Nations Unies

CAT/C/71/D/900/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

29 septembre 2021

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 900/2018 * , **

Communication p résentée par :

X (représenté par un conseil, Gian Luigi Berardi)

Victime(s) présumée(s ) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

4 décembre 2018 (date de la lettre initiale)

Référenc es :

Décision prise en vertu des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 11 décembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers l’Érythrée

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Risque pour la vie et risque de torture ou de mauvais traitements en cas d’expulsion vers le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

1er, 3 et 16

1.1Le requérant est X, de nationalité érythréenne, né le 1er août 1998. Par suite du rejet de sa demande d’asile en Suisse, il fait l’objet d’une décision de renvoi vers l’Érythrée. Il considère qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie des articles 1er, 3 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 11 décembre 2018, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Érythrée tant que sa requête serait à l’examen. Le 20 décembre 2018, l’État partie a informé le Comité qu’il avait suspendu le renvoi du requérant vers l’Érythrée.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1D’ethnie saho, le requérant est né à Wilisho, en Érythrée, près de la frontière éthiopienne. Après avoir abandonné sa scolarité en 2015, à l’âge de 16 ans et demi, en raison d’un enseignement défaillant, il a travaillé deux mois comme berger. Au cours de cette période, des soldats stationnés à proximité de son village sont venus deux fois le chercher à son domicile pour l’enrôler de force dans l’armée érythréenne, sur la base d’une liste d’élèves ayant interrompu leur scolarité fournie à l’armée par l’école. La première fois, le requérant était absent ; la seconde, il a réussi à se cacher hors de la maison. Par la suite, les soldats ont déposé une convocation à son intention selon laquelle il devait se rendre à l’école en compagnie de ses parents. Selon le requérant, les soldats avaient l’intention de rassembler les jeunes pour les envoyer au camp militaire de Sawa. Craignant d’être obligé de rejoindre l’armée, le requérant a décidé de quitter son pays. Il s’est rendu en Libye illégalement en passant par l’Éthiopie et le Soudan. Il a ensuite embarqué sur un bateau à destination de l’Italie.

2.2Le 9 septembre 2015, le requérant est arrivé en Suisse et a déposé une demande d’asile le jour même. En raison de son départ illégal d’Érythrée, sa mère a été obligée de payer une amende aux autorités pour éviter d’être emprisonnée à sa place. Lors de deux auditions devant les autorités suisses, les 8 octobre 2015 et 20 avril 2017, le requérant a déclaré être né à Wilisho, appartenir à l’ethnie saho, être de confession musulmane, et avoir interrompu sa scolarité à l’âge de 16 ans et demi.

2.3Le 8 octobre 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a informé l’autorité compétente en matière de migration du canton de Genève de l’arrivée d’un requérant d’asile mineur non accompagné (à savoir non assisté d’un parent ou d’un curateur), et l’a invitée à prendre des mesures adéquates. Par ordonnance du 28 octobre 2015, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant du canton de Genève a nommé une curatrice (représentante légale) en faveur du requérant, afin de le représenter et de l’assister jusqu’à la date de sa majorité, le 1er août 2016.

2.4Le 20 avril 2017, soit plus de dix-huit mois après l’audition sommaire du 8 octobre 2015, le requérant a été entendu de manière approfondie sur ses motifs de demande d’asile. Étant donné qu’à cette date, il était devenu majeur, il ne pouvait plus recevoir l’assistance de sa curatrice et a été ainsi privé de la possibilité de préparer son audition de manière adéquate. De plus, lors des deux auditions, l’interprète parlait le tigrinya, dont le requérant n’avait qu’une connaissance scolaire, sa langue maternelle étant le saho. En raison du fait qu’il n’était pas assisté d’un représentant légal, le requérant n’a pas été en mesure de soulever ce problème à ce moment-là.

2.5Le 16 janvier 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la demande d’asile du requérant, considérant principalement que sa crainte d’être enrôlé dans l’armée ne reposait sur aucun élément concret. En particulier, le fait d’avoir appris par sa mère, soit par un tiers, qu’il était recherché par des militaires était, selon la jurisprudence, « insuffisant » pour démontrer l’existence d’une crainte fondée de persécution future. En outre, son récit contenait des incohérences chronologiques entre la date de l’interruption prématurée de sa scolarité et les rafles alléguées ; le requérant n’avait jamais eu de contact direct avec les autorités militaires de son pays, et la seule crainte théorique de devoir effectuer son service militaire ne constituait pas une crainte fondée de persécution, faute d’intensité suffisante. Il n’avait pas rendu vraisemblable sa convocation par les autorités militaires. En tant que telle, sa sortie illégale du pays alors qu’il était mineur ne pouvait (plus), à elle seule, le placer dans une situation de crainte fondée de préjudice grave, puisqu’il n’y avait pas lieu de penser qu’il pouvait être considéré comme un réfractaire par les autorités érythréennes. Dans ces conditions, le requérant n’avait pas démontré l’existence d’un risque réel et concret d’être soumis à un traitement interdit par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

2.6Par recours du 14 février 2018, le requérant a contesté la décision du Secrétariat d’État aux migrations devant le Tribunal administratif fédéral. Le requérant a en substance reproché au Secrétariat d’État d’avoir omis de lui donner une possibilité de s’expliquer sur les divergences constatées dans ses propos. Celles-ci étaient le résultat d’oublis dus à l’écoulement du temps entre les événements vécus et ses auditions, la première ayant de surcroît eu lieu alors qu’il était encore mineur. Selon le requérant, le Secrétariat d’État aurait par ailleurs dû examiner plus avant le fait qu’il avait été recherché par des soldats à son domicile.

2.7Le 21 février 2018, le Tribunal administratif fédéral a admis la requête d’assistance judiciaire et a nommé l’avocat proposé par le requérant comme mandataire d’office. Par arrêt du 12 octobre 2018, le Tribunal a confirmé la décision du Secrétariat d’État aux migrations du 16 janvier 2018. En particulier, le Tribunal a rappelé que « le refus de servir et la désertion sont, certes, sévèrement punis en Érythrée. La sanction infligée s’accompagne en général d’une incarcération dans des conditions inhumaines, et souvent de tortures, dans la mesure où la désertion et le refus de servir sont considérés comme une manifestation d’opposition au régime ; comme telle, cette sanction revêt le caractère d’une persécution, et la crainte fondée d’y être exposé entraîne reconnaissance de la qualité de réfugié ». Cependant, le Tribunal a retenu qu’en l’espèce, « aucun élément du dossier ne laisse apparaître que l’intéressé se trouvait effectivement dans une situation de risque d’être enrôlé ».

2.8Le Tribunal administratif fédéral a retenu par inadvertance que le requérant appartenait à l’ethnie tigrinya, et qu’il avait quitté l’école à l’âge de 15 ans. Ces précisions ne sont pas dénuées d’importance, puisque la première peut expliquer d’éventuels malentendus avec l’interprète tigrinya, et la seconde rendre d’autant plus vraisemblable le risque pour le requérant d’être enrôlé de force au service militaire avant sa majorité.

2.9Le requérant affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes disponibles, et ne jamais avoir soumis sa plainte à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que l’État partie manquerait aux obligations que lui imposent les articles 1er et 3 de la Convention en l’expulsant vers l’Érythrée, où il serait soumis à des actes de torture par les autorités. Le Tribunal administratif fédéral n’a pas considéré que les mauvais traitements et atteintes infligés aux personnes incorporées dans le service national, qu’il soit militaire ou civil, étaient à ce point généralisés que chacune d’entre elles risque concrètement et sérieusement de se voir infliger de tels sévices. L’argumentation du Tribunal − selon laquelle la situation ne présentait pas de circonstances particulières propres au requérant de nature à concrétiser le risque pour lui d’être soumis à un traitement prohibé par le droit international − n’est pas convaincante. Par exemple, le Tribunal a considéré qu’il n’était pas plausible que les militaires qui cherchaient à recruter des jeunes leur demandent de se présenter avec leurs parents. Or, il n’est pas difficile d’imaginer qu’en raison de la minorité du requérant, les autorités militaires lui aient demandé de se présenter avec ses parents. De plus, le Tribunal n’a pas confirmé l’argumentation développée par le Secrétariat d’État aux migrations, dans sa décision du 16 janvier 2018, visant à nier la vraisemblance et la cohérence des propos du requérant. Il semblerait donc que le Tribunal n’a pas estimé convaincante l’argumentation du Secrétariat d’État à cet égard. En outre, les déclarations du requérant cadrent effectivement avec la pratique des autorités érythréennes en la matière. Ainsi, si la majorité de recrues est effectivement âgée de 18 ans ou plus, des jeunes de 16 ans sont également stationnés à Sawa, et en particulier les jeunes Érythréens en situation de décrochage scolaire, à l’instar du requérant. Selon l’Organisation internationale du Travail, divers rapports d’organisations non gouvernementales ont confirmé que près d’un tiers des nouveaux conscrits présents dans les centres d’entraînement militaire ont moins de 18 ans.

3.2En statuant sur la demande d’asile du requérant après l’accession à la majorité de celui-ci, le Secrétariat d’État aux migrations a contourné les principes applicables en matière d’appréciation des preuves, s’agissant de demandes de protection déposées par des requérants d’asile mineurs. En effet, s’il avait traité le dossier du requérant avec toute la diligence requise par l’intérêt supérieur de l’enfant, le Secrétariat d’État aurait dû (et largement pu) statuer avant sa majorité, le requérant ayant déposé sa demande d’asile alors qu’il était âgé de 17 ans et un mois. Ce faisant, le Secrétariat d’État aurait alors accordé plus largement le bénéfice du doute au requérant, compte tenu de son statut de mineur, de surcroît non accompagné.

3.3Pareille considération s’imposait d’autant plus que les deux auditions du requérant ne se sont pas déroulées dans sa langue maternelle (le saho) mais en tigrinya, langue dont il n’avait que des connaissances scolaires, et que, par ailleurs, plus de dix-huit mois se sont écoulés entre les deux auditions. Cela pourrait expliquer les éventuels oublis et incohérences ou contradictions reprochés au requérant. En tout état de cause, les éventuelles contradictions relatives aux recherches dont le requérant, avant son départ, a fait l’objet dans son pays ne sont pas décisives en l’espèce et doivent être reléguées au second plan.

3.4Le départ illégal du requérant d’Érythrée constitue un facteur aggravant que le Tribunal administratif fédéral a omis de prendre en considération, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Selon les conclusions de 2016 de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée, le recours à la torture par les agents de l’État érythréen est généralisé et systématique dans les centres de détention civils et militaires. En outre, en cas de renvoi, le requérant n’envisage pas de signer le « formulaire de regrets » requis par les autorités érythréennes, dans lequel il doit reconnaître qu’il « regrette d’avoir commis une infraction en n’accomplissant pas son service national » et qu’il « est disposé à accepter toute sanction appropriée le moment venu », ni de payer la taxe correspondante, destinée à régulariser sa situation militaire. Il ne pourrait du reste être contraint de le faire sans que sa liberté d’opinion, voire sa dignité s’en trouvent violées.

3.5La position du Tribunal administratif fédéral n’était pas cohérente. D’une part, le Tribunal a admis que le refus de servir et la désertion étaient sévèrement punis en Érythrée, et a reconnu en outre que la sanction infligée, totalement arbitraire ou disproportionnée, s’accompagnait en général d’une incarcération dans des conditions inhumaines, sans terme défini, et souvent de tortures, de nature à infliger un grave dommage physique ou psychologique. Selon le Tribunal, un tel comportement et le départ illégal qui s’ensuit en général étaient considérés comme une manifestation d’opposition au régime. En tant que telle, cette sanction revêtait le caractère d’une persécution, et la crainte fondée d’y être exposé entraînait reconnaissance de la qualité de réfugié. D’autre part, le Tribunal semblait désormais considérer, curieusement, que ce même réfractaire (qui aurait donc par hypothèse fui son pays sans avoir eu de contacts préalables avec les autorités militaires) ne serait plus exposé à de telles persécutions s’il était confronté aux autorités militaires une fois de retour en Érythrée, après ses 18 ans, soit l’âge minimal officiel pour être enrôlé dans l’armée. Or, dans ces deux cas de figure, ce qui est déterminant, c’est que le requérant se trouve « effectivement dans une situation de risque d’être enrôlé ».

3.6Le Tribunal administratif fédéral a totalement occulté le profil particulier du requérant, qui a fui son pays afin de se soustraire à un recrutement forcé. Le requérant a désormais atteint l’âge officiel pour effectuer son service militaire obligatoire, ne remplit pas les conditions d’exemption au service militaire, et serait très vraisemblablement contrôlé et arrêté dès son arrivée en Érythrée. C’est à tort que le Tribunal a retenu que le service militaire obligatoire n’exposait pas un jeune réfractaire à un risque de torture ou d’esclavage, une fois rentré en Érythrée. Il n’y a aucune preuve qu’en rentrant dans leur pays, les Érythréens ne risquent plus une mise en danger ou une sanction, et en cas de doutes, la protection doit avoir la priorité.

3.7Dans son jugement sur une autre affaire, le Tribunal administratif fédéral a admis lui‑même qu’il ne disposait pas de sources d’informations fiables au sujet de la situation des droits de l’homme en Érythrée, en raison de plusieurs facteurs, dont la qualité des sources (problèmes méthodologiques, partialité, insuffisance), l’État à parti unique, l’absence de transparence dans l’administration, les limitations à la liberté d’expression et de mouvement des collaborateurs de représentations étrangères en Érythrée, ou encore le manque d’accès au pays pour les organisations de défense des droits de l’homme internationales. En outre, dans un autre jugement, le Tribunal a déclaré qu’un renvoi en Érythrée sous contrainte n’était, d’une manière générale, pas réalisable, et qu’il avait laissé « indécise la question de la licéité des renvois sous contrainte ». Si le Tribunal s’est expressément abstenu de trancher la licéité des renvois sous la contrainte, il est difficile de comprendre comment ce même tribunal a pu conclure que le renvoi du requérant, réfractaire à l’armée et donc susceptible d’être renvoyé sous la contrainte, ne serait pas contraire au droit international.

3.8Le requérant allègue également une violation de l’article 16 de la Convention en cas de renvoi vers l’Érythrée, où il serait exposé à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Selon plusieurs rapports fiables, le service militaire en Érythrée est constitutif d’esclavage et de travail forcé. Le Tribunal administratif fédéral n’a pas dûment motivé les raisons pour lesquelles il s’est écarté de cette position. À ce jour, la situation en Érythrée ne s’est pas améliorée.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations du 7 juin 2019, l’État partie fournit des informations détaillées sur les procédures d’asile en Suisse, et considère que la requête doit être rejetée sur le fond. L’État partie rappelle les éléments qui doivent être pris en compte pour apprécier l’existence d’un risque prévisible, actuel, personnel et réel d’être soumis à la torture en cas de retour dans le pays d’origine : preuves de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans le pays d’origine ; allégations de torture ou de mauvais traitements subis dans un passé récent et preuves indépendantes à l’appui de celles-ci ; activités politiques du requérant à l’intérieur ou à l’extérieur du pays d’origine ; et preuves de la crédibilité du requérant et de la véracité générale de ses allégations, en dépit de certaines incohérences factuelles dans ses affirmations ou de certaines défaillances de mémoire.

4.2Pour ce qui est de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, celle-ci ne constitue pas en soi un motif suffisant pour penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit établir si le requérant risque « personnellement » d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. D’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié de « prévisible, réel et personnel ». Le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

4.3L’État partie décrit ensuite la pratique des autorités suisses en matière de traitement des demandes d’asile des ressortissants érythréens. Le Secrétariat d’État aux migrations évalue constamment des rapports concernant ce pays et procède à des échanges d’informations avec des experts et des autorités partenaires. Sur cette base, il dresse un état des lieux actualisé qui sert de fondement à la pratique suisse en matière d’asile. En mai 2015, le Secrétariat d’État a établi le rapport « Érythrée − étude de pays »‚ regroupant l’ensemble de ces informations. Ce rapport a été validé par quatre autorités partenaires, un expert scientifique et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. En février et mars 2016, le Secrétariat d’État a effectué une mission sur place afin de réexaminer, d’approfondir et de compléter ces informations, en y incluant d’autres sources parues entre-temps. Sur la base de toutes ces informations, il a publié une actualisation le 10 août 2016. Dans des rapports publiés entre décembre 2015 et août 2016, plusieurs autorités nationales − telles que celles de Suède et de Norvège, ou encore le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord − sont parvenues à des conclusions similaires.

4.4Depuis janvier 2017, le Tribunal administratif fédéral a rendu trois arrêts de référence concernant l’Érythrée, dans lesquels il s’est penché sur les limitations spécifiques relatives aux sources d’information sur la situation en Érythrée. Dans l’arrêt du 10 juillet 2018, le Tribunal traite également sur deux pages et demie des aspects critiques de certaines catégories de sources importantes concernant l’Érythrée et indique qu’il existe certaines réserves méthodologiques en ce qui concerne toutes les sources. Dans le même arrêt, le Tribunal a tenu compte des informations disponibles sur l’Érythrée de manière conforme aux normes de qualité et aux méthodes scientifiques entérinées par les autorités de l’Union européenne et des États membres compétentes en matière de migrations, spécialement en matière d’asile et de renvoi. Tout en étant conscient des difficultés inhérentes à la recherche d’informations sur l’Érythrée, il a pris en considération non seulement les faits rapportés par des organisations internationales des droits de l’homme, dont certains datent quelque peu, mais aussi ceux rapportés plus récemment par des journalistes étrangers et des spécialistes d’autorités européennes dans le cadre de missions sur place de collecte d’informations. Le Tribunal a donc examiné, de manière très détaillée et sur plusieurs dizaines de pages, la situation en Érythrée en s’inspirant de très nombreuses sources. Il y a minutieusement évalué les informations, rapports et arguments contenus dans ces sources. Dans les affaires récentes qui concernent l’Érythrée, dont l’arrêt E-1218/2019 du 16 avril 2019, le Tribunal a maintenu ses constatations. C’est la raison pour laquelle l’État partie renvoie à ces arrêts pour l’examen de la présente affaire.

4.5Selon les autorités suisses en matière de migration, le refus d’effectuer le service militaire et la désertion ne suffisent pas, en eux-mêmes, à justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié. Toutefois, un requérant d’asile doit être reconnu comme réfugié si le refus de servir ou la désertion impliquent une persécution. Si l’examen d’un cas individuel révèle que la punition sert non seulement à faire respecter ses obligations militaires à l’intéressé, mais aussi à considérer celui-ci comme un opposant politique qui sera sanctionné de manière disproportionnée et traité de façon inhumaine, il y a persécution pertinente au regard du droit des réfugiés.

4.6Le Tribunal administratif fédéral a constaté que le refus de servir et la désertion étaient sévèrement punis en Érythrée. La sanction infligée s’accompagne en général d’une incarcération dans des conditions inhumaines, et souvent de tortures, dans la mesure où la désertion et le refus de servir sont considérés comme une manifestation d’opposition au régime. En tant que telle, cette sanction revêt le caractère d’une persécution et la crainte fondée d’y être exposé entraîne la reconnaissance de la qualité de réfugié. Une telle crainte n’est cependant fondée que si la personne en cause a déjà été concrètement en contact avec l’autorité militaire ou avec une autre autorité, dans la mesure où ce contact laissait présager un prochain recrutement (par exemple, à la suite de la réception d’une convocation de l’armée). La seule possibilité qu’une convocation puisse lui être adressée dans un avenir plus ou moins proche n’est pas suffisante. De plus, le seul fait de devoir éventuellement accomplir le service militaire n’est pas déterminant. La question de savoir si un enrôlement éventuel au service national après le retour de l’intéressé en Érythrée constituerait un traitement prohibé par le droit international relève donc de l’examen relatif à l’illicéité, respectivement à l’inexigibilité de l’exécution du renvoi. L’exécution d’un renvoi est illicite lorsque la Suisse, pour des raisons de droit international public, ne peut contraindre un étranger à se rendre dans un pays donné ou qu’aucun autre État, respectant le principe du non-refoulement, ne se déclare prêt à l’accueillir. Selon la loi interne, l’exécution d’une décision de renvoi est inexigible si le renvoi ou l’expulsion de l’étranger dans son pays d’origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale.

4.7Depuis juin 2016, le Secrétariat d’État aux migrations considère que le seul fait d’avoir quitté l’Érythrée de manière illégale n’expose pas la personne concernée, en cas de retour dans son pays, à une persécution déterminante. Aussi, les ressortissants érythréens qui n’ont pas encore été convoqués pour accomplir leur service militaire national, en sont exemptés ou en ont été libérés ne sont-ils plus reconnus comme réfugiés pour cette seule raison. Le Secrétariat d’État continue toutefois d’examiner soigneusement chaque demande d’asile. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé et explicité cette pratique dans ses arrêts de référence susmentionnés.

4.8Dans son arrêt de référence D-7898/2015 du 30 janvier 2017, le Tribunal administratif fédéral a examiné à quel point les Érythréens qui avaient quitté leur pays illégalement devaient craindre des mesures de persécution, pour ce motif, en cas de retour. Le Tribunal a résumé ses constatations dans son récent arrêt E-1218/2019 du 16 avril 2019. Au terme d’une analyse approfondie des informations disponibles, il est arrivé à la conclusion que la pratique selon laquelle la sortie illégale d’Érythrée justifiait en soi la reconnaissance de la qualité de réfugié ne pouvait pas être maintenue. Cette appréciation repose essentiellement sur le constat que des membres de la diaspora, parmi lesquels se trouvent également des personnes qui ont quitté illégalement leur pays, retournent en Érythrée, pour de brefs séjours, sans subir de préjudices. Dès lors, les personnes sorties sans autorisation d’Érythrée ne peuvent plus être considérées, de manière générale, comme exposées à une peine sévère pour un motif pertinent en matière d’asile.

4.9Dans le cas d’espèce, le renvoi du requérant ne serait pas inexigible. L’Érythrée ne connaît pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait d’emblée − et indépendamment des circonstances du cas d’espèce − de présumer, à propos de tous les ressortissants du pays, l’existence d’une mise en danger concrète. En outre, les conditions de vie s’y sont améliorées, bien que la situation économique reste difficile ; l’état des ressources médicales, l’accès à l’eau et à la nourriture ainsi que les conditions de formation se sont stabilisés. Les transferts d’argent importants effectués par la diaspora profitent d’ailleurs à une grande partie de la population. L’accord de paix signé avec l’Éthiopie le 9 juillet 2018 a mis fin au conflit entre les deux pays. Dans ce contexte, l’exécution du renvoi ne cesse d’être exigible qu’en présence de circonstances personnelles particulières, de nature à mettre en péril la capacité de survie de la personne renvoyée ; cette exécution ne requiert plus, comme le prévoyait la jurisprudence antérieure, des circonstances individuelles spécialement favorables. Le risque d’être incorporé dans le service national ne peut être considéré en soi comme un obstacle à l’exécution du renvoi.

4.10Par ailleurs, le renvoi du requérant ne serait pas illicite. Pour les raisons énoncées par le Tribunal administratif fédéral dans son arrêt de référence E-5022/2017 du 10 juillet 2018, tout individu qui indique avoir quitté son pays par crainte d’être convoqué dans le futur au service national doit en outre établir la forte probabilité qu’il soit visé personnellement − et non pas simplement du fait d’un hasard malheureux − par des mesures incompatibles avec le droit international pertinent. Dans le cas d’espèce, selon le requérant, le Tribunal se serait fondé uniquement sur des informations provenant des autorités érythréennes et n’aurait pas, de ce fait, examiné de manière suffisamment approfondie la situation des personnes renvoyées en Érythrée. Cependant, il ressort de l’arrêt critiqué, ainsi que des autres arrêts susmentionnés, que la jurisprudence respective se base sur des sources très diverses, parmi lesquelles figurent des rapports d’organisations internationales, la jurisprudence et des sources journalistiques.

4.11L’affaire M.O. c. Suisse citée par le requérant n’est pas pertinente. Dans ce jugement, la Cour européenne des droits de l’homme a retenu que la situation générale des droits de l’homme en Érythrée ne pouvait pas en soi prévenir le renvoi de l’intéressé. La Cour n’y a en effet pas admis qu’un départ illégal d’Érythrée suffisait pour reconnaître la qualité de réfugié à un requérant d’asile érythréen.

4.12Le requérant critique également le fait que, selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, le service national en Érythrée doit être considéré comme un travail forcé et non comme un esclavage. Or, il convient de rappeler que la qualification critiquée du Tribunal se fonde sur l’arrêt E-5022/2017 du 10 juillet 2018, dans lequel le Tribunal a analysé la question terminologique notamment à la lumière de la Convention relative à l’esclavage du 25 septembre 1926 et de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme et d’autres tribunaux nationaux en la matière. Le Tribunal a conclu que l’exercice des attributs du droit de propriété constituait l’aspect clé et indispensable de la notion d’esclavage en vertu de l’article 1er de la Convention relative à l’esclavage, élément non rempli en ce qui concernait le service national érythréen. Quant à la servitude, le Tribunal a retenu qu’il ne pouvait présumer qu’il existait une condition permanente à cet égard. Cette qualification correspond, par ailleurs, à l’approche du Conseil des droits de l’homme qui, dans sa résolution 38/15 adoptée le 6 juillet 2018, n’a pas fait référence à l’esclavage lorsqu’il s’est référé au rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée.

4.13De plus, le requérant n’a pas apporté d’élément nouveau qui le concerne spécifiquement et qui permettrait d’inférer un risque de traitement prohibé en raison d’un accomplissement potentiel du service militaire. En réalité, il cherche à obtenir une nouvelle analyse de la situation en Érythrée qui lui serait favorable, sans pour autant apporter des arguments décisifs en lien avec sa situation personnelle. Enfin, comme il est mentionné ci‑dessus, le requérant ne peut pas être considéré comme une personne réfractaire à l’armée.

4.14Au vu des conclusions auxquelles est arrivé le Tribunal administratif fédéral à la suite d’une analyse circonstanciée du service national érythréen, les mauvais traitements et atteintes infligés aux militaires incorporés ne sont pas à ce point généralisés que chacun et chacune d’entre eux risquent concrètement et sérieusement de se voir infliger de tels sévices. L’existence d’un danger sérieux, du fait de l’accomplissement du service national, d’être exposé à une violation de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire ne peut ainsi être retenue. L’éventualité pour le requérant d’être appelé à effectuer le service militaire national à son retour en Érythrée ne contrevient ni à l’article 3 ni à l’article 16 de la Convention.

4.15Le requérant ne prétend pas avoir été torturé ou maltraité dans son pays d’origine. Il ne ressort pas non plus du dossier que des membres de sa famille auraient été exposés à de tels traitements, notamment en raison du départ du requérant. Il ne prétend pas avoir déployé des activités politiques à l’intérieur ou hors de son pays d’origine. En ce qui concerne sa situation personnelle, le requérant relève qu’en raison de sa majorité, il serait exposé à un risque de traitement prohibé par l’article 3 de la Convention. Cependant, comme il ressort de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, le seul fait de quitter l’Érythrée de manière illégale ne justifie plus la reconnaissance de la qualité de réfugié, et un risque de sanctions en cas de retour n’existe que lorsque des facteurs supplémentaires défavorables sont présents. Au regard de cette jurisprudence, seuls ces facteurs supplémentaires pourraient faire apparaître le requérant comme une personne indésirable aux yeux des autorités érythréennes. Or, de tels facteurs sont absents en l’espèce, nonobstant les craintes exprimées par le requérant. En effet, il ne ressort pas du dossier que le requérant se serait soustrait au service militaire. Le requérant n’a, à aucun moment de la procédure, rendu crédible l’allégation selon laquelle il avait été officiellement visé par un recrutement, voire qu’il avait refusé de donner suite à une convocation militaire. Il se qualifie donc à tort de « jeune réfractaire ». Le seul fait d’avoir quitté son pays illégalement et d’avoir atteint, par la suite, l’âge de servir ne le place pas dans la catégorie des personnes s’étant soustraites à l’armée.

4.16Le requérant reproche aux autorités nationales d’avoir considéré que ses propos étaient dénués de crédibilité. Contrairement à ce qu’il prétend, tant le Secrétariat d’État aux migrations que le Tribunal administratif fédéral ont constaté qu’ils manquaient de crédibilité. Le Tribunal a ainsi considéré en particulier que le discours du requérant manquait de consistance et que ses déclarations relatives aux visites de militaires à son domicile n’étaient que de simples conjectures de sa part, non étayées. Le Tribunal a retenu que l’affirmation selon laquelle la demande adressée au requérant de se rendre à l’école avec ses parents devait être comprise comme une convocation militaire manquait manifestement de cohérence. Il était en effet difficile d’imaginer, dans le contexte du pays, que des militaires cherchant à recruter des jeunes leur demandent de se présenter avec leurs parents. Dans sa communication, le requérant n’apporte aucun élément qui écarterait cette appréciation. En particulier, l’argument selon lequel les jeunes de 16 ans risquent également d’être enrôlés n’est pas pertinent à lui seul, puisqu’elle ne concerne pas individuellement la situation du requérant qui n’a en effet pas démontré avoir été, à un moment ou un autre de sa vie, en contact avec les autorités militaires ou visé par celles-ci.

4.17Lors de sa première audition, le requérant s’est d’ailleurs limité à déclarer avoir quitté son pays en raison des rafles ayant eu lieu dans sa région. Rien ne permet toutefois de présumer qu’il risquait d’être touché par ces rafles, et le seul fait d’avoir interrompu sa scolarité n’est pas suffisant pour le considérer comme une recrue potentielle. À cela s’ajoute que, questionné sur les motifs d’asile lors de sa seconde audition, le requérant a d’abord admis avoir quitté l’Érythrée en raison de conditions de vie difficiles et pour avoir un meilleur avenir ; c’est seulement par la suite qu’il a ajouté l’existence desdites rafles. Dans sa communication, le requérant n’avance pas d’arguments nouveaux concernant la vraisemblance de ses motifs d’asile, mais conteste simplement l’analyse des faits par les autorités nationales.

4.18À plusieurs reprises, le requérant fait enfin valoir des erreurs de nature procédurale. Il fait ainsi d’abord valoir que le Secrétariat d’État aux migrations aurait abusivement attendu sa majorité avant de procéder à la seconde audition, le privant ainsi de la possibilité d’être assisté par un curateur et, partant, d’exposer ses motifs d’asile de manière claire et concise. Or, le reproche du requérant ne repose sur aucun élément concret. La seconde audition a certes eu lieu dix-huit mois après la première, mais rien n’indique qu’il s’agissait d’une démarche préméditée visant à le priver de ses garanties procédurales. Par ailleurs, le requérant a été en mesure d’exposer librement ses motifs d’asile lors de la seconde audition à laquelle participait un représentant ou une représentante des œuvres d’entraide avec son accord. Or, cette personne qui le représentait n’a fait part d’aucune objection envers le procès‑verbal ou l’audition. Au demeurant, s’ils avaient estimé que la durée de la procédure devant le Secrétariat d’État était excessive, le requérant et ses curatrices auraient pu et dû intervenir en temps opportun auprès de celui-ci, ce qu’ils n’ont fait à aucun moment de la procédure. De plus, le prétendu abus a été examiné par le Tribunal administratif fédéral à la suite d’un recours interjeté par l’intermédiaire d’un conseil.

4.19Le requérant se plaint également d’avoir été interrogé en tigrinya, alors que sa langue maternelle serait le saho. Or, le requérant a déclaré lors de sa première audition et a inscrit sur sa fiche de données personnelles que sa langue maternelle était le tigrinya. Qui plus est, il a déclaré bien comprendre l’interprète et n’a signalé aucun problème de communication avec les personnes chargées de l’auditionner, faisant procéder du reste à une seule rectification dans le procès-verbal de la seconde audition, après relecture de celui-ci en tigrinya. Le requérant a enfin attesté que les informations retenues dans les procès-verbaux étaient conformes à ses déclarations. Le représentant ou la représentante des œuvres d’entraide n’a, pour sa part, formulé aucune critique au sujet de l’audition. Rien n’indique que le requérant a eu un quelconque problème de nature linguistique.

4.20En résumé, il n’y a pas lieu de s’écarter de la constatation selon laquelle les propos du requérant manquent de crédibilité, et ce, d’autant que la procédure devant les instances nationales s’est déroulée correctement. Le requérant n’a donc pas montré de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas de renvoi.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires datés du 13 août 2019, le requérant se réfère aux Lignes directrices communes à l’Union européenne pour le traitement de l’information sur le pays d’origine, citées par l’État partie. Selon les Lignes directrices, si en général peu d’informations sont disponibles sur le pays ou le sujet concernés, cela doit être pris en compte. Par conséquent, puisqu’il existe peu d’informations vérifiables sur la situation en Érythrée, l’argument de l’État partie selon lequel le Tribunal administratif fédéral a examiné cette situation de manière détaillée en s’inspirant de nombreuses sources n’apparaît pas convaincant. En effet, le Tribunal a lui-même reconnu, dans une discussion de deux pages et demie, qu’il existait certaines réserves méthodologiques en ce qui concernait toutes les sources relatives à la situation en Érythrée. Le manque d’information sur la situation en Érythrée est confirmé par les mêmes sources citées par l’État partie. L’État partie n’a cité aucune source pour démontrer qu’un requérant d’asile ayant quitté illégalement l’Érythrée en tant que mineur, afin de se soustraire à ses obligations militaires actuelles ou à venir, devenu majeur dans son pays d’accueil et forcé de rentrer en Érythrée n’avait pas été exposé dans son pays à des actes de torture ou à des mauvais traitements. L’État partie ne fournit aucune source pour justifier le constat relevé par le Tribunal dans son arrêt de référence D‑7898/2015 du 30 janvier 2017, au sujet de la prétendue absence de préjudices subis par les ressortissants érythréens rapatriés. Ce constat est donc dénué de fondement. Étant donné que le Tribunal ne disposait pas d’informations suffisantes, complètes et fiables pour apprécier la situation des jeunes Érythréens rapatriés, l’État partie ne saurait valablement soutenir, sinon de manière tautologique, que le Tribunal a procédé à une analyse approfondie des informations disponibles en l’espèce.

5.2En sa qualité de réfractaire et de jeune homme en âge d’être recruté, le requérant appartient ipso facto à un groupe vulnérable, et par conséquent à un groupe à risque d’être exposé à un traitement contraire au droit international. L’appartenance à un tel groupe constitue un facteur déterminant dans l’évaluation du risque que court une personne en cas de renvoi vers le pays de destination. Effectivement, selon la Cour européenne des droits de l’homme, la désertion de l’armée constitue un facteur de risque en cas de renvoi vers l’Érythrée. Le requérant se réfère également à l’affaire X c. Danemark, dans laquelle le Comité des droits de l’homme a estimé que l’expulsion de l’auteur vers l’Érythrée constituerait une violation de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

5.3Le requérant rejette l’argument de l’État partie selon lequel le seul fait d’avoir quitté son pays illégalement et d’avoir atteint, par la suite, l’âge de servir ne le place pas dans la catégorie des personnes s’étant soustraites à l’armée. Selon le requérant, seule est déterminante, pour l’octroi de l’asile, la volonté du persécuteur qui veut atteindre la victime en raison de l’un des motifs énumérés par la loi pertinente. Avant de quitter l’Érythrée, le requérant avait été déscolarisé et, à ce titre, était recherché par les autorités militaires. Bien que l’âge officiel pour le début de la conscription soit fixé à la majorité, soit 18 ans, le Gouvernement érythréen procède à des rafles régulières dans les villages pour enrôler de force des jeunes dès l’âge de 15 à 16 ans, principalement ceux qui ne sont pas scolarisés.

5.4Le requérant rejette également l’argument du Tribunal administratif fédéral selon lequel les notions d’esclavage ou de servitude ne sauraient s’appliquer au régime national érythréen. Dans l’affaire M. G. c. Suisse, le Comité s’est expressément rallié à l’avis de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Érythrée, estimant, au vu de la durée indéterminée du service militaire, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que celui-ci ne constituait pas moins que l’asservissement d’une population entière, et donc un crime contre l’humanité.

5.5Les autorités suisses n’ont à ce jour procédé à aucune appréciation de la situation en cas de renvoi forcé en Érythrée de jeunes en âge d’être recrutés au service national. Du seul fait de leur départ illégal d’Érythrée à l’approche de l’âge du recrutement militaire, les jeunes personnes ont fait d’emblée preuve d’insoumission.

5.6Au sujet de la durée de la procédure devant le Secrétariat d’État aux migrations, l’absence d’intervention des curatrices du requérant ne saurait aucunement lui être opposable. En outre, durant sa minorité, le requérant n’a malheureusement pu bénéficier d’aucune assistance juridique qui lui aurait permis de préparer son audition future sur ses motifs d’asile.

5.7Le requérant maintient que sa langue maternelle est le saho et qu’il aurait donc dû être entendu dans cette langue. Lors de son audition sur ses motifs d’asile, il lui avait été indiqué qu’il n’y avait pas d’interprète saho disponible en Suisse et qu’un tel interprète devrait être convoqué depuis l’Allemagne (sauf erreur), ce qui retarderait la procédure. C’est la raison pour laquelle il avait accepté un interprète tigrinya. Le fait de répondre « bien comprendre l’interprète », alors que cette question ne lui a été posée qu’une seule fois, en tout début d’audition, de surcroît, ne permet pas d’en déduire que l’intéressé a pu effectivement comprendre les questions traduites par l’interprète et se faire comprendre de ce dernier. La fiche de données personnelles du requérant, mentionnant que sa langue maternelle est le tigrinya, a apparemment été remplie à son insu, puisqu’il ne l’a pas signée. Elle mentionne en outre une religion et une date de naissance erronées.

5.8Dans ses commentaires supplémentaires du 6 décembre 2019, le requérant cite un rapport publié en septembre 2019 par le Bureau européen d’appui en matière d’asile et rédigé par le Secrétariat d’État aux migrations. Selon ce rapport, des mineurs en Érythrée étaient recrutés de force au service militaire, le traitement des recrues dans les prisons érythréennes ne s’était pas amélioré, le sort de la plupart des personnes renvoyées en Érythrée n’était pas connu, et certains rapports indiquaient qu’un grand nombre d’entre elles avaient été emprisonnées près de Tesseney, où des actes de torture étaient signalés.

Observations complémentaires de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations complémentaires du 26 septembre 2019, l’État partie maintient sa position, et affirme qu’il ne pratique pas de renvoi forcé de ressortissants érythréens, parce que l’Érythrée n’accepte pas de telles mesures à l’encontre de ses ressortissants. Le renvoi forcé de ceux-ci est dès lors impossible, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner si une telle mesure est licite. Par contre, le départ volontaire du requérant est possible, pourvu qu’il entreprenne les démarches nécessaires.

6.2Le 9 janvier 2020, l’État partie a transmis au Comité sa réponse, datée du 7 janvier 2020, à la demande conjointe du 19 juin 2019 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, du Rapporteur spécial sur les droits humains des migrants et du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, concernant la situation des requérants d’asile érythréens en Suisse. Dans cette réponse, entre autres, l’État partie indique que le Secrétariat d’État aux migrations examine en permanence la situation en Érythrée et adapte si nécessaire sa pratique en matière d’asile et de renvoi. L’État partie décrit ensuite en détail l’évolution de cette pratique depuis 2012.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif ou pour toute autre raison. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la présente requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Dans le cas présent, le Comité doit d’abord déterminer si, en renvoyant le requérant en Érythrée, l’État partie manquerait à l’obligation mise à sa charge par l’article 3 de la Convention. Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle : a) l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination ; et b) le Comité a pour pratique de considérer qu’il existe des « motifs sérieux » chaque fois que le risque est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Il rappelle également que la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le risque d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation où il ne peut pas donner de détails sur son cas, la charge de la preuve est renversée et il appartient à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles la communication est fondée. Le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie ; toutefois, il n’est pas lié par ces conclusions et il apprécie librement les informations qui lui sont soumises conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cause.

8.3Le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle des soldats sont venus le chercher à son domicile à deux reprises, sans succès, pour l’enrôler de force dans l’armée, et ont déposé par la suite une convocation lui ordonnant de se rendre à l’école en compagnie de ses parents. Selon le requérant, son statut de réfractaire ayant quitté l’Érythrée de manière illégale l’exposerait à un risque de subir des tortures en cas de renvoi. En revanche, le Comité observe que, selon l’État partie, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que le requérant soit exposé concrètement et personnellement à la torture en cas de retour en Érythrée, et que ses allégations et moyens de preuve ont été jugés invraisemblables.

8.4Le Comité prend note du déroulement de la procédure de demande d’asile du requérant devant les autorités suisses. À cet égard, il rappelle que le droit à un recours utile que contient l’article 3 de la Convention exige, dans ce contexte, qu’il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l’on est en présence d’une allégation plausible mettant en cause le respect dudit article 3. Le Comité note que, selon le requérant, les auditions sur ses motifs d’asile auraient dû être tenues en saho, pas en tigrinya. Il affirme avoir fait état de sa langue maternelle (le saho) lors de son audition sur ses motifs d’asile avec les autorités suisses, lesquelles l’ont informé de l’absence d’interprètes saho en Suisse et ont proposé de convoquer un interprète depuis l’Allemagne. Le requérant aurait alors accepté d’être interrogé en tigrinya pour éviter de retarder la procédure. Le Comité note que, selon le procès‑verbal de la seconde audition, le requérant a indiqué que sa langue maternelle était le tigrinya et que ses connaissances de cette langue s’étaient améliorées après son arrivée en Suisse. Il a également indiqué une date de naissance, une ethnie et une religion conformes aux données fournies dans la présente communication. Selon ce procès-verbal, le requérant n’a signalé aucun problème de communication avec les personnes chargées de l’auditionner et, à la fin de l’audition, a affirmé avoir bien compris l’interprète. Le Comité observe qu’il a procédé à une seule modification dans le procès-verbal de la seconde audition, après relecture de celui-ci en tigrinya. Le requérant a enfin attesté que les informations retenues dans les procès-verbaux étaient conformes à ses déclarations. Par conséquent, le Comité considère qu’en l’espèce, les informations disponibles ne lui permettent pas de conclure que le déroulement des auditions en tigrinya représente une violation par l’État partie de l’obligation aux fins de l’article 3 de la Convention d’assurer un examen effectif, indépendant et impartial.

8.5En ce qui concerne le délai de traitement de la demande d’asile, le Comité rappelle que dans sa procédure d’évaluation d’une demande de non-refoulement, l’État partie devrait veiller à ce que la personne concernée bénéficie des garanties fondamentales, en particulier si elle est privée de liberté ou se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière, comme dans le cas des demandeurs d’asile et des mineurs non accompagnés, entre autres. Dans le cas d’espèce, le Comité est d’avis que la période de dix-huit mois s’étant écoulée entre la brève audition préliminaire et l’audition approfondie sur les motifs d’asile du requérant n’indique pas en soi une erreur procédurale dans le traitement de la demande. Néanmoins, le Comité observe que le requérant affirme avoir déposé ladite demande lorsqu’il avait 17 ans et un mois. Le Comité observe également que lors de la première audition (sommaire) sur ses motifs d’asile, le requérant, alors âgé de 17 ans, a reçu le soutien d’une curatrice (représentante légale) nommée en sa faveur par le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant du canton de Genève en 2015. Le Comité observe en outre que la seconde audition, qui a eu lieu lorsque le requérant était âgé de 18 ans, s’est déroulée en présence d’une représentation indépendante d’une œuvre d’entraide, mais pas en présence d’un curateur ou d’une curatrice ou bien d’un représentant ou d’une représentante juridique en soutien du requérant. Le Comité note également que l’État partie n’a pas expliqué la raison pour laquelle l’audition approfondie n’a pas eu lieu durant la minorité du requérant, lorsqu’il aurait bénéficié d’un niveau de protection plus important en raison de son âge. Dans ces circonstances, le Comité considère que le délai de traitement constitue un manquement à l’obligation de l’État partie d’assurer l’examen effectif de la demande d’asile aux fins de l’article 3 de la Convention.

8.6Ensuite, afin de déterminer si le requérant risque actuellement de subir des tortures en cas de renvoi en Érythrée, le Comité doit examiner les prétendues incohérences et contradictions des propos et des communications du requérant sur lesquelles les autorités nationales ont attiré l’attention. Le Comité estime utile d’évaluer les propos du requérant à la lumière de rapports sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, tout en notant que les rapports cités ci-dessous ont été publiés après l’émission des décisions des autorités suisses sur la demande d’asile du requérant. Le Comité observe que, selon un rapport de 2019 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, en dépit de l’accord de paix signé par l’Érythrée et l’Éthiopie en 2018, la situation des droits de l’homme en Érythrée restait préoccupante puisque, entre autres, la durée du service militaire et national restait indéterminée, les conscrits pouvaient faire l’objet de mauvais traitements et d’abus, le fait de se soustraire à la conscription militaire pouvait mener à l’arrestation et à la détention, et l’obligation d’obtenir un visa de sortie pour se rendre à l’étranger avait été rétablie. Toujours selon ce rapport, le Gouvernement érythréen avait indiqué en mars 2019 qu’il commencerait à réformer le service militaire dans l’avenir, lorsqu’il aurait suffisamment de ressources pour créer des emplois pour les conscrits. Des rapports plus récents d’organisations non gouvernementales indiquent que ces réformes n’ont pas encore eu lieu.

8.7De plus, le Comité prend acte des constatations du Secrétariat d’État aux migrations, qui a rédigé le rapport publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile en septembre 2019. Selon ce rapport, en Érythrée, le service national comprenait des volets militaire et civil. Tous les conscrits participeraient à une formation militaire, et seraient ensuite affectés soit à la composante militaire, gérée par le Ministère de la défense, soit au service civil, sous l’égide d’un autre ministère. Les sanctions pour la désertion, l’insoumission et la sortie illégale continuaient d’être appliquées de façon arbitraire et incohérente par les commandants des forces armées et les représentants des forces de l’ordre. Des informations anecdotiques signalaient que les déserteurs et réfractaires étaient susceptibles d’être arrêtés lors de rafles et à leur retour de l’étranger, et qu’ils étaient emprisonnés pour, en général, des périodes allant d’un à douze mois. Lors de leur détention, ils pouvaient être victimes d’actes de torture. Ceux qui avaient quitté le pays sans autorisation préalable pouvaient être emprisonnés pour de plus longues périodes, allant jusqu’à trois ans. Les rapatriés ayant payé une taxe et signé une lettre de regrets étaient susceptibles d’être arrêtés et enrôlés de force au service national à l’expiration d’un délai de grâce. Aucune information officielle sur le traitement des déserteurs, des réfractaires et des personnes ayant quitté l’Érythrée de manière illégale n’était disponible. En août 2019, rien n’indiquait que la signature de l’accord de paix avec l’Éthiopie en 2018 avait mené à une plus grande tolérance envers ces groupes.

8.8Le Comité observe que, selon le procès-verbal de la seconde audition du requérant, lorsque les autorités nationales ont demandé au requérant d’expliquer en détail ses motifs d’asile, celui-ci a répondu qu’il avait quitté son pays pour continuer ses études et, par la suite, pour travailler. Prié d’indiquer tous ses motifs d’asile, le requérant a précisé qu’il y avait souvent des rafles, et qu’en raison de ces dernières, il n’était pas libre et devait vivre dans la clandestinité. Le Comité considère que le seul fait d’avoir de multiples raisons d’avoir quitté son pays n’exclut pas que la personne concernée coure un risque de subir des tortures en cas de renvoi. Le Comité observe ensuite que le requérant a décrit en détail ce qu’il a fait lors des deux rafles qui avaient eu lieu dans son village quelques mois avant son départ du pays, et a pu répondre aux autres questions concernant les circonstances de son départ.

8.9Le Comité considère que les incohérences relevées par l’État partie et par les autorités internes ne sont pas suffisamment importantes pour remettre en question la crédibilité du requérant. Par exemple, l’État partie attire l’attention sur le fait que lors de la première audition, le requérant a affirmé que les rafles menées dans son village avaient eu lieu en mai 2015, tandis que pendant la seconde audition, il a prétendu que ces rafles avaient eu lieu trois et quatre mois avant son départ d’Érythrée, c’est-à-dire en février et mars 2015. Le Comité considère que cette contradiction est relativement mineure. En outre, le Comité considère qu’au vu de l’absence d’informations disponibles sur les méthodes de recrutement utilisées pour conscrire les jeunes en Érythrée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle il n’était pas plausible que des militaires aient demandé au requérant de se présenter à l’école en compagnie de ses parents aux fins de la conscription. En ce qui concerne l’argument du Tribunal qui faisait valoir que le requérant n’avait pas démontré avoir été en contact avec les autorités militaires, le Comité considère que le requérant a plausiblement expliqué que cette absence de contact était attribuable à sa fuite pour se cacher lors des rafles. Quant à la position de l’État partie selon laquelle rien ne permet de présumer que le requérant aurait été touché par ces rafles, le Comité prend note que, selon le requérant, les rafles avaient souvent lieu dans son village. Le Comité considère que les allégations du requérant sur les rafles sont compatibles avec les informations disponibles sur la situation générale en Érythrée, telle qu’elle a été décrite par le Secrétariat d’État aux migrations dans le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile de septembre 2019. Tout en observant que, selon l’État partie, le seul fait que le requérant a interrompu sa scolarité ne suffit pas pour le considérer comme un conscrit potentiel, le Comité considère qu’au vu des informations disponibles sur la situation en Érythrée, il est plausible que le requérant ait été ciblé simplement en raison de son âge.

8.10Eu égard aux allégations du requérant selon lesquelles des soldats l’ont visé à deux reprises aux fins de la conscription, ce qui l’a motivé à quitter son pays de manière illégale ; eu égard également aux informations récentes sur le recours généralisé en Érythrée à la conscription des jeunes, particulièrement de sexe masculin, et sur la possibilité pour les insoumis et ceux qui ont quitté le pays de manière illégale d’être victimes d’actes de torture à leur retour ; eu égard enfin au peu d’informations disponibles et fiables sur l’ampleur de ce risque, le Comité ne peut pas conclure qu’en l’espèce, il n’existe pas un risque prévisible, réel et personnel pour le requérant d’être soumis à la torture en cas de renvoi vers l’Érythrée, lequel constituerait donc une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

9.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Érythrée constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Ayant conclu à une violation de l’article 3 en cas de renvoi du requérant, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief de violation de l’article 16 de la Convention.

10.Le Comité est d’avis que, conformément à l’article 3 de la Convention, l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Érythrée.

11.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.