Nations Unies

CRPD/C/15/D/11/2013

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

25 mai 2016

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 11/2013*,**

Communication présentée par :

Gemma Beasley (représentée par l’Australian Centre for Disability Law)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Australie

Date de la communication :

29 avril 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 70 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations :

1er avril 2016

Objet :

Exercice de la fonction de juré par des personnes sourdes

Questions de procédure :

Recevabilité des griefs

Questions de fond :

Égalité et non-discrimination ; aménagement raisonnable ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; liberté d’expression ; participation à la vie politique

Articles de la Convention :

2, 4, 5, 9, 12, 13, 21 et 29

Articles du Protocole facultatif :

2 d) et e)

1.L’auteure de la communication est Mme Gemma Beasley, de nationalité australienne, née le 7 août 1975. Elle affirme que l’Australie a violé ses droits au regard des articles 4, 5, 9, 12, 13, 21 et 29 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Elle est représentée par l’Australian Centre for Disability Law. La Convention et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie les 17 août 2008 et 19 septembre 2009, respectivement.

A.Résumé des renseignements et des arguments soumis par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est sourde et, dans sa relation avec autrui, a besoin d’un interprète en langue des signes australienne pour les communications officielles. Le 30 octobre 2012, la Sheriff de Nouvelle-Galles du Sud a convoqué l’auteure pour siéger comme jurée au tribunal pénal de district ou à la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, au palais de justice Sydney West Trial Courts, à Parramatta, pour une période de trois semaines, débutant le 28 novembre 2012. Le 6 novembre 2012, Mme Beasley a contacté le bureau du Sheriff et a expliqué que, étant sourde, elle avait besoin d’un interprète en langue des signes australienne pour participer au processus de sélection des jurys et s’acquitter de son devoir de jurée. Son interlocuteur lui a signalé que de tels services ne pouvaient pas être fournis. L’auteure a contesté cette réponse, faisant valoir que cela constituait une discrimination à son égard, fondée sur son handicap. Son interlocuteur lui a demandé de rappeler ultérieurement pour s’entretenir de la question avec un gestionnaire des jurys.

2.2Le 7 novembre 2012, l’auteure a contacté la gestionnaire des jurys, qui lui a répondu que « compte tenu de la législation en vigueur, [la Sheriff n’était pas] en mesure de fournir des services d’interprétation en langue des signes australienne pour la procédure de désignation du jury », et qu’aucun dispositif de sous-titrage en temps réel n’était disponible. L’auteure s’est alors enquise des autres solutions de communication pouvant être mises à disposition pour qu’elle puisse participer à la procédure de désignation du jury. La gestionnaire des jurys a répondu qu’elle ne connaissait pas bien le sous-titrage en temps réel et a ajouté que « […] compte tenu de la législation en vigueur, il y avait lieu de prendre en considération quelques points […], le premier étant la violation de [la confidentialité des délibérations du jury] et le fait qu’un verdict ne peut être prononcé qu’en présence de 12 personnes dans la pièce [où se réunit le jury] […], si bien qu’il est impossible, en l’état actuel de la législation, de disposer d’un interprète en langue des signes australienne ou d’un sténotypiste transcrivant en temps réel ». L’auteure précise qu’en Nouvelle-Galles du Sud, la loi de 1977 relative aux jurys, telle que modifiée par la loi de 2010, établit qui est habilité et peut être admis à exercer la fonction de juré. Selon les articles 6 et 7 de la loi, certaines catégories de personnes sont exclues de l’exercice de cette fonction, tandis que d’autres peuvent en être exemptées si elles en font la demande. Ces articles n’ont aucune incidence sur le droit ou le devoir des personnes sourdes de siéger en tant que juré ; ces personnes sont susceptibles de le faire, pour autant qu’elles n’entrent pas dans la catégorie des personnes exclues ou dans celle des personnes exemptées. Le Sheriff peut également exempter une personne de la fonction de juré s’il estime qu’il existe une bonne raison à cela, notamment lorsque « un handicap associé à cette personne la rendrait, faute d’aménagements raisonnables, inapte à l’exercice effectif de la fonction de juré ou incapable d’exercer cette fonction ». L’auteure fait observer que la Sheriff l’a empêchée d’exercer la fonction de juré en vertu de cette disposition. Elle fait observer en outre que, lorsqu’elle a insisté pour participer à la procédure de sélection du jury, la gestionnaire du jury lui a conseillé d’assister à l’audience le 28 novembre et de demander en personne au juge de participer avec l’assistance d’un interprète en langue des signes australienne.

2.3Le 27 novembre 2012, l’auteure a envoyé un message électronique à la gestionnaire des jurys pour lui confirmer qu’elle serait bien présente au palais de justice Sydney West Trial Courts suite à sa convocation pour siéger comme jurée. Le 28 novembre 2012, l’auteure s’est présentée au palais de justice, dans l’intention de faire en personne une demande au juge en vue d’obtenir l’assistance d’un interprète en langue des signes australienne. Lorsqu’elle est arrivée au tribunal, la gestionnaire des jurys l’a informée, par écrit, qu’aucun appui ne serait fourni pour faciliter sa communication avec le juge. L’auteure a donc envisagé de recourir à son Ipad pour présenter sa demande, mais la batterie s’était déchargée avant qu’elle ait eu la possibilité de rencontrer le juge. Aucun appui ne lui a été fourni et elle a dû quitter le palais, avec un sentiment d’« humiliation » et sans avoir eu la possibilité de communiquer avec le juge.

2.4Conformément à l’alinéa b) de l’article 14 A de la loi de 2010 portant modification de la loi relative aux jurys, « une personne a une raison valable d’être exemptée ou dispensée de la fonction de juré si […] un handicap quelconque la rend, à défaut d’aménagements raisonnables, inapte à exercer efficacement cette fonction ». Conformément à l’article 14 D de la loi, « le Sheriff doit modifier une liste complémentaire de jurés ou une liste de jurés en en retirant le nom et les coordonnées d’une personne si […] ladite personne a demandé à être dispensée de la fonction de juré en vertu de la présente loi et que sa demande a été acceptée […] ». Selon l’auteure, la Sheriff semble avoir déterminé que les personnes sourdes sont inaptes à l’exercice effectif de la fonction de juré et que la fourniture, à un juré, de services d’interprétation en langue des signes australienne ne constitue pas un aménagement raisonnable sachant que : a) une personne sourde recourant à la langue des signes australienne n’est pas en mesure d’appréhender suffisamment la communication dans la salle d’audience et lors des délibérations, et par conséquent les droits de l’accusé à un procès équitable risquent fort d’être compromis ; b) un interprète en langue des signes australienne présent durant les délibérations du jury constituerait une « treizième personne » dans la salle de délibération du jury et donc enfreindrait une (prétendue) règle de common law selon laquelle les délibérations du jury doivent se dérouler en toute confidentialité ; et c) la fourniture de services d’interprétation en langue des signes australienne pour les jurés qui sont sourds et la conduite des audiences et délibérations du jury avec l’assistance d’un interprète en langue des signes australienne entraveraient de façon déraisonnable l’administration effective et efficace de la justice.

2.5L’auteure fait valoir qu’elle ne dispose d’aucun recours utile devant les juridictions nationales judiciaires ou administratives. Elle estime que le dépôt d’un recours devant la Commission australienne des droits de l’homme ne mènerait à rien, cet organe ne pouvant se prononcer sur une plainte, sachant que son pouvoir se limite à la conciliation. À cet égard, l’auteure fait valoir que ses avocats étaient intervenus pour un certain nombre de personnes sourdes dans le cadre de recours devant la Commission australienne des droits de l’homme au titre de la loi de 1992 sur la discrimination fondée sur le handicap, relativement à leur exclusion de la fonction de juré, et qu’aucune de ces plaintes n’avait pu être réglée. L’auteure a donc été avisée qu’un tel recours lié au comportement de la Sheriff serait vain.

2.6L’auteure fait également valoir qu’en 2002, le Procureur général de Nouvelle-Galles du Sud avait renvoyé à la Commission de réforme des lois de Nouvelle-Galles du Sud, pour examen, la question de savoir si les personnes sourdes ou aveugles pouvaient siéger comme juré. La Commission a répondu en septembre 2006, en faisant quatre recommandations, tendant notamment à ce que le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud modifie la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud) de façon à permettre aux personnes aveugles ou sourdes de siéger en tant que juré. En juin 2010, le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a répondu qu’il rejetait les composantes principales des recommandations de la Commission, y compris celle tendant à ce que les personnes sourdes puissent exercer la fonction de juré avec l’assistance d’interprètes en langue des signes australienne ou de sténotypistes. En Nouvelle-Galles du Sud, la loi de 1977 relative aux jurys, telle que modifiée par la loi de 2010, détermine qui est habilité et peut être admis à exercer la fonction de juré. L’auteure note que la Sheriff l’a empêchée de siéger en tant que jurée au titre du paragraphe 4 de l’article 14 de la loi de 1977 relative aux jurys.

2.7L’auteure explique également que la loi antidiscrimination et la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ne rendent pas la discrimination illégale dans tous les domaines de la vie publique, et qu’elles ne rendent pas illégal le fait d’opérer une discrimination sur la base du handicap dans le domaine des devoirs civiques, y compris celui de siéger comme juré. Aucun recours n’est donc disponible pour l’exclusion de l’auteure d’un devoir civique. Si l’auteure porte plainte pour discrimination fondée sur le handicap, la Sheriff fera valoir que les fonctions de l’auteure en tant que jurée impliquent l’exercice de pouvoirs et de devoirs légaux, qui n’englobent pas la fourniture de services et, par conséquent, sortent du champ d’application de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap et de la loi antidiscrimination. L’auteure affirme que, selon la jurisprudence australienne, elle serait tenue d’établir quels sont les services que la Sheriff a refusé de fournir, alors que sa plainte porte en substance sur le fait que la Sheriff a refusé d’apporter les aménagements raisonnables dont elle aurait eu besoin pour siéger dans un jury. Selon la jurisprudence nationale, l’aménagement raisonnable n’est pas un « service », et toute tentative d’établir que le Sheriff fournit des « services » à tous les jurés a peu de chances d’aboutir. L’auteure invoque d’autres décisions de la jurisprudence nationale dans lesquelles les plaintes pour discrimination reposant sur le handicap au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap sont déterminées dans un cadre normatif, qui implique qu’un tribunal examine les obligations et responsabilités plus générales du présumé auteur de la discrimination. De plus, la Sheriff soutient qu’elle est tenue d’exclure l’auteure de l’exercice de son devoir de juré du fait de la règle selon laquelle les jurés doivent délibérer en privé. Selon la jurisprudence, cette règle dispose que si une personne « étrangère » est présente pendant une durée significative au cours des délibérations du jury, le verdict s’en trouve entaché. Compte tenu de la jurisprudence, même si un tribunal estime que la Sheriff a fourni des « services » aux jurés, il conclura vraisemblablement que ce qui a « vraiment motivé » la Sheriff dans son comportement était la prise en compte non pas d’une discrimination fondée sur le handicap mais bien de l’obligation de protéger l’intégrité des délibérations du jury. De plus, selon l’article 49 B de la loi antidiscrimination, la définition de la discrimination fondée sur le handicap ne prévoit pas le refus d’aménagements raisonnables. Même s’il est établi que la Sheriff fournit aux jurés des « services », il demeure difficile de prouver qu’elle avait une obligation de fournir à l’auteure des services d’interprétation en langue des signes australienne ou une transcription par sténotypiste à titre d’aménagement nécessaire. Selon l’auteure, il est notoire qu’il est difficile d’introduire un recours au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap et de la loi antidiscrimination et, souvent, de tels recours entraînent des procédures extrêmement longues et complexes. Enfin, si l’auteure devait introduire une plainte et venait à échouer, elle serait tenue de s’acquitter de ses propres frais de justice et de ceux de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, à savoir un montant compris entre 50 000 et 100 000 dollars australiens, ce qui fait qu’elle ne peut raisonnablement envisager d’utiliser les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que les décisions de la Sheriff constituent une violation de son droit à la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité, garanti par l’article 12 de la Convention. Pour elle, l’obligation d’exercer la fonction de juré est une composante fondamentale de la capacité juridique des citoyens adultes, qui découle des principes de réciprocité et de représentativité qui sous-tendent le système juridique australien et celui de l’État de Nouvelle-Galles du Sud. Elle estime en outre qu’en répondant que, « compte tenu de la législation en vigueur », elle ne pouvait obtenir de services d’interprétation en langue des signes australienne, ce qui l’empêchait de siéger comme jurée, le Bureau du Sheriff donne à entendre que les personnes sourdes sont intrinsèquement incapables d’appréhender suffisamment le processus judiciaire et que leur participation violerait le droit de l’accusé à un procès équitable. L’auteure considère que cette position est contraire à son propre droit d’exercer sa capacité juridique dans des conditions d’égalité avec les autres. L’auteure estime également que le refus d’accorder des services d’interprétation en langue des signes australienne constitue une violation de : a) son droit d’accéder à l’appui dont elle a besoin pour exercer sa capacité juridique de siéger comme jurée que lui garantit le paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention ; b) son droit à la non-discrimination que lui garantissent les articles 5 et 12 de la Convention ; et c) sa liberté de demander, de recevoir et de communiquer des informations et des idées, dans des conditions d’égalité avec les autres, en recourant aux moyens de communication de son choix, que lui garantit l’article 21 de la Convention.

3.2L’auteure affirme que la Sheriff a refusé de l’autoriser à accomplir son devoir de jurée parce qu’elle n’a pas la capacité juridique pour ce faire, comme il semble ressortir de la déclaration ci-après des autorités de l’État de Nouvelle-Galles du Sud en réponse à la recommandation émanant de la Commission de réforme des lois : « Des parties prenantes ont mis en avant plusieurs problèmes concernant la nature des éléments de preuve avancés dans certains procès, posant aux personnes aveugles ou présentant une surdité profonde de grandes difficultés pour s’acquitter des fonctions et obligations essentielles de l’exercice de la fonction de juré. Ces problèmes avaient notamment trait à la capacité des interprètes de traduire en toute objectivité, pour un juré, les éléments non verbaux tels que l’attitude du témoin et la description des éléments de preuve visuels contenus dans les photos, les schémas et les vidéos […]. Des parties prenantes étaient également préoccupées par la présence d’interprètes dans la salle de délibération du jury, qui soulevait des interrogations notamment quant à la question de savoir si des garanties effectives pouvaient être données pour assurer que l’information communiquée aux jurés sourds ou aveugles était exactement identique aux éléments de preuve communiqués ou présentés au tribunal ». L’auteure estime qu’une telle déclaration donne nécessairement à penser que les personnes sourdes sont intrinsèquement incapables de saisir suffisamment le processus judiciaire, si bien que le droit de l’accusé à un procès équitable risque de s’en trouver compromis ; elle estime donc qu’une telle interprétation constitue une violation du droit de l’auteure d’exercer sa capacité juridique dans des conditions d’égalité avec les autres dans toutes les composantes de la vie.

3.3Pour ce qui concerne la violation présumée de l’article 13 de la Convention, l’auteure fait valoir que le refus d’autoriser l’interprétation en langue des signes australienne constitue une violation de ses droits à : a) un accès effectif à la justice, notamment eu égard à la disposition relative aux aménagements procéduraux ; b) la non‑discrimination, ce qui est contraire aux articles 5 et 13 de la Convention ; et c) la liberté de demander, de recevoir et de communiquer des informations et des idées, dans des conditions d’égalité avec les autres, en recourant aux moyens de communication de son choix, ce qui est contraire aux articles 13 et 21 de la Convention.

3.4L’auteure estime que l’interprétation en langue des signes australienne devrait être considérée comme un moyen de « communication » de son choix, dans le cadre d’une « démarche officielle » au sens de l’article 21 de la Convention et que, par conséquent, le refus de la Sheriff constitue une violation de son droit à la liberté d’expression et à la non‑discrimination et, partant, une violation des articles 5 et 21 de la Convention.

3.5S’agissant de son grief soulevé au titre de l’article 29 de la Convention, l’auteure affirme que la fonction de juré est un « droit politique » et que, en tant que composante de l’administration publique de la justice, le système de jugement par jury est une composante de la « conduite des affaires publiques » au sens dudit article. Par conséquent, l’auteure estime que le refus de la Sheriff d’autoriser une interprétation en langue des signes australienne équivaut à une violation : a) de son droit d’exercer ses droits politiques et du droit d’avoir accès aux services publics, dans des conditions d’égalité avec les autres ; b) de son droit de ne pas être soumise à la discrimination dans l’exercice de ses droits politiques.

3.6Enfin, l’auteure fait valoir que ses droits au regard des articles 5, 12, 13, 21 et 29 ont été violés par suite du non-respect par l’État partie de ses obligations découlant de chacun de ces articles, lus isolément et conjointement avec les articles 2 et 4 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 novembre 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la présente communication, ainsi que sur la communication no 13/2013. L’État partie admet les faits généraux tels qu’ils sont énoncés par l’auteure, mais rejette le caractère attribué par l’auteure aux décisions de la Sheriff et à la politique de l’État de Nouvelle-Galles du Sud en ce qui concerne les jurés sourds. En particulier, il fait valoir que le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud fournit des aménagements raisonnables pour un grand nombre de personnes handicapées qui ont été convoquées pour exercer les fonctions de juré, notamment des écouteurs à induction et les dispositifs voulus pour la transmission du son par infrarouge. En outre, la politique plus générale du Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud sur la plus grande participation des personnes handicapées est établie dans son plan décennal pour l’État, sous l’objectif 14. À cet égard, l’État partie fait observer que, suite à la réponse donnée en 2010 par le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud au rapport de la Commission de réforme des lois, le Département de la justice de Nouvelle-Galles du Sud va entreprendre d’étudier les possibilités de réforme, y compris en ce qui concerne la possibilité d’offrir une interprétation en langue des signes australienne ou des services de transcription par sténotypiste. Il fait également observer que la loi de 2010 (Nouvelle-Galles du Sud) portant modification de la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud), entrée en vigueur le 31 janvier 2014, a remplacé l’inéligibilité à la fonction de juré par la capacité à être exempté de la fonction de juré pour raison valable. Selon cette modification, quiconque n’est pas en mesure, parce qu’il est malade, infirme ou handicapé, de s’acquitter des fonctions d’un juré peut en être exempté définitivement ou exempté pour raison valable, selon la nature de sa maladie, de son infirmité ou de son handicap.

4.2L’État partie ajoute que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes puisqu’elle n’a pas soumis de plainte à la Commission australienne des droits de l’homme, alors que si elle l’avait fait, elle aurait eu une occasion d’obtenir gratuitement et aisément de régler ses problèmes par la conciliation avec les autorités de Nouvelle-Galles du Sud. Il affirme également que l’auteure n’a saisi aucun organe judiciaire, pas même un organe de conciliation, ce qui aurait permis de porter l’affaire devant un tribunal fédéral qui aurait statué sur sa plainte. L’État partie estime donc que ses griefs devraient être déclarés irrecevables en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3Pour ce qui est des griefs de l’auteure au titre des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention, l’État partie relève que, selon la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, un auteur doit étayer toutes ses allégations et que l’auteur n’a pas fourni d’éléments de preuve de ses griefs. L’État partie soutient donc que, faute d’avoir été suffisamment étayés, ces griefs ne sont pas recevables conformément à l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.4L’État partie estime en outre que l’exercice de la fonction de juré ne relève pas de l’article 12 de la Convention et que les griefs de l’auteur à cet égard ne sont par conséquent pas recevables. À ce propos, l’État partie fait valoir que les obligations énoncées à l’article 12 n’établissent pas de nouveaux droits et que cette affirmation est appuyée par les travaux préparatoires de la Convention. L’État partie estime en outre que l’auteure ne fournit pas de preuve d’une politique menée actuellement dans l’État partie tendant à empêcher les personnes sourdes de siéger comme juré, et il réaffirme que le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud continuera de suivre l’évolution en matière de dispositifs et technologies d’appui aux personnes handicapées et de services d’interprétation, et qu’il révisera les politiques en cours de façon à promouvoir une plus grande participation des personnes présentant des déficiences auditives ou visuelles à la fonction de juré. L’État partie relève en outre que le paragraphe 2 de l’article 12 de la Convention porte sur la reconnaissance de la capacité juridique sur la base de l’égalité avec les autres, mais n’englobe pas toutes les notions de capacité ou d’aptitude. Il ne fait pas mention de l’aptitude à exécuter une activité, à savoir exercer la fonction de juré, mais évoque plutôt la capacité à entreprendre des actes ayant des incidences juridiques. Selon l’État partie, le paragraphe 5 de l’article 12 énumère les éléments constitutifs de la personnalité juridique et n’englobe pas la fonction de juré. Enfin, en l’absence d’examen de l’aptitude de l’auteure à exercer la fonction de jurée, l’État partie conclut que son affaire n’a pas trait aux questions de capacité juridique et ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 12 de la Convention.

4.5En ce qui concerne le grief que l’auteure tire du paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention, à savoir que le refus que lui a opposé la Sheriff a violé son droit d’accéder à l’accompagnement dont elle avait besoin, l’État partie réaffirme que la fonction de juré n’est pas une manifestation de la capacité juridique et que, par conséquent, l’État n’est pas tenu de fournir l’appui à cet égard. Subsidiairement, l’État partie estime que le paragraphe 3 de l’article 12 définit sa portée, exigeant des États qu’ils prennent les mesures qui sont « appropriées » en tenant compte des ressources à disposition et du caractère « proportionné » de ces mesures avec l’obligation de garantir que les personnes handicapées sont capables de prendre leurs propres décisions dans toute la mesure possible. L’État partie réaffirme que l’État de Nouvelle-Galles du Sud procède déjà aux ajustements voulus pour aider les personnes présentant des déficiences auditives à exercer la fonction de juré.

4.6Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 13 de la Convention, l’État partie fait valoir que ce grief n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition, l’« accès effectif à la justice » concernant la capacité des personnes handicapées d’avoir accès au système de justice lorsqu’elles ont affaire à la loi, mais non pour participer aux différentes composantes du système de justice. L’État partie fait en outre valoir que, selon les travaux préparatoires de la Convention, les jurés n’étaient pas censés être inclus dans les catégories des participants « directs » et « indirects » dont il est question à l’article 13, ces termes renvoyant aux participants qui sont pertinents au regard du fond et de l’issue d’une affaire, tels que les parties ou les témoins. L’État partie affirme en outre que la norme relative aux « aménagements raisonnables » ne s’applique pas à l’article 13. Il fait observer que, selon l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les traités doivent être interprétés suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité en question, à la lumière de son objet et de son but. À cet égard, plutôt que de se référer au terme « aménagements raisonnables », l’article 13 utilise la formule « y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge ». En outre, les expressions « aménagements procéduraux » et « aménagements en fonction de l’âge » ne renvoient qu’aux aménagements raisonnables dans l’optique de la procédure pertinente ou de l’âge de la personne.

4.7Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 21 de la Convention, l’État partie convient que l’interprétation en langue des signes australienne ou la transcription par sténotypiste sont un moyen de communication. Cela étant, il fait valoir que, conformément aux dispositions de l’alinéa b) de l’article 21 de la Convention, les États parties sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées compte tenu de leurs contraintes en matière de ressources, sans qu’une obligation absolue soit imposée aux États. Selon l’État partie également, les obligations des États parties au regard de l’alinéa b) de l’article 21 doivent être réalisées progressivement, compte tenu des ressources à disposition et, pour lui, l’État de Nouvelle-Galles du Sud a respecté cette règle. L’État partie fait observer en outre que l’exercice de la fonction de juré n’englobe pas des démarches officielles au sens de l’alinéa b) de l’article 21 de la Convention. L’État partie soutient donc que les griefs de l’auteure au regard de l’article 21 n’entrent pas dans le champ d’application de cet article et sont donc infondés.

4.8Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 29 de la Convention, l’État partie fait valoir qu’il n’entre pas dans le champ d’application de cette disposition et qu’il est infondé. L’État partie affirme que les droits politiques au sens de l’article 29 se limitent aux droits ayant trait au processus politique, comme le droit de voter, le droit d’être élu et le droit d’être représenté, et n’englobent pas la fonction de juré. L’État partie estime que l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est la source première du contenu de l’article 29, et il renvoie aux observations formulées au sujet de la portée de l’article 25 et à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, qui confirment que cette disposition ne s’applique pas à la fonction de juré. L’État partie estime en outre que le grief de l’auteure devrait être examiné à la lumière des conditions et restrictions qui peuvent s’appliquer conformément à l’observation générale no 25 (1996) du Comité des droits de l’homme, portant sur l’article 25 du Pacte (participation aux affaires publiques et droit de vote), et fait valoir que l’État de Nouvelle-Galles du Sud dispose d’un système clair régissant l’exercice de la fonction de juré, et prévoit une exemption de cette fonction lorsqu’il y a une « bonne raison » à cela.

4.9Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 5 de la Convention, l’État partie estime qu’il est infondé. Il fait observer que la Convention est une étape majeure dans la reconnaissance des droits des personnes handicapées et la sensibilisation à ces droits et à la nécessité d’opter pour une nouvelle approche à cet égard. Il estime que la Convention ne crée pas de nouveaux droits mais précise des droits existants de façon à garantir leur exercice par les personnes handicapées. L’article 5 devrait donc être interprété à la lumière de la jurisprudence en place selon laquelle une différence de traitement légitime ne constitue pas une discrimination. En outre, même si les États parties ont l’obligation juridique de prendre des mesures pour respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit à la non-discrimination, l’égalité et la non-discrimination ne doivent pas être comprises comme exigeant un traitement identique pour tous, en toutes circonstances. L’État partie estime donc que son droit national pertinent n’est pas discriminatoire, dans la mesure où la différence de traitement prévue dans la loi relative aux jurys vise à équilibrer les droits des personnes handicapées par rapport au droit de l’accusé à un procès équitable. De plus, le droit, la pratique et la politique de l’État de Nouvelle-Galles du Sud facilitent l’exercice de la fonction de juré par les personnes présentant des déficiences auditives, lorsque cela est possible, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 5 de la Convention, et la restriction à cet exercice se limite aux cas où le handicap de la personne la rendrait « inadaptée à la fonction de juré ou incapable de siéger effectivement comme juré ».

4.10Pour ce qui est des griefs que l’auteure tire des articles 2, 4 et 9 de la Convention, l’État partie estime qu’ils sont infondés parce qu’ils ne sont pas étayés. Il fait valoir qu’il est bien déterminé à respecter les droits des personnes handicapées et à permettre à ces personnes de jouir de tous les droits de l’homme dans des conditions d’égalité avec les autres personnes, conformément aux dispositions de la Convention. Il sait bien que les États parties doivent se garder d’agir ou de procéder de façon non conforme à la Convention et qu’ils doivent promouvoir la recherche, la mise au point et la mise à disposition des nouvelles technologies pertinentes et garantir l’accessibilité pour toutes les personnes handicapées.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 28 mai 2015, l’auteure a rejeté les allégations de l’État partie selon lesquelles sa communication était irrecevable en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif. Elle fait valoir que la Commission australienne des droits de l’homme et la Commission de lutte contre la discrimination de la Nouvelle-Galles du Sud sont des organes non judiciaires et que, par conséquent, elles ne peuvent pas procéder à un examen juridictionnel ni ordonner des mesures au regard d’une plainte dont elles sont saisies au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap et de la loi antidiscrimination, respectivement. Leur compétence se limite aux investigations et à la conciliation pour de telles plaintes, et l’auteure affirme que le Gouvernement australien n’a pas démontré au Comité en quoi le fait de soumettre une plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme ou auprès de la Commission de lutte contre la discrimination aurait constitué un recours juridique utile pour elle, des plaintes analogues ayant été classées par la Commission australienne des droits de l’homme au motif qu’il n’y avait aucune perspective raisonnable de conciliation.

5.2Pour porter son affaire devant les tribunaux ou devant le Tribunal civil et administratif de Nouvelle-Galles du Sud, le requérant doit disposer d’une cause d’action et d’une plainte reposant sur cette cause, ayant des chances raisonnables d’aboutir. À cet égard, l’auteure affirme qu’elle n’avait pas de cause d’action au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination qui lui auraient permis de saisir les tribunaux de l’État partie, et elle renvoie à la jurisprudence interne, dans l’affaire Lyons v. the State of Queensland . Dans cette affaire, le Sheriff de l’État du Queensland a exclu la requérante de la fonction de juré parce qu’elle demandait les services d’un interprète en langue des signes australienne. La requérante a pu déposer plainte pour discrimination fondée sur une déficience, au titre de la loi antidiscrimination de 1991 (Queensland) parce que l’« administration de la législation et des programmes de l’État » est un domaine de la vie protégé par ladite loi, et que le Sheriff du Queensland, en l’excluant de la fonction de juré, administrait la loi de 1995 relative aux jurys (Queensland). Il n’existe pas de domaine de la vie protégé équivalent au regard de la loi antidiscrimination (Nouvelle-Galles du Sud), et si la loi sur la discrimination fondée sur le handicap englobe l’administration des lois et programmes du Commonwealth en tant que domaine de la vie protégé, la loi de 1977 relative aux jurys (Nouvelle-Galles du Sud), en application de laquelle l’auteure a été exclue de la fonction de juré, est une loi de l’État. En outre, dans l’affaire de Mme Lyons, le tribunal a rejeté sa plainte pour discrimination directe et indirecte en se fondant sur le fait qu’elle avait été exclue de la fonction de juré non parce qu’elle était sourde mais parce qu’elle demandait un interprète en langue des signes australienne, qui ne pouvait être présent en salle de délibération. L’auteure affirme que tout autre tribunal de l’État partie pourrait recourir à un tel raisonnement, et que toute demande de contrôle judiciaire de la décision du Sheriff de l’exclure de la fonction de juré serait vouée à l’échec puisque le droit australien ne permet pas à un juré sourd de bénéficier d’une aide humaine dans la salle de délibération.

5.3Quant aux coûts en jeu dans la soumission d’une plainte pour discrimination fondée sur le handicap, l’auteure affirme que, même si elle était en mesure d’assumer les frais correspondant à l’engagement d’une plainte pour discrimination fondée sur le handicap, les coûts que le tribunal ordonnerait de payer au requérant n’ayant pas obtenu gain de cause seraient exorbitants. À cet égard, l’auteure explique qu’une partie à une telle procédure peut ester en justice pour une ordonnance de remboursement maximal des frais, mais de telles ordonnances sont discrétionnaires et elles sont rarement délivrées. Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire pour rendre de telles ordonnances, les tribunaux prennent en considération tout un ensemble de facteurs, dont la question de savoir si le requérant dispose d’arguments défendables. Il est donc fallacieux de la part de l’État partie de suggérer que l’auteure aurait pu obtenir une ordonnance de remboursement maximal des frais alors que sa plainte n’avait pas de chances raisonnables d’aboutir.

5.4L’auteure réaffirme que son conseil lui a dit qu’elle n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause devant la Commission australienne des droits de l’homme, et qu’elle ne disposait pas d’une cause d’action au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination. Elle fait en outre valoir que les juristes australiens ont l’obligation, en vertu de l’article 345 de la loi de 2004 relative aux professions juridiques, de ne pas engager ou poursuivre une action civile qui n’a pas de chances raisonnables d’aboutir. Si un juriste ne respecte pas cette obligation, il peut se voir contraint d’assumer le coût des frais de justice et déclaré coupable de faute professionnelle, ce qui risque de déboucher sur une suspension, ou sur le retrait de son autorisation d’exercer. L’auteure estime donc que le Comité devrait rejeter l’assertion de l’État partie invitant l’auteure à poursuivre une action qui n’a aucune chance d’aboutir.

5.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de l’auteure au regard des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention devraient être jugés irrecevables, l’auteure fait valoir que l’article 2 est une disposition interprétative selon laquelle l’interprétation en langue des signes australienne doit être reconnue comme un moyen de communication, et comme un aménagement raisonnable nécessaire pour qu’elle puisse siéger comme juré, deux points qui n’ont pas été contestés par l’État partie.

5.6S’agissant de l’article 4 de la Convention, l’auteure fait observer qu’il énonce les obligations générales des États parties, qui s’appliquent à la réalisation de toutes les obligations plus spécifiques de la Convention, y compris celles prévues par les articles 12, 13, 21 et 29. L’auteure prétend que la seule existence des violations des droits de l’homme dont elle fait état montre bien que l’État partie n’a pas respecté ses obligations générales. Elle fait valoir en outre que le Gouvernement de l’État de Nouvelle-Galles du Sud pouvait procéder aux aménagements raisonnables qu’elle demande, et que si l’État partie estime qu’il y a un obstacle juridique à l’exercice, par les personnes sourdes ayant besoin d’une aide humaine, de la fonction de juré, il a le pouvoir constitutionnel de procéder aux réformes législatives requises. L’auteure indique que les obligations générales énoncées à l’article 9 s’appliquent pour ce qui est de réaliser toutes les obligations spécifiques conventionnelles, obligations auxquelles l’État partie a manqué dans le cas présent. Elle soutient que l’interprétation en langue des signes australienne est une forme d’« aide humaine », dont elle a besoin au sens de l’article 9 de la Convention.

5.7En ce qui concerne le bien-fondé de ses griefs, l’auteure renvoie aux règles générales d’interprétation des traités prévues par la Convention de Vienne. À cet égard, elle fait observer que l’expression « capacité juridique » dont il est question à l’article 12 renvoie à la capacité, pour une personne, d’exercer les droits et avantages prévus par les textes, d’accomplir les obligations ou devoirs juridiques, et d’être investie de responsabilités juridiques. Il n’existe aucun fondement textuel permettant d’étayer l’affirmation selon laquelle la mention de la capacité juridique au paragraphe 2 de l’article 12 se limite à l’exercice des droits et avantages prévus par les textes, ou que cette expression a une « signification limitée et spécifique » ou renvoie à une « catégorie de capacités ». Cela irait à l’encontre du but de la Convention si la capacité juridique revêtait la signification étroite proposée par l’État partie, en ce que cela limiterait l’application du paragraphe 2 de l’article 12 aux personnes présentant des déficiences cognitives, qui ont besoin d’un accompagnement pour la prise de décisions.

5.8L’auteure affirme en outre que, dans la réponse qu’il a faite au rapport de la Commission de réforme des lois en 2010, le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud a indiqué clairement que la recommandation tendant à permettre aux personnes sourdes de siéger comme juré ne pouvait être soutenue en l’état actuel des choses. En décembre 2013, l’État de Nouvelle-Galles du Sud a fait le point de la situation concernant la réponse du Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud, indiquant que compte tenu des graves préoccupations exprimées par les parties prenantes, le Gouvernement n’appuyait pas la modification de la loi relative aux jurys, mais acceptait de suivre l’évolution des dispositifs et technologies d’appui au handicap et des services d’interprétation, afin de faciliter une plus grande participation des personnes présentant des déficiences auditives ou visuelles. Selon l’auteure, cela montre bien la politique poursuivie par l’État de Nouvelle-Galles du Sud et par son Sheriff, et cela met en doute la capacité des personnes sourdes à siéger comme juré. En outre, le suivi de l’évolution porte sur les ajustements qui n’incluent pas l’aide humaine à un juré sourd dans la salle de délibération.

5.9L’auteure affirme que la fourniture des services d’un interprète en langue des signes australienne est l’« aide appropriée » dont elle a besoin pour siéger comme juré, conformément au paragraphe 3 de l’article 12 de la Convention. L’obligation, pour un État partie, de prendre des « mesures appropriées » pour garantir l’accès des personnes handicapées à l’aide dont elles peuvent avoir besoin dans l’exercice de leur capacité juridique est une obligation spécifique prévue à l’article 12, qui vient s’ajouter aux obligations générales énoncées dans les articles transversaux de la Convention, dont les articles 4, 5 et 9. L’auteure estime que l’article 12 doit donc être interprété à la lumière des obligations transversales des paragraphes 1 et 3 de l’article 5, dans la mesure où un service d’interprétation en langue des signes australienne est un aménagement raisonnable qui favorise l’égalité de l’auteure devant la loi dans l’exercice de sa capacité juridique. Elle ajoute que cet aménagement raisonnable devrait s’accompagner de mesures législatives visant à modifier et abroger des passages de la loi relative aux jurys pour affirmer la possibilité, pour un interprète en langue des signes australienne ou un sténotypiste, d’être présent dans la salle de délibération, et faciliter la communication entre jurés sourds et jurés entendants. L’auteure relève que l’État partie ne prétend pas que la fourniture de services d’interprétation en langue des signes australienne constituerait une « charge disproportionnée ou indue », mais indique plutôt avoir déjà pris des mesures pour faciliter l’exercice par des personnes sourdes de la fonction de juré, alors que les mesures en question ne sont pas utiles dans son cas.

5.10L’auteure affirme que l’expression « participants directs et indirects » englobe les personnes qui font partie du système judiciaire, y compris les jurés. Elle indique également que la participation ou l’« intervention » de personnes handicapées dans le système de justice, par exemple en tant que juges, jurés et juristes par exemple, est un moyen pour ces personnes d’accéder à la justice, et qu’elle ne met pas sur le même pied l’obligation faite par l’article 5 de la Convention de procéder à des « aménagements raisonnables » et celle faite par l’article 13 de fournir des « aménagements procéduraux » et « aménagements en fonction de l’âge ». Ces deux obligations sont interdépendantes, mais leur signification et leur portée diffèrent. Dans le cas présent, la fourniture de services d’interprétation en langue des signes australienne est un aménagement raisonnable qui facilite la participation de l’auteure aux procédures judiciaires. Cet aménagement ne nécessiterait que de simples ajustements procéduraux, tels que l’instauration de la prestation de serment par les interprètes en langue des signes australienne, par laquelle ces prestataires s’engageraient à ne pas divulguer le contenu des délibérations du jury, ou encore la publication d’une directive spécifique donnée par le tribunal à tous les jurés, leur enjoignant de ne pas tenter de discuter ou de débattre de l’affaire avec l’interprète, mais de n’interagir avec lui ou elle qu’en tant que facilitateur de la communication pour le juré sourd. L’auteure estime donc que l’État partie n’a pu établir que la fourniture de l’aménagement demandé aurait imposé une charge disproportionnée ou indue, et serait donc déraisonnable, ce en quoi il a violé ses droits au regard de l’article 21, lu isolément et conjointement avec l’article 5.

5.11L’auteure affirme en outre que les mesures que l’État partie prétend avoir prises ne font pas qu’il respecte l’obligation imposée par l’alinéa b) de l’article 21 de la Convention, et qu’il n’y a pas de fondement textuel pour étayer la déclaration de l’État partie selon laquelle la mention de « démarches officielles » ne s’applique pas dans le cas d’espèce: un tribunal est une autorité ou un organe public, et ses activités sont centrées sur l’administration publique de la justice, y compris par la conduite de procès avec jury. Un juré est une personne qui remplit des fonctions publiques dans l’administration de la justice et qui prend part à des échanges avec d’autres personnes exerçant des devoirs et des obligations publiques, y compris d’autres jurés, et des membres du corps judiciaire.

5.12En ce qui concerne son grief au regard de l’article 29 de la Convention, l’auteure affirme que le Comité a compétence pour examiner la violation présumée des droits politiques des personnes handicapées, y compris leur droit de participer à la conduite des affaires publiques et le droit d’accéder aux fonctions publiques. Ce faisant, le Comité exerce sa compétence pour évaluer les mesures prises par les États parties en vue de garantir que les personnes handicapées jouissent de leurs droits politiques dans des conditions d’égalité avec les autres personnes. L’auteure relève que l’expression « conduite des affaires publiques » recouvre une notion vaste qui englobe l’exercice du pouvoir gouvernemental par toutes les branches du Gouvernement, y compris l’administration de la justice. Les jurés jouent un rôle dans le pouvoir judiciaire du Gouvernement en ce qu’ils participent directement à la détermination de la culpabilité ou de l’innocence dans un procès pénal, ou de la responsabilité dans un procès civil. Ils prennent donc part à la conduite des affaires publiques, et à celle d’un service public, à savoir l’administration publique de la justice. L’auteure conclut que son exclusion de la fonction de juré ne reposait pas sur des motifs raisonnables et objectifs et qu’elle était arbitraire et discriminatoire.

5.13Enfin, s’agissant des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteure entend identifier de « nouveaux droits » et s’appuyer sur ces droits, l’auteure fait savoir que les termes de la Convention doivent être interprétés au sens large, à la lumière du but de la Convention. Elle fait également savoir que la notion de nouveaux droits ne peut servir de bouclier pour éviter l’application de droits établis à la situation particulière de personnes handicapées, même si cela élargit la perception traditionnelle des droits établis.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 23 octobre 2015, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il y réaffirme que la Convention n’instaure pas de droits supplémentaires pour les personnes handicapées. Il relève qu’un certain nombre de termes ou expressions employés dans la Convention, tels que « capacité juridique » et « participants directs et indirects » ne sont pas définis, que leur signification est ambiguë, et qu’il est donc approprié de recourir aux travaux préparatoires pour les comprendre. L’État partie estime que la mention des « droits politiques » à l’article 29 de la Convention n’englobe pas et ne garantit pas tous les droits de l’homme définis de façon plus générale comme étant les droits politiques dans le droit international des droits de l’homme, et il fait savoir que l’exercice de la fonction de juré n’est pas un volet de la « conduite des affaires publiques » au sens de l’article 29.

6.2L’État partie fait également savoir que les mesures adoptées par l’État de Nouvelle‑Galles du Sud sont « appropriées » et que ce sont des « aménagements procéduraux » et des « aménagements en fonction de l’âge » qui, par conséquent, respectent les dispositions des articles 12, 21 et 13, de la Convention. Il fait observer en outre que le recours à des interprètes en langue des signes australienne a des répercussions sur la complexité, le coût et la durée des procès, et a donc des incidences sur les ressources, comme indiqué dans la réponse faite par le Gouvernement de Nouvelle-Galles du Sud au rapport de la Commission de réforme des lois en 2010.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes à disposition et qu’elle n’a porté plainte auprès d’aucun organe judiciaire, ni même un organe qui aurait pu porter l’affaire devant un tribunal pour qu’il statue sur sa plainte. Le Comité prend note des arguments de l’auteure selon lesquels : a) porter plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme et auprès de la Commission de lutte contre la discrimination de Nouvelle-Galles du Sud n’aurait servi à rien sachant qu’il ne s’agit pas d’organes judiciaires et que, donc, elles ne peuvent procéder à un examen juridictionnel ni ordonner des mesures ; et b) l’État partie n’a pas démontré en quoi le fait de soumettre une plainte à la Commission australienne des droits de l’homme ou à la Commission de lutte contre la discrimination aurait constitué un recours juridique utile pour elle, des plaintes analogues ayant été classées par la Commission australienne des droits de l’homme au motif qu’il n’y avait aucune perspective raisonnable de conciliation. Le Comité prend note aussi de l’argument de l’auteure selon lequel un tribunal ne pouvait offrir, dans son cas, un recours utile et raisonnablement accessible au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination parce que : a) la loi sur la discrimination fondée sur le handicap interdit la discrimination fondée sur le handicap dans certains domaines spécifiques de la vie publique, mais ne s’applique pas à son cas ; b) la loi antidiscrimination comporte des interdictions de la discrimination fondée sur le handicap dans certains domaines spécifiques de la vie publique mais n’inclut pas la question de l’exercice de la fonction de juré. Le Comité note également que l’État partie indique que la taxe dont il faut s’acquitter pour déposer une plainte auprès de la Commission australienne des droits de l’homme ou de la Commission de lutte contre la discrimination est de 55 dollars australiens et que le Tribunal de circuit (Circuit Court) fédéral peut aussi fixer le coût maximum pouvant être recouvré. Cela étant, il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel toute tentative de dépôt de plainte ayant trait aux violations dont elle se prévaut devant les tribunaux au titre de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ou de la loi antidiscrimination serait aussi vouée à l’échec du fait de la législation nationale et de la jurisprudence en matière de discrimination, ce qui exclut donc la possibilité pour elle d’obtenir d’un tribunal fédéral qu’il prononce une ordonnance de remboursement maximal des frais sachant que sa plainte n’a pas de chances raisonnables d’aboutir.

7.4Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif, il déclare irrecevable toute communication « concernant laquelle tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen ». Dans le cas présent, le Comité estime que les informations communiquées par les parties ne lui permettent pas de conclure que la requête de l’auteure au titre de la loi antidiscrimination ou de la loi sur la discrimination fondée sur le handicap aurait eu des chances raisonnables d’aboutir et aurait offert à l’auteure un recours utile. Compte tenu de la nature des griefs à l’examen et à la lumière des informations communiquées par les parties, le Comité considère que l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à ce qu’il examine la communication.

7.5Le Comité note en outre que l’État partie indique que les griefs de l’auteure au titre des articles 2, 4, 5 et 9 de la Convention ne sont pas recevables pour défaut de fondement. Pour ce qui est des griefs de l’auteure au titre des articles 2 et 4, le Comité rappelle que, compte tenu de leur caractère général, ces articles ne peuvent pas, en principe, faire l’objet de plaintes distinctes, et qu’ils ne peuvent être invoqués que conjointement avec d’autres droits essentiels garantis par la Convention. Le Comité considère donc que les griefs de l’auteure au titre des articles 2 et 4 lus isolément ne sont pas recevables en vertu de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif. S’agissant des griefs de l’auteure au titre des articles 5 et 9 de la Convention, le Comité considère que ces griefs sont suffisamment motivés, aux fins de la recevabilité, et procède à leur examen au fond.

7.6S’agissant des griefs que l’auteure tire de l’article 12 de la Convention, à savoir qu’elle a été privée de son droit d’exercer sa capacité juridique dans des conditions d’égalité avec les autres en raison du refus de la Sheriff de lui fournir un interprète en langue des signes australienne, le Comité note que la Sheriff a, pour justifier sa décision, affirmé que l’interprétation en langue des signes australienne, en impliquant la présence d’une personne non jurée dans la salle de délibération, portait atteinte au principe de confidentialité des délibérations. Le Comité relève donc que l’État partie n’a, à aucun moment, remis en question la capacité juridique de l’auteure à exercer la fonction de juré. Par conséquent, le Comité conclut que les griefs de l’auteure sont incompatibles ratione materiae avec l’article 12 et, partant, irrecevables en vertu de l’alinéa b) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité note que l’État partie n’a pas formulé d’objection à la recevabilité des griefs de l’auteure au regard des articles 13, 21 et 29 de la Convention. Par conséquent, il déclare que ces parties de la communication sont recevables, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties, conformément aux dispositions de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que le refus de lui fournir un interprète en langue des signes australienne pour lui permettre d’exercer la fonction de juré était discriminatoire en ce qu’il a représenté un refus d’aménagement raisonnable, en violation des dispositions des paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention. Le Comité prend note aussi de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’y a pas eu violation des droits de l’auteure au regard de l’article 5 puisque le droit national pertinent n’est pas discriminatoire et que la différence de traitement prévue dans la loi relative aux jurys est légitime. L’État partie estime en outre que sa législation et sa politique procurent les aménagements raisonnables conformément aux exigences énoncées dans la Convention.

8.3La définition de la discrimination fondée sur le handicap énoncée à l’article 2 de la Convention dispose expressément que « [l]a discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable ». Dans le cas d’espèce, l’auteure a été convoquée le 30 octobre 2012 pour siéger comme juré au tribunal pénal de district ou à la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, pour une période de trois semaines, commençant le 28 novembre 2012. Le Comité note que, le 6 novembre 2012, l’auteure a contacté le Bureau du Sheriff pour expliquer qu’elle aurait besoin d’un interprète en langue des signes australienne pour exercer sa fonction de juré, et que son interlocuteur lui a alors signalé qu’une telle aide ne pourrait lui être fournie, mais qu’elle devrait se présenter au tribunal le 28 novembre et demander en personne au juge de participer au procès avec l’aide d’un interprète en langue des signes australienne. Le Comité note aussi que l’auteure a confirmé auprès du Bureau du Sheriff qu’elle allait bien se présenter au tribunal à la date dite, mais que lorsqu’elle s’est présentée en personne, on lui a dit qu’elle ne pourrait obtenir aucune forme d’aide pour communiquer avec le juge. De plus, le Bureau du Sheriff a clairement dit à l’auteure que, conformément à « la législation en vigueur » (loi de 1977 relative aux jurys), aucun service d’interprétation en langue des signes australienne ou de transcription en temps réel par sténotypiste ne serait fourni, puisque l’introduction d’une personne non jurée dans la salle de délibération serait incompatible avec la confidentialité des délibérations du jury. À cet égard, le Comité rappelle que la discrimination peut résulter de l’effet discriminatoire d’une règle ou d’une mesure apparemment neutre ou dénuée de toute intention discriminatoire, mais qui touche de manière disproportionnée les personnes handicapées. De plus, selon le paragraphe 1 de l’article 5, les États parties sont tenus de veiller à ce que toutes les personnes soient égales devant la loi et en vertu de celle-ci, et à ce qu’elles aient droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi ; et, selon le paragraphe 3 de l’article 5, les États parties doivent prendre toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination.

8.4Le Comité rappelle également que, selon l’article 2 de la Convention, on entend par « aménagement raisonnable » les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue, apportés pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. Le Comité considère que, lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère raisonnable et la proportionnalité des mesures d’aménagement, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, les États parties doivent veiller à ce que cette évaluation se déroule de façon scrupuleuse et objective, en prenant en considération tous les éléments pertinents, avant de parvenir à la conclusion que les diverses mesures de soutien et d’adaptation constitueraient une charge disproportionnée ou indue pour l’État partie.

8.5Dans le cas d’espèce, le Comité constate que les aménagements fournis par l’État partie pour les personnes présentant des déficiences auditives ne permettraient pas à l’auteure de siéger comme juré dans des conditions d’égalité avec les autres. Il constate également que l’État partie a fait valoir que le recours à des interprètes en langue des signes australienne avait des répercussions sur la complexité, le coût et la durée des procès, sans fournir de données ou d’analyse démontrant que cela constituerait une charge disproportionnée ou indue. De plus, si le principe de la confidentialité des délibérations du jury doit être respecté, l’État partie ne fournit pas d’argument justifiant qu’aucun aménagement, tel que la prestation d’un serment devant le tribunal, ne pouvait être apporté pour permettre à un interprète en langue des signes australienne d’exercer ses fonctions sans compromettre la confidentialité des délibérations du jury. Enfin, le Comité note que l’interprétation en langue des signes australienne est un aménagement courant, largement utilisé par les personnes sourdes australiennes dans leur vie de tous les jours. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité estime que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour garantir des aménagements raisonnables pour l’auteure, et conclut que le refus de fournir des services d’interprétation en langue des signes australienne ou de transcription par sténotypiste, sans avoir évalué scrupuleusement s’ils constitueraient une charge disproportionnée ou indue, constitue une discrimination fondée sur le handicap, en violation des droits que l’auteure tient des paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.6Pour ce qui est du grief que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, le Comité rappelle que, en vertu des dispositions qui y sont énoncées, les États parties sont tenus de prendre des mesures appropriées pour « permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie ». À cet égard, le Comité note que l’exercice de la fonction de juré est une composante importante de la vie du citoyen au sens du paragraphe 1 de l’article 9, en ce qu’il constitue une manifestation de citoyenneté active. Le Comité note également que l’État partie affirme qu’il consacre des efforts et des ressources conséquents à garantir que les personnes handicapées peuvent jouir intégralement de tous les droits de l’homme, dans des conditions d’égalité avec les autres. Le Comité rappelle aussi que, conformément à son observation générale no 2 (2004) intitulée « Article 9 : Accessibilité », l’obligation d’assurer l’accessibilité est inconditionnelle, ce qui a son importance lorsqu’il s’agit de traiter la question de l’accessibilité dans toute sa complexité, y compris la communication. De même, l’accès doit être assuré dans des conditions d’égalité et de façon effective, conformément à l’interdiction de la discrimination, et le refus d’accès devrait être considéré comme constituant un acte discriminatoire. Dans le cas d’espèce, en refusant de fournir des services d’interprétation en langue des signes australienne, l’État partie n’a pas pris les mesures appropriées pour permettre à l’auteure d’exercer la fonction de juré, l’empêchant ainsi de participer à ce qui constitue clairement une composante de la vie, en violation des droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 9, lu isolément et conjointement avec les articles 2 et 4 et les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.7Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 21 de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la norme consistant à « accepter et faciliter le recours à la langue des signes » et aux autres moyens de communication a été respectée dans le cas d’espèce par l’État de Nouvelle-Galles du Sud, et que les obligations découlant de l’article 21 doivent être mises en œuvre progressivement. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’article 21 ne renferme pas de droits ou d’obligations qui soient soumis à une mise en œuvre progressive, et que les mesures que l’État partie prétend avoir prises pour permettre aux personnes sourdes d’exercer la fonction de juré ne sont pas adaptées à ses besoins.

8.8Le Comité rappelle que, conformément à l’alinéa b) de l’article 21 de la Convention, les États parties prennent toutes mesures appropriées pour que les personnes handicapées puissent exercer le droit à la liberté d’expression et d’opinion, y compris la liberté de demander, recevoir et communiquer des informations et des idées, sur la base de l’égalité avec les autres et en recourant à tous moyens de communication de leur choix, en acceptant et facilitant le recours par les personnes handicapées, pour leurs démarches officielles, à différents moyens et différentes formes de communication. Le Comité rappelle en outre que, conformément à l’article 2 de la Convention, la « communication » comprend les langues et les modes, moyens et formes de communication alternatifs, englobant à l’évidence l’interprétation en langue des signes australienne et la transcription par sténotypiste. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel un juré est une personne qui, dans l’administration de la justice, a une responsabilité publique « dans les interactions avec d’autres personnes », y compris avec les autres jurés et les membres du corps judiciaire, et que ces interactions constituent donc des « démarches officielles » au sens de l’article 21. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le refus de fournir à l’auteure la forme de communication dont elle a besoin pour s’acquitter de sa fonction de juré, et donc pour s’exprimer dans le cadre de démarches officielles, a constitué une violation de l’alinéa b) de l’article 21, lu isolément et conjointement avec les articles 2 et 4 et les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention.

8.9 Pour ce qui est des griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 13 et de l’article 29 de la Convention, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ce grief est infondé, estimant que l’« accès effectif à la justice » renvoie à l’accessibilité au système de justice et que les expressions « participants directs » et « participants indirects » ne recouvrent pas les fonctions de juré. L’État partie fait aussi valoir que la norme relative aux « aménagements raisonnables » ne s’applique pas à l’article 13. L’auteure affirme, quant à elle, que l’expression « participants directs et indirects » se rapporte aux personnes qui prennent part au système de justice, et que les obligations au titre de l’article 5 imposant de procéder à des « aménagements raisonnables » valent pour la réalisation de ces droits. Le Comité rappelle que, conformément à l’article 13, les États parties sont tenus d’assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, « directe ou indirecte […] à toutes les procédures judiciaires ». Le Comité note que l’exercice de la fonction de juré fait partie intégrante du système judiciaire australien et constitue par conséquent une « participation » aux procédures judiciaires. Le Comité rappelle en outre que l’alinéa b) de l’article 29 impose aux États de « promouvoir activement un environnement dans lequel les personnes handicapées peuvent effectivement et pleinement participer à la conduite des affaires publiques, sans discrimination et sur la base de l’égalité avec les autres, et […] encourager leur participation aux affaires publiques ». Il faut donc prêter attention à la participation des personnes handicapées au système de justice non seulement en qualité de demandeur, de victime ou de défendeur, mais également en qualité de juré, dans des conditions d’égalité avec les autres. Au vu de ce qui précède, le Comité estime que la décision de la Sheriff de ne pas fournir l’interprétation en langue des signes australienne a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 13, lu isolément et conjointement avec l’article 3, avec le paragraphe 1 de l’article 5 et avec l’alinéa b) de l’article 29 de la Convention.

C.Conclusions et recommandations

9.Le Comité des droits des personnes handicapées, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des paragraphes 1 et 3 de l’article 5, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 13, lu isolément et conjointement avec l’article 3, le paragraphe 1 de l’article 5 et l’alinéa b) de l’article 29, et de l’alinéa b) de l’article 21, lu isolément et conjointement avec les articles 2 et 4, et avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 5 de la Convention. Le Comité fait donc les recommandations suivantes à l’État partie :

a)En ce qui concerne l’auteure, l’État partie est tenu :

i)De lui fournir un recours utile, y compris le remboursement de tous frais de justice engagés par elle, ainsi qu’une indemnisation ;

ii)De lui permettre de participer à la fonction de juré, en lui offrant les aménagements raisonnables nécessaires, sous la forme d’une interprétation en langue des signes australienne, selon des modalités qui permettent de préserver le caractère confidentiel de la procédure, à toutes les étapes de la sélection du jury et des débats ;

b)D’une manière générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir, notamment :

i)En veillant à ce que, chaque fois qu’une personne handicapée est convoquée pour exercer la fonction de juré, il soit procédé à un examen approfondi, objectif et exhaustif de sa demande d’aménagement, et à ce que tous les aménagements raisonnables nécessaires soient dûment apportés afin de lui permettre d’exercer pleinement sa fonction de juré ;

ii)En adoptant les modifications qu’il faut apporter aux différents textes de lois, règlements, politiques et programmes, en consultation étroite avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent ;

iii)En prévoyant une formation appropriée et régulière concernant le domaine d’application de la Convention et de son Protocole facultatif, y compris l’accessibilité pour les personnes handicapées, à l’intention des autorités locales, telles que le Sheriff, ainsi qu’aux membres du corps judiciaire et au personnel qui facilite le fonctionnement de la justice.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura pu prendre à la lumière des présentes constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité, à les faire traduire dans la langue officielle de l’État partie et à les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les groupes de la population.