Nations Unies

CAT/C/71/D/913/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

24 septembre 2021

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22, concernant la communication no 913/2019 * , **

Communication présentée par :

L. H. et M. H. (représentées par un conseil, Viktoria Nystrom

Victime(s) présumée(s) :

Les requérantes

État partie :

Suède

Date de la requête :

5 février 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décisions prises en vertu des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 13 février 2019

Date de la présente décision :

22 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs non étayés

Questions de fond :

Risque de torture ou d’autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Les requérantes sont L. H., de nationalité russe, née en 1983, et sa fille mineure, M. H., de nationalité russe également, née en 2002 ; elles sont toutes deux d’origine ingouche. Elles affirment que leur renvoi en Fédération de Russie constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1), avec effet le 1er octobre 1991. Les requérantes sont représentées par un conseil.

1.2Le 13 février 2019, en application de l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser les requérantes vers la Fédération de Russie tant que la communication serait à l’examen. Le 24 septembre 2019, l’État partie a demandé au Comité de lever les mesures provisoires. Le 26 novembre 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a accédé à la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par les requérantes

2.1En 2008, la mère et le frère de L. H. ont été tués à leur domicile, ainsi que trois amis de celui-ci, des opposants actifs au régime ingouche. Leur maison a été incendiée et détruite. À l’époque, L. H. et sa famille vivaient ailleurs. Deux mois après ces événements, son mari a disparu à Moscou. Elle a tenté d’enquêter sur sa disparition mais a subi des menaces de la part d’hommes en tenue militaire qui lui ont dit de cesser ses recherches. Elle a également été interrogée par le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie, qui lui a ordonné de ne plus enquêter sur la disparition de son mari et de ne jamais en parler. Par la suite, elle a vécu cachée. Ses proches ont pu l’informer qu’ils avaient reçu la visite de personnes qui étaient à sa recherche. Après tous ces événements, L. H., craignant pour sa vie et celle de sa fille, a décidé de fuir la Fédération de Russie. En 2009, après avoir été enlevé à son domicile, le cousin de L. H. a été retrouvé mort et portant des marques de torture. Plusieurs journaux locaux l’ont accusé de faire partie d’un groupe terroriste, tout comme le frère de L. H.

2.2À partir de 2010, l’oncle de L. H. a reçu à plusieurs reprises la visite de personnes qui étaient à la recherche de celle-ci. Il a également fait savoir à L. H. qu’il avait reçu une convocation à un tribunal qui lui était adressée. En outre, L. H. a été officiellement portée disparue et un avis de recherche a été diffusé. Environ six mois avant la soumission de la communication, son oncle et le fils de celui-ci ont été arrêtés en Ingouchie.

2.3La requérante soupçonne que ses communications téléphoniques avec son oncle ont été surveillées. Par exemple, elle a reçu sur son téléphone suédois un appel d’un inconnu parlant tchétchène, qui lui a intimé de rentrer au pays en la menaçant et en lui disant qu’il savait où elle se trouvait.

2.4L. H. a déposé une première demande d’asile en Suède en 2009. Cette procédure a abouti à la décision d’expulsion rendue par les autorités de l’immigration en février 2012. Craignant pour sa vie et celle de sa fille, la requérante a décidé de ne pas en faire cas et de rester en Suède.

2.5Le 3 mars 2016, L. H. a déposé une nouvelle demande d’asile fondée sur les mêmes motifs de protection que ceux qu’elle avait invoqués dans le cadre de la procédure d’asile précédente, à savoir qu’en raison de l’engagement politique de son frère, elle-même et sa fille risquaient d’être placées en détention et tuées par la police ou le Service fédéral de sécurité. Au cours de cette procédure, L. H. a été autorisée à préciser des parties essentielles de son récit. De plus, elle a présenté des documents qui prouvaient que les menaces contre sa vie et celle de sa fille étaient réelles. Le 29 mars 2018, l’Office suédois des migrations a rejeté sa demande d’asile. Il a mis en doute la crédibilité du récit de la requérante et déclaré que celui‑ci ne cadrait pas avec les rapports relatifs aux droits de l’homme concernant la Fédération de Russie. En outre, l’Office a mis en doute l’authenticité des preuves fournies, considérant qu’elles avaient une « valeur limitée ».

2.6À une date non précisée, L. H. a saisi la Cour administrative d’appel de l’immigration de cette décision, mais, le 12 novembre 2018, cette juridiction a refusé de lui accorder l’autorisation d’interjeter appel. Au moment de la soumission de leur communication, les requérantes résidaient en Suède et, suite au rejet de leur demande d’asile, étaient dans l’attente de leur expulsion vers la Fédération de Russie.

Teneur de la plainte

3.Les requérantes soutiennent que leur expulsion forcée vers la Fédération de Russie constituerait une violation, par la Suède, de l’article 3 de la Convention. En cas de renvoi, L. H. courrait un risque réel d’être arrêtée, placée en détention et torturée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 24 septembre 2019, l’État partie a renvoyé à sa législation interne applicable et indiqué que les autorités suédoises avaient examiné le dossier des requérantes conformément à la loi de 2005 relative aux étrangers, à la loi de 2016 portant limitation temporaire de la possibilité d’obtenir un permis de séjour en Suède et à l’article 3 de la Convention. Il rappelle les faits et les griefs soulevés par les requérantes.

4.2L’État partie indique que, le 30 mai 2012, les requérantes ont demandé des permis de séjour ou un « réexamen » de la question des permis de séjour, au titre des articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, faisant valoir des obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion. Les requérantes ont invoqué les mêmes circonstances que celles qui avaient déjà été examinées dans le cadre de la procédure d’asile mais ont soumis des documents en russe qui seraient des convocations à se présenter à la police. Le 14 juin 2012, l’Office suédois des migrations a décidé de ne pas accorder de permis de séjour aux requérantes ni de réexaminer les motifs de protection invoqués. Dans sa décision, l’Office a relevé le caractère sommaire des documents soumis. En outre, étant donné que l’argument tiré du besoin de protection invoqué par les requérantes avait déjà été examiné par les autorités suédoises, les documents n’ont pas été considérés comme faisant durablement obstacle à l’exécution de la décision d’expulsion visant les intéressées. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de l’immigration, lequel l’a rejeté le 27 juillet 2012. Les requérantes n’ont pas recouru contre le jugement du Tribunal.

4.3Le 14 décembre 2012, le dossier des requérantes a été remis à la Direction de la police suédoise pour exécution, les requérantes ne s’étant pas conformées à la décision d’expulsion. Au lieu de retourner dans leur pays d’origine, celles-ci ont vécu cachées.

4.4Le 2 juillet 2013, les requérantes ont sollicité une nouvelle fois la délivrance d’un permis de séjour ou le réexamen de leur demande de permis de séjour. Elles ont invoqué les mêmes circonstances et soumis les mêmes documents que ceux qui avaient été examinés précédemment. Le 12 juillet 2013, l’Office suédois des migrations a refusé de leur accorder un permis de séjour. Les requérantes n’ont pas fait appel de cette décision.

4.5Le 18 juillet 2014, les requérantes ont sollicité une nouvelle fois la délivrance d’un permis de séjour ou le réexamen de la question du permis de séjour. Outre les arguments avancés précédemment, elles ont présenté une traduction d’une prétendue convocation à un interrogatoire dans les locaux du Ministère ingouche de l’intérieur. Le 21 novembre 2014, l’Office suédois des migrations a refusé de leur accorder un permis de séjour. Dans sa décision, il a indiqué qu’aucun fait nouveau concernant le besoin de protection allégué, qui aurait pu être considéré comme un obstacle durable à l’exécution de la décision d’expulsion, n’était intervenu. Les requérantes n’ont pas fait appel de cette décision.

4.6L’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles en ce qui concerne les demandes d’asile présentées par les requérantes ont été épuisés en l’espèce. Toutefois, les requérantes n’ont pas épuisé les recours internes en ce qui concerne leurs demandes de permis de séjour ou de réexamen de la question des permis de séjour.

4.7En outre, l’État partie souligne que les requérantes ont présenté une grande quantité de preuves écrites qui n’ont pas été soumises aux autorités suédoises de l’immigration ni examinées par celles-ci. Certains de ces documents contiennent en outre des informations entièrement nouvelles qui n’ont pas été communiquées aux autorités nationales. Il est donc manifeste que les requérantes n’ont pas épuisé tous les recours internes en ce qui concerne ces nouveaux éléments de preuve. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes en ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve soumis.

4.8L’État partie fait valoir également que l’affirmation des requérantes selon laquelle elles courraient le risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi en Fédération de Russie n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il soutient par conséquent que la requête est manifestement dénuée de fondement et, partant, irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (par. b) du Règlement intérieur du Comité.

4.9L’État partie rappelle que, pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi d’une personne vers un autre État exposerait celle-ci à un risque de torture tel qu’il constituerait une violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence dans le pays considéré d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

4.10En outre, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle, dans les affaires telles que celle à l’examen, la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. De plus, l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à des simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de montrer que ce risque est hautement probable.

4.11L’État partie rappelle la situation en Ingouchie sur le plan des droits de l’homme et de la sécurité. Depuis 2010, les violences liées à la rébellion sont en constante diminution mais n’ont pas complétement disparu. Selon les rapports établis au cours des dernières années, les proches de rebelles présumés courent le risque d’être arrêtés et soumis à des mauvais traitements. Des cas de disparition et de recours à la torture continuent d’être signalés dans les républiques du Caucase du Nord.

4.12L’État partie n’entend pas sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme en Ingouchie (Fédération de Russie). Toutefois, à la lumière des rapports concernant les cas susmentionnés, l’État partie ne voit aucune raison de s’écarter de l’appréciation faite par ses autorités de l’immigration selon laquelle on ne saurait considérer que la situation dans cette région est telle qu’il existe un besoin général de protéger tous les demandeurs d’asile originaires de cette partie du pays. L’État partie note que ses autorités de l’immigration et ses tribunaux ont évalué la situation des droits de l’homme en Ingouchie (Fédération de Russie) au regard de la situation personnelle des requérantes et constaté que celles-ci n’avaient pas étayé leur argument tiré du besoin de protection internationale.

4.13Dans le cadre de la première demande d’asile déposée par les requérantes, l’Office suédois des migrations a procédé à un entretien approfondi avec L. H. le 18 janvier 2010. L’entretien s’est déroulé avec l’aide d’un interprète, que L. H. a confirmé bien comprendre. Le procès-verbal de cet entretien a ensuite été communiqué au conseil commis d’office, désigné le 19 janvier 2010. Un entretien complémentaire a eu lieu avec L. H. le 16 février 2010 en présence du conseil commis d’office et avec l’aide d’un interprète. Il ressort du procès-verbal de l’entretien qu’elle avait quelques difficultés à comprendre l’interprète. Cependant, à l’issue de l’entretien, elle a été invitée à apporter des corrections et des observations sur le procès-verbal par l’intermédiaire de son conseil. En appel, le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience en présence de L. H.

4.14Après que les requérantes ont demandé l’asile une seconde fois, l’Office suédois des migrations a eu un entretien avec L. H. le 6 novembre 2017 en présence du conseil commis d’office. Un entretien a également été mené avec M. H. en présence du conseil commis d’office. Le procès-verbal de ces entretiens a ensuite été communiqué au conseil. Les deux entretiens se sont déroulés avec l’aide d’interprètes, que les requérantes ont confirmé bien comprendre. En appel, le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience en présence de L. H., le 7 septembre 2018.

4.15Par l’intermédiaire de leur conseil commis d’office, les requérantes ont donc été invitées à examiner les procès-verbaux de ces entretiens, à formuler des observations écrites ou à faire appel. Il apparaît de ce qui précède qu’elles ont eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer les faits et circonstances pertinents à l’appui de leur demande et de plaider leur cause, tant oralement que par écrit, devant l’Office suédois des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration.

4.16Au vu de ce qui précède et étant donné que l’Office suédois des migrations et les tribunaux de l’immigration sont des organes spécialisés possédant une expérience particulière dans le domaine du droit d’asile et de la pratique en la matière, l’État partie est d’avis qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions prises au niveau national étaient erronées et que l’issue des procédures internes a été en quoi que ce soit arbitraire ou a constitué un déni de justice. Par conséquent, l’État partie estime qu’un poids considérable doit être accordé à l’avis des autorités suédoises de l’immigration.

4.17L’État partie souligne que ses autorités de l’immigration ont apprécié le besoin de protection invoqué par les requérantes en se fondant sur les déclarations orales de celles-ci ainsi que sur les éléments de preuve qu’elles ont produits. Le grief formulé par L. H. devant le Comité selon lequel elle n’a pas été entendue par le Tribunal administratif de l’immigration est infondé. En réalité, le Tribunal a tenu des audiences dans le cadre des deux appels formés par les requérantes contre les décisions d’expulsion prises par l’Office suédois des migrations. L’Office et le Tribunal ont examiné de manière approfondie tous les faits de l’espèce à plusieurs reprises, ce qui leur a permis de déterminer si les griefs des requérantes étaient cohérents et précis et s’ils contredisaient des faits de notoriété publique ou les informations disponibles sur le pays d’origine.

4.18En ce qui concerne les preuves écrites présentées aux autorités nationales de l’immigration, l’État partie fait observer ce qui suit. Il ressort clairement des décisions et du jugement rendus par les autorités nationales dans la présente affaire que ces documents ont été examinés de manière approfondie par l’Office suédois des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration. Comme il est dit dans ces décisions, les documents soumis ne sauraient démontrer de façon plausible le besoin de protection internationale invoqué par les requérantes car, s’agissant notamment de copies de documents et de documents de caractère sommaire, ils étaient faciles à falsifier. En ce qui concerne la lettre d’un militant russe soumise au Comité, l’État partie note que celle-ci a en fait été présentée aux autorités suédoises de l’immigration comme étant une lettre d’un ambassadeur en poste en France. Les autorités nationales ont demandé comment cet ambassadeur pouvait être au courant de la situation des requérantes ou savoir si elles seraient persécutées par les autorités russes. L. H. n’a pas été en mesure de répondre à ces questions dans le cadre de la procédure interne. En outre, les autorités suédoises ont précisé que la lettre avait été envoyée à partir d’un compte de messagerie Web ordinaire, qui pouvait être créé facilement. Cette lettre a par conséquent été considérée comme ayant une faible valeur probante. L’État partie ne comprend pas bien pourquoi les requérantes ont modifié leur récit à cet égard pour alléguer ultérieurement que cette lettre avait été rédigée par un « militant ». Indépendamment de cela, la question de l’authenticité des lettres produites, qui a été soulevée au cours de la procédure interne, peut également se poser à l’égard de la lettre de ce prétendu militant.

4.19En ce qui concerne la prétendue convocation à un interrogatoire, les autorités suédoises de l’immigration ont conclu qu’il s’agissait d’un document de caractère sommaire et ont constaté qu’il n’indiquait pas pourquoi L. H. avait été convoquée. En outre, le mandat d’arrêt présenté étant une copie, il s’agissait d’un document de caractère sommaire. Ces documents ont par conséquent été considérés comme ayant une faible valeur probante. De plus, les photographies soumises ne permettaient d’établir aucun lien avec les requérantes.

4.20L’État partie indique que les requérantes ont soumis plusieurs autres documents à l’appui des griefs soulevés devant le Comité. Néanmoins, il estime pertinent de commenter brièvement ces nouveaux documents. Les requérantes font maintenant valoir que le cousin de L. H. a été enlevé et assassiné en 2009 et que cette information est disponible sur Internet. En outre, plusieurs des mandats soumis au Comité n’ont pas été communiqués aux autorités nationales. L’État partie souligne que L. H. n’a pas expliqué pourquoi elle aurait tu cette information au cours des deux procédures internes, et qu’il faut considérer que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne passe pas sous silence des éléments aussi fondamentaux de ses griefs dans le cadre de la procédure interne. Pour l’État partie, il s’agit de la part des requérantes d’une surenchère dans l’exposé des faits présenté au Comité, qui soulève de sérieux doutes quant à la véracité de ces déclarations et documents. L’État partie souligne également que L. H. n’a en rien étayé sa nouvelle allégation selon laquelle la personne qui a été assassinée était son cousin ou une personne ayant un quelconque lien avec elle.

4.21En ce qui concerne les réponses orales de la requérante, l’Office suédois des migrations a constaté à plusieurs reprises que celle-ci avait expliqué dans des termes vagues les raisons pour lesquelles les autorités russes s’intéressaient à elle. Il ressort clairement des procès-verbaux des entretiens menés dans le cadre de la procédure d’asile que L. H. n’a pas pu expliquer en quoi et pour quelle raison elle présentait un intérêt pour les autorités. Bien que l’Office des migrations et le conseil commis d’office lui aient posé plusieurs questions, elle n’a pas pu apporter de réponses concernant les faits évoqués.

4.22Dans sa décision du 29 mai 2018, l’Office suédois des migrations a souligné que L. H. avait demandé et obtenu un passeport russe en janvier 2018, alors qu’elle affirmait par ailleurs qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre elle. L’Office a estimé qu’il était peu probable que les autorités russes délivrent un passeport à une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt. En outre, il a noté que L. H. avait affirmé que des informations sur sa situation étaient disponibles sur Internet. Bien qu’elle ait eu la possibilité de présenter des éléments à l’appui de cette affirmation, elle n’en a rien fait. Ayant procédé à une évaluation globale des éléments de preuve présentés par les requérantes et de leurs déclarations orales, l’Office a conclu que celles-ci n’avaient pas démontré de façon plausible qu’elles risquaient, en cas de renvoi en Fédération de Russie, de subir un traitement justifiant une protection internationale.

4.23Dans son jugement du 19 décembre 2011, le Tribunal administratif de l’immigration a relevé un certain nombre d’incohérences dans le récit de L. H. Par exemple, celle-ci n’avait jamais été engagée politiquement ou n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités avant l’attaque dont la maison de sa famille aurait été la cible. Lors de la dernière audience, elle a donné des informations différentes sur le lieu où elle se trouvait au moment de cette attaque. Elle a également fait trois récits différents concernant l’époque et le motif de son prétendu voyage à Moscou avec son mari. De plus, ses explications au sujet du signalement à la police de la disparition de son mari qu’elle aurait effectué étaient complétement divergentes. Au cours des entretiens menés en janvier et février 2010 dans le cadre de la procédure d’asile, elle a déclaré avoir signalé cette disparition à la police, au Bureau du Procureur, au Président de l’Ingouchie et à différentes organisations de défense des droits de l’homme. Toutefois, à l’audience devant le Tribunal de l’immigration, elle a affirmé qu’en signalant la disparition de son mari, elle aurait signé son propre arrêt de mort. Le Tribunal a estimé qu’elle n’avait pas dû se sentir très menacée par les autorités russes puisqu’elle avait continué à vivre dans la ferme de son oncle après que le Service de sécurité s’y serait rendu pour poser des questions concernant son mari. À cet égard, le Tribunal a également relevé qu’il était étrange que l’oncle n’ait pas eu de problèmes avec les autorités, alors qu’il était fréquemment en contact avec la requérante et son mari. Après avoir évalué l’ensemble du dossier, le Tribunal n’a pas jugé crédible le récit de L. H. et a estimé que les motifs d’asile qu’elle avait invoqués étaient insuffisants pour que les requérantes se voient accorder une protection internationale.

4.24Dans son jugement en date du 21 septembre 2018, le Tribunal administratif de l’immigration a noté que L. H. avait pour l’essentiel allégué les mêmes faits que ceux présentés dans sa précédente demande d’asile. Cependant, elle a également affirmé qu’en Ingouchie la situation en matière de sécurité était mauvaise, et que la police fédérale s’était rendue au domicile de ses proches, avait effectué des perquisitions et s’était renseignée sur elle. Elle a également affirmé qu’avant d’être assassiné, son frère avait été un opposant actif au régime, et que c’était en raison des activités d’opposition menées par celui-ci qu’elle était persécutée et que son mari avait disparu.

4.25Le Tribunal administratif de l’immigration a relevé plusieurs incohérences dans la déposition orale L. H. Lors de l’audition, elle a affirmé que c’était en raison des activités d’opposition de son frère que celui-ci et sa mère avaient été assassinés, et que son mari avait disparu. Cependant, lors des deux entretiens menés en 2010 dans le cadre de la procédure d’asile, elle avait déclaré qu’elle ne voyait aucune raison pour laquelle son frère ou sa mère avaient été assassinés. En outre, elle a nié que son frère ait eu un lien avec les rebelles en Ingouchie ou tout autre groupe similaire. En 2010, elle a également affirmé qu’elle avait été persécutée à cause de son mari. Elle n’a toutefois pas pu expliquer pour quelle raison celui‑ci avait disparu et a dit que cette disparition s’expliquait peut-être par l’emploi qu’il avait occupé dans la police et par les liens qu’il avait eus avec un procureur qui avait été assassiné en 2007. Le Tribunal a estimé que le récit concernant les menaces alléguées avait considérablement changé par rapport à la première demande d’asile présentée par les requérantes.

4.26L’État partie partage l’appréciation faite par ses autorités de l’immigration selon laquelle le récit de L. H. manque à ce point de crédibilité qu’il y a lieu de mettre en doute la véracité des affirmations de celle-ci concernant les menaces dont elle aurait fait l’objet de la part des autorités russes. L’État partie estime qu’il ne s’agit pas d’incohérences mineures ; au contraire, L. H. a donné des versions différentes de faits d’une importance cruciale. En outre, les requérantes ont soumis au Comité des informations entièrement nouvelles qu’elles n’avaient pas communiquées aux autorités nationales. Elles n’avaient pas affirmé devant les autorités nationales que le prétendu cousin de L. H. avait été enlevé et tué en 2009, et, à la connaissance du Gouvernement, elles n’avaient pas non plus évoqué les menaces que L. H. avait reçues par téléphone. Les requérantes n’ont fourni aucune explication acceptable ou raisonnable sur les raisons pour lesquelles elles avaient dissimulé des informations aussi importantes, alors qu’elles affirmaient que leur vie était en danger. Par conséquent, la véracité des faits rapportés dans la requête peut être sérieusement mise en doute. Pour résumer, l’État partie estime que les incohérences et la surenchère dans l’exposé des faits présenté par les requérantes soulèvent de sérieux doutes quant à la crédibilité de leurs affirmations.

4.27En résumé et compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime que le récit des requérantes et les faits sur lesquels celles-ci fondent leur requête ne suffisent pas à conclure qu’elles courraient personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être victimes de mauvais traitements en cas d’expulsion vers la Fédération de Russie. Par conséquent, l’exécution de la décision d’expulsion ne constituerait pas, en l’état actuel des choses, une violation des obligations incombant à la Suède au titre de l’article 3 de la Convention.

Commentaires des requérantes sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des notes en date des 22 novembre et 20 décembre 2019, les requérantes ont avancé, à propos de la demande de réexamen, que comme cette voie de droit constituait un recours extraordinaire en Suède, elle ne relevait pas de la procédure ordinaire. Une fois que la décision devient juridiquement contraignante, le requérant n’a pas le droit de demander le réexamen des raisons invoquées. Il peut toutefois obtenir que sa demande soit réexaminée s’il intervient un fait nouveau qui n’a pas été examiné précédemment et qui laisse supposer que le requérant serait exposé à un traitement justifiant une protection internationale. Une demande de réexamen n’implique pas un nouvel examen de l’affaire mais offre au requérant la possibilité d’en obtenir un éventuel réexamen. Cela signifie que la possibilité de présenter une demande de réexamen ne donne pas automatiquement au requérant le droit de faire examiner les raisons qu’il a invoquées initialement, mais que celui-ci à la possibilité de demander un réexamen de l’affaire et d’être informé au cas où les autorités suédoises ont l’intention de procéder à un tel réexamen. Dans certains cas, et dans certaines circonstances, le requérant peut obtenir ce réexamen.

5.2Pour obtenir un réexamen du dossier, comme indiqué plus haut, il est nécessaire que les motifs invoqués par le requérant fassent apparaître des faits entièrement nouveaux qui n’ont pas été examinés auparavant. Il est établi dans la législation et la jurisprudence suédoises que de nouveaux éléments de preuve ne peuvent constituer des faits nouveaux. Cela signifie que les requérantes ne peuvent pas ou n’ont pas pu obtenir des autorités suédoises de l’immigration qu’elles se prononcent sur ce que l’État partie qualifie de « nouveaux » éléments de preuve. Ainsi, même si les requérantes demandaient un réexamen de leur dossier, il est certain, à la lumière du droit suédois et de la pratique établie, qu’elles ne pourraient pas obtenir que les motifs qu’elles ont invoqués soient réexaminés ou que l’expulsion soit suspendue d’une manière ou d’une autre. Par conséquent, cette procédure ne constitue pas pour les requérantes un moyen d’obtenir un permis de séjour, comme l’État partie voudrait le laisser supposer. La possibilité de présenter une demande de réexamen dans le cadre d’un recours extraordinaire, offerte par le droit suédois à tout requérant faisant l’objet d’une décision devenue juridiquement contraignante, ne saurait entrer en ligne de compte pour déterminer si tous les recours internes ont été épuisés. Le fait que L. H. et M. H. n’aient pas interjeté d’appel dans les dernières procédures, faute d’avoir obtenu l’aide d’un avocat ou par méconnaissance de celles-ci, n’a donc aucune incidence sur leur droit de voir leur cause examinée par le Comité.

5.3Les requérantes affirment que la majorité des preuves écrites que l’État partie qualifie de nouveaux éléments de preuve contenant de nouvelles informations ont été mises à la disposition de l’Office suédois des migrations et du Tribunal administratif des migrations tout au long de la procédure interne. Certaines informations étaient disponibles sur Internet, mais les autorités nationales n’ont pas cherché à approfondir la question. Ce n’est pas parce que certains éléments de preuve visant à corroborer le récit des requérantes n’ont pas été communiqués auparavant aux autorités internes que l’on peut conclure que les requérantes n’ont pas épuisé tous les recours internes. Ces éléments de preuve concernent uniquement les motifs déjà invoqués par les requérantes et ne viennent donc pas étayer de nouveaux motifs ou de nouveaux faits allégués. En d’autres termes, les éléments de preuve soumis au Comité visent uniquement à étayer le récit des requérantes, c’est-à-dire les informations mises à la disposition des autorités suédoises dans le cadre de la procédure.

5.4L. H. fait valoir les arguments ci-après concernant deux mandats d’arrêt émis contre elle en juillet 2015 et en août 2017. Étant donné qu’elle a déjà soumis à l’Office suédois des migrations un mandat d’arrêt établi contre elle en 2012, les mandats d’arrêt de 2015 et 2017 ne sauraient être considérés comme de nouvelles informations ou comme des éléments de preuve entièrement nouveaux. Il est également important de tenir compte du fait que les autorités suédoises de l’immigration ont déjà examiné cet argument et n’ont pas considéré que le mandat était suffisamment probant.

5.5Concernant la lettre écrite par un militant russe des droits de l’homme, présentée aux autorités comme étant une lettre rédigée par un ambassadeur en poste en France, les requérantes indiquent que cette personne est Musa Taipov, un militant des droits de l’homme exilé en France. Elles ne l’ont jamais présenté comme un ambassadeur en poste en France. Quant à l’authenticité du document, il convient de souligner qu’il est évident que cette lettre a été rédigée par M. Taipov, puisqu’elle porte sa signature. Afin d’établir son identité, M. Taipov a également envoyé une copie de ses documents d’identité ainsi que ses coordonnées au cas où il serait nécessaire d’obtenir de plus amples informations de sa part. Le fait que cette lettre ait été envoyée depuis un compte de messagerie Web ordinaire ne saurait donner lieu à une appréciation différente, mais démontre plutôt l’authenticité du document puisque ce compte permet d’établir un lien direct avec M. Taipov − une personne réelle qui existe manifestement et qui, de toute évidence, porte le titre qu’il déclare avoir. Si, à elle seule, cette lettre ne pouvait pas être considérée comme constituant une preuve suffisante, il faudrait considérer que, lue conjointement avec tous les autres éléments de preuve qui ont été produits, elle suffit largement à prouver que les requérantes courraient des risques en cas de renvoi dans leur pays d’origine.

5.6L. H. soutient que son affirmation selon laquelle son cousin a été assassiné ne saurait être considérée comme une « allégation nouvelle ». C’est tout simplement faux, puisqu’elle a déjà parlé de son cousin à l’Office suédois des migrations. Il ressort du procès-verbal de l’entretien du 16 novembre 2017 que, parlant de son cousin du côté de sa mère, L. H. a dit que des informations sur lui étaient disponibles sur Internet, ce à quoi l’Office suédois des migrations n’a apparemment jamais donné suite, même si cela relevait à tout le moins de son devoir d’enquêter.

5.7L. H. affirme que ni l’Office suédois des migrations ni le Tribunal administratif de l’immigration n’ont examiné de manière approfondie les éléments qu’elle avait présentés ni ses déclarations orales. Ses explications ont suscité peu d’intérêt alors qu’elles étaient cohérentes, intelligibles et détaillées. Les autorités suédoises de l’immigration ont procédé à un examen subjectif et ne se sont pas fondées sur des faits objectifs. Elles n’ont pas examiné des informations disponibles en permanence sur Internet et qui ont été fournies et expressément mentionnées par L. H. tout au long de la procédure. Les autorités suédoises de l’immigration ayant choisi de ne pas examiner plus avant les renseignements fournis, elles n’ont pas pu s’assurer qu’elles disposaient de tous les éléments du dossier et donc de toutes les informations nécessaires pour procéder en connaissance de cause à une évaluation juridiquement sûre.

5.8Les requérantes affirment que, même si l’État partie n’a pas commis de vice de procédure, la question de savoir si une expulsion constituerait une violation de l’article 3 de la Convention est une question d’appréciation. Cela signifie que, malgré des éléments de preuve convaincants, il arrive que l’État partie procède à des appréciations incorrectes et, partant, prenne des décisions erronées ayant pour conséquence qu’une mesure de renvoi viole effectivement cet article. La communication à l’examen n’a ainsi pas pour objectif de faire réexaminer les décisions des autorités suédoises par le Comité, mais d’amener celui-ci à déterminer si leur renvoi violerait l’article 3 de la Convention.

5.9Les requérantes soutiennent que l’État partie s’est contenté de déclarer que leur récit n’était pas crédible, sans jamais examiner les informations disponibles. Les autorités ont allégué que les documents ne sauraient démontrer que les requérantes ont besoin d’une protection internationale car il s’agit de copies de documents présentant un caractère sommaire et donc faciles à falsifier. Or, cette déclaration est très étonnante pour plusieurs raisons. Il convient de souligner que le fait que ces documents, notamment la convocation à un interrogatoire et le mandat d’arrêt mentionnés par l’État partie, ont un caractère sommaire ne signifie pas automatiquement qu’ils sont des faux. Il convient également de noter que L. H. n’a pas d’autres documents à présenter que ceux qu’elle a déjà produits pour démontrer qu’elle-même et sa fille ont besoin d’une protection internationale. Les documents en question ont la forme qu’ils ont, et L. H. n’est pas en mesure d’intervenir à cet égard. Les requérantes ont présenté un grand nombre d’éléments de preuve, notamment les documents mentionnés, qui, considérés tant individuellement que conjointement, étayent fortement les déclarations orales de L. H. En outre, les documents soumis cadrent avec les informations pertinentes sur le pays, de sorte que l’on doit considérer qu’ils ont une valeur probante élevée et qu’ils étayent plus avant le récit des requérantes.

5.10Les requérantes soutiennent qu’abstraction faite de ce que l’Office suédois des migrations exige des demandeurs d’asile qu’ils puissent prouver leur identité et donc qu’ils se rendent dans l’ambassade concernée, il existe de nombreuses raisons pour lesquelles une personne pourrait se rendre à l’ambassade de son pays d’origine pour y faire une demande de passeport tout en étant recherchée dans son pays d’origine et, partant, ayant besoin de protection. L’ambassade est située dans une autre région du monde. Il faut que les autorités suédoises sachent qu’il est très peu probable que les autorités russes prennent ouvertement des mesures contre L. H. alors que celle-ci réside en Suède, même si elle se trouve dans les locaux de l’ambassade russe. Ce n’est pas parce que L. H. est recherchée en Fédération de Russie qu’il faut automatiquement en conclure que les autorités russes situées à l’étranger peuvent ou veulent cesser de délivrer des passeports ou que L. H. serait arrêtée dans les locaux de l’ambassade russe, et ce, d’autant plus que les menaces qui pèsent sur L. H. sont liées à des faits que les autorités russes ne souhaitent pas ébruiter. Au-delà de ces considérations, L. H. n’a jamais demandé de passeport à l’ambassade et ne s’est jamais vu délivrer de passeport international par l’ambassade de la Fédération de Russie à Stockholm.

5.11En résumé, les déclarations orales des requérantes, les éléments de preuve présentés et les informations pertinentes sur le pays démontrent clairement que les requérantes courent personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumises à la torture ou à d’autres mauvais traitements en cas de renvoi en Fédération de Russie, en violation de l’article 3 de la Convention.

Renseignements complémentaires soumis par l’État partie

6.1Dans une note en date du 17 février 2020, l’État partie a soutenu que les observations complémentaires des requérantes en date des 22 novembre et 20 décembre 2019 ne comportaient aucun nouvel élément de fond qui n’ait déjà été couvert par ses observations initiales du 24 septembre 2019. Toutefois, l’État partie tient à souligner qu’il maintient intégralement sa position concernant la recevabilité et le fond de la requête, telle qu’elle a été exposée dans ses observations précédentes.

6.2L’État partie informe également le Comité du fait que l’Office suédois des migrations a décidé, le 20 janvier 2020, d’annuler ses décisions du 13 février 2019 de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion visant les requérantes.

Renseignements complémentaires soumis par les requérantes

7.1Les requérantes affirment avoir reçu de la part de l’Office suédois des migrations et du Tribunal davantage d’informations concernant le dossier de L. H. et plus particulièrement ses documents d’identité. Il en ressort clairement que l’État partie a déclaré à tort que L. H. avait demandé et obtenu un passeport russe en 2018. La fiche d’enregistrement que L. H. a reçue de l’Office suédois des migrations montre que L. H. n’a pas soumis de demande de nouveau passeport en 2018. Le seul document d’identité que L. H. a présenté aux autorités suédoises est le passeport qu’elle avait sur elle à son arrivée en Suède. Ainsi, il est manifeste qu’elle ne s’est jamais rendue à l’ambassade de la Fédération de Russie à Stockholm pour demander un nouveau passeport. En outre, on ne voit pas bien d’où l’État partie ou les autorités suédoises de l’immigration tiennent ces informations, puisque L. H. n’a jamais soumis de demande de nouveau passeport.

7.2Le fait que L. H. n’ait pas demandé ou reçu de nouveau passeport pendant son séjour en Suède revêt une importance considérable car il semble que ce soit l’une des principales raisons pour lesquelles l’Office suédois des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration ont rejeté les demandes d’asile de L. H. et de sa fille en 2018.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune requête d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité note que les requérantes affirment avoir épuisé tous les recours internes. Il prend également note des informations fournies par l’État partie indiquant que les requérantes ont demandé sans succès l’asile le 30 décembre 2009, ainsi qu’un permis de séjour ou un réexamen de la question des permis de séjour, invoquant des obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion, les 30 mai 2012, 2 juillet 2013 et 18 juillet 2014, et que ces décisions négatives n’ont fait l’objet d’aucun recours. Le Comité note que, le 21 février 2016, la décision d’expulsion visant les requérantes a été frappée de prescription. Le Comité note également qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté l’affirmation des requérantes selon laquelle celles‑ci ont épuisé tous les recours internes disponibles dans le cadre des procédures de demande d’asile. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la présente communication dans la mesure où elle porte sur l’expulsion des requérantes.

8.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Le Comité estime toutefois que les arguments présentés par les requérantes soulèvent des questions importantes qui devraient être examinées au fond. Par conséquent, ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties intéressées.

9.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi des requérantes en Fédération de Russie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérantes risqueraient personnellement d’être soumises à la torture si elles étaient renvoyées en Fédération de Russie. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, rappelle qu’il détermine s’il existe des motifs sérieux et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits crédibles démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion.

9.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve repose sur le requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon détaillée qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Le Comité accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas tenu par ces constatations. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

9.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que, depuis 2010, les violences liées à la rébellion sont en constante diminution mais n’ont pas complétement disparu. Selon les rapports établis au cours des dernières années, les proches de rebelles présumés courent le risque d’être arrêtés et soumis à des mauvais traitements. Des cas de disparition et de recours à la torture continuent d’être signalés dans les républiques du Caucase du Nord.

9.7Aux fins d’apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note des allégations des requérantes selon lesquelles elles risqueraient d’être soumises à la torture et à des représailles de la part des autorités russes en cas de renvoi en Fédération de Russie, du fait que le Service fédéral de sécurité semble s’intéresser à elles en raison des liens qu’entretenait L. H. avec des opposants au régime ingouche et de l’enquête menée par celle‑ci sur la disparition de son mari. Le Comité prend également note de l’argument des requérantes selon lequel l’examen de leur demande d’asile par les autorités suédoises de l’immigration a été arbitraire et insuffisant.

9.8Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les requérantes ont eu amplement l’occasion de présenter les faits et éléments pertinents venant étayer leurs arguments et de plaider leur cause, tant oralement que par écrit, devant les autorités de l’immigration, au sujet des motifs qu’elles auraient de solliciter protection et asile, à savoir le risque qu’elles courraient d’être emprisonnées et tuées en raison de leurs liens familiaux avec une personne qui aurait été un opposant au Gouvernement ingouche. Le Comité note que, pour l’État partie, les éléments fournis par L. H. concernant les menaces reçues par téléphone, la convocation à une audition devant un tribunal, l’établissement d’un mandat d’arrêt, la lettre de soutien rédigée par un militant des droits de l’homme et l’affirmation selon laquelle elle avait été portée disparue manquaient de fiabilité, et les pièces étaient de caractère sommaire et donc faciles à falsifier.

9.9Tout en étant conscient des préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme pour les proches des rebelles présumés qui vivent en Ingouchie, le Comité rappelle que le fait que des violations des droits de l’homme soit commises dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas suffisante en soi pour conclure que celui‑ci courrait personnellement un risque prévisible, actuel et réel d’y être soumis à la torture. Le Comité souligne en outre que, dans le cadre de l’examen de la demande d’asile des requérantes, les autorités de l’État partie devraient apprécier de manière adéquate le risque de mauvais traitements auquel les proches de rebelles présumés pourraient être exposés. Compte tenu de l’ensemble des informations soumises par les parties, le Comité observe que celles-ci ne contestent pas le fait que L. H. a eu à plusieurs reprises l’occasion d’expliquer les faits et éléments pertinents venant étayer ses griefs et de plaider sa cause, tant oralement que par écrit, notamment dans le cadre de plusieurs entretiens et procédures écrites de contestation devant l’Office suédois des migrations et le Tribunal administratif de l’immigration. Le Comité constate que chaque audition a duré plusieurs heures, a été menée avec l’assistance d’un interprète et en présence d’un conseil, et a porté sur les motifs de protection allégués par les requérantes.

9.10De l’avis du Comité, en l’espèce, les requérantes n’ont pas assumé la charge de la preuve comme elles le devaient. En outre, elles n’ont pas démontré que les autorités de l’État partie qui ont examiné l’affaire n’avaient pas mené une enquête en bonne et due forme.

9.11Le Comité constate que L. H. n’a personnellement participé à aucune activité d’opposition ni entretenu aucun lien avec des opposants au régime ingouche. En outre, il n’y a pas suffisamment d’éléments montrant que son frère et son mari ont participé aux activités de tels groupes d’opposition. Le Comité observe à cet égard que, même si en Ingouchie, une femme qui a un lien familial avec un membre de l’opposition et qui est renvoyée de force en Fédération de Russie court le risque d’être soumise à la torture, en l’espèce, L. H. indique qu’elle n’a été interrogée qu’une seule fois par le Service fédéral de sécurité au sujet de la disparition de son mari. Le Comité constate que L. H. n’a jamais été menacée d’arrestation ou de torture, ni arrêtée ou maltraitée par les autorités. De plus, s’agissant du fait que L. H. a été convoquée au tribunal et portée disparue, le Comité fait observer que celle-ci n’a pas précisé en quoi ces faits prouvaient qu’elle courrait un risque réel d’être soumis à la torture. Le Comité souligne que le fait que L. H. ait pu quitter la Fédération de Russie librement, en utilisant son propre passeport et sans aucun problème, montre également que les autorités russes ne s’intéressent pas à la question de savoir où elle se trouve. En outre, elle prétend que son oncle a été harcelé et que l’un de ses cousins a été assassiné après qu’elle a quitté la Fédération de Russie, sans produire d’élément de preuve. Le Comité estime que les autres éléments de preuve soumis, tels que la lettre d’un défenseur des droits de l’homme et le mandat d’arrêt, ne sont pas suffisamment convaincants pour prouver l’existence d’un risque de torture. En outre, le Comité a présent à l’esprit le temps écoulé (au moins dix ans) depuis que les faits en question se seraient produits, ainsi que le fait que L. H. n’a pas allégué que les autorités russes avaient cherché à retrouver sa trace dans l’intervalle.

9.12En conséquence, au vu de qui précède et en l’absence de toute autre explication ou information pertinente figurant au dossier, le Comité conclut que les requérantes n’ont pas établi qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’elles courraient personnellement et actuellement un risque réel et prévisible d’être soumises à la torture ou à un traitement inhumain en cas de renvoi en Fédération de Russie.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi des requérantes en Fédération de Russie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.