Présentée par:

Amalia Castaño López (représentée par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

24 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 septembre 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 juillet 2006

Objet: Refus de l’autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie

Questions de procédure: Plainte insuffisamment étayée; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Droit à l’égalité devant la loi

Article du Pacte: 26

Articles du Protocole facultatif: 2, 5, par. 2 b)

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-septième session

concernant la

Communication n o  1313/2004 *

Présentée par:

Amalia Castaño López (représentée par un conseil, M. Jose Luis Mazón Costa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

24 juin 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 juillet 2006,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 19 juin 2002, est Amalia Castaño López, qui se déclare victime d’une violation par l’Espagne de l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 28 mai 1992, le Conseiller à la santé de la Communauté autonome de la Région de Murcie a autorisé l’ouverture d’une officine de pharmacie dans le quartier San Juan, à Jumilla, que l’auteur avait demandée. Les propriétaires de huit pharmacies ont déposé un recours en révision contre cette décision, considérant que la condition générale qui impose un seuil de 2 000 habitants pour pouvoir ouvrir une pharmacie n’était pas remplie. Ce recours a été rejeté en date du 28 juillet 1993. Les propriétaires ont ensuite déposé un recours contentieux auprès du Tribunal supérieur de Murcie, qui les a déboutés le 30 mars 1994. Ils ont ensuite formé un recours en cassation auprès du Tribunal suprême qui, par un arrêt du 16 mai 2000, a cassé la décision du Tribunal supérieur et annulé l’autorisation d’ouvrir la pharmacie qui avait été donnée à l’auteur.

2.2Le Tribunal suprême a fondé sa décision d’annulation sur l’article 3, paragraphe 1 b), du décret royal no 909/78, qui impose comme condition à l’ouverture d’une pharmacie l’existence d’au moins 2 000 habitants; vu que quand la demande avait été déposée, le 24 octobre 1990, il n’y avait que 1 511 habitants, l’autorisation ne devait pas être accordée. Le Tribunal suprême a indiqué qu’il n’était pas possible de prendre en considération pour le calcul du nombre d’habitants les logements qui avaient été construits après la date à laquelle la demande avait été déposée.

2.3L’auteur a déposé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, le 16 juin 2000. Elle faisait valoir que l’annulation de sa licence de pharmacie par le Tribunal suprême découlait d’une erreur flagrante et constituait une action arbitraire de la part de cette juridiction, qui avait outrepassé ses pouvoirs en tant que tribunal de cassation et avait ainsi violé le droit à un procès équitable. L’auteur reconnaît que dans son recours elle n’a pas avancé l’argument de la discrimination, parce que ce tribunal avait déclaré, dans un arrêt du 24 juillet 1984, que rien dans la Constitution n’excluait la possibilité de réglementer et de limiter l’ouverture d’officines de pharmacie. Concrètement, les limites à l’ouverture d’une pharmacie n’entraînaient pas de violation du droit à l’égalité devant la loi consacré par l’article 14 de la Constitution.

2.4Le recours en amparo a été rejeté en date du 13 novembre 2000. Le Tribunal constitutionnel a considéré que le Tribunal suprême n’avait nullement outrepassé ses compétences de tribunal de cassation. En effet, il n’avait pas procédé à une nouvelle appréciation de la preuve et avait simplement examiné le critère retenu dans la décision attaquée pour établir que le nombre d’habitants n’atteignait pas le seuil requis, conformément à sa jurisprudence.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que la décision du Tribunal suprême constitue une atteinte à l’article 26 du Pacte parce qu’il est fait application d’une législation discriminatoire qui n’a pas d’équivalent pour une autre activité commerciale. Une restriction consistant en la création d’un nouveau bassin de population ou en l’existence d’un nombre donné d’habitants dans ce bassin de population n’est imposée pour l’exercice d’aucune autre activité. Si cette législation existe, c’est à cause de l’influence du puissant lobby des pharmaciens en Espagne. D’après l’auteur, la distinction ne repose pas sur un motif objectif et raisonnable. L’auteur affirme qu’elle a droit à un recours utile conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte et que ce recours doit être la réouverture de son officine et une indemnisation de tous les préjudices consécutifs à sa fermeture.

3.2L’auteur dit que la loi‑cadre de santé publique de 1944 a autorisé le Gouvernement à limiter le nombre des officines de pharmacie et le décret royal no 909/78 a porté réglementation de ses dispositions. Ce texte impose l’existence d’un bassin de population déterminé pour pouvoir installer une pharmacie. D’après l’auteur, il s’agit d’une législation discriminatoire parce que: i) la seule activité commerciale dont le libre exercice est soumis à des restrictions est la pharmacie. Aucune autre activité commerciale n’est soumise à ce genre de limitation; ii) la restriction s’explique uniquement par des raisons historiques qui n’ont plus lieu d’être aujourd’hui. L’auteur cite un arrêt de la Cour constitutionnelle allemande qui a déclaré en 1958 que la loi qui subordonnait la création d’une pharmacie à l’existence d’un nombre minimal d’habitants était arbitraire et disproportionnée et de ce fait contraire à la Constitution.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l’auteur

4.1Dans ses observations datées du 25 novembre 2004, l’État partie fait valoir que la seule violation invoquée par l’auteur est une atteinte au droit à l’égalité devant la loi consacré à l’article 26 du Pacte. Or ce grief n’était pas avancé dans le recours en amparo formé devant le Tribunal constitutionnel. Le recours soulevait le grief d’une atteinte à la protection effective de la justice qu’aurait commise le Tribunal suprême en rapport avec l’appréciation de la preuve. L’État partie conclut que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.2L’État partie signale également que dans sa décision le Tribunal suprême a fait application du principe d’égalité en déterminant que la décision attaquée était incompatible avec sa jurisprudence constante selon laquelle le nombre d’habitants pris en considération doit être celui des habitants recensés au moment de la demande d’ouverture d’une pharmacie et non pas le nombre d’habitants recensés quand l’affaire est examinée ou la décision est rendue. Si le Tribunal suprême avait rendu une autre décision, il aurait modifié sa jurisprudence et il aurait par conséquent appliqué à l’auteur un régime différent de celui qui est appliqué aux autres personnes sollicitant l’autorisation d’ouvrir une officine de pharmacie et le principe d’égalité aurait été violé. L’État partie est également en désaccord avec l’auteur qui affirme que le Tribunal suprême ne pouvait pas apprécier la preuve examinée par le tribunal de première instance parce qu’il aurait ainsi outrepassé ses fonctions; il rappelle la portée de la cassation, qui s’étend à l’appréciation de la légalité ou de l’illégalité de la preuve administrée devant la juridiction de première instance.

4.3L’État partie conclut que la communication doit être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, et également parce qu’elle utilise le Pacte dans un but clairement contraire à sa finalité, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4Pour ce qui est du fond, dans ses observations datées du 13 avril 2005, l’État partie conteste qu’il y ait eu violation du Pacte. En parcourant toutes les décisions des autorités administratives et judiciaires espagnoles on ne trouve pas la moindre invocation du principe d’égalité ou d’un traitement discriminatoire par rapport à d’autres activités professionnelles. L’objet des litiges a toujours et exclusivement porté sur le respect des dispositions réglementaires.

4.5La question de l’autorisation nécessaire pour ouvrir une officine de pharmacie a donné lieu à de nombreux litiges en Espagne. Certains ont été portés devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a invariablement rendu des décisions d’irrecevabilité.

4.6L’auteur de la communication n’avance pas une seule raison pour laquelle le régime d’exercice de professions différentes devrait être identique. L’ouverture d’une pharmacie présente des particularités notoires par rapport à toute autre activité professionnelle. L’affaire ne concerne pas seulement − ni même principalement − l’exercice d’une activité professionnelle, mais la création d’un établissement commercial dans un pays comme l’Espagne, où l’essentiel de l’activité d’une pharmacie consiste à vendre des médicaments prescrits et financés par le système public de santé. On ne peut pas prétendre qu’une telle activité, très voisine du service public et d’une activité commerciale de détail ordinaire, soit équivalente à l’exercice d’une autre activité professionnelle. De plus, la communication ne contient aucune mention ni preuve du fait que l’auteur aurait été l’objet d’une discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

5.1Dans des commentaires datés du 22 juin 2005, l’auteur réaffirme qu’il était inutile d’avancer l’argument d’une violation du principe d’égalité dans la réglementation applicable à l’ouverture de pharmacies étant donné que le Tribunal constitutionnel s’était déjà prononcé de façon négative sur la question dans un arrêt du 24 juillet 1984. Dans cet arrêt, il avait examiné la question de la constitutionnalité soulevée par l’Audiencia Territorial de Valence concernant la contradiction entre les restrictions à l’ouverture de pharmacies fondées sur des critères de nombre d’habitants et de distance et le droit à l’égalité devant la loi protégé par l’article 14 de la Constitution.

5.2Dans d’autres décisions postérieures, le Tribunal suprême a rejeté des griefs analogues et a reconnu la validité du régime d’ouverture des pharmacies établi par le décret royal no 909/78. Le grief de discrimination n’avait donc aucune chance d’aboutir et on ne peut pas exiger l’épuisement de recours internes de toute évidence inutiles.

5.3L’auteur affirme que les conditions imposées par la législation espagnole pour l’ouverture d’une pharmacie sont illogiques et que l’État partie n’en a pas expliqué le sens. Ces conditions n’existent que du fait du pouvoir du lobby constitué par les propriétaires des pharmacies autorisées, ce qui porte atteinte au principe de l’égalité devant la loi.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui considère que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes étant donné que l’auteur n’a pas avancé le grief d’atteinte au droit à l’égalité devant le Tribunal constitutionnel. Le Comité relève toutefois que le Tribunal s’était déjà prononcé sur cette question dans une affaire analogue et avait rendu une décision négative. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que quand la plus haute juridiction interne a statué sur la question objet du litige, rendant ainsi impossible qu’un recours devant les tribunaux internes aboutisse, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité conclut qu’en l’espèce les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Néanmoins, le Comité estime que, aux fins de la recevabilité, l’auteur n’a pas étayé sa plainte concernant la violation de l’article 26 du Pacte. Rien dans les allégations de l’auteur ne permet de soupçonner une discrimination pour des raisons de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. Le Comité considère donc que l’allégation de l’auteur, selon laquelle elle aurait été victime de discrimination en violation de l’article 26, n’est pas fondée, conformément aux dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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