NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/86/D/1196/2003

27 avril 2006

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-sixième session

13-31 mars 2006

CONSTATATIONS

Communication no 1196/2003

Présentée par  : Fatma Zohra Boucherf (représentée par un conseil)

Au nom de  : Riad Boucherf et l’auteur

État partie  : Algérie

Date de la communication  : 30 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Références  : Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 30 juillet 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption

des constatations  : 30 mars 2006

Objet  : Disparitions, détention au secret, procès par contumace

Questions de procédure  : Néant

Questions de fond  : Droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit à un conseil; interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants; procès par contumace; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte  : 2 (par. 3), , 7, 9, 14 et 16

Articles du Protocole facultatif  : 2 et 5 (par. 2 a))

Le 30 mars 2006 le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication n o 1196/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES – quatre-vingt-sixième session -

concernant la

Communication no 1196/2003*

Présentée par  : Fatma Zohra Boucherf (représentée par un conseil)

Au nom de  : Riad Boucherf et l’auteur

État partie  : Algérie

Date de la communication  : 30 juin 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30mars 2006,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1196/2003, présentée au nom de Fatma Zohra Boucherf et Riad Boucherf en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication, datée du 30 juin 2003, est M me Fatma Zohra Boucherf, Algérienne habitant en Algérie. Elle présente la communication au nom de son fils, M. Riad Boucherf, de nationalité algérienne, né le 12 janvier 1974 à Kouba (Algérie) qui est porté disparu depuis le 25 juillet 1995. L’auteur dit que son fils est victime de violations par l’Algérie du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte) et des articles 7, 9, 14 et 16 et qu’elle-même est victime d’une violation par l’Algérie de l’article 7 du Pacte. Elle est représentée par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

1.2 Le 11 juillet et le 23 août 2005, le conseil a demandé des mesures provisoires de protection dans le contexte de l’élaboration par l’État partie du projet de Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui a été soumis à référendum le 29 septembre 2005. De l’avis du conseil, en effet, le projet de loi risquait de causer un préjudice irréparable pour les victimes de disparition, mettant en danger les personnes qui sont toujours disparues; il risquait aussi de compromettre l’application pour les victimes d’un recours utile et de rendre sans effet les constatations du Comité des droits de l’homme. Le conseil a donc demandé que le Comité invite l’État partie à suspendre le référendum jusqu’à ce que le Comité ait rendu ses constatations dans trois affaires (dont l’affaire Boucherf ). La demande de mesures provisoires de protection a été transmise à l’État partie en date du 27 juillet 2005 pour observations. Aucune réponse n’a été reçue. Le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a prié l’État partie, en date du 23 septembre 2005,  de ne pas invoquer contre des personnes qui ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité  les dispositions de la loi affirmant « que nul, en Algérie ou à l’étranger, n’est habilité à utiliser ou à instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux Institutions de la République Algérienne Démocratique et Populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de tous ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international » et rejetant « toute allégation visant à faire endosser par l’Etat la responsabilité d’un phénomène délibéré de disparition. Il considère que les actes répréhensibles d’agents de l’Etat qui ont été sanctionnés par la Justice chaque fois qu’ils ont été établis, ne sauraient servir de prétexte pour jeter le discrédit sur l’ensemble des forces de l’ordre qui ont accompli leur devoir, avec l’appui des citoyens et au service de la Patrie. ».

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1 M. Boucherf a été arrêté dans son quartier en même temps que deux autres hommes, Bourdib Farid et Benani Kamel, le 25 juillet 1995 à 11 heures du matin, par cinq policiers en civil du 17 e arrondissement d’Alger. Ils ont été menottés, jetés dans le coffre des véhicules (l’auteur mentionne une voiture blanche et une Daewoo) et emmenés au poste de police du 17 e arrondissement. L’auteur a été alertée par des voisins qui avaient assisté à l’arrestation. Elle a commencé dès le lendemain à s’enquérir de ce que son fils était devenu. D’après elle, l’arrestation a un rapport avec la mort, le 13 juillet 1995, d’un policier du nom de Yadel Halim. Le fiancé de la sœur de Yadel Halim (surnommé « Sâad ») se trouverait parmi les policiers en civil qui avaient procédé à l’arrestation le 25 juillet 1995.

2.2 Le 30 juillet 1995, la même voiture blanche est revenue et le deuxième fils de l’auteur, Amine Boucherf a été arrêté par un policier surnommé « Rambo ». L’auteur dit que Amine, Bourdib Farid et Benani Kamel, détenus au commissariat central, ont été remis en liberté le 5 août 1995. Amine Boucherf a raconté que quand il était au commissariat du 17 e arrondissement le 30 juillet 1995 il avait parlé à un autre détenu, Tabelout [Tablot] Mohamed, qui avait confirmé que Riad Boucherf était lui aussi détenu au même endroit. En décembre 1996, la police d’Aïn-Wâadja a demandé à l’auteur de retrouver Tabelout Mohamed pour que son témoignage puisse être recueilli. Elle a accompagné le témoin au commissariat le 21 décembre 1996 et il a expliqué que lui-même et Riad Boucherf avaient été torturés, qu’ils avaient été conduits au cimetière de Garidi par le policier du 17 e arrondissement qui leur avait dit que c’était là qu’on allait les enterrer. Tabelout Mohamed a assuré qu’il serait capable d’identifier les tortionnaires.

2.3 L’auteur joint un témoignage écrit de Bourdib Farid qui corrobore sa propre version des faits. Pour ce qui est de l’arrestation, Bourdib Farid identifie un policier appelé « Boukraa » et un chauffeur appelé Kamel (connu sous le surnom de « Tigre ») qui sont l’un et l’autre de Birkhadem. Il confirme aussi que Riad Boucherf et lui-même sont restés ensemble au commissariat central pendant deux jours avant d’être séparés. Il témoigne qu’il a été torturé avec Riad Boucherf par des policiers ivres cagoulés. Le 27 juillet 1995, ils ont été conduits au poste de police de Bourouba, les mains liées derrière le dos avec du fil de fer. On les a attachés à un arbre dans la cour du commissariat et ils y sont restés jusqu’au lendemain. Ensuite ils ont été renvoyés au commissariat central, séparés et torturés à la chignole sur la poitrine. Bourdib Farid dit que le sixième jour Riad Boucherf et quatre autres hommes ont été conduits, les mains liées, dans un bois près du parc zoologique de Ben Aknoun. On les a obligés à se mettre à genoux tête baissée et des policiers ont braqué leur fusil pointé sur leur tête. Riad a dit aux policiers qu’il n’avait rien fait et qu’il ne savait pas ce qu’ils voulaient. Bourdib Farid affirme que Riad et lui ont été reconduits au commissariat central et séparés. Il ne sait pas ce que sont devenus les quatre autres hommes. Bourdib Farid dit que tout cela s’est produit deux jours avant qu’il soit remis en liberté et que les policiers ont voulu lui faire croire que Riad avait réussi à s’échapper du coffre de la voiture, mais il sait que c’est faux puisque Riad est retourné au commissariat central avec lui.

2.4 En octobre 1995, l’auteur a été informée par les mères d’autres détenus que son fils avait été transféré du commissariat central à la prison de Serkadji, à Alger. Elle s’y est rendue le lendemain et on lui a dit que son fils était dans la cellule 15. Un policier lui a demandé l’âge de son fils et lui a dit que l’occupant de la cellule 15 était un vieil homme et ne pouvait pas être son fils. Elle est retournée à la prison parce qu’en novembre 1995 un parent d’un détenu lui a affirmé que Riad Boucherf était bien à la prison de Serkadji. L’auteur a accompagné la mère de ce détenu qui allait voir son propre fils à Serkadji et qui a dit en sortant qu’en fait le prisonnier du nom de Riad n’était pas Riad Boucherf.

2.5 En janvier 1996, le parent d’un voisin, infirmier au centre de Châteauneuf, a fait savoir à l’auteur que son fils se trouvait à cet endroit puisqu’il avait été transféré à l’hôpital Mustapha Bacha avec quatre côtes cassées et devait y rester trois semaines. Un autre témoin a affirmé avoir vu Riad Bourchef dans un centre de détention de Boughar où il était resté trois jours. Enfin, en mai 1996, trois hommes du quartier ont été arrêtés, gardés au poste de police du 17 e arrondissement et condamnés à trois ans d’emprisonnement. Quand ils ont quitté la prison ils ont dit à l’auteur qu’ils avaient été torturés par les mêmes policiers que ceux qui avaient torturé son fils, étant donné que l’un deux l’avait menacé de le tuer « comme Riad… ».

2.6 L’auteur dit aussi que trois hommes ont été jugés par le tribunal de la rue Abane Ramdane à Alger et acquittés le 31 décembre 1996. Leurs coïnculpés absents, au nombre desquels Riad Boucherf, ont été condamnés par contumace et à huis clos à la réclusion à perpétuité. Un défenseur, un certain Maître Tahri, était bien présent au procès mais l’auteur n’a jamais obtenu de copie du jugement.

2.7 L’auteur dit qu’elle a subi de multiples visites domiciliaires (le 11 août 1995, le 6 juin, le 16 novembre et le 25 novembre 1996) et des actes d’intimidation de la part des forces de sécurité qui voulaient savoir où se trouvait son fils. Elle se souvient que le 6 juin 1995, des policiers d’Aïn-Wâadja ont obtenu les noms des hommes qui avaient été arrêtés en même temps que son fils et qu’une semaine plus tard, ils avaient recueilli leur déposition.

2.8 À partir de 1995, tous les deux ou trois mois l’auteur a écrit au Procureur général du tribunal de Hussein Dey et de la Cour d’Alger, au Président de la République, au chef du Gouvernement, au Médiateur de la République, au Président de l’Observatoire national des droits de l’homme, aux Ministères de la défense, de la justice et de l’intérieur pour demander une enquête afin de déterminer ce qu’il était advenu de son fils. Elle a adressé en tout 14 plaintes entre le 13 novembre 1995 et le 17 février 1998.

2.9 Elle a été convoquée par plusieurs autorités (dont le Ministère de la défense, les services de police d’Aïn-Wâadja, du 17 e arrondissement d’Alger, de Kouba et de Hussein Dey, le juge d’instruction du tribunal de Hussein Dey et le Procureur général de la Cour d’Alger). Pendant ces réunions, elle s’est maintes fois entendu dire que les autorités n’avaient aucun renseignement sur le sort de son fils et qu’il était en fait recherché par la police. Cette version lui avait été confirmée par le Procureur du tribunal de Hussein Dey dans des lettres datées du 13 juillet, du 12 octobre et du 23 octobre 1996, et du 29 mars, du 25 septembre et du 15 octobre 1997, ainsi que par le Procureur général de la Cour d’Alger le 4 mars 1997.

2.10 Le 23 février 1997, l’auteur a reçu une lettre du Médiateur de la République accusant réception de sa plainte et affirmant que des investigations étaient en cours. Le 9 septembre 1997, la police a fait paraître une déclaration niant que son fils ait jamais été arrêté ou placé sous sa garde. Par une lettre datée du 6 septembre 1999, le Président de l’Observatoire national des droits de l’homme a informé l’auteur que son fils n’était pas recherché et n’avait pas été arrêté. Il signalait aussi que la police avait ouvert une enquête sous le numéro de dossier 1990 en date du 6 septembre 1998.

2.11 Enfin, l’auteur a été convoquée par le juge d’instruction du tribunal de Hussein Dey le 30 avril 2000 et en février 2002 (on lui a dit que son fils était un « terroriste ») et a été informée le 29 avril 2003 que le juge avait prononcé un non-lieu en date du 26 avril 2003. Le 6 mai 2003 le Procureur général de la Cour d’Alger l’a informée que l’ordonnance de non-lieu avait été renvoyée à la chambre d’accusation du tribunal d’Alger pour infirmation ou confirmation.

2.12 L’auteur joint à sa communication des rapports du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie et de Human Rights Watch qui s’inquiètent vivement des disparitions en Algérie et dénoncent les intimidations subies par les familles et l’absence de réponses et d’enquêtes réelles de la part des autorités.

2.13 L’auteur affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes : devant les autorités judiciaires, devant les organes administratifs indépendants responsables des droits de l’homme (le Médiateur de la République et l’Observatoire national des droits de l’homme) ainsi qu’auprès des plus hautes autorités de l’État. Elle fait valoir que s’il y a non-épuisement des recours, il tient au refus des autorités d’ouvrir une enquête sur l’arrestation, la détention et la disparition de son fils, se limitant à nier qu’il ait été arrêté. Elle ajoute que tous les recours internes qu’elle a engagés ont été inutiles et se sont soldés par un échec. Elle dit qu’elle aurait pu essayer d’attaquer le non-lieu prononcé par le juge d’instruction en date du 26 avril 2003, mais que le délai d’appel fixé par la loi est de trois jours et comme elle n’avait été notifiée de la décision que le 29 avril 2003 elle n’avait pas pu le faire.

2.14 L’auteur signale que l’affaire a été soumise au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires, mais le Comité a déclaré que le Groupe de travail ne « représente pas une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif » .

Teneur de la plainte

3.1 L’auteur fait valoir que Riad Boucherf est victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et des articles 7, 9, 14 et 16 du fait de son arrestation et de sa détention et sa disparition arbitraires, des tortures et traitements cruels, inhumains et dégradants que, selon des informations crédibles, il a subis, du fait que les autorités algériennes n’ont pas mené de véritable enquête et n’ont engagé aucune procédure malgré les nombreuses demandes de l’auteur. Le fils de l’auteur a été jugé à huis clos et par contumace, n’a pas bénéficié de l’assistance d’un défenseur et n’a pas eu accès à un recours utile. L’auteur affirme aussi qu’il y a eu violation du droit à la reconnaissance de la personnalité juridique du fait de la détention au secret de Riad Boucherf qui a ainsi été soustrait à la protection de la loi .

3.2 L’auteur affirme en outre qu’elle-même est victime d’une violation de l’article 7 du Pacte à cause de l’incertitude sur le sort de son fils dans laquelle les autorités la laissent et à cause des actes d’intimidation constants qu’elle a subis de la part de la police.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1 Dans une note verbale datée du 26 janvier 2004, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il précise que suite à l’une des plaintes de l’auteur le Procureur général du tribunal de Hussein Dey a ouvert une enquête préliminaire et a saisi le juge d’instruction de la première chambre du tribunal. Après avoir entendu plusieurs témoins, le juge d’instruction a décidé le 26 avril 2003 qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre. Le Procureur général n’approuvant pas la décision, il a fait appel le 27 avril 2003. L’affaire a donc été renvoyée à la chambre d’accusation de la Cour d’Alger qui a annulé la décision attaquée, en date du 13 mai 2003, et a ordonné un complément d’enquête et de nouvelles auditions des témoins. Cette procédure étant toujours en cours, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’État partie conclut que l’annulation de l’ordonnance de non-lieu prouve l’utilité du recours.

4.2 L’État partie ajoute que l’auteur aurait très bien pu faire elle même appel de la décision du juge d’instruction puisque l’article 173 du Code de procédure pénale dispose que le délai d’appel est de trois jours à compter de la notification du jugement. De plus, il est expliqué dans l’article 726 du Code que le délai d’appel de trois jours ne comprend pas le jour initial ni l’échéance. Donc l’auteur pouvait déposer un recours jusqu’au 3 mai 2003.

4.3 À titre subsidiaire, l’État partie nie que le fils de l’auteur ait été arrêté le 25 juillet 1995, qu’il ait été condamné le 31 décembre 1995 ou qu’il ait été incarcéré à la prison de Serkadji.

5.1 Par une lettre en date du 23 mars 2004, le conseil de l’auteur relève tout d’abord que l’État partie conteste sa version des faits malgré les nombreux témoignages qui viennent la confirmer et rappelle que dans ces circonstances le Comité peut considérer que les allégations sont étayées. Le conseil fait valoir en outre que les recours dont l’État partie a parlé sont inutiles étant donné que les plaintes que l’auteur avait portées ont toutes abouti à la même « version officielle » des faits, c’est-à-dire à un démenti de l’arrestation et de la disparition de son fils.

5.2 Pour ce qui est de la possibilité de faire appel du non-lieu prononcé le 26 avril 2003, l’auteur ignorait comment le délai se calculait et un employé du tribunal lui avait dit qu’elle avait « trois jours pour faire appel ». En vertu du paragraphe 1 de l’article 168 du Code de procédure pénale, l’auteur aurait dû recevoir par lettre recommandée la signification de la décision dans les 24 heures alors que la notification a mis deux jours pour arriver. Pour ce qui est de la décision de la chambre d’accusation, le conseil souligne que l’auteur n’a pas pu assister à l’audience étant donné qu’elle n’a été avisée que le jour où elle a eu lieu (13 mai 2003) et n’avait pas non plus été notifiée de la décision du 13 mai 2003.

5.3 Quoi qu’il en soit, étant donné la lenteur des enquêtes et la dénégation totale des autorités, l’auteur n’a pas à continuer d’attendre une décision qui selon toute probabilité se limitera à constater que son fils a rejoint un « groupe terroriste clandestin ». Le conseil souligne que les autorités continuent de considérer les victimes comme des criminels, puisque Bourdib Farid a une fois encore été convoqué pour faire la même déposition et que le domicile de l’auteur a été perquisitionné de nouveau le 28 novembre 2003. Enfin, le conseil renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que pour qu’un recours soit utile il doit être judiciaire et donner lieu à une enquête diligente, au jugement et à la sanction des responsables et aboutir à une réparation . Le conseil évoque également la durée excessive des procédures en Algérie : en l’espèce, il s’est écoulé neuf ans depuis la disparition du fils de l’auteur, sans qu’il y ait eu de véritable enquête, d’identification des responsables, de jugement et de réparation .

Observations supplémentaires de l’État partie et commentaires de l’auteur

6. Dans une lettre datée du 18 juin 2004, l’État partie nie de nouveau que Riad Boucherf ait jamais été incarcéré à la prison de Serkadji ou à la prison d’El-Harrach, ni d’ailleurs dans aucun centre de détention sur son territoire. Il fait valoir aussi que la communication contient de nombreuses incohérences qui le conduisent à penser que l’auteur a été malheureusement induite en erreur dans sa quête légitime de la vérité. L’État partie relève en particulier que l’auteur affirme qu’un avocat a assisté au procès de son fils en 1996, mais ne donne pas d’autre détail sur l’identité de ce défenseur.

7. Par une lettre datée du 15 novembre 2004, le conseil relève que l’État partie dit que la communication contient de nombreuses incohérences mais sans préciser lesquelles, hormis le point relatif à l’avocat. Le conseil précise qu’aucun avocat n’a assisté au procès de Riad Boucherf. Maître Mohammed Tahri a vu le nom de Riad sur la liste des personnes en attente de jugement, il a voulu assister à l’audience mais on ne l’a pas laissé entrer. Enfin, le conseil note que l’auteur a été notifiée le 19 septembre 2004 que le tribunal de Hussein Dey avait rendu son jugement le 8 septembre 2004 sur l’appel, confirmant le non-lieu. Donc tous les recours internes ont été épuisés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou d’un règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il note également que l’État partie maintient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Sur ce point, le Comité relève que l’auteur affirme que le tribunal d’Hussein Dey a rendu le 8 septembre 2004 un jugement confirmant le non-lieu et note que l’État partie n’a rien objecté. Il considère également que l’application des recours internes a été excessivement lo n gue pour les autres plaintes que l’auteur a introduites depuis 1995. Il estime donc que l’auteur a satisfait aux exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 14, le Comité estime que les allégations de l’auteur sont insuffisamment fondées aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre du paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des articles 7, 9 et 16, le Comité considère que ces allégations sont suffisamment fondées. Il conclut donc que la communication est recevable au titre du paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des articles 7, 9 et 16, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1 Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2 Le Comité rappelle la définition des « disparitions forcées » figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale : par « disparitions forcées », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7) et le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne (art. 10). Il viole également le droit à la vie ou représente une grave menace pour ce droit (art. 6) . Dans le cas présent, l’auteur a invoqué les articles 7 et 9.

9.3 En ce qui concerne le grief de disparition avancé par l’auteur, le Comité relève que l’auteur et l’État partie ont donné des versions différentes des faits. L’auteur affirme que son fils a été arrêté le 25 juillet 1995 et condamné par contumace le 31 décembre 1996 par le tribunal de la rue Abane Ramdane, à Alger, mais l’État partie nie catégoriquement que Riad Boucherf ait été arrêté, détenu ou condamné. Le Comité rappelle aussi que d’après l’Observatoire national des droits de l’homme, le fils de l’auteur n’a jamais été recherché ni arrêté par les services de sécurité. Il note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l’auteur.

9.4 Le Comité a toujours affirmé que la charge de la preuve ne pouvait pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l’auteur a communiqué à l’État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes. Dans la présente affaire, le Comité a reçu des déclarations de témoins oculaires qui avaient été en détention avec Riad Boucherf puis avaient été remis en liberté au sujet de sa détention et du traitement qu’il avait subi en prison ainsi que, plus tard, de sa « disparition ».

9.5 Pour ce qui est du grief de violation de l’article 9, les informations dont le Comité est saisi montrent que Riad Boucherf a été emmené par des agents de l’État venus le chercher chez lui. L’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur qui affirme que l’arrestation et la détention de son fils ont été arbitraires ou illégales et qu’il n’a pas réapparu depuis le 25 juillet 1995, si ce n’est en niant d’une façon générale ces allégations. Dans ces circonstances, il convient d’accorder toute l’attention qu’elles méritent aux informations fournies par l’auteur. Le Comité rappelle que la détention au secret en soi peut constituer une violation de l’article 9 et prend note de nouveau de l’allégation de l’auteur qui affirme que son fils a été détenu au secret à partir du 25 juillet 1995, sans avoir la possibilité de voir un avocat ni de contester la légalité de sa détention. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur ce point, le Comité conclut à une violation de l’article 9.

9.6 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 7 du Pacte, le Comité sait quelle souffrance représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son observation générale 20 (44) relative à l’article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Dans ces circonstances, le Comité conclut que la disparition du fils de l’auteur, l’empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l’article 7 du Pacte . De plus, les circonstances entourant la disparition de Riad Boucherf et les différents témoignages concordants attestant qu’il a été à plusieurs reprises torturé, donnent fortement à penser qu’il a été soumis à un tel traitement. Le Comité n’a reçu de l’État partie aucun élément permettant de lever cette présomption ou de la contredire. Le Comité conclut que le traitement auquel a été soumis Riad Boucherf constitue une violation de l’article 7 .

9.7 Le Comité relève aussi l’angoisse et la détresse que la disparition de son fils a causées à l’auteur ainsi que l’incertitude dans laquelle elle continue d’être au sujet de son sort. Il est donc d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur elle-même .

9.8 À la lumière des conclusions ci-dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 16 du Pacte.

9.9 L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui fait aux États parties obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son observation générale 31 (80) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourraient en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte 31 . En l’espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n’a pas eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, conjointement aux articles 7 et 9.

10. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 7 et 9 du Pacte à l’égard du fils de l’auteur, et de l’article 7 à l’égard de l’auteur elle-même, conjointement à la violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11. Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, consistant notamment à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparition et le sort de son fils, à remettre celui-ci immédiatement en liberté s’il est encore en vie, à informer comme il convient sur les résultats de ses enquêtes et à indemniser de façon appropriée l’auteur et sa famille pour les violations subies par le fils de l’auteur. L’État partie est également tenu d’engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est d’autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir. Le Comité s’associe à la demande du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, en date du 23 septembre 2005 (Voir par. 1.2) et réitère que l’État partie ne devrait pas invoquer les dispositions de la loi de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, contre des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte ou ont soumis, ou qui soumettraient, des communications au Comité.

12. Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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