l’exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité conclut donc que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement un risque réel, prévisible et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.