Présentée par:

Laureano Oubiña Piñeiro (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

7 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 avril 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 juillet 2006

Objet: Portée de l’examen d’un pourvoi en cassation par les tribunaux espagnols

Questions de procédure: Plainte non étayée

Questions de fond: Droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑septième session

concernant la

Communication n o 1387/2005 *

Présentée par:

Laureano Oubiña Piñeiro (représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

7 avril 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication, datée du 7 avril 2004, est Laureano Oubiña Piñeiro, de nationalité espagnole, né en 1946. Il déclare être victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1Le 19 juin 2002, la chambre correctionnelle de l’Audiencia nacional a condamné l’auteur à une peine de six ans et neuf mois d’emprisonnement, assortie d’une amende, pour trafic de hachisch. Selon le jugement, en juillet 1997, la police a découvert plusieurs paquets contenant du haschisch à Pontevedra, en Espagne. Le lendemain, des agents du Service de surveillance des douanes (Servicio de Vigilancia Aduanera), qui relève du Ministre de l’intérieur, ont appréhendé l’auteur à Vigo, à proximité d’un terrain de football. L’auteur soutient que sa condamnation ne repose que sur des preuves indirectes.

2.2L’auteur s’est pourvu en cassation devant la deuxième chambre du Tribunal suprême, alléguant que le principe de la présomption d’innocence avait été violé car il avait été reconnu coupable malgré l’insuffisance des preuves apportées contre lui. Il soutenait que le tribunal de première instance s’était trompé dans son appréciation des faits de la cause. Le 25 septembre 2003, le Tribunal suprême a rejeté son pourvoi. L’auteur affirme que le Tribunal suprême a expressément déclaré que le pourvoi en cassation ne «constituait pas un examen en deuxième instance».

2.3L’auteur a introduit un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, alléguant plusieurs violations de ses droits constitutionnels, notamment le droit au double degré de juridiction. L’auteur affirme, s’agissant de ce droit, que le recours en amparo n’avait aucune chance d’être déclaré recevable car la jurisprudence de la Cour constitutionnelle va à l’encontre des constatations du Comité. Il cite un jugement de la Cour constitutionnelle datant de novembre 2002 dans lequel cette dernière réaffirme que le pourvoi en cassation, bien qu’il soit de portée limitée, est conforme aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Ce même jugement rejetterait l’idée que les constatations du Comité puissent constituer une interprétation authentique du Pacte.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se dit victime d’une violation du droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation (par. 5 de l’article 14). Il met en avant la formule utilisée par le Tribunal pour rejeter l’un des motifs d’appel qu’il a fait valoir, à savoir que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance. Il affirme que le Tribunal n’a pas examiné les preuves, et cite les constatations du Comité dans trois affaires mettant en cause l’Espagne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.1Dans une lettre du 30 juin 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication aux motifs que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les allégations ne sont pas suffisamment étayées. Pour ce qui est de la première condition, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas prouvé qu’il avait épuisé tous les recours internes car il n’a pas fourni des copies du jugement rendu par la Cour constitutionnelle dans le cadre de son recours en amparo. Selon l’État partie, cette omission met le Comité dans l’impossibilité de déterminer si la Cour constitutionnelle s’est prononcée ou pas sur la portée de l’examen mené par le Tribunal suprême, en particulier compte tenu du fait que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fixe les conditions minimales que tout examen par les tribunaux doit remplir pour être conforme aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.2L’État partie soutient que la communication est manifestement infondée car:

a)L’auteur n’a pas fourni une copie de son pourvoi en cassation et il n’est donc pas possible de savoir quelles sont les questions qu’il a demandé au Tribunal suprême d’examiner;

b)Le Tribunal suprême a indiqué que l’auteur s’est borné à réitérer les arguments qu’il avait invoqués devant le tribunal de première instance, sans étayer ses allégations;

c)La simple lecture du jugement rendu par le Tribunal suprême permet de se rendre compte de l’importance de la portée de l’examen auquel s’est livrée cette juridiction, tant sur le plan des questions de fait que sur le plan des questions de droit. Le Tribunal a procédé à un examen approfondi de 21 motifs d’appel invoqués par l’auteur, et notamment des allégations ayant trait au droit d’être entendu par un tribunal impartial; au fait que le jugement ait été rendu dans un délai allant au-delà de celui prescrit par le Code de procédure pénale; à la conduite de l’enquête préliminaire dans deux lieux distincts; au fait que des rapports d’experts portant sur des questions de droit n’ont pas été jugés admissibles comme éléments de preuve; au fait que le Service de surveillance des douanes n’est pas habilité à procéder à des arrestations; au principe du secret de la correspondance privée; au fait que des écoutes téléphoniques aient été autorisées et les transcriptions des conversations ainsi enregistrées admises comme élément de preuve; à l’absence des téléphones et des cassettes utilisés pour ces enregistrements au début des audiences; au droit à la défense; à la validité des preuves produites par l’auteur; à l’appréciation erronée des éléments de preuve et à la violation du principe de la présomption d’innocence;

d)Le Tribunal, dans plusieurs passages du jugement, a fait référence aux faits de la cause et aux éléments de preuve. L’État partie invoque un passage du jugement dans lequel le Tribunal traite des allégations de violation du principe de la présomption d’innocence et en fournit une transcription.

5.1Dans une lettre datée du 20 septembre 2005, l’auteur indique que, le 14 mars 2005, la Cour constitutionnelle a rejeté son recours en amparo. Il ajoute que la Cour constitutionnelle a eu tort de conclure que le système du pourvoi en cassation espagnol satisfait aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il insiste sur le fait que l’Audiencia nacional, dans sa décision, reconnaît que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance.

5.2L’auteur soutient que sa déclaration de culpabilité ne repose que sur des preuves indirectes et rappelle qu’il a toujours nié toute participation au délit considéré. Il ajoute que les défendeurs ne peuvent pas librement formuler des allégations dans le cadre du pourvoi en cassation mais doivent s’en tenir aux motifs limitativement prévus par la loi. La procédure de pourvoi en cassation ne permet pas de réexaminer les faits comme le permet le recours en appel. L’auteur affirme qu’il n’a pas pu bénéficier d’une révision complète de sa déclaration de culpabilité car il n’a pu formuler d’allégation concernant l’examen des faits ou les erreurs commises lors de l’appréciation des éléments de preuve.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14, le Comité note que, contrairement à ce que prétend l’auteur, le Tribunal suprême, lorsqu’il s’est prononcé sur la recevabilité de l’appel, n’a pas affirmé qu’il ne constituait pas une juridiction supérieure au sens du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il a, plus exactement, utilisé la formule «oubliant que le pourvoi en cassation ne constitue pas un examen en deuxième instance», sur laquelle l’auteur se fonde dans sa communication, pour expliquer pourquoi l’auteur ne pouvait pas, ainsi qu’il l’a fait, se borner, en appel, à réitérer les arguments qu’il avait invoqués devant la juridiction inférieure − à savoir que le Tribunal de première instance n’avait pas compétence pour le juger − plutôt que de les étayer en faisant référence au jugement rendu par cette dernière. En fait, ainsi que le montre le texte du jugement, le Tribunal suprême a bien procédé à un examen approfondi tant des questions de fait que de l’appréciation des éléments de preuve par l’Audiencia nacional et a exposé de manière très détaillée les raisons pour lesquelles il estimait que les preuves apportées contre l’auteur étaient suffisantes pour l’emporter sur la présomption d’innocence. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que la plainte formulée au titre du paragraphe 5 de l’article 14 n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et que la communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité étant parvenu à cette conclusion, il considère qu’il est inutile qu’il examine les autres motifs d’irrecevabilité invoqués par l’État partie.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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