Nations Unies

CRC/C/86/D/51/2018

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

12 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédurede présentation de communications, concernant la communication no 51/2018 * , **

Communication présentée par :

A. B. (représenté par un conseil, Sini Majlander)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Finlande

Date de la communication :

27 juin 2018

Date de la décision :

4 février 2021

Objet :

Intérêt supérieur de l’enfant ; discrimination ; non‑refoulement

Questions de procédure :

Fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

2, 3, 13, 14, 16, 17, 19, 22 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

7 (al. d) et f))

1.L’auteur de la communication est A. B., ressortissant de la Fédération de Russie né le 27 juin 2010. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 3, 13, 14, 16, 17, 19, 22 et 29 de la Convention. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 12 février 2016.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est né dans la Fédération de Russie et y a vécu jusqu’en 2015. Sa mère biologique, V. B., lesbienne, vivait avec sa compagne, A. S.. V. B. et A. S. ont caché la nature de leur relation lorsqu’elles vivaient dans la Fédération de Russie, de crainte d’être victimes de persécution et de discrimination, en raison de la très grande hostilité de la société russe à l’égard des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Elles l’ont aussi cachée à A. B., de peur qu’il n’en parle à des personnes n’appartenant pas à leur cercle intime. Elles ne l’ont révélée qu’à leurs amis et parents les plus proches. Elles ont participé de manière anonyme à des activités de soutien des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. Lorsqu’un article décrivant la famille de l’auteur, dans lequel les noms des intéressés avaient été modifiés, a été publié sur un portail d’information public, des menaces ont été proférées à l’égard de V. B. et A. S. dans les commentaires postés sous l’article.

2.2Quand l’auteur a parlé de sa famille au jardin d’enfants, le personnel a changé d’attitude et a commencé à se montrer grossier et agressif envers lui. L’auteur a commencé à pleurer plus souvent et à ne plus vouloir aller au jardin d’enfants. Sa famille l’a inscrit dans un autre établissement, où le personnel a dit à V. B. que sa structure familiale était « anormale », et se comportait mal avec l’auteur, et notamment criait sur lui, le frappait et ne l’empêchait pas de manger des aliments auxquels il était allergique. Des enfants du jardin d’enfants ont également commencé à harceler l’auteur, en disant que « les homosexuels ne devraient pas exister ». Les parents de l’auteur ont signalé les faits de harcèlement au personnel du jardin d’enfants, en vain. L’auteur n’avait pas d’amis, et les autres enfants étaient tenus à l’écart de l’intéressé et de sa famille par leurs parents. Face à cette situation, A. B. est devenu anxieux et a commencé à exprimer des pensées suicidaires.

2.3En 2015, alors que l’auteur avait 5 ans, la famille a déménagé en Finlande. Le 10 avril 2015, elle déposé une demande d’asile et une demande de permis de séjour pour raisons humanitaires, faisant valoir qu’elle était victime de persécutions et de discrimination et qu’elle craignait de subir de nouvelles atteintes à ses droits en raison de l’orientation sexuelle de V. B. et de A. S.

2.4Alors que ses demande étaient en cours de traitement, la famille a vécu en Finlande pendant deux ans et demi environ. L’auteur a commencé à apprendre le finnois et a fréquenté une école maternelle, où il s’est fait des amis. V. B. et A. S. lui ont parlé de leur relation pour la première fois et il a commencé à les appeler toutes les deux « mère ». La famille a tissé des liens étroits avec d’autres familles homoparentales et l’auteur a appris qu’il existait différents types de structure familiale. Selon un enseignant de l’école maternelle, en Finlande l’auteur semblait heureux et sociable.

2.5Comme suite à la demande d’asile et de permis de séjour déposée par la famille, le Service finlandais de l’immigration a entendu trois fois V. B. et A. S., qui ont expliqué que, dans la Fédération de Russie, les familles homoparentales était soumises à une forte pression et vivaient dans la peur constante d’être menacées ou persécutées. L’auteur n’a pour sa part pas été entendu dans le cadre de la procédure.

2.6Le 19 juillet 2016, le Service finlandais de l’immigration a rejeté toutes les demandes, concluant que la famille pouvait être expulsée vers la Fédération de Russie sans risquer d’être persécutée, de subir un préjudice grave ou d’être soumise à un traitement inhumain ou dégradant, ou qu’elle pourrait s’installer dans une région différente. Il a noté que la rhétorique hostile aux lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres s’était accentuée dans la Fédération de Russie ces dernières années, tant de la part des agents de l’État que des médias, et que la loi sur la propagande homosexuelle adoptée en 2013 avait légitimé le harcèlement, l’arrestation et même la condamnation des militants défendant les droits des minorités sexuelles. Il a également observé que la loi sur la propagande homosexuelle et le raidissement général de la société avaient conduit à une augmentation des actes de violences visant les minorités sexuelles et les minorités de genre, sans que les autorités n’agissent ou ne prennent des sanctions. Concernant la famille de l’auteur, le Service de l’immigration a reconnu comme un fait établi que V. B. et A. S. avaient fait l’objet de discrimination dans la société russe par le passé mais a estimé que cette discrimination ne répondait pas aux critères de la persécution et n’a pas considéré que les deux femmes risquaient de subir de graves violations de leurs droits si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine, puisqu’elles avaient vécu en tant que lesbiennes dans la Fédération de Russie sans avoir été victimes de violences ou d’autres violations graves de leurs droits, et sans avoir eu de problèmes avec les autorités en raison de leur orientation sexuelle. En ce qui concerne l’auteur, le Service de l’immigration a reconnu comme un fait établi que l’orientation sexuelle de V. B. et de A. S. pouvait en partie expliquer le traitement hostile qu’il avait subi de la part du personnel et des enfants du jardin d’enfants, et qu’il avait été victime de brimades. Il a toutefois estimé que ce traitement pouvait aussi avoir été influencé par d’autres facteurs et que, quoi qu’il en soit, les brimades en question ne répondaient pas aux critères de la persécution, puisque les actes commis n’étaient pas particulièrement graves et que certains d’entre eux, comme les cris, pouvaient faire partie de la discipline ordinaire de l’établissement. L’auteur n’avait pas été empêché de fréquenter le jardin d’enfants et n’avait pas fait l’objet d’autres actes déraisonnables qui auraient gravement porté atteinte à ses droits. Dans son examen de la demande de permis de séjour pour raisons humanitaires déposée par la famille, le Service de l’immigration a souligné qu’il était dans l’intérêt supérieur de tout enfant de pouvoir vivre avec ses parents. Il a donc conclu que l’expulsion de la famille vers la Fédération de Russie n’était pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.7Le Service finlandais de l’immigration a observé que, dans la Fédération de Russie, la crainte des personnes appartenant à des minorités sexuelles et des minorités de genre de se voir retirer leurs enfants s’était accrue depuis 2014. Cependant, n’ayant pas connaissance de cas dans lesquels des personnes appartenant à une minorité sexuelle auraient perdu la garde de leur enfant en raison de leur orientation sexuelle, il n’a pas estimé qu’il était établi que V. B. et A. S. risqueraient de se voir retirer leur l’enfant si elles étaient renvoyées dans la Fédération de Russie. Il a conclu que l’auteur ou sa famille ne risqueraient pas d’être victimes de violations graves de leurs droits dans leur pays d’origine.

2.8La famille de l’auteur a saisi le tribunal administratif d’Helsinki d’un recours contre la décision du Service finlandais de l’immigration, arguant que celui-ci n’avait pas démontré l’absence de risque de persécution, et soulignant que la discrimination qu’elle avait subie devait être considérée comme une persécution, et que le fait qu’il n’y ait pas eu de persécution jusqu’alors ne devait pas être considéré comme la preuve qu’un tel risque n’existait pas. Elle a aussi insisté sur le fait que, si une protection internationale ne lui était pas accordée, compte tenu de tous les faits de l’affaire et sur la base d’une interprétation des lois mettant l’accent sur les droits de l’homme et le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, elle aurait dû se voir accorder un permis de séjour pour raisons humanitaires.

2.9Par une décision du 14 mars 2017, le tribunal administratif d’Helsinki a confirmé la décision du Service finlandais de l’immigration. Il a pris note du rapport soumis par la famille de l’auteur dans lequel est évoqué le cas d’une ressortissante russe qui a perdu la garde de son enfant parce qu’elle avait une relation homosexuelle. Il a toutefois estimé que l’affaire n’y était pas expliquée en détail et qu’il ne pouvait pas conclure, sur la base d’un seul cas, que la famille avait des raisons de craindre que l’auteur soit enlevé à ses parents s’il était renvoyé dans la Fédération de Russie. Le tribunal a reconnu que, dans la Fédération de Russie, les personnes appartenant à des minorités sexuelles ou des minorités de genre, surtout celles qui vivent ouvertement leur homosexualité, pouvaient courir le risque d’être victimes de violences et d’autres violations graves de leurs droits. Toutefois, il a conclu que V. B. et A. S. ne risquaient pas de faire l’objet de violations graves de leurs droits ni de subir un préjudice grave si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine. Dans le jugement, aucune référence n’est faite à l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.10Le 30 mars 2017, la famille a demandé l’autorisation de saisir la Cour administrative suprême de Finlande, arguant que le Service finlandais de l’immigration et le tribunal administratif d’Helsinki n’avaient pas apprécié l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle affirmait que les effets qu’auraient l’environnement ouvertement hostile, la persécution des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et des familles homoparentales et la discrimination à leur égard dans la Fédération de Russie sur la jouissance par l’auteur de ses droits fondamentaux n’avaient pas été examinés. En outre, elle alléguait que ni le Service de l’immigration ni le tribunal administratif n’avait tenu compte du fait que, s’il était renvoyé dans la Fédération de Russie, l’auteur devrait, pour se protéger et protéger sa famille, apprendre à cacher sa situation familiale et à mentir à son sujet. Le 4 juillet 2017, la demande a été rejetée. Le jugement du tribunal administratif est alors devenu définitif.

2.11Le 25 juillet 2017, l’auteur, V. B. et A. S. ont demandé une aide au retour volontaire. Leur demande a été acceptée le 27 juillet 2017 ; le 7 août 2017, l’auteur a quitté la Finlande avec V. B. et A. S., avec l’assistance de l’Organisation internationale pour les migrations.

2.12À leur retour dans la Fédération de Russie, V. B. et A. S. se sont senties obligées de dire à l’auteur de dissimuler la nature véritable de leur relation. L’auteur ne s’est pas fait d’amis dans sa nouvelle école et a commencé à se demander s’il y avait quelque chose d’anormal dans la relation de ses parents, puisque la société russe était ouvertement critique à l’égard des relations homosexuelles. Comme le personnel de l’école est devenu grossier envers l’auteur et V. B., la famille pense que la nature de la relation entre V. B. et A. S. a été divulguée et craint de devoir à nouveau déménager. La famille continue de vivre dans la crainte constante de nouvelles persécutions et discriminations.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec l’article 22. Il allègue que les autorités finlandaises n’ont pas dûment apprécié son intérêt supérieur en tant qu’enfant lorsqu’elles ont examiné la demande d’asile ou de permis de séjour formée par lui-même et sa famille. S’il a bien évoqué l’intérêt supérieur de l’enfant dans sa décision, le Service finlandais de l’immigration ne l’a fait que de manière superficielle et uniquement dans le sens où il serait dans l’intérêt supérieur de tout enfant de pouvoir vivre avec ses parents. Le tribunal administratif d’Helsinki et la Cour administrative suprême de Finlande n’ont pas pris position au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant et ne l’ont même pas évoqué dans leurs décisions. L’auteur affirme par conséquent qu’une telle appréciation inadéquate de l’intérêt supérieur d’un enfant qui demande le statut de réfugié constitue en soi une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec l’article 22.

3.2L’auteur soutient que la loi russe sur la propagande homosexuelle, qui stigmatise leur mode de vie, constitue une violation continue du droit à la vie privée des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et de leurs familles. Il existe un risque que les enfants de lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres soient placés contre leur volonté ou celle de leurs parents. Pour se protéger de la discrimination et des violences physiques ou mentales, l’auteur est donc contraint de cacher ce qu’il sait de la relation entre ses parents et même de mentir à ce sujet. Dans la société russe, il ne peut pas non plus recevoir d’informations concernant l’homosexualité et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, y compris sur la vie de famille, informations essentielles pour sa santé et son bien-être en tant qu’enfant d’une famille homoparentale. Il n’a pas non plus le droit à une éducation qui lui permettrait de développer sa personnalité en tant que membre de sa famille, et qui apprendrait aux autres enfants à respecter sa personne et ses droits humains. En outre, dans une campagne menée par des médias contrôlés par l’État, les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres sont évoqués en des termes injurieux et accusés de faire partie d’une conspiration étrangère visant à saper les valeurs russes. L’auteur souligne que ces déclarations permanentes sur l’infériorité des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et de leurs familles favorisent l’intolérance de la société envers ces personnes et leurs familles, que les groupes extrémistes font un usage croissant et de plus en plus coordonné de la violence envers les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, et que la police ne réagit pas de manière adéquate face à de tels faits.

3.3Dans ce contexte, l’auteur affirme que la décision des autorités finlandaises de l’expulser vers la Fédération de Russie avec sa famille était contraire à son intérêt supérieur, car toute interprétation de la loi ou décision des autorités finlandaises qui lui ferait courir le risque de subir de nouveau des mauvais traitements et d’être victime de violations ne saurait être dans l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3 de la Convention.

3.4En outre, l’auteur soutient que les mauvais traitements qu’il a subis dans la Fédération de Russie, et que l’État partie ne nie pas, constituent une violation du droit de ne pas subir de discrimination fondée sur des caractéristiques particulières de l’enfant ou de sa famille ou d’autres considérations et du droit d’être protégé contre les atteintes et les mauvais traitements physiques ou mentaux, reconnus aux articles 2 et 19 de la Convention. Il dénonce en outre la violation des droits qui lui sont reconnus aux articles 13, 14, 16, 17 et 29 de la Convention, notamment son droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, son droit à la liberté de pensée, son droit au respect de la vie privée, au titre duquel un enfant devrait être protégé de toute atteinte visant son mode de vie, sa réputation, sa famille ou son foyer, son droit d’obtenir des informations importantes pour sa santé et son bien-être, et son droit à une éducation qui favorise l’épanouissement de sa personnalité et le développement de ses dons et de ses aptitudes dans toute la mesure de leurs potentialités et lui inculque le respect des autres, des droits de l’homme, de sa propre culture et de celle des autres, compte tenu de l’hostilité et de la violence accrues dont font l’objet les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres dans la Fédération de Russie.

3.5L’auteur fait valoir que la requête que sa mère, V. B., a soumise à la Cour européenne des droits de l’homme porte sur ses droits à elle et non sur ses droits à lui et est donc différente de la présente communication. De surcroît, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré qu’elle ne pouvait pas examiner la requête de V. B. parce que celle-ci n’avait pas respecté toutes les conditions énoncées dans son règlement. La requête n’a pas été modifiée à temps et l’affaire n’a donc pas été examinée sur le fond.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des observations datées du 22 octobre 2018, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable.

4.2En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 3 et 22 de la Convention, l’État partie affirme que la même question a été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, de sorte que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 (al. d)) du Protocole facultatif. Il observe qu’il est de la responsabilité de la mère de l’auteur de n’avoir pas respecté les conditions énoncées dans le règlement de la Cour européenne des droits de l’homme et qu’il semble que la famille essaie de trouver un autre moyen de contester le rejet de sa demande d’asile, qu’elle n’est pas parvenue à contester devant la Cour. Même si la présente communication a un auteur différent, la question soulevée est pour l’essentiel la même. La communication devrait donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 (al. d)) du Protocole facultatif, conformément à l’article 16 (par. 3 f)) du Règlement intérieur du Comité au titre du Protocole facultatif.

4.3L’État partie soutient que la question centrale de la communication est le fait que l’auteur n’est pas satisfait de l’issue de la procédure interne concernant sa demande d’asile. À cet égard, il souligne que le Comité ne devrait pas être utilisé comme une juridiction de quatrième instance. Le Comité ne devrait pas apprécier à nouveau les faits et les éléments de preuve qui ont été dûment examinés par les autorités nationales ni remettre en question les constatations et conclusions de ces autorités. L’État partie ajoute que, lorsqu’elles ont examiné la demande de permis de séjour et la demande d’asile formées par l’auteur et pris leurs décisions, les autorités finlandaises ont pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que d’autres facteurs comme la protection de la vie familiale et les liens culturels et sociaux avec le pays d’origine de la famille. Il rappelle que l’auteur a quitté la Finlande volontairement en août 2017, avec l’assistance de l’Organisation internationale pour les migrations.

4.4L’État partie argue que l’auteur n’a pas été en mesure d’étayer ses griefs devant le Comité et que la communication devrait par conséquent être déclarée irrecevable parce que manifestement mal fondée, au sens de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

4.5En conclusion, l’État partie fait valoir que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 2, 13, 14, 16, 17, 19 et 29 de la Convention sont irrecevables car les recours internes n’ont pas été épuisés comme l’exige l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif. Il soutient qu’en tout état de cause, ces parties de la communication, qui ne sont pas suffisamment étayées, devraient être déclarée irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 5 février 2019, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

5.2En ce qui concerne l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable parce que l’affaire a été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur souligne que, en raison du non-respect des règles de procédure, la Cour a rejeté la requête de sa mère sans se prononcer sur la recevabilité ni sur le fond et que, par conséquent, la question dont le Comité est saisi n’a pas été examinée dans le cadre d’une autre procédure internationale au sens de l’article 7 (al. d)) du Protocole facultatif et de l’article 16 (par. 2 f)) du Règlement intérieur du Comité au titre du Protocole facultatif.

5.3S’agissant de l’allégation de l’État partie selon laquelle il utilise le Comité comme juridiction de quatrième instance, l’auteur explique qu’il n’est pas seulement insatisfait de l’issue de la procédure interne, mais qu’il estime que les autorités finlandaises n’ont pas procédé à une appréciation adéquate de l’intérêt supérieur de l’enfant dans son cas, ce qui a conduit à l’adoption d’une décision clairement contraire à son intérêt supérieur et à un déni de justice. Il observe que, bien que la législation nationale existante permette aux autorités finlandaises de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre d’une procédure d’immigration, cela n’a pas été fait dans son cas. Le problème n’est pas l’incompatibilité de la législation nationale avec les droits garantis dans la Convention, mais le non-respect par les autorités nationales du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

5.4L’auteur fait observer que, depuis qu’il sont rentrés dans la Fédération de Russie, lui et sa famille ont déjà été contraints de déménager dans une autre ville à trois reprises, parce que des voisins ou des personnes de son école avaient découvert que les deux femmes formaient un couple homosexuel. À ce jour, ses mères continuent d’essayer de cacher la nature de leur relation à l’école en prétendant que l’une d’elles est en fait sa tante, bien qu’il soit devenu plus difficile de perpétuer ce mensonge puisque l’auteur lui-même connaît désormais la nature de cette relation et la dévoile parfois par mégarde à d’autres personnes. En raison de cette situation, l’auteur a développé des problèmes psychologiques et a dû consulter un neurologue. Il est anxieux et souffre fréquemment d’insomnie. Il présente aussi des symptômes physiques comme des problèmes de vue causés par une tension nerveuse constante, qui a entraîné des spasmes des vaisseaux sanguins oculaires.

5.5En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’il estime que les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention lu conjointement avec l’article 22 ont été violés dans le cadre de la procédure interne. Il indique qu’il a invoqué d’autres droits protégés par la Convention dans la communication pour mettre en lumière les différents éléments que les autorités finlandaises auraient dû prendre en compte quand elles ont apprécié son intérêt supérieur en tant qu’enfant. Il dit que les observations formulées par l’État partie à cet égard vont dans le sens de ce qu’il affirme, à savoir que les autorités finlandaises n’ont pas procédé à une appréciation appropriée de son intérêt supérieur, qui se fonderait sur tous les droits énoncés dans la Convention.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et observations sur le fond

6.1Dans des observations datées du 21 février 2019, l’État partie rappelle ses précédentes observations sur la recevabilité de la communication et soutient que celle-ci est dépourvue de fondement. Il affirme que le grief soulevé par l’auteur selon lequel il n’a été entendu à aucun moment de la procédure et son opinion personnelle n’a pas été prise en considération devrait être déclaré irrecevable pour non-épuisement des recours internes au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif. Il fait valoir que ni l’auteur ni sa famille n’ont jamais soutenu que le Service finlandais de l’immigration aurait dû entendre l’enfant en personne. Au cours de la procédure interne, une audience orale devant le tribunal administratif d’Helsinki a été demandée, mais il n’a jamais été expressément dit que les parents souhaitaient que l’auteur soit entendu. Le tribunal administratif n’a pas estimé qu’une audience serait nécessaire pour éclairer les faits et lui permettre de prendre une décision.

6.2Évoquant le cadre juridique général visant à protéger les droits des demandeurs d’asile, l’État partie souligne qu’en application de la loi relative aux étrangers, une attention particulière doit être accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux éléments qui ont des effets sur son développement et sa santé. Avant qu’une décision ne soit prise au sujet d’un enfant âgé de 12 ans et plus, l’enfant devrait être entendu, à moins que cela ne soit manifestement inutile, et l’opinion de l’enfant devrait être prise en considération, compte tenu de l’âge et du degré de développement de l’intéressé. Un enfant plus jeune peut également être entendu s’il est suffisamment mûr pour que son opinion puisse être prise en compte. L’État partie ajoute que, lorsqu’elles examinent la question de savoir si elles doivent entendre un mineur, les autorités doivent mettre l’accent sur l’intérêt supérieur de l’enfant et déterminer si l’intérêt de l’enfant peut différer de celui de ses représentants légaux. Il est inutile d’entendre le mineur dans les affaires dans lesquelles le représentant légal a déposé la requête en son nom propre et au nom de l’enfant quand les intérêts de l’enfant ne peuvent pas être considérés comme étant en conflit avec ceux du représentant. L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, l’auteur est arrivé en Finlande à l’âge de 4 ans. Lorsque le Service de l’immigration a rendu sa décision, il avait 6 ans. Compte tenu de son âge et de son degré de maturité, le Service de l’immigration a décidé de ne pas l’entendre au cours de l’enquête aux fins de l’asile. L’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été considéré comme étant en conflit avec celui de ses représentantes légales.

6.3En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 3 de la Convention, l’État partie affirme que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est pleinement pris en compte dans la législation nationale décrite plus haut dans les décisions rendues par les autorités nationales, dans le respect de l’article 3. Il fait observer que, quand il a examiné la possibilité d’accorder à la famille un permis de séjour pour raisons humanitaires, le Service finlandais de l’immigration a estimé qu’il était dans l’intérêt supérieur d’un enfant avant tout de vivre et de résider avec ses parents, qui sont les mieux placés pour s’occuper de lui, pour veiller à son bien-être et pour lui donner le soutien et l’orientation nécessaires à sa croissance et à son développement. Il n’était donc pas contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant de refuser à la famille un permis de séjour, de lui refuser l’asile en Finlande et de la renvoyer dans son pays d’origine. Les autorités nationales ont dûment apprécié l’intérêt supérieur de l’enfant non seulement lorsqu’elles ont examiné la possibilité d’accorder un permis de séjour à la famille pour raisons humanitaires, mais aussi lorsqu’elles ont examiné la demande d’asile de la famille et envisagé son retour dans la Fédération de Russie. Elles ont donc soigneusement examiné la situation de l’auteur dans son ensemble, conformément aux orientations données par le Comité à ce sujet. Elles ont également pris en considération d’autres éléments propres au cas de l’auteur, comme sa situation de vulnérabilité, la nécessité de protéger l’enfant et d’assurer sa sécurité, et ses liens culturels et sociaux.

6.4En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 22, l’État partie fait remarquer que la Convention ne garantit pas le droit des enfants d’entrer ni de séjourner dans un pays donné. Il souligne que le principe de l’intérêt supérieur peut être utilisé pour éclairer l’interprétation d’un élément de la définition du réfugié figurant dans la Convention relative au statut des réfugiés, mais ne saurait se substituer à cette définition. Il renvoie à la jurisprudence du Comité relative à l’expulsion d’enfants, dans laquelle le Comité a estimé qu’un enfant courait un risque spécifique et personnel de violation grave de ses droits ou un risque réel de préjudice irréparable. Il déduit de cette jurisprudence qu’il est manifestement nécessaire que le risque potentiel soit suffisamment caractérisé ou ait un certain degré de gravité pour créer une obligation de non-refoulement de la part des États parties à la Convention. Il fait valoir qu’il n’existe aucun risque de violation grave des droits de l’auteur ni de risque de préjudice irréparable, et rappelle que les autorités finlandaises ont procédé à une évaluation approfondie de la situation des minorités sexuelles dans la Fédération de Russie ainsi que de la situation particulière et personnelle de l’auteur, y compris sa crainte d’être retiré à sa famille s’il était renvoyé dans la Fédération de Russie, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les autorités chargées des migrations ont estimé que les brimades dont l’intéressé avait fait l’objet ne répondaient pas aux critères d’une persécution, car les actes commis à son encontre n’étaient pas particulièrement graves. Elles ont donc conclu qu’il n’y avait pas de raison de croire que l’auteur courrait un risque réel de subir un préjudice irréparable dans son pays d’origine, ce qui est corroboré par le fait que l’intéressé ne semble pas dire qu’il a subi un préjudice grave ou des persécutions depuis son retour.

6.5L’État partie soutient en outre que les allégations de violation des articles 2, 13, 14, 16, 17, 19 et 29 de la Convention formulées par l’auteur ne soulèvent pas de questions distinctes.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie concernant la recevabilité et sur ses observations concernant le fond

7.1Dans des commentaires datés du 19 août 2019, l’auteur rappelle ses commentaires précédents sur la recevabilité. S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne le grief qu’il tire du fait de n’avoir pas été entendu, l’auteur fait observer qu’il n’a pas présenté ce fait comme une violation autonome de la Convention. Il l’a simplement évoqué pour clarifier le déroulement de la procédure interne.

7.2L’auteur affirme que l’examen effectué par les autorités nationales ne répond pas aux critères d’une appréciation systématique de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il soutient que les autorités auraient dû examiner de manière approfondie, en tenant compte des particularités de l’enfant, les risques de violation grave de la Convention, en prenant particulièrement en considération sa vulnérabilité en tant qu’enfant appartenant, avec ses mères lesbiennes, à un groupe minoritaire, ainsi que la grande quantité d’informations disponibles sur la situation actuelle des enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres. Il ajoute à cet égard que les autorités nationales n’ont pas évalué les effets psychologiques et émotionnels qu’ont eus sur lui les mauvais traitements qu’il a subis, par exemple au jardin d’enfants, et, plus largement, le contexte ouvertement hostile et les politiques discriminatoires de la Fédération de Russie envers les minorités sexuelles. Elles n’ont pas non plus examiné la question de savoir s’il serait en sécurité et protégé s’il était renvoyé dans la Fédération de Russie. Étant donné qu’elles ont reconnu comme un fait établi que les personnes appartenant à des minorités sexuelles risquaient d’être victimes de violences ou d’autres violations graves de leurs droits dans la Fédération de Russie, elles auraient dû procéder à une appréciation personnalisée de sa sécurité en tant qu’enfant de lesbiennes. Dans ce contexte, l’auteur souligne que, contrairement à la fois précédente, il lui est impossible de cacher la relation entre sa mère et la compagne de celle-ci, puisqu’il en a pris conscience pendant que la famille résidait en Finlande et, à son retour dans la Fédération de Russie, cette relation ne peut qu’être révélée, ce qui l’expose plus encore à des violations de ses droits.

7.3L’auteur fait valoir que l’existence d’un risque personnel et sérieux est confirmée par les symptômes physiques et psychologiques qu’il présente depuis le retour de la famille dans la Fédération de Russie, ainsi que par le fait que la famille a déjà été contrainte de déménager à trois reprises après qu’il a par mégarde révélé la nature de la relation entre ses parents, ce qui a provoqué l’hostilité de la communauté locale à leur égard. Ainsi, la décision des autorités finlandaises de le renvoyer dans la Fédération de Russie lui a fait courir le risque de subir des violations graves des droits que lui reconnaît la Convention.

Intervention de tiers

8.1Le 15 avril 2020, le Child Rights International Network, la Commission internationale de juristes, ILGA-Europe, ILGA-World et le Réseau des associations européennes de familles LGBTIQ* ont soumis une intervention en tant que tiers dans le but de fournir des informations pertinentes pour l’appréciation de l’intérêt supérieur d’un enfant de parents homosexuels, bisexuels, transgenres ou intersexes dans le contexte d’une expulsion vers la Fédération de Russie.

8.2Ces organisations appellent en particulier l’attention sur l’importance d’une approche holistique et centrée sur l’enfant, qui prenne en compte la situation et les besoins individuels propres à l’enfant, ainsi que sur deux aspects procéduraux : premièrement, le droit de l’enfant d’être entendu doit être mis en avant sur le plan procédural, de manière à montrer l’importance qu’il faut accorder à la possibilité pour l’enfant d’exprimer son point de vue ; deuxièmement, comme le Comité l’a clairement indiqué, il ne suffit pas de faire référence de manière superficielle à l’intérêt supérieur de l’enfant. Toute décision doit être motivée, justifiée et expliquée, aborder expressément tous les éléments de fait se rapportant à l’enfant et préciser quels éléments ont été jugés pertinents dans l’évaluation de son intérêt supérieur, dans quel contexte s’inscrivent ces éléments dans le cas considéré et comment ces éléments ont été mis en balance pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant.

8.3En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant et le non-refoulement, les organisations réaffirment que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pleinement pris en compte au moment de l’examen des demandes d’entrée ou de séjour dans un pays, et qu’il devrait être une considération primordiale et donc avoir un rang de priorité élevé.

8.4Selon les normes et la jurisprudence internationales, l’orientation sexuelle constitue un aspect fondamental de l’identité et de la conscience d’une personne et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ont autant droit à la liberté d’expression et d’association que les autres. Le fait qu’une personne puisse échapper à la persécution en dissimulant son orientation sexuelle ou son identité de genre ou en se montrant « discrète » à ce sujet, ou l’ait fait par le passé ne constitue pas une raison valable de lui refuser le statut de réfugié. La dissimulation de l’orientation sexuelle implique l’effacement d’un aspect fondamental de l’identité d’un individu, et le fait d’être contraint de dissimuler son orientation sexuelle peut entraîner d’importants préjudices psychologiques ou autres. La situation est particulièrement préoccupante lorsque des demandeurs d’asile qui ont été déboutés sont contraints de dissimuler leur orientation sexuelle ou celle de leurs proches à leur retour dans le pays afin d’éviter les persécutions, car la crainte d’être découvert et de subir des mauvais traitements de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques peut durer toute la vie. Les organisations intervenant à titre de tiers font valoir qu’il en va de même pour les enfants contraints de cacher leur situation familiale pour ne pas être harcelés ou retirés à leurs parents et que, dans certains cas, un préjudice psychologique constitue une persécution. Le risque d’être découvert est particulièrement élevé dans le cas des jeunes enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres, car les jeunes enfants n’ont pas la capacité de s’abstenir totalement de parler de leur famille. Les lois qui incriminent les relations homosexuelles et les lois dites « antipropagande », même si elles ne sont pas systématiquement appliquées, ont pour effet d’obliger l’enfant à dissimuler l’orientation sexuelle de ses parents car elle pourrait être utilisée contre eux à tout moment. Dans de tels contextes, les enfants peuvent donc être amenés à cacher leur situation familiale par crainte d’être moqués, d’être ostracisés ou de perdre des amis, ce qui risque de les amener à s’isoler et à s’éloigner de leurs pairs.

8.5D’après les organisations, l’absence de reconnaissance juridique de leur structure familiale et les lois qui stigmatisent l’orientation sexuelle de leurs parents ont un effet préjudiciable sur les enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres. Il est démontré que grandir dans un climat juridique et social hostile a des effets tant directs qu’indirects sur les droits humains des enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres, notamment leurs droits à la santé, à l’éducation et à la non-discrimination.

8.6En ce qui concerne la situation des enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres dans la Fédération de Russie, les organisations soulignent que l’effet préjudiciable disproportionné des lois « antipropagande » sur les enfants homosexuels, bisexuels ou transgenres et les enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres, notamment le harcèlement et la violence que subissent ces enfants, est amplement démontré. Un certain nombre d’organes internationaux et régionaux de défense des droits de l’homme ont fait part de leurs préoccupations au sujet de la législation de la Fédération de Russie, qui encourage la stigmatisation des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, y compris les enfants, et des enfants de parents homosexuels, bisexuels ou transgenres, et la discrimination à leur égard. Dans son rapport, ILGA-Europe explique que la Fédération de Russie est « le pire pays d’Europe pour les minorités sexuelles et les minorités de genre » et que la situation s’est aggravée avec l’adoption de la loi sur la propagande homosexuelle. Dans le contexte d’atteintes plus larges aux droits de l’homme et à l’État de droit, la discrimination et les autres violations des droits de l’homme dont font l’objet les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ont lieu dans un climat d’impunité et leurs auteurs ne sont généralement pas sanctionnés, ce qui légitime la violence envers les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres et influence l’opinion publique. L’organisation souligne que les enfants risquent d’être retirés à leurs parents par les services sociaux et que des parents ont été accusés d’infractions à la loi sur la propagande homosexuelle, et cite plusieurs exemples. Dans une affaire récente, une juridiction russe a décidé de retirer à une personne la garde de son enfant au seul motif que cette personne était engagée dans une union homosexuelle et, dans une autre affaire, une personne transgenre a perdu la garde de ses deux enfants adoptés, qui lui ont été retirés.

Commentaires de l’auteur sur l’intervention de tiers

9.Le 18 mai 2020, l’auteur a soumis ses commentaires sur l’intervention de tiers, indiquant qu’il souscrit à ce qui est dit dans cette intervention et réaffirmant que, comme l’expliquent les intervenants, il est contraint de dissimuler l’orientation sexuelle de ses mères pour éviter les persécutions, par crainte d’être découvert et de subir de mauvais traitements de la part d’acteurs étatiques ou non étatiques. Il estime que cela lui cause un préjudice psychologique tel qu’il équivaut à de la persécution. En conséquence, la décision des autorités finlandaises de les renvoyer, lui et sa famille, dans la Fédération de Russie sans avoir procédé à une évaluation adéquate de son intérêt supérieur constituait manifestement un refoulement arbitraire.

Commentaires de l’État partie sur l’intervention de tiers

10.Le 20 mai 2020, l’État partie a soumis ses commentaires sur l’intervention de tiers, arguant que les intervenants n’avaient présenté aucun élément qui pourrait le conduire à une appréciation différente de celle figurant dans ses précédentes observations, et rappelant ses observations précédentes concernant l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par les autorités chargées des migrations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

11.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable.

11.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 3 et 22 de la Convention sont irrecevables car la même question a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il prend toutefois note de l’argument de l’auteur, qui n’a pas été contesté, selon lequel la requête déposée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme concernait les droits de sa mère et, en tout état de cause, la Cour n’a pas examiné l’affaire au fond parce que toutes les conditions n’avaient pas été respectées. Le Comité considère que la Cour n’a pas examiné la même question au sens de l’article 7 (al. d)) du Protocole facultatif et qu’il n’est donc pas empêché par cette disposition d’examiner la présente communication.

11.3Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 2, 13, 14, 16, 17 et 29 de la Convention, qui portent sur les incidents et les contraintes vécus par l’auteur en tant qu’enfant de lesbiennes dans le contexte juridique et social de la Fédération de Russie. Il constate toutefois que l’auteur n’a pas suffisamment démontré que ces faits constituaient de la part de l’État partie une violation de ses obligations en matière de non-refoulement et déclare que ces parties de la communication sont irrecevables au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

11.4Le Comité note toutefois que les griefs de l’auteur concernant le risque qu’il courrait d’être de nouveau soumis à de mauvais traitements du fait de la décision des autorités finlandaises de le renvoyer dans la Fédération de Russie déclenchent l’obligation de non‑refoulement qui incombe à l’État partie, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et soulèvent des questions au titre de l’article 19 de la Convention.

11.5Le Comité note que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 3 et 22 de la Convention au motif que les autorités nationales n’auraient pas fait de l’intérêt de l’enfant une considération primordiale dans le cadre des procédures relatives à l’asile et au droit de séjour ont également été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

11.6En conséquence, le Comité déclare que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 3, 19 et 22 de la Convention sont recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

12.1Conformément l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

12.2Le Comité note que l’auteur affirme que les autorités nationales n’ont pas procédé à une évaluation adéquate de son intérêt supérieur en tant qu’enfant lorsqu’elles ont examiné sa demande d’asile et sa demande de permis de séjour, en violation des droits qu’il tient des articles 3 et 22 de la Convention. Il soutient en particulier qu’elles n’ont pas examiné la question de savoir s’il serait personnellement en sécurité en tant qu’enfant de lesbiennes et qu’elles n’ont pas tenu compte de son opinion pendant la procédure, ce que l’État partie ne conteste pas. Le Comité rappelle que l’existence d’un risque de violation grave de la Convention dans l’État d’accueil devrait être appréciée eu égard à l’âge et au sexe de l’enfant, que, dans les décisions concernant le renvoi d’un enfant, l’intérêt supérieur de l’intéressé devrait être une considération primordiale, et que ces décisions devraient garantir que l’enfant, à son retour, sera en sécurité, sera correctement pris en charge, jouira pleinement et effectivement des droits reconnus par la Convention et pourra se développer harmonieusement. La prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être expressément assurée au moyen de procédures individuelles faisant partie intégrante de toute décision administrative ou judiciaire concernant le renvoi d’un enfant, et le raisonnement juridique sous-tendant toutes les décisions judiciaires et administratives devrait aussi être fondé sur ce principe. Le Comité rappelle que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant doit faire une place au respect du droit de l’enfant d’exprimer librement son opinion et du droit à ce que cette opinion soit dûment prise en considération dans toutes les affaires concernant l’enfant. Il rappelle aussi que, d’une manière générale, c’est aux autorités des États parties à la Convention qu’il incombe d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve pour déterminer s’il existe un risque de violation grave de la Convention en cas de renvoi, à moins qu’il ne soit établi que cette évaluation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

12.3En l’espèce, le Comité observe que le Service finlandais de l’immigration comme le tribunal administratif d’Helsinki ont pris en considération les menaces et la discrimination subies par la famille par le passé mais ont conclu que celles-ci n’étaient pas constitutives d’une persécution. Il observe également que, dans sa décision, le Service de l’immigration a dit qu’il était dans l’intérêt supérieur de tout enfant de pouvoir vivre avec ses parents.

12.4Le Comité rappelle que, afin de démontrer que le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit évalué et soit une considération primordiale a été respecté, toute décision concernant un ou des enfants doit être motivée, justifiée et expliquée. L’exposé des motifs devrait indiquer expressément tous les éléments de fait se rapportant à l’enfant et préciser quels éléments ont été jugés pertinents dans l’évaluation de son intérêt supérieur, dans quel contexte s’inscrivent ces éléments dans le cas considéré et comment ils ont été mis en balance pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, le Comité observe que la manière formelle et générale dont le Service finlandais de l’immigration fait référence à l’intérêt supérieur de l’enfant, sans avoir pris en considération l’opinion de l’auteur, montre qu’il n’a pas examiné les circonstances particulières de la situation de l’auteur et n’a pas évalué le risque d’une violation grave de la Convention au regard de ces circonstances particulières.

12.5Le Comité note en outre que, lorsqu’elles ont pris la décision d’expulser l’auteur, les autorités nationales n’ont pas dûment apprécié le risque que courrait l’intéressé de subir des violations graves de ses droits, comme des actes de violence ou de harcèlement, s’il était renvoyé dans la Fédération de Russie, risque qui était prévisible au moment où la décision a été prise, puisque l’auteur avait déjà été victime de discrimination et de brimades. Il note en particulier que les autorités n’ont pas pris en considération le jeune âge de l’auteur au moment de la décision, ni les effets permanents que pourraient avoir sur l’auteur les brimades constantes et la stigmatisation subies en raison de l’orientation sexuelle de ses mères. En conséquence, l’État partie n’a pas constaté, dans le cas de l’auteur, un risque réel de dommage irréparable de nature à déclencher l’obligation de non-refoulement.

12.6À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie n’a pas dûment tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que considération primordiale lorsqu’il a examiné la demande d’asile présentée par l’auteur en raison de l’orientation sexuelle de ses mères, et n’a pas protégé l’auteur contre le risque réel de subir un préjudice irréparable en le renvoyant dans la Fédération de Russie.

13.Le Comité, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 19 et 22 de la Convention.

14.L’État partie indique que V. B. et A. S. ont demandé une aide au retour volontaire, qui leur a été accordée, et qu’elles sont rentrées en Fédération de Russie, avec l’auteur, le 7 août 2017. En conséquence, le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie est dans l’obligation d’assurer à l’auteur une réparation effective, y compris une indemnisation adéquate. L’État partie est également dans l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que de telles violations se reproduisent, et en particulier de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit effectivement et systématiquement pris en considération dans les procédures d’asile et à ce que les enfants soient systématiquement entendus.

15.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité à faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Il est également invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans ses langues officielles.