Nations Unies

CERD/C/88/D/56/2014

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

6 janvier 2016

Français

Original : anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Communication no 56/2014

Opinion adoptée par le Comité à sa quatre-vingt-huitième session

Présentée par:

V. S. (représentée par un conseil, Vanda Durbakova)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Slovaquie

Date de la communication:

30 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

4 décembre 2015

Objet :

Discrimination dans l’accès à l’emploi ; protection et voie de recours effectives contre tout acte de discrimination raciale ; réparation ou satisfaction adéquates pour tout préjudice subi du fait d’une discrimination raciale et obligation de l’État partie d’agir contre la discrimination raciale

Question (s) de fond :

Discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique

Question (s) de procédure :

Fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

2, 5 et 6

Annexe

Opinion du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en application de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (quatre-vingt-huitième session)

concernant la

Communication no56/2014 *

Présentée par :

V. S. (représentée par un conseil, Vanda Durbakova)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Slovaquie

Date de la communication :

30 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 4 décembre 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 56/2014, présentée au Comité au nom de V. S. en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Opinion

1.L’auteure de la communication est Mme V. S., citoyenne slovaque d’origine rom née en 1983. Elle affirme être victime d’une violation par la Slovaquie de l’article 2 (par. 1 a), c), d) et e) et par. 2), lu conjointement avec les articles 5 e) i) et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Elle est représentée par un conseil, Vanda Durbakova.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure a obtenu en 2006 à l’Université de Prešov un diplôme d’enseignant en études générales et histoire. Pendant ses études, elle a travaillé comme enseignante auxiliaire et tutrice dans des écoles élémentaires. Depuis 2007, elle cherche un poste dans l’une des écoles élémentaires de sa région, sans succès.

2.2Le 18 juin 2009, l’auteure a adressé une candidature spontanéeà l’école élémentaire I. B. Zoch à Revúca pour un poste d’enseignant en histoire et pédagogie, en précisant qu’à défaut de poste vacant dans ces matières, elle serait disposée à accepter un emploi d’enseignant auxiliaire. L’auteure signale que le jour où elle est allée déposer en personne sa lettre de candidature, elle a rencontré le directeur de l’école, qui lui a dit qu’au lieu de chercher un travail, elle ferait mieux de faire des enfants, comme toutes les femmes roms. Le directeur aurait ajouté qu’en tant que femme rom, elle n’obtiendrait jamais d’emploi, même si elle poursuivait ses études pour atteindre un plus haut niveau de qualification. L’auteure s’est sentie humiliée et embarrassée par ces commentaires, d’autant que les Roms étaient généralement considérés comme peu enclins à travailler. Le 26 juillet 2009, le directeur de l’école a adressé une lettre à l’auteure, l’informant qu’aucun poste n’était vacant mais que sa candidature serait conservée pour le cas où un poste se libérerait. En septembre 2009, l’auteure a appris qu’un poste d’enseignant auxiliaire s’était libéré mais qu’il avait été pourvu par le recrutement d’une personne non rom moins qualifiée et moins expérimentée qu’elle.

2.3Soupçonnant qu’elle avait fait l’objet de discrimination en raison de son origine rom, l’auteure a déposé plainte auprès du Centre national slovaque des droits de l’homme(ci-après le « Centre pour l’égalité »), lui demandant de mener une enquête indépendante sur ce qui s’était passé à l’école élémentaire I. B. Zoch mais aussi dans d’autres écoles primaires auprès desquelles elle avait fait acte de candidature, sans succès. Le 3 juin 2010, le directeur de l’école I. B. Zoch a indiqué, dans sa réponse au Centre pour l’égalité, que l’école n’avait pas pu engager l’auteure faute de postes vacants dans la combinaison de matières dans lesquelles elle était qualifiée. Il ajoutait que l’auteure n’ayant pas consenti au traitement de ses données personnelles, sa candidature n’avait pu être conservée que pendant trente jours, et que ce délai était écoulé lorsque le poste d’enseignant auxiliaire à temps plein avait été ouvert pour l’année scolaire 2009/10. Il expliquait en outre que l’auxiliaire aurait pour tâche d’assister un enfant souffrant de troubles de l’attention avec hyperactivité, que le niveau de qualification exigé pour ce poste correspondait à un diplôme de l’enseignement secondaire et que la rémunération se situait dans la tranche de salaires no 7 et correspondait au salaire maximum que l’école pouvait verser. L’auteure ayant un diplôme universitaire, son salaire aurait dû se situer dans la tranche de rémunérations no 9, ce qui correspondait à des salaires que l’école n’était pas en mesure d’assurer. Enfin, le directeur signalait que les anciens employeurs de l’auteure avaient laissé entendre qu’elle avait posé des problèmes. Le 20 août 2010, le Centre pour l’égalité a achevé son enquête et conclu que cette affaire pouvait faire apparaître une violation du principe d’égalité de traitement. Il a recommandé au directeur de se conformer à la législation antidiscrimination et d’employer du personnel qualifié.

2.4Parallèlement à la plainte dont elle a saisi le Centre pour l’égalité, l’auteure a demandé au Ministère de l’éducation, des sciences, de la recherche et des sports (ci-après le Ministère de l’éducation) d’émettre un avis sur les pratiques de recrutement de l’école et sur l’argument de manque de ressources financières que celle-ci invoquait. Le 2 février 2010,le Ministère de l’éducation a déclaré que le manque de ressources financières n’était pas un motif valable pour engager un candidat titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire de préférence à un candidat diplômé de l’université. Le 2 août 2010, à la demande de l’auteure, le Ministère a rendu un deuxième avis dans lequel il indiquait que le directeur était responsable de la qualité de l’enseignement dispensé par l’école et qu’il avait seul compétence pour engager du personnel.

2.5Le 11 octobre 2010, l’auteure a engagé une action civile contre l’école devant le tribunal de district de Revúca pour violation du principe d’égalité de traitement, en vertu des articles 9 et suivants de la loi antidiscrimination de 2004. Elle demandait que l’école lui présente des excuses et réclamait 10 000 euros d’indemnisation pour préjudice moral. Le 28 mars 2011, le tribunal de district a rejeté la plainte de l’auteure. Il a indiqué que conformément à la loi, il incombait à l’école de démontrer qu’elle n’avait pas fait subir de discrimination à l’auteure en expliquant par des arguments raisonnables et logiques pourquoi elle avait engagé une personne moins qualifiée que l’auteure pour pourvoir le poste d’enseignant auxiliaire. Le tribunal n’a pas trouvé à redire aux explications fournies par l’école, qui faisait valoir qu’elle disposait de ressources limitées pour financer ce poste, qu’il n’était pas utile d’engager une personne diplômée de l’université pour occuper un poste pour lequel un diplôme de l’enseignement secondaire suffisait, et qu’il n’y avait pas eu d’intention discriminatoire de la part de l’école. Le tribunal a ajouté que le fait de satisfaire les conditions ou critères définis pour un poste ne donnait pas aux candidats un droit à l’emploi, et que des traitements différenciés pouvaient être appliqués dans le contexte des relations de travail sans que cela soit nécessairement discriminatoire ou illégal.

2.6Le 20 avril 2011, l’auteure a formé un recours contre la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Banská Bystrica. Dans son recours, elle insistait sur le fait qu’elle avait établi prima facie que la différence de traitement était fondée sur la discrimination raciale et qu’il incombait donc à l’école de démontrer par des arguments raisonnables et convaincants qu’il n’y avait pas eu de discrimination. L’auteure estimait que le tribunal de district n’avait pas correctement apprécié les faits et les éléments de preuve présentés par l’école et que les arguments de celle-ci n’auraient pas dû être considérés comme raisonnables et convaincants. Le 16 août 2011, le tribunal régional a confirmé la décision du tribunal de district ainsi que son appréciation des arguments présentés par l’école. En conséquence, il a déclaré que le recours engagé par l’auteure était manifestement mal fondé. À la différence du tribunal de district, le tribunal régional a estimé que l’auteure n’avait pas établi à première vue l’existence d’une discrimination.

2.7Le 19 septembre 2011, l’auteure a formé un recours extraordinaire contre le jugement du tribunal régional devant la Cour suprême, affirmant que son droit à un procès équitable avait été violé car le tribunal régional n’avait pas dûment examiné les arguments qu’elle avançait contre la décision du tribunal de district et avait donc rendu une décision arbitraire. L’auteure considérait qu’en interprétant de manière restrictive la législation nationale, le tribunal régional n’avait pas protégé efficacement ses droits. Elle suggérait de saisir la Cour de justice de l’Union européenne afin que celle-ci rende une décision préjudicielle sur l’interprétation du droit de l’Union européenne. Le 19 juillet 2012, la Cour suprême a cassé le jugement rendu le 16 août 2011 par le tribunal régional au motif que le raisonnement sur lequel reposait cette décision n’était pas cohérent. Cependant, la Cour n’a pas examiné les arguments présentés par l’auteure, en particulier sa demande de saisir la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel. L’affaire a été renvoyée devant le tribunal régional de Banská Bystrica.

2.8Le 27 novembre 2012, le tribunal régional a de nouveau appuyé le raisonnement du tribunal de district et confirmé sa décision. Le tribunal régional persistait à considérer que le recours formé par l’auteure était mal fondé car, compte tenu des éléments de preuve communiqués, on ne pouvait pas considérer que le tribunal de district n’avait pas correctement apprécié les faits. Le tribunal régional estimait que compte tenu du fait que plusieurs candidats étaient en concurrence pour le poste, le non-recrutement d’une personne d’origine rom pour des motifs logiques et raisonnables ne constituait pas ipso facto un traitement discriminatoire fondé sur la race.

2.9Le 25 janvier 2013, l’auteure a adressé une plainte à la Cour constitutionnelle dans laquelle elle affirmait que toutes les juridictions internes étaient parvenues à des conclusions arbitraires, injustifiables et indéfendables, entraînant une violation des libertés et droits fondamentaux qui lui étaient garantis par la Constitution slovaque ainsi que par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (art. 5 et 6) et d’autres instruments internationaux. Le 10 juillet 2013, la Cour constitutionnelle a rejeté la plainte de l’auteure pour défaut de fondement. Après examen des décisions rendues par les tribunaux nationaux, elle estimait que ceux-ci avaient donné des réponses claires et compréhensibles à toutes les questions juridiques et factuelles concernant la protection des droits de l’auteure puisque les arguments présentés par celle-ci avaient été dûment pris en compte par les tribunaux, et qu’il n’y avait donc pas eu de violation de ses droits.

2.10L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles. Elle indique qu’elle n’a été informée par son conseil de la décision définitive du 10 juillet 2013 de la Cour constitutionnelle que le 7 novembre 2013. Elle soutient donc que la présente communication a été soumise au Comité dans le délai de six mois prévu au paragraphe 5 de l’article 14 de la Convention.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme être victime d’une violation par la Slovaquie des droits qu’elle tient de l’article 2 (par. 1 a), c), d) et e) et par. 2), lu conjointement avec les articles 5 e) i) et 6 de la Convention. Elle soutient que l’État partie ne lui a pas, par le biais des juridictions nationales, assuré une protection et une voie de recours effectives contre la discrimination raciale dont elle a fait l’objet dans le cadre des procédures de recrutement d’une école publique élémentaire de Revúca, et que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination raciale dans le domaine de l’accès à l’emploi.

3.2L’auteure affirme que les juridictions internes de l’État partie n’ont tenu aucun compte de ses arguments, sans expliquer pourquoi, et ont ignoré les éléments de preuve qu’elle soumettait ainsi que sa demande visant à saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour que celle-ci rende une décision préjudicielle. L’auteure estime que l’interprétation faite de la loi antidiscrimination par le tribunal de district, selon laquelle la protection accordée par la loi ne s’étend pas aux cas de traitement inégal dans les procédures de recrutement, est contraire au droit de l’Union européenne de même qu’aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme.

3.3L’auteure fait valoir également que, comme elle avait établi prima facie l’existence d’une discrimination raciale, la charge de la preuve était renversée et incombait à l’école. Elle soutient que dans sa deuxième décision, datée du 27 novembre 2012, le tribunal régional a considéré à tort qu’il revenait à l’auteure de prouver l’intention discriminatoire de l’école à son endroit, alors que cette charge ne lui incombait pas légalement. Elle ajoute que les tribunaux ont, à tort, évalué la différence de traitement dont elle avait fait l’objet en comparant sa situation à celle des candidats non roms dont la candidature n’avait pas été retenue, au lieu de la comparer à celle du candidat non rom qui avait été engagé.

3.4L’auteure soutient que les recours prévus dans le droit interne sont illusoires et inefficaces car ils n’offrent pas de réparation appropriée aux victimes de discrimination raciale et ne sanctionnent pas les auteurs d’actes de discrimination raciale. L’auteure renvoie aux observations finales du Comité évoquant le manque d’efficacité de l’État partie dans la mise en œuvre de la loi antidiscrimination et rappelle que son affaire doit être envisagée dans le contexte global de la discrimination raciale qui s’exerce à l’encontre des personnes d’origine rom en Slovaquie.

3.5Enfin, l’auteure demande que l’État partie lui accorde une réparation appropriée, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate, conformément à la législation, qu’il veille à ce que la loi antidiscrimination en vigueur soit appliquée efficacement et conformément à la Convention, afin d’assurer une protection et des voies de recours effectives contre tout acte de discrimination raciale, et qu’il veille également à ce que des formations adéquates soient régulièrement dispensées à l’intention du personnel des tribunaux et des autorités judiciaires au sujet de l’élimination des stéréotypes et préjugés raciaux existant à l’égard des Roms, de la Convention et des recommandations du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 12 septembre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication soumise par l’auteure. L’État partie assure le Comité qu’il a à cœur d’améliorer sa législation et ses politiques dans le but de prévenir la discrimination raciale sous toutes ses formes, y compris dans l’exercice du droit à l’égalité devant la loi et des droits économiques, sociaux et culturels.

4.2En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie admet que l’auteure a épuisé tous les recours internes disponibles et qu’elle a soumis la communication dans les six mois suivant l’épuisement des recours internes. Il conclut que les conditions de la recevabilité sont satisfaites.

4.3L’État partie rappelle que l’auteure a présenté sa candidature à un poste d’enseignant en histoire et pédagogie à l’école élémentaire en précisant qu’elle serait prête à accepter un emploi d’enseignant auxiliaire, c’est-à-dire un poste exigeant un niveau de qualifications moins élevé que le sien. Il fait valoir que l’école élémentaire n’a pas retenu la candidature de l’auteure faute de postes vacants, la pédagogie n’étant pas une matière enseignée dans les établissements du primaire, et qu’elle a informé l’auteure que sa candidature serait conservée. Plus tard, une personne moins qualifiée que l’auteure a été choisie pour occuper un poste d’enseignant auxiliaire. L’auteure estime ne pas avoir été engagée pour occuper ce dernier poste en raison de son origine ethnique. Le tribunal de district a rejeté la plainte de l’auteure, estimant qu’elle n’avait pas établi les faits desquels on pouvait déduire l’existence d’une discrimination directe ou indirecte ou d’une violation du principe d’égalité de traitement résultant d’une discrimination fondée sur la race ou l’appartenance ethnique.

4.4L’État partie indique que le recours introduit par l’auteure contre la décision du tribunal de district a été examiné par le tribunal régional de Banská Bystrica, qui a considéré que ladite décision était pour l’essentielcorrecte. L’auteure a alors formé un recours extraordinaire auprès de la Cour suprême, lui demandant de casser le jugement du tribunal régional et de renvoyer l’affaire pour qu’il soit de nouveau statué.

4.5L’État partie rappelle que la Cour suprême a estimé que le raisonnement sur lequel était fondée la décision du tribunal régional manquait de cohérence et de logique, et qu’elle a cassé le jugement du tribunal régional et lui a renvoyé l’affaire pour qu’il statue à nouveau. Le tribunal régional a une nouvelle fois confirmé la décision du tribunal de district. Par la suite, l’auteure a formé un recours devant la Cour constitutionnelle de la République slovaque, invoquant une violation de son droit à la protection d’un tribunal et d’autres organes indépendants et impartiaux (art. 46, par. 1, de la Constitution), ainsi qu’une violation de son droit à un procès équitable (art. 47, par. 3, de la Constitution). La Cour constitutionnelle a rejeté la plainte de l’auteure pour défaut de fondement, estimant que les juridictions ordinaires avaient agi conformément à l’esprit et à l’objet de la législation relative à la protection contre la discrimination. L’État partie considère par conséquent que l’auteure a eu accès à des recours utiles, qu’elle a effectivement épuisés.

4.6Concernant la requête adressée au Bureau du Représentant plénipotentiaire du Gouvernement pour les communautés roms, dans laquelle l’auteure et sa sœur affirmaient avoir subi un traitement discriminatoire de la part d’écoles élémentaires de Revúca, l’État partie signale que tous les griefs étaient liés à leur origine rom. L’auteure et sa sœur faisaient valoir qu’elles n’avaient pas obtenu d’emploi en tant qu’enseignantes alors qu’elles avaient achevé leurs études universitaires. Le Bureau du Représentant plénipotentiaire a conclu que la combinaison de matières (histoire et pédagogie) dans laquelle l’auteure avait obtenu son diplôme d’enseignant n’était pas enseignée dans les écoles élémentaires. Il a aussi constaté qu’il n’y avait pas de postes d’enseignant vacants dans les écoles primaires de Revúca au moment où l’auteure avait présenté sa candidature. Le Bureau du Représentant plénipotentiaire a également informé l’auteure que les établissements scolaires avaient conservé sa candidature dans leurs dossiers et qu’un poste d’enseignant en langue anglaise était vacant dans un établissement privé du second degré de Revúca. Il a ajouté que s’il avait trouvé, dans le dossier soumis par l’auteure, le moindre élément indiquant qu’il était possible d’obtenir la preuve que l’école avait eu un comportement discriminatoire à son égard, il aurait aidé l’auteure à obtenir les éléments de preuve et à les soumettre à la justice. Selon l’État partie, l’auteure a également saisi le Centre pour l’égalité, qui a pour fonctions, entre autres, de fournir une assistance juridique aux personnes victimes de discrimination et d’autres formes d’intolérance. Le Centre a estimé que dans le cas d’espèce, les faits ou documents présentés n’étaient pas suffisants pour que l’on puisse raisonnablement supposer qu’il y avait eu une violation du principe d’égalité de traitement fondée sur l’origine ethnique ou raciale de l’auteure. Le Centre a reconnu que le comportement dénoncé par l’auteure pouvait avoir causé un préjudice ou un désavantage, mais il a estimé que l’on devait pouvoir raisonnablement présumer de l’existence d’un lien de causalité entre la différence de traitement appliqué et le préjudice subi. D’après le Centre, toutes les différences de traitement ne sauraient être considérées comme constituant une discrimination ou une violation du principe d’égalité de traitement en vertu de la loi antidiscrimination. Elles pouvaient cependant entraîner une violation d’autres droits et intérêts légitimes consacrés par d’autres lois. Le Centre a également considéré qu’en l’espèce, les juridictions internes n’avaient pas correctement appliqué le principe du renversement de la charge de la preuve.

4.7L’État partie conteste les allégations de l’auteure selon lesquelles aucun recours utile ne lui était ouvert contre la discrimination raciale dont elle aurait fait l’objet en tant que rom. L’État partie conteste également le grief de l’auteure selon lequel il n’aurait pas pris toutes les mesures voulues pour éliminer la discrimination raciale, notamment dans l’accès à l’emploi. L’État partie considère que le cadre législatif et institutionnel existant offre des garanties suffisantes pour assurer la protection contre tout type de discrimination et qu’en cas de violation de l’interdiction de discrimination, il possède dans sa législation des outils efficaces pour remédier à la situation, notamment sur le plan judiciaire.

4.8S’agissant des griefs soulevés par l’auteure quant à l’application du principe du renversement de la charge de la preuve par les juridictions internes, l’État partie indique que ce principe est en soi un outil important dans la lutte contre la discrimination. Le principe veut que si l’on peut raisonnablement déduire des allégations du plaignant qu’il y a eu discrimination directe ou indirecte, la charge de la preuve est renversée et il incombe alors au défendeur de démontrer que cette discrimination n’a pas existé. L’État partie ajoute que la loi antidiscrimination n’impose pas au plaignant et au défendeur les mêmes obligations en ce qui concerne la nature ou la « qualité des preuves à produire ». Le plaignant doit faire connaître les faits à partir desquels on peut raisonnablement présumer qu’il y a eu discrimination. Si la charge de la preuve est renversée et incombe au défendeur, c’est alors à ce dernier qu’il incombe de démontrer que la discrimination n’a pas existé. L’État partie admet que le renversement devient effectif si les éléments produits par le plaignant devant le tribunal font raisonnablement présumer qu’il y a eu violation du principe d’égalité de traitement, c’est-à-dire si les faits allégués sont démontrés par des preuves claires et concluantes.

4.9L’État partie fait valoir en outre que l’application de la loi antidiscrimination, et plus particulièrement du principe de renversement de la charge de la preuve, pose certaines difficultés aux tribunaux généraux, qu’ils doivent résoudre efficacement. L’État partie reconnaît qu’une fois la charge de la preuve renversée, le tribunal de première instance aurait dû demander au défendeur d’expliquer et de démontrer par de nouvelles preuves que la discrimination alléguée n’avait pas existé. Lorsque le plaignant affirme avoir été victime de discrimination et que le défendeur dit qu’il n’y a pas eu de discrimination, cela ne signifie pas que le défendeur ait raison. Dans la pratique, le plaignant se trouve dans une position privilégiée par rapport au défendeur, du fait précisément de l’existence de garanties efficaces de protection contre la discrimination. L’État partie ajoute que si le tribunal admet le renversement de la charge de la preuve, on ne peut pas démontrer qu’il n’y a pas eu violation du principe d’égalité de traitement en s’appuyant uniquement sur le caractère probable ou improbable de la violation : la loi antidiscrimination exige que le défendeur prouve qu’il n’y a pas eu de violation.

4.10À cet égard, l’État partie relève que le tribunal de district ne s’est pas seulement appuyé sur les faits et les allégations soumis par la plaignante et ses témoins, mais également sur les faits qui établissaient le caractère improbable de la discrimination alléguée. Même avant d’accepter le renversement de la charge de la preuve, le tribunal doit examiner les faits afin de déterminer si l’on peut logiquement supposer que le principe d’égalité de traitement a été violé. L’État partie ne partage pas l’avis de l’auteure selon lequel en l’espèce, le seul comparateur possible serait un candidat qui a obtenu un emploi. L’État partie estime que pour déterminer s’il y a eu discrimination fondée sur l’origine rom de l’auteure dans la procédure de recrutement visant à pourvoir le poste nouvellement créé, il faut examiner la question dans toute sa complexité, en tenant compte également des autres candidats. Il ressort du dossier que plusieurs autres personnes ont présenté leur candidature pour le poste en question, qu’elles avaient des diplômes universitaires et de nombreuses années d’expérience professionnelle pertinente. Or le directeur de l’école a décidé d’accorder le poste à une personne moins qualifiée, qui avait étudié dans un domaine différent, n’avait pas d’expérience et n’était pas d’origine rom. Il a accordé à cette personne un traitement plus favorable qu’à des candidats plus qualifiés et plus expérimentés d’origine non rom. L’État partie fait donc valoir que le choix qui a été fait n’était pas fondé sur l’origine ethnique du candidat mais plus probablement sur le fait que le directeur, comme il l’a confirmé dans son témoignage, connaissait personnellement le candidat qui a été retenu. Le fait que l’école élémentaire ait employé des personnes d’origine rom dans le passé plaide également dans ce sens.

4.11L’État partie estime en outre que le tribunal de district a rejeté à raison la plainte de l’auteure car celle-ci n’avait pas fait la preuve de la discrimination alléguée. Le fait que l’auteure conteste l’appréciation qui a été faite des éléments de preuve ne rend pas ses griefs recevables si les conditions légales n’étaient pas satisfaites. L’État partie reconnaît toutefois qu’il importe de veiller à ce que les tribunaux, y compris dans le cas d’espèce, appliquent plus rigoureusement le renversement de la charge de la preuve.

4.12L’État partie conteste l’argument de l’auteure qui affirme que les tribunaux généraux n’ont pas correctement instruit son affaire. Il constate que l’auteure a épuisé les recours ordinaires et extraordinaires disponibles. Concernant le grief de violation du droit fondamental à la protection judiciaire et du droit à un procès équitable, l’État partie affirme que ni les tribunaux généraux ni la Cour constitutionnelle, qui ont statué sur la plainte de l’auteure, n’ont conclu à une violation de ses droits. L’auteure a eu accès à l’action dite antidiscrimination. La décision du tribunal de première instance a été contrôlée par la cour d’appel, qui a correctement apprécié le bien-fondé du recours de l’auteure. Le droit à un procès équitable comprend le droit à un raisonnement juridique clair et convaincant qui aborde toutes les questions juridiques et factuelles pertinentes intéressant la protection judiciaire sans nécessairement entrer dans tous les détails fournis par les parties. Une décision qui expose succinctement et clairement son fondement juridique et factuel suffit à satisfaire le droit des parties à un procès équitable.

4.13L’État partie considère qu’en l’espèce, les juridictions internes ont traité les deux parties sur un pied d’égalité. Tous les éléments et témoignages soumis ont été pris en considération, et les tribunaux généraux ont traité l’affaire avec sérieux, sans en banaliser les circonstances. L’État partie conclut que les juridictions internes ont agi conformément à l’esprit et à l’objet de la loi antidiscrimination. Que la procédure judiciaire n’ait pas satisfait les attentes de l’auteure ne constitue pas une violation de son droit à un recours utile.

4.14Concernant l’argument de l’auteure selon lequel les juridictions internes n’ont pas tenu compte de sa proposition de saisir la Cour de justice de l’Union européenne dans le cadre d’une procédure de renvoi préjudiciel, l’État partie, comme la Cour constitutionnelle, estime que la proposition de l’auteure n’était pas suffisamment justifiée. La Cour constitutionnelle a examiné l’allégation de l’auteure selon laquelle le tribunal de district aurait jugé sa plainte irrecevable en se fondant sur une interprétation erronée du droit de l’Union européenne. Le tribunal de district a en réalité examiné le bien-fondé de l’allégation de discrimination dans l’accès à l’emploi, mais n’a pas accepté la demande de l’auteure d’ajourner la procédure et de renvoyer d’abord la question de l’interprétation du droit communautaire à la Cour de justice de l’Union européenne.

4.15Concernant les moyens non judiciaires de protection contre la discrimination dans l’emploi, l’État partie signale la possibilité pour l’auteure de saisir l’Inspection du travail. L’auteure avait également le droit de porter plainte en vertu de la loi sur les plaintes. Elle pouvait aussi, en vertu de cette même loi, présenter une requête auprès de l’Inspection académique, organe chargé du contrôle public des services éducatifs, y compris du recrutement du personnel enseignant. L’État partie ne sait pas si l’auteure a eu recours à ces moyens de protection contre la discrimination dans l’accès à l’emploi. Pour montrer l’importance qu’il accorde à la prévention de tous les types de discrimination, y compris la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, l’État partie fait référence à sa Stratégie 2012-2020 pour l’intégration des Roms. Il souligne également que la question de la prévention et de l’élimination de la discrimination raciale fait l’objet d’un dialogue permanent entre le Gouvernement et les organisations internationales. Leurs recommandations, dont celles des organes conventionnels de l’ONU, sont mises en œuvre par l’État partie. Celui-ci rappelle en outre qu’il a récemment achevé le deuxième cycle de l’Examen périodique universel, dans le cadre duquel il a réaffirmé son attachement à poursuivre l’application de la législation antidiscrimination en vigueur.

4.16L’État partie conclut qu’il n’y a pas eu de violation des droits reconnus à l’auteure à l’article 2 (par. 1 a), c), d) et e) et par. 2), lu conjointement avec l’article 5 e) i) et l’article 6 de la Convention. Il réaffirme sa volonté de continuer à prendre de nouvelles mesures pour lutter contre la discrimination raciale, notamment par des activités de sensibilisation et d’autres visant à éliminer les stéréotypes raciaux négatifs, et considère les recommandations des organes internationaux comme un cadre d’orientation en la matière. Il se félicite du dialogue constructif engagé avec le Comité qui, grâce à l’expérience et aux précieuses compétences de ses membres, aide les États parties à mettre en œuvre efficacement la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 13 novembre 2014, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations formulées par l’État partie sur la recevabilité et le fond de sa communication. L’auteure maintient les arguments présentés dans sa lettre initiale et souligne que le fait qu’elle ne formule aucun commentaire sur certaines des observations de l’État partie ne veut pas dire qu’elle les approuve.

5.2L’État partie ne contestant pas la recevabilité de la communication, l’auteure demande au Comité de déclarer la communication recevable et de procéder à son examen sur le fond.

5.3Sur le fond, l’auteure maintient que bien qu’elle ait saisi les juridictions internes de son affaire dans le but d’obtenir réparation de la discrimination raciale dont elle avait fait l’objet, les autorités nationales ont ignoré ses arguments et n’ont pas appliqué efficacement la loi antidiscrimination. Elle relève que l’État partie reconnaît que l’application de la loi antidiscrimination, et en particulier du renversement de la charge de la preuve, pose certains problèmes aux tribunaux nationaux, et reconnaît que dans le cas de l’auteure, des difficultés ont été rencontrées dans l’application de cet instrument par le tribunal de première instance.

5.4L’auteure conteste l’interprétation que fait l’État partie de la manière dont la loi antidiscrimination, et en particulier le renversement de la charge de la preuve, devrait s’appliquer. Elle affirme qu’une telle interprétation n’est pas conforme aux directives pertinentes de l’Union européenne et à la jurisprudence des organes internationaux judiciaires ou quasi judiciaires relatifs aux droits de l’homme car elle fait porter la charge de la preuve sur le plaignant. L’auteure considère également que l’obligation de prouver les faits, comme le motif de la discrimination alléguée, n’est pas de son ressort et serait par ailleurs illogique. Elle estime qu’accepter une telle interprétation constituerait une violation des principes de base de la protection contre la discrimination dans les procédures judiciaires.

5.5L’auteure conteste également l’argument de l’État partie concernant l’examen de l’affaire par des autorités non judiciaires comme le Bureau du Représentant plénipotentiaire du Gouvernement pour les communautés roms et le Centre pour l’égalité, et leurs conclusions respectives. Elle souligne qu’elle a saisi ces organes non seulement au sujet du traitement discriminatoire dont il est question en l’espèce, mais aussi du traitement discriminatoire qu’elle a subi à d’autres occasions, alors qu’elle postulait dans d’autres écoles de sa région. Elle prétend que l’État partie ne fait pas de distinction entre les différents faits et mentionne certaines conclusions de ces organes qui ne concernent pas sa requête devant le Comité. L’auteure réitère que dans la présente affaire, elle se plaint d’avoir fait l’objet de discrimination raciale dans l’examen de la candidature qu’elle a présentée le 18 juin 2009 pour un poste d’enseignant en histoire et pédagogie à l’école élémentaire I. B. Zoch de Revúca. Elle rappelle avoir indiqué que s’il n’y avait pas de poste vacant dans ces matières, elle serait prête à accepter un poste d’enseignant auxiliaire.

5.6L’auteure insiste également sur le fait que l’État partie a violé l’obligation positive qui lui incombait de la protéger de la discrimination par d’autres mesures, notamment en veillant à ce que les dispositions législatives relatives à la discrimination et à l’égalité soient appliquées efficacement et conformément à ses obligations internationales en matière de droits de l’homme.

5.7L’auteure renvoie aux arguments présentés dans sa lettre initiale concernant les conclusions du Centre pour l’égalité quant au fond de l’affaire. Elle conteste le fait que l’État partie n’assure pas d’aide juridique qualifiée et gratuite aux victimes de la discrimination raciale. Elle fait valoir qu’entre 2010 et 2012, le Centre pour l’égalité n’a dispensé des services de représentation juridique qu’à une seule personne victime de discrimination raciale, ce qu’elle juge alarmant. Elle renvoie à des rapports d’ONG spécialisées qui critiquent la passivité et le manque de compétences dont fait preuve l’État partie s’agissant de déceler les cas de discrimination. L’auteure considère que les conclusions formulées par le Centre pour l’égalité à propos de son affaire devraient être interprétées dans ce contexte.

5.8L’auteure réaffirme que l’identification des cas de discrimination raciale dans l’accès à l’emploi et la répression de cette discrimination sont indispensables non seulement pour permettre aux victimes d’obtenir réparation mais aussi à titre préventif, afin que de tels actes de discrimination ne se reproduisent pas. Elle réaffirme également que son cas devrait être examiné dans le contexte plus large des stéréotypes raciaux et des pratiques discriminatoires s’exerçant contre la minorité rom en Slovaquie. À cet égard, elle fait référence aux conclusions formulées récemment par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans une enquête sur les Roms, selon laquelle en Slovaquie, 19 % des femmes d’origine rom interrogées et 21 % des hommes d’origine rom interrogés, âgés de 16 ans et plus et ayant cherché un emploi au cours des cinq dernières années avaient le sentiment d’avoir fait l’objet de discrimination fondée sur leur origine ethnique. L’auteure renvoie également au rapport du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur les conditions de vie des ménages roms en Slovaquie, dans lequel il est dit que les Roms subissent un fort degré d’exclusion sur le marché du travail, notamment du fait de la discrimination raciale dont ils font l’objet. L’auteure affirme également que bien que l’État partie déclare adopter et mettre en œuvre des mesures de prévention de la discrimination, les conditions de vie et la situation des Roms en Slovaquie, de même que l’affaire de l’auteure, montrent qu’il n’en est rien.

5.9L’auteure demande donc que le Comité rejette les arguments de l’État partie, et réaffirme que son affaire fait apparaître une violation de ses droits consacrés à l’article 2 (par. 1 a) et d)) et aux articles 5 e) i) et 6 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale détermine, en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, si la communication est recevable.

6.2Le Comité note que l’État partie admet que l’auteure a épuisé tous les recours internes disponibles et a soumis la communication dans les six mois suivant l’épuisement du dernier recours qui lui était ouvert, considérant que l’auteure a satisfait aux prescriptions de l’article 14 de la Convention.

6.3Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication en prenant en considération tous les renseignements et pièces présentés par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur.

7.2La principale question dont est saisi le Comité est de savoir si l’État partie s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures efficaces pour répondre aux allégations de l’auteure, qui affirme avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur son origine rom alors qu’elle cherchait à accéder à un emploi dans une école publique, et si l’État partie, par le biais de ses juridictions internes et d’autres institutions, lui a assuré une protection effective et un recours utile contre la discrimination raciale alléguée, notamment en lui accordant une satisfaction ou une réparation adéquates pour le préjudice subi.

Violation de l’article 5 e) i)

7.3Le Comité prend note du grief de l’auteure, qui affirme avoir fait l’objet de discrimination raciale dans le processus de recrutement mené par une école élémentaire de Revúca. Il note également, à ce sujet, que l’État partie a fait valoir que le motif de la discrimination dont l’auteure dit avoir été victime n’avait pas été établi de façon probante devant les autorités administratives et judiciaires compétentes. S’il admet que l’auteure a subi un préjudice ou a été désavantagée, l’État partie soutient qu’il n’a pas été établi de lien de causalité entre le motif du traitement différencié et le désavantage subi. Le Comité relève en particulier que le Ministère de l’éducation a déclaré, le 2 février 2010, que le manque de ressources financières n’était pas un motif valable pour engager un candidat titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire de préférence à un candidat diplômé de l’université et que l’employeur devait recruter des candidats qualifiés et ne recruter de candidats sans qualifications qu’à titre exceptionnel. Le Comité relève également que le Centre pour l’égalité a conclu que le cas de l’auteure pouvait faire apparaître une violation du principe d’égalité de traitement du fait de l’embauche d’un candidat sans qualifications, et recommandé au directeur de l’école de se conformer à la loi antidiscrimination. Le Comité note en outre que l’État partie a utilisé comme comparateur pour déterminer s’il y avait eu différence de traitement d’autres candidats qui n’avaient pas été retenus, au lieu de prendre pour point de comparaison la personne qui avait été sélectionnée, et relève que l’État partie a déclaré que le choix avait été guidé par le fait que le directeur de l’école connaissait personnellement le candidat qui a été retenu. Le Comité considère que l’État partie ne peut pas décliner sa responsabilité étant donné que le directeur d’une école publique, bien qu’étant une entité juridique séparée, a compétence pour choisir le personnel de l’école dans le cadre de l’exercice d’un service public. Le Comité constate que l’État partie n’a pas répondu de manière satisfaisante aux allégations de l’auteure à cet égard et n’a pas fourni d’arguments convaincants pour justifier le traitement différencié qu’a subi l’auteure du fait de la non-prise en compte de sa candidature. Le Comité considère qu’en l’espèce, la préférence accordée, pour pourvoir un poste d’enseignant auxiliaire, à un candidat qui en tant qu’assistant commercial n’était pas suffisamment qualifié, ne saurait être justifiée par les compétences professionnelles de l’auteure ou par un manque de ressources financières. Notant que la candidature de l’auteure n’avait pas été retenue pour des raisons administratives, et tenant compte des propos désobligeants que le directeur de l’école aurait tenus au sujet de l’origine rom de l’auteure, le Comité constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du droit au travail sans distinction de race, de couleur et d’origine nationale ou ethnique, contraire à l’obligation qui incombe à l’État partie de garantir l’égalité s’agissant du droit au travail conformément au paragraphe e) i) de l’article 5 de la Convention.

Violation de l’article 6 (lu conjointement avec l’article 2)

7.4Le Comité rappelle qu’il n’a pas pour rôle d’examiner comment les autorités nationales interprètent les faits et le droit interne, à moins que les décisions aient été manifestement arbitraires ou aient constitué un déni de justice. Toutefois, le Comité doit examiner si les décisions des tribunaux nationaux ont privé l’auteure de son droit à une protection effective et à un recours utile contre la discrimination raciale. À cet égard, il relève qu’entre 2009 et 2013 l’auteure a porté un cas prima facie de discrimination raciale à l’attention du Centre pour l’égalité, du Ministère de l’éducation, des sciences, de la recherche et des sports ainsi que des juridictions internes ordinaires et extraordinaires. Dans ce contexte, l’auteure a demandé qu’en application du principe de renversement de la charge de la preuve, l’école élémentaire de Revúca, en tant que défendeur, démontre qu’elle n’avait pas exercé de discrimination contre l’auteure en raison de son origine rom. En particulier, elle a demandé que l’école élémentaire fournisse des arguments raisonnables et convaincants pour expliquer pourquoi elle n’avait pas pris en considération la candidature de l’auteure à un poste d’enseignant et avait rejeté sa candidature au poste d’enseignant auxiliaire, compte tenu du fait qu’elle avait engagé une personne moins qualifiée que l’auteure pour occuper cette dernière fonction. Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel le tribunal de district et le tribunal régional n’ont pas correctement apprécié les faits et les éléments présentés par l’école élémentaire puisque sa situation n’a pas été comparée à celle du candidat non rom qui a obtenu le poste pour lequel elle avait présenté sa candidature. Le Comité prend note également du grief de l’auteure selon lequel dans sa décision du 27 novembre 2012, le tribunal régional lui a demandé de prouver l’intention discriminatoire de l’école à son égard alors que, du fait du renversement de la charge de la preuve prévu par la loi antidiscrimination, elle n’aurait pas dû avoir à le faire. Le Comité note également que l’État partie a indiqué que l’application de la loi antidiscrimination, en particulier du renversement de la charge de la preuve, posait certaines difficultés aux tribunaux nationaux ordinaires, qui devaient les résoudre efficacement, et que les tribunaux devaient appliquer plus rigoureusement le renversement de la charge de la preuve, « y compris dans le cas d’espèce ». Le Comité considère que le fait que les tribunaux aient persisté à demander à l’auteure de prouver l’intention discriminatoire est contraire à l’interdiction, consacrée dans la Convention, de tout comportement ayant un effet discriminatoire ainsi qu’à la procédure de renversement de la charge de la preuve introduite par l’État partie. L’État partie ayant lui-même adopté cette procédure, le fait qu’il ne l’applique pas correctement constitue une violation du droit de l’auteure à un recours utile, y compris à la satisfaction et à une réparation adéquate pour le préjudice subi. En conséquence, le Comité conclut que les droits reconnus à l’auteure en vertu des articles 2 (par. 1 a) et c)) et 6 de la Convention ont été violés.

7.5Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs de l’auteure au titre des paragraphes 1 d) et e) et 2 de l’article 2 de la Convention.

8.Dans les circonstances de l’espèce, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en vertu du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 2, paragraphe 1 a) et c), 5 e) i) et 6 de la Convention.

9.Le Comité recommande à l’État partie de présenter des excuses à l’auteure et de lui accorder une réparation appropriée pour le préjudice moral causé par les violations de la Convention susmentionnées. Il recommande également à l’État partie de faire en sorte que la loi antidiscrimination soit pleinement appliquée : a) en améliorant les procédures judiciaires ouvertes aux victimes de discrimination raciale, notamment par une application du principe du renversement de la charge de la preuve strictement conforme aux dispositions prévues à l’article 11 de la loi antidiscrimination ; et b) en diffusant des informations claires au sujet des recours internes ouverts aux victimes de discrimination raciale. Le Comité recommande en outre à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que toutes les personnes qui travaillent dans le milieu éducatif, à tous les niveaux, reçoivent régulièrement une formation portant sur la prévention et l’élimination de la discrimination raciale qui soit conforme au contenu de la Convention. Il recommande également à l’État partie d’organiser des programmes de formation à l’égalité devant la loi à l’intention des représentants de la force publique, y compris les juges, en les faisant porter plus particulièrement sur l’application de la Convention et de la loi antidiscrimination par les tribunaux. L’État partie est aussi prié de diffuser largement l’opinion du Comité, notamment auprès des instances judiciaires, et de la faire traduire dans la langue officielle de l’État partie.

10.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à son opinion.